Halte-garderie/ Relations privilégiées avec des professionnels qui en retirent un avantage concurrentiel/ Décharge de TVA (non)

Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 17/10/2022, 453019

 

  • Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Lecture du lundi 17 octobre 2022

Rapporteur

  1. Cyril Martin de Lagarde

Rapporteur public

Mme Céline Guibé

Avocat(s)

SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

L’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014. Par une ordonnance n° 430232 du 6 avril 2019, le président de la section du contentieux du Conseil d’Etat a, sur le fondement de l’article R. 351-8 du code de justice administrative, transmis sa demande au tribunal administratif de Lyon. Par un jugement n° 1720682 du 26 novembre 2019, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20LY00346 du 1er avril 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a, sur appel de l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy, annulé ce jugement et déchargé cette association des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mai 2021 et 6 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’économie, des finances et de la relance demande au Conseil d’Etat d’annuler cet arrêt.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. A… B… de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l’ association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’à l’issue d’une vérification de comptabilité dont l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy a fait l’objet, l’administration lui a notifié des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014. Par un jugement du 26 novembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions. Le ministre de l’économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 1er avril 2021 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ce jugement et déchargé l’association des impositions en litige.

2. Aux termes du b du 1° du 7 de l’article 261 du code général des impôts, sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée  » les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l’autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. (…)  »

3. Une association qui entretient des relations privilégiées avec des organismes à but lucratif ou des professionnels qui en retirent un avantage concurrentiel leur permettant notamment de réaliser, de manière directe, un surcroît de recettes, ne saurait être regardée comme ayant une gestion désintéressée au sens des dispositions de l’article 261 du code général des impôts citées au point 2.

4. Par suite, en se fondant sur la seule circonstance que l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy n’entretenait pas de relations privilégiées avec l’Ecole du ski français (ESF) permettant à cette dernière d’en retirer un avantage concurrentiel, au motif non contesté qu’il s’agit d’un groupement de fait qui ne possède pas de personnalité juridique et qui n’est pas membre de l’association, sans rechercher s’il en allait de même, ainsi que le ministre l’y invitait en défense, à l’égard des moniteurs de ski de l’ESF dont il n’était également pas contesté devant les juges du fond qu’ils exerçaient leur activité à titre commercial et étaient membres de l’association, la cour a commis une erreur de droit. Dès lors, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de l’instruction que l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy exerce une activité de halte-garderie pour les enfants de 18 mois à 3 ans et d’initiation au ski pour les enfants à partir de 3 ans. Pour l’exercice de cette dernière activité, qui représente environ 70 % de ses recettes et constitue donc la principale activité de l’association, celle-ci fait appel à des moniteurs de ski dont il n’est pas contesté qu’ils exercent une activité commerciale pour laquelle ils sont soumis, notamment, à la taxe sur la valeur ajoutée, et qui sont membres de l’association. Dans ces conditions, dès lors qu’ils retirent un avantage concurrentiel des activités de l’association, celle-ci doit être regardée comme entretenant des relations privilégiées avec ses membres, moniteurs de ski exerçant à titre commercial, alors même que les cours de ski dispensés aux enfants dans le cadre de celle-ci seraient moins rémunérateurs en moyenne pour les moniteurs que leurs cours particuliers. C’est dès lors, à bon droit que l’administration a estimé que son activité devait être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy n’est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat lequel n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt du 1er avril 2021 de la cour administrative d’appel de Lyon est annulé.
Article 2 : La requête présentée par l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy devant la cour administrative d’appel de Lyon est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à l’association Club des Piou-Piou de Valmorel Doucy.
Délibéré à l’issue de la séance du 3 octobre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Thomas Andrieu, M. Nicolas Polge, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Vincent Mazauric, conseillers d’Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.