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Moniteur de parapente – Demande d’utilisation d’une parcelle communale – Liberté de gestion (domaine privé) – Légalité du refus

CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 09/02/2024, 23MA00868, Inédit au recueil Lebon
CAA de MARSEILLE – 5ème chambre
• N° 23MA00868
• Inédit au recueil Lebon
Lecture du vendredi 09 février 2024
Président
Mme CHENAL-PETER
Rapporteur
Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public
M. GUILLAUMONT
Avocat(s)
OLIVIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Marseille, d’une part, d’annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Barcelonnette a refusé de faire droit à sa demande du 19 octobre 2020 d’autorisation d’utilisation des parcelles cadastrées section B n° 0955 et 0966, dites du golf du bois Chenu, afin d’exercer son activité de moniteur de parapente, d’autre part, d’enjoindre au maire de réexaminer sa demande.

Par un jugement n° 2109069 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 avril et 21 juillet 2023, M. A…, représenté par Me Cozon, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du 16 février 2023 ;

2°) d’annuler la décision implicite du maire de la commune de Barcelonnette ;

3°) d’enjoindre au maire d’instruire à nouveau sa demande et de prendre une nouvelle décision, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’arrêt à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Barcelonnette une somme de 6 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n’a pas communiqué son dernier mémoire produit avant clôture, qui contenait des éléments nouveaux ;
– l’administration, qui ne lui a pas demandé de compléter sa demande en application de l’article L. 114-5 du code des relations entre le public et l’administration, ne saurait soutenir que celle-ci était insuffisamment précise ;
– les parcelles concernées par sa demande, cadastrées section B n° 955 et 966, librement accessibles à tous, appartiennent bien au domaine public de la commune ;
– la décision méconnaît l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques et l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
– les circonstances que le site ne soit pas conventionné pour la pratique du parapente, alors qu’il est d’ailleurs dûment référencé, et qu’il n’y ait à l’heure actuelle aucune autorisation d’occupation ne sont pas de nature à justifier la décision contestée ;
– l’utilisation courte du site pour l’atterrissage n’est pas dangereuse alors même qu’il est inondable ; bon nombre d’activités, appelant des temps de présence plus longs, y sont d’ailleurs organisées, comme le permet le plan de prévention des risques inondation ; le moniteur de parapente doit en outre prémunir ses clients de tout danger ;
– aucun danger ne résulte davantage de la présence d’une ligne à haute tension et d’une servitude liée, dûment portée à la connaissance des parapentistes ;
– les pratiques liées à la présence de l’aérodrome à proximité et celle du parapente, qui n’est pas empêchée par la servitude aéronautique de dégagement, sont organisées pour une coexistence sécurisée ;
– la décision méconnaît le principe d’égalité de traitement dès lors que le maire laisse perdurer un usage de fait du site par d’autres parapentistes et qu’il y permet d’autres activités.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2023, la commune de Barcelonnette, représentée par Me Olivier, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu’elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Poullain,
– les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
– et les observations de Me Cozon, représentant M. A….
Considérant ce qui suit :

1. Le 19 octobre 2020, M. A…, moniteur de parapente, a sollicité auprès du maire de la commune de Barcelonnette une autorisation d’utiliser les parcelles cadastrées section B n° 0955 et 0966, dites du golf du bois Chenu, comme aire d’atterrissage et de stationnement. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 février 2023 ayant rejeté ses conclusions tendant à l’annulation du refus implicite opposé à cette demande et à ce qu’il soit enjoint au maire de réexaminer sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes des 2ème et 3èmealinéas de l’article R. 611-1 du code de justice administrative :  » La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s’ils contiennent des éléments nouveaux « .

3. Ainsi que le fait valoir M. A…, son dernier mémoire, enregistré le 27 janvier 2023 au greffe du tribunal administratif, avant clôture de l’instruction, n’a pas été communiqué. Il ne résulte toutefois pas de cette circonstance que lesdites écritures n’auraient pas été prises en compte par la juridiction. Ainsi, à supposer même que ce mémoire ait contenu des éléments nouveaux au sens des dispositions du 3ème alinéa de l’article R. 611-1 du code de justice administrative, cette seule absence de communication n’est pas susceptible, dans les circonstances de l’espèce, d’avoir préjudicié aux droits de M. A… ni d’avoir eu une influence sur l’issue du litige. Le requérant n’est dès lors pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public « .

5. Les parcelles litigieuses, situées entre le lit du torrent Le Bachelard et une zone de constructions privées, à proximité du golf, n’ont fait l’objet d’aucun aménagement et ne sont pas affectées par la commune à l’usage direct du public, alors même qu’étant libres d’accès, elles sont déjà utilisées dans les faits par certains praticiens du parapente. Elles appartiennent dès lors au domaine privé de la commune. M. A… ne saurait en conséquence utilement soutenir que la décision contestée méconnaît l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques qui concerne le domaine public des personnes publiques.

6. Aux termes de l’article L. 2221-1 du code général de la propriété des personnes publiques :  » Ainsi que le prévoient les dispositions du second alinéa de l’article 537 du code civil, les personnes publiques mentionnées à l’article L. 1 gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables « .

7. Il résulte de ces dispositions que le maire de Barcelonnette pouvait librement décider, sans méconnaître l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de ne pas formellement autoriser l’usage des terrains en cause pour l’atterrissage des parapentes et le stationnement.
8. Il est constant par ailleurs qu’aucune autorisation, similaire à celle sollicitée, n’a été délivrée à quiconque. M. A… ne saurait dès lors prétendre que le refus opposé à sa demande méconnaît le principe d’égalité.

9. Il résulte de l’instruction que le maire de la commune aurait pris la même décision s’il s’était seulement fondé sur le motif tiré de la libre disposition de son domaine privé. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner la légalité des autres motifs de la décision attaquée, invoqués dans les écritures en défense de la commune de Barcelonnette, M. A… n’est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement attaqué, rejeté ses conclusions aux fins d’annulation de celle-ci ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d’injonction. Par suite, il y a lieu de rejeter les conclusions d’appel de M. A…, en ce comprises celles aux fins d’injonction et celles présentées au titre des frais d’instance.

10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de la commune de Barcelonnette.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Barcelonnette au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… A… et à la commune de Barcelonnette.

Zone de montagne – Documents et décisions relatifs à l’occupation des sols – Obligation de prévenir les atteintes aux espèces animales qui la caractérisent (non)

 

Conseil d’État

N° 462638
ECLI:FR:CECHR:2024:462638.20240117
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème – 5ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. David Gaudillère, rapporteur
Mme Maïlys Lange, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats

Lecture du mercredi 17 janvier 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

L’association Bien vivre en pays d’Urfé a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’arrêté du 31 mai 2016 par lequel le préfet de la Loire a délivré un permis de construire à la société Monts de la Madeleine Energie pour l’implantation de quatre éoliennes, un poste de livraison et un mât de mesure sur le terrain situé sur le territoire de la commune de Cherier (Loire), d’autre part, l’arrêté du 31 mai 2016 par lequel le préfet de la Loire a délivré un permis de construire à cette même société pour l’implantation de cinq éoliennes et d’un poste de livraison sur un terrain situé sur le territoire de la commune de La Tuilière (Loire), enfin, la décision par laquelle le préfet de la Loire a rejeté son recours gracieux contre ces arrêtés. Par un jugement nos 1608379-1608380 du 21 mai 2019, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt avant-dire droit n° 19LY02840 du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer sur les conclusions à fin d’annulation présentées par l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois.

Par un arrêt n° 19LY02840 du 26 janvier 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 25 mars et 23 juin 2022 et les 3 juillet et 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Bien vivre en pays d’Urfé demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ces deux arrêts ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat et de la société Monts de la Madeleine Energie la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Monts de la Madeleine Energie ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2023, présentée par l’association Bien vivre en pays d’Urfé ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 décembre 2023, présentée par la société Monts de la Madeleine Energie ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêtés du 31 mai 2016, le préfet de la Loire a délivré deux permis de construire à la société Monts de la Madeleine Energie en vue de l’implantation de neuf éoliennes sur les territoires des communes de Cherier et de La Tuilière (Loire). Par un jugement du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés. Par un premier arrêt du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Lyon, par application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, a sursis à statuer sur l’appel de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres et enjoint à la société Monts de la Madeleine Energie de justifier, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt, de l’intervention d’une mesure de régularisation des permis de construire litigieux, tendant à l’examen par le préfet du respect, par les projets de parcs éoliens en cause, des dispositions générales du code de l’urbanisme relatives à l’aménagement et à la protection de la montagne. Par arrêtés du 8 juillet 2021, le préfet de la Loire a délivré les permis de construire modificatifs. Par un second arrêt, du 26 janvier 2022, la cour a jugé que ces permis modificatifs avaient régularisé le vice entachant les permis initiaux et a rejeté la requête d’appel. L’association Bien vivre en pays d’Urfé se pourvoit en cassation contre ces deux arrêts.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt avant-dire droit du 3 juin 2021 :

2. Aux termes de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme :  » Les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard « . Il résulte, par ailleurs, des dispositions de l’article L. 122-2 du même code que les dispositions de l’article L. 122-9 sont applicables  » à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l’ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l’établissement de clôtures, la réalisation de remontées mécaniques et l’aménagement de pistes, l’ouverture des carrières, la recherche et l’exploitation des minerais et les installations classées pour la protection de l’environnement « .

3. Sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Si ces dispositions permettent, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols en zone de montagne, de contester utilement l’atteinte que causerait l’un des projets énumérés à l’article L. 122-2 précité du code de l’urbanisme aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés, il résulte de leurs termes mêmes qu’elles n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet faisant l’objet de la décision relative à l’occupation des sols serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne.

4. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des risques que comporterait le projet litigieux pour les chouettes chevêchettes d’Europe et les chouettes de Tengmalm, dont il était allégué par les requérants qu’elles constituaient une avifaune nicheuse caractéristique des espaces boisés de montagne, la cour s’est fondée sur le motif tiré de ce que les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme n’ont pas pour objet de protéger les espèces d’oiseaux nicheurs. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour, en statuant ainsi, n’a pas commis d’erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 3 juin 2021.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt du 26 janvier 2022 :

En ce qui concerne la régularité de l’arrêt :

6. Il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant-dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué aurait méconnu le principe d’impartialité pour avoir été rendu par la même formation de jugement que celle qui avait rendu l’arrêt avant-dire droit du 3 juin 2021 et serait, pour ce motif, entaché d’irrégularité ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de l’arrêt :

7. En premier lieu, la cour, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur d’appréciation dans l’application des dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, a jugé, d’une part, que les atteintes que comporterait le projet pour les milieux forestiers n’étaient pas caractérisées et, d’autre part, que le boisement du secteur en cause ainsi que le parti d’implantation retenu favoriseraient son insertion paysagère et son impact visuel, y compris depuis le site des Cornes d’Urfé, en raison notamment de l’éloignement entre le parc et ce site. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de l’étude d’impact ainsi que des avis de l’autorité environnementale de 2014 et de 2015, que la cour, en statuant ainsi, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

8. En second lieu, la cour, pour écarter le moyen tiré de ce que le projet litigieux porterait atteinte à la chouette chevêchette d’Europe, a jugé que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir, à l’encontre des permis de construire modificatifs litigieux et sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, des risques que représenterait pour l’avifaune le fonctionnement des éoliennes. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que la cour, en statuant ainsi, n’a pas commis d’erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 26 janvier 2022.

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat et de la société Monts de la Madeleine Energie, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association Bien vivre en pays d’Urfé la somme de 2 000 euros à verser à la société Monts de la Madeleine Energie, au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le pourvoi de l’association Bien vivre en pays d’Urfé est rejeté.
Article 2 : L’association Bien vivre en pays d’Urfé versera à la société Monts de la Madeleine Energie une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association Bien vivre en pays d’Urfé, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Monts de la Madeleine Energie.
Délibéré à l’issue de la séance du 13 décembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d’Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur

Domaine skiable intercommunal – Injonction au concessionnaire de commercialiser les forfaits aux tarifs fixés par l’autorité concédante – Art. L. 521-3 CJA – Urgence (non)

 

Conseil d’État, 7ème chambre, 15/01/2024, 489157, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – 7ème chambre

  • N° 489157
  • ECLI:FR:CECHS:2024:489157.20240115
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 15 janvier 2024

Rapporteur

  1. Alexandre Denieul

Rapporteur public

  1. Nicolas Labrune

Avocat(s)

SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

La commune de Samoëns a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, en premier lieu, d’enjoindre à la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS) de commercialiser dans tous les points de vente et notamment sur son site internet les forfaits  » Grand Massif  » pour la commune de Samoëns sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l’ordonnance, de maintenir les tarifs préférentiels du forfait  » Grand Massif  » applicables du 11 septembre au 30 septembre 2023 à due concurrence du nombre de jours durant lesquels ce forfait n’aura pas été commercialisé, ainsi que les tarifs applicables du 1er octobre au 30 novembre 2023 à due concurrence du nombre de jours durant lesquels ce forfait n’aura pas été commercialisé et de maintenir les tarifs applicables à compter du 1er décembre 2023 à compter de l’expiration des deux périodes de commercialisation à tarif préférentiel précédentes, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, en deuxième lieu, de rembourser aux usagers qui auraient été dans l’impossibilité d’acquérir un forfait  » Grand Massif  » sur la commune de Samoëns et qui l’auraient acheté sur le territoire d’une autre commune, la différence entre le tarif d’achat et le tarif voté par le conseil municipal de Samoëns le 4 septembre 2023, en troisième lieu, de modifier les informations relatives aux tarifs des forfaits pour la commune de Samoëns pour 2023/2024, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et enfin de prendre toute mesure utile afin d’assurer la publicité de l’ordonnance à venir et ses conséquences sur les tarifs pratiqués sur la commune de Samoëns, également sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.

Par une ordonnance du 17 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 octobre et 15 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Samoëns demande au Conseil d’État :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de la société GMDS la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,

– les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Samoëns et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS) ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que la commune de Samoëns a conclu le 1er septembre 2000 avec la société GMDS une convention de concession pour la construction et l’exploitation des remontées mécaniques et du domaine skiable. Le 4 septembre 2023, le conseil municipal de cette commune a approuvé les tarifs pour la saison à venir du forfait donnant accès à son domaine skiable ainsi que du forfait  » Grand Massif « , qui donne accès au domaine skiable de la commune ainsi qu’à celui de cinq autres autorités concédantes, l’ensemble de ces domaines formant le  » Grand Massif « . Les tarifs approuvés pour ce dernier forfait ont été fixés à un niveau inférieur à ceux qui avaient été proposés par la société et acceptés par les autres autorités concédantes. La société GMDS a décidé de commercialiser le forfait  » Grand Massif  » au tarif retenu par ces autres autorités. La commune de Samoëns a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant notamment à ce qu’il soit enjoint à son concessionnaire de commercialiser le forfait  » Grand Massif  » aux tarifs délibérés par son conseil municipal. Par une ordonnance du 17 octobre 2023, contre laquelle la commune de Samoëns se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

2. S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public (sic) en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

3. En premier lieu, en estimant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la condition d’urgence n’était pas remplie eu égard au motif invoqué par la commune, tenant aux conséquences financières de l’absence de mise en œuvre par la société GMDS de la baisse tarifaire qu’elle avait décidée unilatéralement pour le forfait  » Grand Massif « , le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n’a pas commis d’erreur de droit.

4. En second lieu, dès lors que le juge des référés a estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie, le motif par lequel il a jugé que la demande de la commune de Samoëns se heurtait à une contestation sérieuse présente un caractère surabondant. Le moyen tiré de l’erreur de droit qui entacherait ce motif ne peut, par suite, qu’être écarté comme inopérant.

5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Samoëns n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.

6. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre une somme de 3 000 euros à verser par la commune de Samoëns à la société GMDS au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société GMDS qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Le pourvoi de la commune de Samoëns est rejeté.
Article 2 : La commune de Samoëns versera à la société Grand Massif Domaines Skiables la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Samoëns et à la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS).

Accident de ski – Professeur d’EPS – Hors-piste (oui) – Piste de fait (non) – Faute de l’autorité de police (non)

 

CAA de LYON, 4ème chambre, 21/12/2023, 22LY01267, Inédit au recueil Lebon

 

Président

  1. ARBARETAZ

Rapporteur

Mme Sophie CORVELLEC

Rapporteur public

  1. SAVOURE

Avocat(s)

LE GULLUDEC

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune d’Oz-en-Oisans à lui verser la somme de 645 690,51 euros, sous déduction du recours du ministre de l’éducation nationale, en réparation des préjudices causés par l’accident de ski dont il a été victime.

Par jugement n° 1906276 du 1er mars 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire (non communiqué) enregistrés le 27 avril 2022 et le 16 juin 2023, M. B…, représenté par Me Favet (SELARL Cabinet Laurent Favet), demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 ;

2°) de condamner la commune d’Oz-en-Oisans, subsidiairement, la société publique locale (SPL) Oz-Vaujany à lui verser la somme de 645 690,51 euros ;
3°) de mettre à la charge de la commune d’Oz-en-Oisans la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, la commune d’Oz-en-Oisans a commis une faute, en ne signalant pas précisément le thalweg et le pont de neige qui le masquait, la réalité des autres balisages n’étant, par ailleurs, pas établie ;
– subsidiairement, la responsabilité de la SPL Oz-Vaujany sera retenue ;
– cet accident lui a causé les préjudices suivants :
* DFT personnel : 12 841 euros ;
* Souffrance endurée : 25 000 euros ;
* Atteinte à l’intégrité physique et psychique : 64 400 euros ;
* Préjudice esthétique temporaire : 1 000 euros ;
* Préjudice esthétique définitif : 5 000 euros ;
* Assistance par tierce personne : 12 630 euros ;
* Assistance par tierce personne après consolidation : 20 250 euros ;
* Incidence professionnelle et perte de gains professionnels futurs : 58 555,22 euros ;
* Préjudice d’agrément : 6 000 euros ;
* Achat de matériel : 5 554,62 euros ;
* Soins de psychothérapie : 1 100 euros ;
* Soins médicaux, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Déficit fonctionnel temporaire professionnel, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Paiement des salaires comme professeur d’éducation physique et sportive au collège Henri Wallon, selon le recours du ministre de l’éducation nationale ;
* Soins de kinésithérapie, selon le recours du ministre de l’éducation nationale.

Par mémoire enregistré le 12 avril 2023, la SPL Oz-Vaujany, représentée par Me Trolez, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. B… ;

2°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 en ce qu’il rejette ses conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) subsidiairement, d’annuler ce jugement en ce qu’il déclare recevable l’appel en garantie présenté par la commune d’Oz-en-Oisans à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de M. B…, ou de tout autre succombant, la somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
– les conclusions qu’elle a présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ont été rejetées à tort, les écritures produites apparaissant nécessaires pour assurer sa défense ;
– l’appel en garantie présenté par la commune d’Oz-en-Oisans à son encontre était irrecevable, à défaut d’être présenté par mémoire distinct en méconnaissance de l’article L. 632-1 du code de justice administrative.

Par mémoire enregistré le 24 avril 2023, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 1er mars 2022 ;

2°) de condamner la commune d’Oz-en-Oisans à lui verser la somme de 480 743,83 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 3 janvier 2020 et eux-mêmes capitalisés, en remboursement des sommes exposées en conséquence de l’accident de ski de M. B….

Il soutient que :
– il est recevable à majorer ses prétentions en appel en raison de l’aggravation des préjudices depuis le jugement du tribunal administratif de Grenoble ;
– les traitements versés à son agent et les charges patronales s’élèvent à, respectivement, 201 739,01 euros et 173 167,46 euros ;
– les frais médicaux pris en charge par l’administration s’élèvent à 105 837,36 euros.

Par mémoire enregistré le 11 mai 2023, la commune d’Oz-en-Oisans, représentée par Me Le Gulludec, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) subsidiairement, de condamner la SPL Oz-Vaujany à la garantir de toute condamnation ;

3°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 4 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que :
– les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
– la victime a commis une faute de nature à l’exonérer de toute responsabilité ;
– subsidiairement, la SPL Oz-Vaujany sera condamnée à la garantir de toute condamnation, celle-ci ayant été contractuellement chargée de la signalisation du domaine skiable.

La clôture de l’instruction a été fixée au 16 juin 2023 par ordonnance du même jour.
Par un courrier du 10 novembre 2023, les parties ont été informées en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que la cour est susceptible de relever d’office :
– l’incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable de la commune d’Oz-en-Oisans, seuls les tribunaux judiciaires étant compétents pour connaître d’un litige opposant un usager d’un domaine skiable à son exploitant ;
– l’irrecevabilité des conclusions d’appel provoqué présentées par la SPL Oz-Vaujany à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, dans l’hypothèse où sa situation ne serait pas aggravée à l’issue de l’examen de l’appel principal.

Par courrier enregistré le 28 novembre 2023, la SPL Oz-Vaujany a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler en réponse à cette mesure d’instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du tourisme ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
– les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;
– les observations de Me Ayati, pour M. B…, de Me Louche, pour la commune d’Oz-en-Oisans, et de Me Drouin, pour la SPL Oz-Vaujany ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 avril 2018, M. B…, professeur d’éducation physique et sportive, a été victime d’une chute de ski sur le territoire de la commune d’Oz-en-Oisans, alors qu’il encadrait un groupe d’élèves. Il a sollicité auprès de la commune l’indemnisation des préjudices causés par cet accident, par courrier du 27 juin 2019 resté sans réponse. M. B… a saisi le tribunal administratif de Grenoble aux mêmes fins. Sa demande a été rejetée par un jugement du 1er mars 2022 dont il relève appel, en demandant, à titre subsidiaire, la condamnation de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable. Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse sollicite également le remboursement des débours exposés en tant qu’employeur de l’intéressé.

Sur les conclusions de M. B… et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tendant à la condamnation de la commune d’Oz-en-Oisans :

2. Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents (…), de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours (…) « . En application de ces dispositions, il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par prudence, se prémunir.

3. Le 6 avril 2018, alors qu’il encadrait un groupe d’élèves, M. B… a chuté de plusieurs mètres en tentant de traverser un thalweg occupé par le lit d’un ruisseau et recouvert de neige qui a cédé sous son poids. L’accident s’est ainsi produit après que l’intéressé a, en conscience, quitté la piste balisée, sans qu’il ne démontre, comme il le prétend, y avoir été contraint par l’état de cette piste. Les seules attestations de trois des élèves alors présents, faisant état de traces marquant le chemin suivi par leur professeur, ne permettent pas d’établir que ce chemin était fréquemment emprunté par les usagers du domaine skiable. Ainsi, il ne résulte pas de l’instruction que ce chemin faisait partie de ceux, qui, bien que hors du domaine skiable, doivent donner lieu, dans l’exercice par le maire de son pouvoir de police, à une signalisation, voire à une interdiction d’accès, en cas de danger exceptionnel. Au surplus, il résulte des photographies horodatées versées au dossier, plus particulièrement de celles qui, par la présence de secouristes ou d’élèves, ont nécessairement été prises le jour de l’accident, que des balises rayées de noir et de jaune étaient disposées le long de la portion de ce cours d’eau la plus proche de la piste, aucun élément ne permettant d’affirmer que ce dispositif aurait été installé après l’accident, par les pisteurs chargés des secours. Ce balisage, dont la signification ne pouvait être ignorée par un professionnel de l’enseignement du ski, était approprié à la nature du danger constitué par le ruisseau, sans qu’il ne puisse être reproché au maire de ne pas l’avoir étendu à tout le talweg. Par suite, M. B…, à qui il appartenait de se prémunir contre ce danger, n’est pas fondé à reprocher au maire d’Oz-en-Oisans une faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
4. Aucune condamnation n’étant prononcée à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, les conclusions présentées par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse tendant au remboursement des débours exposés comme employeur de M. B… ne peuvent qu’être rejetées.
5. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… et le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté leurs demandes.

Sur les conclusions de M. B… contre la SPL Oz-Vaujany :

6. En vertu de l’article L. 342-13 du code du tourisme, l’exploitation des pistes de ski, qui inclut notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial. En raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, les tribunaux judiciaires sont seuls compétents pour connaître d’un litige opposant une victime à l’exploitant d’un domaine skiable, que sa responsabilité soit recherchée pour faute ou sans faute. Par suite, la juridiction administrative n’est pas compétente pour connaître des conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany, gestionnaire du domaine skiable de la commune d’Oz-en-Oisans.
Sur les conclusions de la SPL Oz-Vaujany contre la commune d’Oz-en-Oisans :

7. L’appel principal présenté par M. B… n’ayant pas pour effet d’aggraver la situation de la SPL Oz-Vaujany, les conclusions d’appel provoqué présentées par celle-ci à l’encontre de la commune d’Oz-en-Oisans, au-delà du délai d’appel, sont irrecevables.
Sur les frais liés au litige de première instance :
8. Nonobstant le volume des écritures produites en première instance et le montant de la demande présentée à son encontre par la commune d’Oz-en-Oisans, il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal administratif de Grenoble a fait une inexacte appréciation des circonstances de l’espèce, en rejetant les conclusions de la SPL Oz-Vaujany présentées à l’encontre de M. B… sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige d’appel :

9. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d’Oz-en-Oisans, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. B…. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d’une somme au titre des frais exposés par la commune d’Oz-en-Oisans et par la SPL Oz-Vaujany dans la présente instance, en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :
Article 1er : Les conclusions présentées par M. B… à l’encontre de la SPL Oz-Vaujany sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… B…, à la commune d’Oz-en-Oisans, à la SPL Oz-Vaujany, à la mutuelle générale de l’éducation nationale, au recteur de l’académie de Grenoble et au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Convention pluriannuelle de pâturage – Domaine privé forestier – Injonction d’évacuer les lieux – Exécution partielle

Cour de cassation 14 décembre 2023
Pourvoi n° 23-10.934

Première présidence (Ordonnance)

ECLI:FR:CCASS:2023:OR91343

Texte de la décision

COUR DE CASSATION
Première présidence
__________
ORad

Pourvoi n° : K 23-10.934
Demandeur : M. [Z]
Défendeur : L’Office national des forêts
Requête n° : 730/23
Ordonnance n° : 91343 du 14 décembre 2023

ORDONNANCE
_______________

ENTRE :

L’Office national des forêts, ayant la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet pour avocat à la Cour de cassation,

ET :

M. [K] [Z], ayant la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh pour avocat à la Cour de cassation,
Jean Rovinski, conseiller délégué par le premier président de la Cour de cassation, assisté de Vénusia Ismail, greffier lors des débats du 23 novembre 2023, a rendu l’ordonnance suivante :

Vu la requête du 31 juillet 2023 par laquelle L’Office national des forêts demande, par application de l’article 1009-1 du code de procédure civile, la radiation du pourvoi numéro K 23-10.934 formé le 23 janvier 2023 par M. [K] [Z] à l’encontre de l’arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d’appel de Grenoble ;

Vu les observations développées au soutien de la requête ;

Vu les observations développées en défense à la requête ;

Vu l’avis de Marie-Hélène Guilguet-Pauthe, avocat général, recueilli lors des débats ;

M. [Z] a formé un pourvoi contre l’arrêt du 6 décembre 2022 rendu par la cour d’appel de Grenoble.

L’ONF explique que M. [Z] n’a pas exécuté les condamnations prononcées à son
encontre ; qu’il a laissé les installations qu’il avait mises en place pendant le cour de la convention pluriannuelle de pâturage et qu’il ressort des échanges de courriers entre les parties qu’il n’entend pas déférer à la mise en demeure qu’il a reçue de nettoyer et libérer les parcelles litigieuses. L’ONF en conclut qu’en application de l’article 1009-1 du code de procédure civile, elle est fondé à solliciter la radiation du pourvoi n° K 23-10.934 du rôle de la Cour de cassation.

M. [Z] rétorque, pour solliciter le rejet de la requête en radiation qu’il est éleveur berger depuis plus de vingt ans sur la commune de Rosans (05) et pratique le pâturage en haute montagne, que suivant acte sous seing privé du 15 février 2011, l’Office National des Forêts (ci-après ONF) lui a consenti une convention pluriannuelle de pâturage, portant sur diverses parcelles, situées dans le canton de Montagne de Raton, sur la commune de Rosans, pour une contenance totale de 100 ha, que cette convention a été consentie pour une durée de six ans à partir de 2010, qu’il a par la suite continué d’exploiter les terres litigieuses, qu’en 2020, sans aucun congé, l’ONF lui a demandé de retirer son troupeau, que c’est dans ces circonstances que, par acte du 18 janvier 2021, il a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Gap aux fins de voir juger que la convention pluriannuelle de pâturage du 15 février 2011 correspondait à l’annexe 3 de l’arrêté préfectoral du 25 octobre 2007 et qu’elle s’était renouvelée tacitement le 15 février 2015 et se renouvellera le 15 février 2021.

M. [Z] précise que, reconventionnellement, l’ONF a demandé au tribunal de le condamner à lui verser des dommages et intérêts, en raison d’un prétendu préjudice résultant d’une réduction de loyer qu’aurait accordé l’ONF à l’association communale de chasse agréée de la commune, en compensation de deux jours de chasse qui n’auraient pu être effectués du fait de la présence du troupeau et de ses chiens patous qui protègent le troupeau et que, par jugement du 31 mars 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Gap a, pour l’essentiel :
– Dit que la convention pluriannuelle de pâturage signée le 15 février 2011 par M. [Z] et l’ONF avait régulièrement pris fin le 30 novembre 2015 ;
– Déclaré en conséquence M. [Z] occupant sans droit ni titre, depuis le 1er décembre 2015, des parcelles qui lui avaient été concédées par ladite convention pluriannuelle de pâturage ;
– Dit que si M. [Z] n’avait libéré les lieux de sa personne, de ses biens et de tous occupants de son chef dans un délai de quinze jours suivant la date du prononcé du jugement, il pourrait être procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef.

M. [Z] explique qu’il a interjeté appel de cette décision mais que par arrêt du 6 décembre 2022, la cour d’appel de Grenoble a confirmé le jugement déféré et débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires. Il précise qu’il a retiré son troupeau – 300 brebis – des parcelles litigieuses et que l’arrêt est donc, pour l’essentiel, exécuté ; que la requête de l’ONF concerne, selon son courrier du 4 juillet 2023, « des filets pour parquer les animaux, des tonneaux contenant des pierres à sel et des croquettes pour chien, une cabane en bois avec des bâches plastique »; qu’il n’a pas nié la présence de ces installations, mais expliqué, dans son courrier en réponse du 17 juillet 2023, qu’il était en arrêt maladie depuis le 14 avril 2023 et n’avait pu procéder au démontage des installations, indiquant que le matériel qui avait servi à leur montage avait été acheminé à dos d’âne et avait nécessité plusieurs voyages et en nécessiterait donc autant en sens inverse pour redescendre, alors que ses ânes étaient actuellement en alpages en Isère.
Il explique qu’il sollicitait donc la « compréhension » de l’ONF pour pouvoir procéder au démontage et rapatriement des installations et que pour toute réponse, l’ONF a rappelé le caractère exécutoire de l’arrêt et l’a invité à solliciter en justice un délai supplémentaire.
M. [Z] précise encore qu’à ce jour, il est toujours en arrêt de travail, la dernière prolongation courant jusqu’au 14 décembre prochain, que l’arrêt est, pour l’essentiel, exécuté puisqu’il a libéré les parcelles de son troupeau et de ses chiens patous, qui le gardent et le protègent et que l’ONF a d’ailleurs redonné les parcelles en location à un tiers. Il ajoute que les installations non encore démontées occupent une infime partie des 100 hectares objet de la convention pluriannuelle de pâturage litigieuse puisque l’on parle d’une cabane, de restes de filets, et de quelques tonneaux contenant de la nourriture pour les chiens de garde, que la cabane, ou du moins ce qu’il en reste, est constituée de cinq palettes de bois et les tonneaux sont au nombre de quatre, que le tout occupe de l’ordre de 2 m², qui plus est dissimulé sous des arbres, et n’a jamais posé la moindre difficulté depuis l’origine de la convention en 2011. M. [Z] justifie enfin avoir été, depuis le 4 avril 2023 en arrêt de travail, régulièrement prolongé depuis car sa maladie se prolonge, et qu’il se trouve actuellement toujours dans l’impossibilité de redescendre les palettes et tonneaux.

L’ONF fait valoir à juste titre que M. [Z] reconnaît lui-même ne pas avoir intégralement exécuté les causes de l’arrêt objet du pourvoi, puisqu’il n’a pas libéré les lieux et n’a pas procédé au démontage de ses installations et que s’il prétend qu’un tel démontage lui serait impossible puisqu’il est en arrêt de travail depuis le 14 avril 2023, prolongé jusqu’en décembre prochain, une telle objection ne saurait convaincre, puisque, déjà, dans son jugement du 31 mars 2022, exécutoire à titre provisoire, le tribunal paritaire des baux ruraux de Gap l’avait condamné à libérer les lieux dans un délai de 15 jours et que la cour d’appel de Grenoble, dans son arrêt du 6 décembre 2022, a confirmé le jugement.

Ainsi, plus de 20 mois se sont écoulés depuis la condamnation de M. [Z] en première instance en sorte que ce dernier a eu tout le loisir de déférer à l’arrêt attaqué, ce qu’il n’a pas fait.

M. [Z] était en mesure de faire appel aux services d’un tiers pour procéder au démontage de son installation et libérer les lieux, son arrêt de travail ne pouvant suffire à l’exonérer des conséquences de l’inexécution des causes de l’arrêt.

M. [Z], qui persiste depuis 20 mois, dans son refus de libérer les parcelles indûment occupées et d’évacuer les déchets qui s’y trouvent, ne peut se prévaloir d’une volonté non-équivoque d’exécuter la décision attaquée, en sorte qu’il y a lieu de faire droit à la requête en radiation.

Dès lors, la requête doit être accueillie.

EN CONSÉQUENCE :

L’affaire enrôlée sous le numéro K 23-10.934 est radiée.

En application de l’article 1009-3 du code de procédure civile, sauf constat de la péremption, l’affaire pourra être réinscrite au rôle de la Cour de cassation sur justification de l’exécution de la décision attaquée.

Biens indivis entre communes – Refus d’autorisation de transhumance – Erreur manifeste d’appréciation

CAA de BORDEAUX, 4ème chambre, 12/12/2023, 21BX02697, Inédit au recueil Lebon

Président

Mme MARTIN

Rapporteur

  1. Michaël KAUFFMANN

Rapporteur public

Mme GAY

Avocat(s)

LAGARDE

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) Arberet a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler les décisions des 29 mai 2020, 6 juillet 2020 et 12 août 2020 par lesquelles la commission syndicale de la vallée du Barège (CSVB) a rejeté sa demande d’autorisation de pacage pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.
Par un jugement n° 2001310 du 22 avril 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin 2021 et 20 mars 2023, ce dernier n’ayant pas été communiqué, le GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, représenté par Me Marcel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 2001310 du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation des décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB ;

2°) d’annuler les décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB ;

3°) de mettre à la charge de la CSVB la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :
– le président de la CSVB n’a pas été régulièrement habilité à présenter des écritures en défense devant les premiers juges ;
– contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, il est recevable à contester la décision du 29 mai 2020, qui lui fait grief ;
– en prenant en compte la lettre du 9 juin 2020 établie par le conseil de la CSVB à destination du conseil du GAEC, en méconnaissance des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 relative au secret professionnel, le tribunal a entaché son jugement d’irrégularité ;
En ce qui concerne la décision du 29 mai 2020 :
– elle a été signée par une autorité qui n’a pas reçu délégation à cet effet ;
– elle est insuffisamment motivée en droit ;
– il n’a pas été mis à même de présenter des observations sur cette décision, qui doit s’analyser comme retirant une décision individuelle créatrice de droit ;
– elle est entachée d’erreur de droit dès lors que la commission a rajouté une condition, liée à l’accord et à la signature des deux co-gérants du GAEC, qui n’est pas prévue dans le règlement pastoral ; la mésentente entre les associés co-gérants n’a pas à entrer en compte dans l’appréciation de la décision de la commission syndicale à l’égard du GAEC dans la mesure où ce dernier doit simplement s’assurer du respect du règlement pastoral ; face à cette mésentente, la CSVB aurait dû solliciter de M. A… la confirmation de cette opposition ;

En ce qui concerne la décision du 6 juillet 2020 :
– elle est illégale par voie de conséquence de l’illégalité de la décision du 29 mai 2020 ;
– elle est insuffisamment motivée ;
– la procédure contradictoire prévue à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration n’a pas été respectée ;
– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
– la décision prise par la commission syndicale a des conséquences manifestement excessives pour le GAEC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2021, la CSVB, représentée par Me Lagarde, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du GAEC Arberet sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– son président a valablement été habilité à présenter des écritures en défense devant les premiers juges ;
– les conclusions tendant à l’annulation du courrier du 29 mai 2020 sont irrecevables dès lors que ce courrier ne fait pas grief ;
– les moyens soulevés par l’appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi du 10 juin 1793 ;
– la loi du 9 ventôse an XII ;
– le décret du 21 septembre 1805 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Michaël Kauffmann,
– les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
– et les observations de Me Marcel, représentant le GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire.
Considérant ce qui suit :

1. Le GAEC Arberet exploite un élevage d’ovins comportant environ 110 brebis laitières et exerce une activité de maraichage en zone de haute montagne à Germs, sur l’Oussouet. Le 30 novembre 2019, il a sollicité de la commission syndicale de la vallée du Barège (CSVB) une autorisation de transhumance de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020. Par un courrier du 29 mai 2020, la commission syndicale a informé l’un des co-gérants du GAEC, M. A…, de ce que la transhumance ne serait pas autorisée sans un accord écrit de l’autre co-gérant. Par une décision du 6 juillet 2020, la CSVB a refusé de faire droit à la demande du GAEC Arberet en raison de la méconnaissance de l’article 1er du règlement pastoral applicable au titre de l’année 2020 et, par une décision du 12 août 2020, elle a réitéré son refus. Le GAEC Arberet relève appel du jugement du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions du 29 mai 2020 et du 6 juillet 2020 de la CSVB.

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 5222-1 du code général des collectivités territoriales :  » -. Lorsque plusieurs communes possèdent des biens ou des droits indivis, il est créé, pour leur gestion et pour la gestion des services publics qui s’y rattachent, une personne morale de droit public administrée, selon les modalités prévues à l’article L. 5222-2, par une commission syndicale composée des délégués des conseils municipaux des communes intéressées et par les conseils municipaux de ces communes. / (…) / La commission syndicale est présidée par un syndic élu par les délégués et pris parmi eux. Elle est renouvelée après chaque renouvellement général des conseils municipaux. / Les délibérations de la commission syndicale et les décisions du syndic sont soumises à toutes les règles établies pour les délibérations des conseils municipaux et les décisions des maires. « . Il résulte des dispositions combinées des lois des 10 juin 1793 et 9 ventôse an XII et du décret impérial additionnel à celui du 9 ventôse an XII que la juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations qui peuvent s’élever en matière de partage et de jouissance des biens communaux et sectionnaux, qui relèvent du plein contentieux.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l’article L. 2131-1 du code général des collectivité territoriales, rendues applicables à la CSVB en application des dispositions précitées de l’article L. 5222-1 du même code :  » I. Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu’ils ont été portés à la connaissance des intéressés dans les conditions prévues au présent article et, pour les actes mentionnés à l’article L. 2131-2, qu’il a été procédé à la transmission au représentant de l’Etat dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement prévue par cet article. (…) « . Aux termes de l’article L. 2131-2 du même code :  » I. Sont transmis au représentant de l’Etat dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement, dans les conditions prévues au II : / 1° Les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal (…) « .

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la CSVB a présenté des écritures en défense au nom de la commission devant le tribunal administratif de Pau et a sollicité le rejet de la requête présentée par le GAEC Arberet ainsi que le versement de frais irrépétibles en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, que les premiers juges lui ont accordé à hauteur de 1 200 euros. Toutefois, alors que le caractère exécutoire de la délibération du 3 février 2021 de la CSVB habilitant son président à ester en justice pour son compte était sérieusement contesté devant le tribunal par le GAEC Arberet, qui se prévalait de l’absence de preuve de transmission de cette délibération au représentant de l’Etat dans le département, et l’est à nouveau à hauteur d’appel, la CSVB ne produit aucune pièce de nature à en justifier. Dès lors, le GAEC Arberet est fondé à soutenir qu’en se fondant sur les mémoires en défense produits par la CSVB pour rejeter ses conclusions tendant à l’annulation des décisions du 29 mai 2020 et du 6 juillet 2020 et lui allouer la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles, le tribunal, qui aurait dû les écarter des débats, a entaché son jugement d’irrégularité. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, il y a lieu, pour la cour, d’annuler ce jugement dans cette mesure et, dans les circonstances de l’espèce, de se prononcer immédiatement, par la voie de l’évocation, sur lesdites conclusions.

Sur la légalité de la décision du 29 mai 2020 :

5. Il résulte de l’instruction que le chef de service de la CSVB a, par courrier électronique du 29 mai 2020, informé M. A…, co-gérant du GAEC Arberet, que la transhumance du GAEC Arberet ne pouvait être effective qu’avec un accord écrit des deux co-gérants et que, passé un délai de dix jours sans production de cet accord, le cheptel du GAEC ne serait pas autorisé à transhumer. Ce courrier, qui se borne à informer M. A… de la nature de la décision qui pourra être prise ultérieurement à défaut de compléter son dossier de demande d’autorisation de transhumance ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief. Par suite, comme le fait valoir la CSVB, les conclusions à fin d’annulation du courrier du 29 mai 2020 présentées par le GAEC Arberet sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur la légalité de la décision du 6 juillet 2020 :

6. Aux termes de l’article 1er du règlement pastoral établi au titre de l’année 2020 par la CSVB :  » La Commission Syndicale de la Vallée du Barège gère tous des terrains indivis de l’ensemble des Communes de la vallée, soit au total 43 611 ha, dont 28 368 ha de surface totale déclarée et 18 818 ha de surface admissible, soit 18 818 DPB. / (…) / La Commission Syndicale choisit saisonnièrement l’introduction dans ses estives des troupeaux selon : / (…) / La crédibilité du demandeur. Est crédible, notamment, toute personne en situation de régularité certaine avec les lois et règlements, et les normes internes à la structure au nom de laquelle l’accès au pâturage est demandé. (…) « .

7. Il résulte de l’instruction que, par une attestation du 23 juillet 2020, l’employé saisonnier chargé de la garde de l’estive d’Aspé-Saugué pour le compte de la CSVB a indiqué avoir été informé, le 6 juin 2020, de la présence d’une partie du troupeau d’ovins du GAEC Arberet sur l’estive. Par un courrier du 9 juin suivant, auquel se réfère la décision contestée du 6 juillet 2020, le conseil de la CSVB a informé celui du GAEC que  » la montée en estives est fixée au 10 juin 2020, les ovins du GAEC Arberet, ont quitté les filets le samedi 6 juin, pour se retrouver le 9 juin (au moins) sur le territoire syndical d’Aspé « . En raison du non-respect de la date publique applicable pour les montées en estives, la CSVB, sur le fondement de l’article 1er du règlement pastoral établi au titre de l’année 2020, a rejeté la demande d’autorisation de transhumance de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué présentée par le GAEC Arberet pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.

8. D’une part, la CSVB fait état en défense de ce que, contrairement à ce qu’a indiqué son propre conseil dans le courrier précité du 9 juin 2020, des ovins appartenant au GAEC Arberet auraient fréquenté l’estive d’Aspé-Saugué dès le 26 mai 2020. Toutefois, la seule attestation produite en ce sens, établie plus de deux mois après les faits par un membre de la commission pacage de la CSVB, n’est pas de nature à l’établir, alors qu’il résulte de l’instruction que les échanges intervenus entre le GAEC Arberet et la CSVB au sujet de la fuite d’une partie du troupeau se sont principalement déroulés au cours de la période comprise entre le 6 et le 12 juin 2020 et que le garde employé par la CSVB pour surveiller l’estive évoque également, à propos de cet évènement, la date du 6 juin 2020.

9. D’autre part, il est constant que l’incident en cause est isolé, la transhumance des ovins du GAEC Arberet s’étant déroulée au titre des années précédentes, 2017, 2018 et 2019, sans qu’aucun manquement au règlement pastoral ne soit à déplorer. Il résulte par ailleurs de l’instruction et notamment des échanges intervenus entre le GAEC Arberet et la CSVB que la fuite d’une partie du troupeau en juin 2020, dont le caractère accidentel n’est pas sérieusement contesté par la CSVB, résulte de mauvaises conditions météo qui ont sévi dans le secteur et ont conduit à la détérioration de l’enclos au sein duquel 56 brebis avaient été précédemment transportées, à Gavarnie-Gèdre, au sein de parcelles privées détenues par le GAEC au quartier du Saussa, à proximité de l’estive d’Aspé-Saugué. Lorsque M. A… a appris, le 9 juin 2020, la fuite d’une partie de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué, il a immédiatement informé la CSVB de la gêne visuelle qui l’empêchait temporairement de se déplacer sans risque en montagne, ainsi que le confirme un certificat médical établi le 10 juin 2020 par un médecin ophtalmologue, et a finalement mis en œuvre les moyens nécessaires pour que les brebis quittent l’estive d’Aspé-Saugué deux jours plus tard, le 12 juin 2020. Dans ces conditions, eu égard au caractère isolé et accidentel de l’incident, à la réactivité du co-gérant du GAEC Arberet ainsi qu’au très court laps de temps durant lequel les ovins ont occupé l’estive d’Aspé-Saugué avant la date d’ouverture des montées en estives, l’appelant est fondé à soutenir qu’en estimant que son profil n’était pas  » crédible « , critère qui, au demeurant, est insuffisamment précisé au sein du règlement pastoral, et en lui refusant, pour ce motif, l’autorisation de transhumance sollicitée pour la totalité de la période estivale, la CSVB a porté une appréciation manifestement erronée sur sa situation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le GAEC Arberet est seulement fondé à demander l’annulation de la décision du 6 juillet 2020 par laquelle la CSVB a rejeté sa demande d’autorisation de pacage pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.

Sur les frais liés à l’instance :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du GAEC Arberet, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la CSVB au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la CSVB une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le GAEC Arberet et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001310 du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions du GAEC Arberet tendant à l’annulation des décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB et a alloué à cette dernière une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La décision du 6 juillet 2020 par laquelle la CSVB a rejeté la demande d’autorisation de pacage présentée par le GAEC Arberet pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020 est annulée.
Article 3 : La CSVB versera au GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le GAEC Arberet devant le tribunal administratif de Pau tendant à l’annulation de la décision du 29 mai 2020 de la CSVB et les conclusions présentées par la CSVB au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au groupement agricole d’exploitation en commun Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, et à la commission syndicale de la Vallée du Barège.

Taxe sur les logements vacants/ Résidences secondaires/ Majoration/ Suspension (non)

Conseil d’État, Juge des référés, 06/10/2023, 488602, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – Juge des référés

  • N° 488602
  • ECLI:FR:CEORD:2023:488602.20231006
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 06 octobre 2023

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM), M. B… G…, M. H… A…, M. E… C… et Mme F… D… demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution du décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils ont intérêt pour agir en ce que le décret litigieux porte atteinte aux intérêts des résidents secondaires des stations de montagne et aux associations représentés par la FARSM et que les personnes physiques requérantes sont des résidents secondaires de telles stations ;
– la condition d’urgence est satisfaite dès lors que le décret attaqué peut conduire les communes figurant sur la liste qui lui est annexé à adopter par délibération une majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires pouvant aller jusqu’à 60% ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
– le décret litigieux est entaché d’irrégularité en ce qu’il ne comporte pas le contreseing du ministre de l’intérieur et des outre-mer ;
– le décret attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;
– le décret contesté a été pris sur le fondement de dispositions législatives contraires aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et devant les charges publiques et qui portent atteinte au droit de propriété.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts ;
– la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 ;
– le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

2. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

3. L’article 73 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a étendu le champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants prévue à l’article 232 du code général des impôts aux communes qui, sans appartenir à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants comme requis antérieurement, connaissent un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou la proportion élevée de logements affectés à l’habitation autres que ceux affectés à l’habitation principale par rapport au nombre total de logements. Il en découle, en vertu de l’article 1407 ter du code général des impôts, que dans ces mêmes communes,  » le conseil municipal peut, par une délibération (…), majorer d’un pourcentage compris entre 5 % et 60 % la part lui revenant de la cotisation de taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale due au titre des logements meublés (…) « .

4. Pour l’application de ces dispositions, le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 a modifié l’annexe au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants, notamment pour établir la liste des communes concernées par l’élargissement du périmètre d’application de cette taxe et, partant, de la majoration de taxe d’habitation sur les logements meublés non affectés à l’habitation principale. La Fédération des associations de résidents des stations de montagne et quatre propriétaires de résidences secondaires en station de montagne ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, ils en demandent la suspension de l’exécution.

5. Pour justifier de la condition d’urgence, les requérants se bornent à faire valoir, de façon générale, que le décret attaqué autorise les communes figurant sur la liste qui lui est annexée à adopter des délibérations majorant la part leur revenant de la cotisation de taxe d’habitation sur les résidences secondaires dans des proportions pouvant aller jusqu’à 60%. Ce faisant, ils n’apportent aucun élément permettant d’apprécier l’impact sur leur situation des dispositions contestées. En tout état de cause, la mise en œuvre de la possibilité ouverte aux communes éligibles de majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et, le cas échéant, la détermination de son taux sont subordonnées à l’intervention d’une délibération du conseil municipal. L’exécution du décret litigieux n’est donc pas susceptible par elle-même d’affecter directement les intérêts des propriétaires de résidences secondaires. Dans ces conditions, il n’est pas justifié d’une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des requérants.

6. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut pas être regardée comme remplie. Par suite, il y a lieu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité du décret contesté, de rejeter la présente requête, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres est rejetée.

Théorie des biens de retour/ Application à des biens acquis par le délégataire avant la conclusion du contrat/ Violation de l’art. 1er Prot. CEDH n° 1 (non)

Cour européenne des droits de l’homme

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SÀRL COUTTOLENC FRÈRES c. FRANCE

(Requête no 24300/20)

 

 

 

ARRÊT

Art 1 P1 • Privation de propriété • Transfert à une collectivité territoriale, en vertu de la règle dite des « biens de retour », d’installations de remontées mécaniques exploitées par la société requérante • Société ayant pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985 dont résulte la qualification générale du service des remontées mécaniques de « service public » • Absence de charge spéciale et exorbitante du seul fait de la non-obtention du paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la collectivité territoriale • Large marge d’appréciation • Importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire • Proportionnalité

 

STRASBOURG

5 octobre 2023

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Sàrl Couttolenc Frères c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
Catherine Brouard-Gallet, juge ad hoc,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 24300/20) dirigée contre la République française et dont une société de droit français, la Sàrl Couttolenc Frères (« la société requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 12 juin 2020,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 septembre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

  1. L’affaire concerne le transfert à une collectivité territoriale, en vertu de la règle dite des « biens de retour », d’installations de remontées mécaniques qu’exploitait la société requérante. La société requérante dénonce une violation de l’article 1 du Protocole no 1.

EN FAIT

  1. La société requérante a son siège à La Sauze. Elle est représentée par Me S. Cottin, avocat.
  2. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
  3. La société requérante indique que la station de sports d’hiver de Sauze, située dans les Alpes-de-Haute-Provence, a été créée en 1934 sous l’impulsion de la famille Couttolenc, qui a progressivement construit des remontées mécaniques sur des terrains lui appartenant.
  4. Certains ouvrages et équipements de la station, notamment les remontées mécaniques, étaient ainsi exploitées par des sociétés créées par la famille Couttolenc, à travers plusieurs structures, parmi lesquelles figuraient la SARL Société d’exploitation des remontées mécaniques de Sauze (« SERMA ») et la société requérante. Cette dernière exploitait en pleine propriété ou par contrats de location les équipements installés sur les secteurs du « Sauze », du « Super Sauze » et de la « Rente ».
  5. Avec l’entrée en vigueur de la loi no 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, les remontées mécaniques sont devenues un service public à la charge de communes, groupements de communes ou départements, qui peuvent en assurer eux‑mêmes l’exécution, la confier à une autre personne morale de droit public ou la concéder conventionnellement pour une durée déterminée à une entreprise privée.
  6. La loi prévoyait un régime transitoire, laissant quatorze années pour régulariser les services de remontées mécaniques préexistants.
  1. La convention de délégation de service public du 28 décembre 1998 et l’avenant du 18 novembre 2011
  1. C’est ainsi que, le 28 décembre 1998, la société requérante, qui avait jusque-là continué à exploiter ses équipements selon des modalités de droit privé, conclut avec la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (« la CCVU ») une convention de délégation de service public pour une durée de quatorze ans, soit jusqu’au 31 décembre 2012.
  2. L’article 1 de la convention de délégation de service public définissait ainsi son objet :

« (…) l’autorité organisatrice confie au concessionnaire (…) :

– la construction et l’exploitation, à ses risques et périls, des installations de remontées mécaniques des secteurs de (…), selon les modalités définies au cahier des charges ;

– l’aménagement et l’entretien du réseau des pistes de ski alpin desservi par ces installations ;

– l’aménagement et l’exploitation des services annexes liés à l’exploitation et à la mise en sécurité du domaine skiable tels les dispositifs paravalanches, sauf exception prévue par avenant. »

  1. L’article 10, relatif aux obligations et engagements de l’exploitant, précisait notamment qu’il s’engageait à maintenir les appareils de remontée mécanique et les installations du domaine skiable en bon état de marche et de sécurité, à réaliser à ses risques et périls les travaux d’amélioration ou de construction des installations et à entretenir et aménager les pistes.
  2. L’article 24, précisait qu’en fin de contrat, l’autorité organisatrice pourrait :

« – soit proroger la présente convention dans le respect de la législation en vigueur ;

– soit engager une procédure d’appel public à délégation de service public ;

– soit reprendre elle-même l’exploitation du service, [avec] dans ce cas, [reprise] des biens, équipements et installations de l’exploitant (…) moyennant une indemnité fixée soit par accord amiable soit, à défaut d’accord, à dire d’experts. »

  1. Le 18 novembre 2011, les parties signèrent un avenant aux termes duquel la délégation de service public était prolongée jusqu’au 30 juin 2013. L’avenant ajoutait, sous le titre « biens de reprise », que « les biens de reprises tels que figurant en annexe 1 [dont des remontées mécaniques, des cabanes de téléskis et du matériel technique de toute nature] et les autres biens affectés à la délégation de service public mais appartenant à des tiers tels que figurant en annexe 2, [étaient] évalués à la somme forfaitaire de 5 000 000 euros ». Il ajoutait que la CCVU pourrait exiger du délégataire qu’il lui vende les biens de reprise.
  1. Les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014
  1. A l’approche du terme prévu par l’avenant du 18 novembre 2011, la CCVU ouvrit en juin 2012 une procédure de mise en concurrence en vue d’une délégation de service public portant sur l’exploitation de l’ensemble du domaine skiable. Un droit d’entrée de 5 000 000 euros (EUR) hors taxe était exigé « en raison des investissements initiaux réalisés par l’ancien délégataire qu’il n’a pu amortir en raison de la durée du contrat ». La société requérante se porta candidate.
  2. Cette procédure ayant été infructueuse, le CCVU décida de reprendre en régie l’exploitation du domaine skiable.
  3. Les parties ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur l’exécution de l’avenant du 18 novembre 2011.
  4. Le 29 juillet 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par la CCVU, enjoignit à la société requérante de remettre à cette dernière l’ensemble des biens, installations et documents nécessaires au fonctionnement du service public des remontées mécaniques listés à l’annexe 1 de l’avenant du 18 novembre 2011.
  5. Les parties ayant repris les négociations, elles signèrent un protocole d’accord aux termes duquel la CCVU s’engageait à payer 2 000 000 EUR à la société requérante en contrepartie de la cession des biens (et 1700 000 EUR à d’autres exploitants), que la CCVU approuva par des délibérations du 28 juillet 2014.
  1. La procédure devant les juridictions administratives
  1. Estimant que cet accord méconnaissait la règle « des biens de retour », le Préfet des Alpes de Haute-Provence saisit le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation de ces délibérations.
  2. La demande fut rejetée par un jugement du 18 août 2015, puis par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 9 juin 2016.
  1. La décision du Conseil d’État du 29 juin 2018
  1. Le ministre de l’Intérieur se pourvut en cassation contre l’arrêt du 9 juin 2016.
  2. Dans ses conclusions devant le Conseil d’État, le rapporteur public souligna notamment ce qui suit :

« (…) 7.  (…) les parties au protocole litigieux développent au soutien de l’arrêt attaque une argumentation fondée sur le respect de la liberté contractuelle et du droit de propriété.

Elles font valoir, tout d’abord, qu’un transfert de propriété portant sur des biens qui appartenaient déjà à l’exploitant ne saurait résulter tacitement du silence des stipulations contractuelles. Toutefois, le retour des biens nécessaires au fonctionnement service public à l’issue du contrat constitue l’un des éléments du régime d’ordre public consacre par [la] décision Commune de Douai. Les parties, à supposer qu’elles souhaitent stipuler sur ce point, ne pourraient donc déroger à la règle, quelle que soit la date d’acquisition des biens.

Le principal argument est toutefois tiré du déséquilibre financier qui résulterait de l’application du régime des biens de retour aux équipements acquis par le concessionnaire antérieurement à sa signature (…)

Les défenseurs rappellent, d’abord, à juste titre, que c’est le financement des équipements par les recettes tirées du contrat et notamment le prix payé par les usagers du service qui justifie, sur le plan économique, le retour gratuit à la collectivité.

Ils postulent, ensuite, que les biens qui appartenaient déjà au concessionnaire et que celui-ci a affectés à la concession ne sauraient, en revanche, avoir été financés par le public. Ces investissements se trouveraient donc situés, en quelque sorte, hors de la sphère de l’équilibre concessif. Les intégrer au patrimoine de la collectivité sans la contrepartie que constituerait un prix de rachat aboutirait par conséquent à déséquilibrer l’économie de la relation contractuelle, en faisant bénéficier le concédant d’un enrichissement sans cause.

Si nous ne pouvons adhérer à ce raisonnement, c’est parce que nous révoquons en doute le postulat selon lequel les biens qui appartenaient déjà au concessionnaire et dont il a fait l’apport ne sont pas pris en compte dans l’équilibre du contrat financé par les usagers.

Nous pensons, au contraire, que cet apport peut et doit être intégré à l’équilibre de la concession : soit ex ante, au moment de la négociation des termes du contrat, soit a posteriori, sous forme indemnitaire, si le déséquilibre se révèle à l’issue de sa période d’exécution.

  1. i) Commençons par la négociation du contrat. Il appartient au futur concessionnaire, quand il en discute l’équilibre économique, de faire valoir l’ensemble des charges qui lui incombent – et, à cet égard, non seulement les investissements qu’il devra réaliser mais aussi, le cas échéant, l’apport des biens dont il est déjà propriétaire et qu’il affecte à la concession.

Il est vrai que la mise en œuvre de ce principe se heurte à une difficulté pratique : comment fixer la valeur des investissements déjà réalisés pour les intégrer à la négociation ?

Certes, [la] jurisprudence prévoit les conditions dans lesquels le concessionnaire peut être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour. Cependant, la particularité des biens dont nous examinons le sort aujourd’hui tient à ce que, au moment de la signature de la concession, ils sont déjà partiellement ou entièrement amortis. Leur valeur nette comptable est donc sans rapport avec le coût que représenterait, pour la collectivité, la réalisation ou l’acquisition de biens comparables auprès d’un autre partenaire – qu’elle se fasse dans le cadre d’un marché si [la] personne publique [décide] d’exploiter l’activité en régie, ou par l’intermédiaire d’un autre concessionnaire qui, lui, devrait réaliser ou acquérir ces équipements pendant l’exécution du contrat et ne manquerait pas de réclamer une durée et une rémunération calculées en conséquence. Aussi cette valeur nette comptable, lorsqu’il y en aura une, ne pourra-t-elle être qu’un élément parmi d’autres que les parties pourront utiliser pour valoriser les biens apportés dans la détermination de l’équilibre financier du contrat.

En réalité, il leur reviendra de s’accorder librement sur les éléments de calcul pertinents au vu des circonstances particulières de chaque espèce – sous réserve, bien entendu, que la méthode retenue n’aboutisse pas à accorder une libéralité au concessionnaire. Nous venons d’évoquer la valeur nette comptable, ainsi que le coût d’acquisition ou de réalisation de biens de même nature, mais on pourrait aussi penser à la durée pendant laquelle les biens apportés pourront être encore utilisés pour les besoins du service public.

Les cas de figure seront extrêmement variés selon la nature des activités concédées.

Si l’on envisage, par exemple, celui des remontées mécaniques qui nous occupe aujourd’hui, le concessionnaire qui affecte au contrat des installations déjà amorties pourrait ainsi se prévaloir de l’existence d’un marché de la revente extrêmement actif, notamment en Europe de l’Est, dans le Caucase ou encore au Moyen-Orient (…).

  1. ii) Admettons à présent que le contrat, tel qu’il a été négocié par les parties et finalement et signé, se révèle a posteriori déséquilibré : sa durée, les tarifs prélevés sur les usagers, ne permettent pas d’assurer la rémunération des biens nécessaires au fonctionnement du service que le concessionnaire a affecté à l’exploitation et qui vont faire retour à la collectivité, notamment ceux dont il était antérieurement propriétaire.

On peut envisager, tout d’abord, que ce déséquilibre résulte d’un vice du consentement : le concessionnaire, s’agissant de la portée de son contrat en tant qu’il le prive de la propriété des biens qu’il a apportés à la concession, a commis une erreur, ou bien a été victime d’un dol de la part de la personne publique. Il sera alors fondé à saisir le juge du contrat afin que celui-ci tire les conséquences, notamment indemnitaires, de cette illégalité, dans le cadre de [la] jurisprudence CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, no 304802, p. 509.

On peut imaginer également – et ce sera le cas le plus habituel – que les parties se soient livrées de bonne foi à une appréciation erronée des avantages accordés au concessionnaire et des charges qui lui ont été imposées et que cette erreur aboutisse, à l’issue du contrat, à un enrichissement sans cause de la personne publique. Là encore, le concessionnaire sera fondé à demander au juge du contrat, en l’absence d’accord avec la collectivité, une indemnité destinée à rétablir l’équilibre économique que les parties sont supposées avoir recherché. Le remboursement de l’ensemble des investissements qu’il a affectés à la concession et qui sont transférés in fine au concédant doit lui être assuré.

Ainsi, pour nous résumer, l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété du concessionnaire n’est pas plus importante dans le cas des ouvrages dont il était propriétaire avant de signer son contrat, que dans le cas des biens acquis ou réalisés pendant l’exécution de celui-ci. En effet, « l’équivalence honnête entre ce qui est accordé au concessionnaire et ce qui est exigé de lui » est assurée dans les mêmes conditions ; en principe, par les termes du contrat (durée, rémunération par les usages, subventions éventuelles, valeur des investissements…) et, à défaut, sur le terrain indemnitaire.

Quant à la liberté contractuelle, rien ne contraint le futur concessionnaire à signer une convention dont il considérerait les termes comme désavantageux pour lui – notamment du point de vue de la valorisation de ses apports. S’il exploitait antérieurement l’activité que la collectivité souhaite reprendre sous forme concessive, libre à lui de refuser la proposition qui lui est faite et de poursuivre son exploitation ou de céder ses biens sur le marché.

À cet égard toutefois, il existe un cas de figure très particulier – il nous semble d’ailleurs unique – qui est celui de l’activité de remontées mécaniques. Il faut donc l’aborder à présent, pour examiner s’il y a lieu de déroger aux règles générales que nous venons de détailler.

  1. Les remontées mécaniques étaient qualifiées de service public industriel et commercial, lorsqu’elles étaient exploitées par une collectivité, depuis [la] décision CE, Sect., 23 janvier 1959, Commune d’Huez, nos 39532, 39793, p. 67.

Le législateur est allé beaucoup plus loin : en effet, la loi no85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne a étendu cette qualification au secteur dans son ensemble, y compris donc lorsque les remontées avaient été créés et exploitées à l’initiative de personnes privées, cas de loin le plus fréquent.

La loi a laissé aux personnes publiques organisatrices du service – en principe les communes ou leur groupement – le choix de l’exploiter en régie ou directe ou de le concéder. En ce cas, elle a pris soin d’encadrer la relation contractuelle par des règles destinées à protéger l’intérêt public face aux aménageurs touristiques.

(…) Nous nous trouvons donc, avec les remontées mécaniques, dans un cas de figure tout à fait exceptionnel, où l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété résulte directement de la loi. C’est en effet le législateur qui a décidé de mettre fin à l’exploitation privée des remontées mécaniques. Ce faisant, il a placé les exploitants privés devant le dilemme économique suivant :

– soit réaliser leur patrimoine immédiatement, en refusant de rentrer dans le régime conventionnel et en cédant leurs installations à la collectivité, dans le cadre d’un accord amiable ou, à défaut, à la suite d’une procédure d’expropriation ;

– soit accepter le régime conventionnel, dont l’application emporte in fine le transfert à la personne publique des ouvrages qui peuvent être qualifiés de biens de retour – à charge pour les opérateurs de négocier avec la personne publique un contrat qui valorise équitablement leur apport : en ce cas, nous retombons dans le schéma général de l’équilibre contractuel, garanti ex ante par les termes de la convention ou ex post par une indemnité complémentaire.

Ni les travaux préparatoires de la loi de 1985, ni les modifications qui lui ont été apportées par la suite et les travaux préparatoires de ces textes, ne laissent penser que le législateur aurait entendu écarter l’application du régime des biens de retour dans la seconde hypothèse.

(…) aucune des deux solutions ouvertes aux exploitants – rachat immédiat ou contractualisation avec les collectivités – ne signifie une privation du droit de propriété ou une mesure d’effet équivalent. Les investissements leur sont remboursés dans tous les cas.

Ils le sont, dans la seconde hypothèse, sous la forme de la rémunération prévue au contrat, éventuellement complétée par une indemnité dans les conditions que nous avons déjà exposées lorsqu’il est nécessaire d’en rétablir l’équilibre.

Les opérateurs de remontées mécaniques étaient libres d’opter pour l’une ou l’autre des deux voies en fonction de leurs calculs économiques. En outre, ils ont disposé d’une période transitoire exceptionnellement longue, de 14 ans au total, à la fois pour envisager le meilleur choix possible et pour adapter leur activité et leurs investissements à cette perspective (…) »

  1. Le 29 juin 2018, le Conseil d’État annula l’arrêt du 16 juin 2016 par une décision motivée comme il suit :

« (…) Sur les règles applicables aux biens de la concession :

  1. Considérant, en premier lieu, que, dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ; que le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée ;
  2. Considérant, en deuxième lieu, qu’à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ; que le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession ;
  3. Considérant, en troisième lieu, que lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement ; que lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ;
  4. Considérant que les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n’a pas entendu déroger, trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ; qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 3 ; qu’elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 4 ; que les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ;
  5. Considérant que, dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ; qu’en outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ;

Sur l’arrêt en tant qu’il se prononce sur la qualification des biens en cause et sur les conséquences indemnitaires :

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la propriété des biens en cause, alors même qu’ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public concédé, n’avait pas été transférée à la communauté de communes dès la conclusion de la convention du seul fait de leur affectation à la concession de service public et que ces biens n’étaient pas régis par les règles applicables aux biens de retour, pour en déduire que le concessionnaire avait droit, du fait de leur retour dans le patrimoine de la CCVU, à une indemnité égale à leur valeur vénale (…) »
  1. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019
  1. Le 16 décembre 2019, statuant sur renvoi, la cour administrative d’appel de Marseille annula le jugement du 18 août 2015 et les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014, par un jugement ainsi rédigé :

« (…) 3.  Dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

  1. à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.
  2. Lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.
  3. Les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n’a pas entendu déroger, trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 4. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 5. Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.
  4. Dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation. En outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.
  5. En l’espèce, il ressort du dossier que les biens affectés au service public des remontées mécaniques de la station de ski Sauze-Super Sauze par la société [requérante], seule cocontractante de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, et nécessaires à son fonctionnement, sont pour partie propriétés de cette société et pour partie propriétés de la (…) SERMA, de l’indivision L.C., de l’indivision P.C., et de M. E.C.
  6. En application des règles énoncées ci-dessus, les biens dont la société [requérante] était propriétaire avant la signature de la délégation de service public, qu’elle a affectés au fonctionnement du service public et qui étaient nécessaires à celui-ci, ont fait retour dans le patrimoine de la personne publique à l’expiration du contrat. S’agissant des biens qui, acquis dans le cadre de la concession, n’auraient pas été totalement amortis, la société [requérante] peut seulement, si elle s’y croit fondée, demander l’indemnisation du préjudice qu’elle estime subir à raison de leur retour à titre gratuit dans le patrimoine de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye. Ainsi, les délibérations contestées n’ont pu légalement approuver les termes du protocole d’accord envisagé par les parties, stipulant le rachat des biens en cause au prix de leur valeur vénale résiduelle (…) »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  1. Les biens de retour
  1. Les biens affectés à une concession de service public sont répartis en trois catégories : les biens propres du concessionnaire, qui en général ne sont affectés qu’accessoirement aux besoins du service, lesquels demeurent la propriété de ce dernier ; les biens de reprise, qui sont plus directement utiles à l’exploitation, qui demeurent la propriété du délégataire sauf clause expresse de rachat ou de retour à titre gratuit dans le patrimoine de la personne publique prévue dans la convention ; les biens de retour, qui peuvent être définis comme étant l’ensemble des biens, meubles ou immeubles, nécessaires au fonctionnement du service public.
  2. Les caractéristiques des biens de retour ont été développées au fil du temps par la jurisprudence du Conseil d’État. En l’espèce, le rapporteur public devant le Conseil d’État a exposé ce qui suit dans ses conclusions :

« (…) Quant aux biens de retour la jurisprudence les a longtemps cernés (…) par les caractéristiques de leur régime juridique, sans se risquer à une définition de leur nature. Elle a consacré très rapidement l’existence de trois attributs.

  1. i)  Le premier se reflète dans la dénomination de ces biens : ils reviennent obligatoirement à la collectivité concédante en fin de contrat. Cette caractéristique n’a jamais connu aucune dérogation ni aménagement. On se situe en effet au cœur de la logique des biens de retour. Comme le soulignait le Pr A. Mestre, dans une note devenue canonique : « il ne faut pas oublier que le but essentiel de la concession est de doter la collectivité, sans appel à l’emprunt ou à l’impôt, d’ouvrages d’utilité publique, prêts à fonctionner. Le droit de retour n’est que le moyen juridique par lequel cet objectif sera un jour atteint » (note sur CE, 1er mars 1929, Sté des transports en commun de la région toulousaine, S. 1929.1.75). Autrement dit, la concession n’est pas seulement une modalité de gestion du service public. Elle est aussi et peut-être surtout un mode de financement des ouvrages nécessaires à l’existence et à la continuité de ce service. La qualification de biens de retour, qui implique que ces ouvrages sont de droit la propriété de la personne publique, au plus tard à l’expiration de la convention, constitue une garantie essentielle dans la poursuite de cet objectif puisqu’elle évite de soumettre le transfert de propriété aux aléas de la négociation contractuelle.

Cette seule stipulation suffisait donc à faire qualifier de biens de retour les équipements ainsi désignés : cf. CE, 28 juin 1889, Cie des chemins de fer de l’Est, nos 68505 et 72434, p. 781, conclusions Romieu ; CE, 9 mai 1891, Cie des chemins de fer de l’Est, nos 74346, 74486, p. 359 ; CE, 12 novembre 1897, Sté nouvelle du casino municipal de Nice, no 82773, p. 685).

  1. ii)  La deuxième caractéristique de ces biens réside en ceci que le retour se fait, en principe, à titre gratuit – « sans indemnité et en bon état de fonctionnement » pour reprendre la formule habituelle [des] arrêts [du Conseil d’État] : voyez CE, 9 novembre 1895, Ville de Paris, no 81383, p. 701, ou CE, 9 décembre 1898, Compagnie du gaz de Castelsarrasin, ոo 90349, p. 782, ou encore CE 31 mars 1922, Compagnie de l’éclairage des villes, ոo 66377, p. 304 et enfin CE, 28 mars 1928, Société « L’Energie électrique de la Basse-Isère », no 82582, p. 456.

Cette règle découle directement du principe de l’équilibre financier du contrat de concession (…)

(…) Il en résulte que les éléments essentiels du contrat – durée, niveau des recettes prélevées sur les usagers sous la forme d’un prix, importance des investissements mis à la charge du concessionnaire – sont supposés avoir été négociés entre les parties de façon à permettre au cocontractant de l’administration, notamment, de financer les biens qu’il est tenu d’affecter au service. Il est donc logique, dans ces conditions, qu’un bien payé par le public revienne gratuitement à la collectivité à l’expiration de la concession, sauf à faire bénéficier le concessionnaire d’un enrichissement sans cause. Lui reconnaître, par principe, un droit à indemnité, reviendrait en définitive à consacrer un double paiement des ouvrages.

Le seul aménagement à la règle de la gratuité trouve d’ailleurs sa justification dans ce même principe de l’équilibre financier du contrat. Vous jugez en effet, de très longue date, que le concessionnaire a toujours droit à l’indemnisation de la valeur non amortie des biens de retour (…

iii)  Enfin, troisième caractéristique des biens de retour, la collectivité concédante en est propriétaire, en principe, non pas à l’issue du contrat, mais bien dès leur affectation au service public – sans préjudice du droit de jouissance exclusif dont dispose le concessionnaire.

À nouveau, il s’agit de garantir que le but essentiel de la concession – qui est de permettre à la collectivité de disposer des ouvrages nécessaires au service public – soit bien atteint à l’issue du contrat. (…) La propriété publique des biens pendant la durée d’exécution du contrat est destinée à prévenir leur évaporation avant que minuit sonne à l’horloge de la concession.

Un grand nombre [des] arrêts [du Conseil d’État] ont été rendus au sujet de cette question de la propriété des biens pendant la durée d’exécution du contrat : outre la décision citée Cie des chemins de fer de l’Est, voyez CE,1er février 1929, Compagnie centrale d’énergie électrique, no 84018, 96941, p. 133 (a contrario) ou CE, Sect., 1er mars 1929, Société des transports en commun de la région toulousaine, no 84896, p. 255. Elle emporte en effet des conséquences fiscales considérables puisque c’est au concédant, en qualité de propriétaire, qu’il appartient alors d’acquitter les taxes foncières pendant la durée de la concession (…) »

  1. Cette jurisprudence a été synthétisée par le Conseil d’État dans la décision d’Assemblée Commune de Douai du 21 décembre 2012 (no 342788) :

« (…) dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ;

(…) à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application des principes énoncés ci-dessus, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ; que le contrat qui accorde au délégataire ou concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de délégation ;

(…) lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis ; (…) lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus (…) »

  1. LA LOI du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ET Le service des remontées mécaniques
  1. Dans sa version applicable en 2014, l’article 1er de la loi no 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne était ainsi rédigé :

« La République française reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d’intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel. Le développement équitable et durable de la montagne s’entend comme une dynamique de progrès initiée, portée et maîtrisée par les populations de montagne et appuyée par la collectivité nationale, qui doit permettre à ces territoires d’accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions et offrir à la société des services, produits, espaces, ressources naturelles de haute qualité. Elle doit permettre également à la société montagnarde d’évoluer sans rupture brutale avec son passé et ses traditions en conservant et en renouvelant sa culture et son identité.

L’État et les collectivités publiques apportent leur concours aux populations de montagne pour mettre en œuvre ce processus de développement équitable et durable en encourageant notamment les évolutions suivantes :

– faciliter l’exercice de nouvelles responsabilités par les collectivités et les organisations montagnardes dans la définition et la mise en œuvre de la politique de la montagne et des politiques de massifs ;

– engager l’économie de la montagne dans des politiques de qualité, de maîtrise de filière, de développement de la valeur ajoutée et rechercher toutes les possibilités de diversification ;

– participer à la protection des espaces naturels et des paysages et promouvoir le patrimoine culturel ainsi que la réhabilitation du bâti existant ;

– assurer une meilleure maîtrise de la gestion et de l’utilisation de l’espace montagnard par les populations et collectivités de montagne ;

– réévaluer le niveau des services en montagne, assurer leur pérennité et leur proximité par une généralisation de la contractualisation des obligations. »

  1. Le caractère de service public industriel et commercial des remontées mécaniques en montagne lorsqu’elles étaient exploitées par une collectivité, affirmé en 1959 par le Conseil d’État (CE Section, 23 janvier 1959, Commune d’Huez, nos 39532 et 39793, Rec. p. 67), a été consacré par la loi du 9 janvier 1985, qui a étendu la qualification de service public au secteur dans son ensemble, y compris en cas de création et d’exploitation des remontées mécaniques par des personnes privées. Ce service relève désormais de la compétence des communes et de leurs groupements ou des départements qui l’ont organisé avant le 10 janvier 1985. L’exécution de ce service public est assurée soit directement par la personne publique, soit par une entreprise ayant passé à cette fin une convention avec elle. Dans ce cas, si la rémunération du cocontractant est substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation, la convention est une délégation de service public (Conseil d’État, avis, section des travaux publics, 19 avril 2005, no 371234).
  2. Les articles 42, 46 et 47 de la loi du 9 janvier 1985 (partiellement codifiés aux articles L. 342-1, L. 342-2, L. 342-9, L. 342-13 et L. 342-14 du code du tourisme) sont ainsi rédigés :

Article 42

« En zone de montagne, la mise en œuvre des opérations d’aménagement touristique s’effectue sous le contrôle d’une commune, d’un groupement de communes ou d’un syndicat mixte regroupant des collectivités territoriales. Sauf recours à la formule de la régie, cette mise en œuvre s’effectue dans les conditions suivantes :

– chaque opérateur doit contracter avec la commune ou le groupement de communes ou le syndicat mixte compétent ;

– chacun des contrats porte sur l’un ou plusieurs des objets constitutifs de l’opération touristique : études, aménagement foncier et immobilier, réalisation et gestion des équipements collectifs, construction et exploitation du réseau de remontées mécaniques, gestion des services publics, animation et promotion.

Les contrats établis à cet effet et, si un contrat porte sur plusieurs des objets constitutifs, pour chacun de ces objets prévoient à peine de nullité :

1o L’objet du contrat, sa durée et les conditions dans lesquelles il peut éventuellement être prorogé ou révisé ;

2o Les conditions de résiliation, de déchéance et de dévolution, le cas échéant, des biens en fin de contrat ainsi que les conditions d’indemnisation du cocontractant ;

3o Les obligations de chacune des parties et, le cas échéant, le montant de leurs participations financières ;

4o Les pénalités ou sanctions applicables en cas de défaillance du cocontractant ou de mauvaise exécution du contrat ;

5o Pour ceux ayant pour objet l’aménagement foncier, la réalisation et la gestion d’équipements collectifs, la gestion de services publics, les modalités de l’information technique, financière et comptable qui doit être portée à la connaissance des communes ou de leur groupement ou du syndicat mixte ; à cet effet, le cocontractant doit notamment fournir chaque année un compte rendu financier comportant le bilan prévisionnel des activités et le plan de trésorerie faisant apparaître l’échéancier des recettes et des dépenses.

(…) ».

Article 46

« Le service des remontées mécaniques est organisé par les communes sur le territoire desquelles elles sont situées ou par leurs groupements ou par le département auquel elles peuvent conventionnellement confier, dans les limites d’un périmètre géographique défini, l’organisation et la mise en œuvre du service.

(…) »

Article 47

« L’exécution du service est assurée soit en régie directe, soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l’autorité compétente.

La convention est établie conformément aux dispositions de l’article 42 et fixe la nature et les conditions de fonctionnement et de financement du service. Elle définit les obligations respectives des parties ainsi que les conditions de prise en charge de l’indemnisation des propriétaires pour les servitudes instituées en vertu de l’article 53 de la présente loi. Elle peut prévoir la participation financière de l’exploitant à des dépenses d’investissement et de fonctionnement occasionnées directement ou indirectement par l’installation de la ou des remontées mécaniques.

Dans un délai de quatre ans à compter de la publication de la présente loi, toutes les remontées mécaniques qui ne sont pas exploitées directement par l’autorité compétente doivent faire l’objet d’une convention conforme aux dispositions de la présente loi.

Toutefois, si à l’expiration du délai de quatre ans, du fait de l’autorité organisatrice et sans qu’elle puisse invoquer valablement la responsabilité de l’exploitant, la convention ou la mise en conformité de la convention antérieurement conclue n’est pas intervenue, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée ou la convention antérieurement conclue continue de produire ses effets pour une durée maximale de dix ans.

Lorsque l’autorité organisatrice décide de supprimer le service en exploitation ou de le confier à un autre exploitant, elle doit verser à l’exploitant évincé une indemnité de compensation du préjudice éventuellement subi de ce fait, indemnité préalable en ce qui concerne les biens matériels.

Lorsque l’autorité organisatrice décide de passer une convention avec l’exploitant en place ou de mettre en conformité la convention existante, la convention doit comporter les clauses permettant d’éviter que l’équilibre de l’exploitation ne soit modifié de façon substantielle. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du ProtocOle no 1

  1. La société requérante se plaint du fait qu’en raison de l’application de la règle des biens de retour en sa cause, elle a, à l’échéance de la convention de délégation de service public, été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur vénale lui soit versée, et en vertu d’une règle qui n’était ni accessible ni prévisible. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

  1. Sur la recevabilité
  1. Le Gouvernement estime que la société requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il constate que la procédure interne, qui a été initiée par le préfet et qui visait uniquement l’annulation des délibérations de la CCVU pour illégalité, n’avait pas pour objet son indemnisation. Renvoyant aux conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État, il fait valoir que, si elle estimait que les biens nécessaires au fonctionnement du service public qu’elle avait affectés à l’exploitation et qui ont été retournés à la CCVU à l’issue de la convention n’avaient pas été rémunérés par les tarifs prélevés sur les usagers au cours de celle-ci, la société requérante aurait dû, avant de s’adresser à la Cour, saisir le « juge du contrat » afin qu’il constate l’éventuel déséquilibre économique du contrat et l’enrichissement sans cause de la CCVU, et lui alloue une indemnité rétablissant cet équilibre. Le juge du contrat aurait déterminé si l’annulation du protocole litigieux, qui aurait contribué au déséquilibre économique éventuel de l’accord conclu entre la CCVU et la société requérante, rendait nécessaire l’indemnisation de cette dernière. Il note à cet égard que le Conseil d’État a souligné dans la décision rendue le 29 juin 2018 en la cause de la société requérante, que le versement d’une indemnité est possible lorsque l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant la prise en compte par les résultats de l’exploitation de l’apport à la concession de biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat. Il note de plus que, si la société requérante a soulevé la question du déséquilibre du contrat en l’absence d’indemnisation dans le cadre de la procédure en annulation initiée par le préfet, elle l’a fait devant un juge incompétent, le juge de la légalité n’ayant pas le pouvoir de se prononcer sur une question indemnitaire. Il souligne enfin que la voie de l’action indemnitaire devant le juge du contrat est encore aujourd’hui ouverte à la société requérante.
  2. La société requérante réplique qu’elle a dûment soulevé son grief tiré d’une atteinte à son droit de propriété dans le cadre de la procédure interne. Elle ajoute qu’elle a plaidé que le contrat se révélait a posteriori déséquilibré en l’absence d’indemnisation des biens qu’elle avait apportés au moment de sa signature, en particulier devant la cour administrative de Marseille, saisie sur renvoi après cassation. Elle souligne de plus que, si cette juridiction a indiqué dans sa décision du 16 décembre 2019 qu’elle avait la possibilité de demander l’indemnisation des biens qui n’auraient pas été totalement amortis, cette possibilité ne présente aucun intérêt dans son cas puisque, construites entre 1967 et 1989, les remontées mécaniques étaient totalement amorties en fin de concession, de sorte que leur valeur n’est pas comptable mais vénale. Le Conseil d’État ayant considéré dans la décision rendue le 29 juin 2018 en sa cause que les biens ne pouvaient être indemnisés à leur valeur vénale, un nouveau recours n’aurait aucune chance de prospérer.
  3. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants la possibilité de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant d’en être saisie. Le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord avoir été soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales selon les procédures appropriées. L’obligation découlant de l’article 35 se limite cependant à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. La Convention ne prescrit ainsi que l’épuisement des recours relatifs aux violations incriminées, qui sont à la fois disponibles et adéquats. Ce qui importe aux fins de cette disposition, c’est que les requérants aient offert aux juridictions internes la possibilité de statuer en premier lieu sur les griefs dont ils saisissent la Cour, en usant d’une voie de recours appropriée. Par ailleurs, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne peut se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, par exemple, Sagan c. Ukraine, no 60010/08, § 43, 23 octobre 2018, ainsi que les références qui y figurent).
  4. C’est donc au regard du grief dont le requérant saisit la Cour que s’apprécie l’épuisement des voies de recours internes. En l’espèce, invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante se plaint du fait qu’en raison de l’application de la règle des biens de retour en sa cause, elle a, à l’échéance de la convention de délégation de service public, été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention, sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur vénale lui soit versée, et en vertu d’une règle qui n’était ni accessible ni prévisible.
  5. La Cour constate tout d’abord qu’il ressort du dossier que la CCVU a fait valoir devant le Conseil d’État que le retour de biens dont le concessionnaire était propriétaire avant la conclusion de la convention de concession serait constitutif d’une expropriation implicite, contraire à l’article 1 du Protocole no 1 à défaut d’une justification tenant de l’utilité publique et en l’absence d’une juste et préalable indemnisation tenant compte de la valeur marchande des biens, et qu’elle a caractérisé ce moyen au regard de la situation spécifique de la société requérante. La société requérante a ensuite développé le même argument devant la cour administrative d’appel de Marseille saisie sur renvoi.
  6. La Cour relève ensuite que le Conseil d’État a jugé le 29 juin 2018 en la cause de la société requérante que, même lorsque le concessionnaire était propriétaire de biens nécessaires au fonctionnement du service public avant la conclusion de la convention de délégation, ces biens doivent être retournés à la personne publique à l’échéance de celle-ci, gratuitement dès lors qu’ils sont amortis. Saisir le juge du contrat en vue de l’obtention d’une indemnité destinée à rétablir l’équilibre du contrat comme le suggère le Gouvernement n’aurait donc pas permis à la société requérante d’obtenir une somme couvrant la valeur vénale des biens et, par conséquent, n’aurait pas répondu au grief.
  7. Il apparaît ainsi que les juridictions internes ont été dûment mises en mesure d’examiner préalablement le grief dont la Cour est saisie.
  8. Il s’ensuit que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes doit être rejetée.
  9. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
  1. Sur le fond
    1. Arguments des parties
  1. a)      La société requérante
  2. Selon la société requérante, le raisonnement du Conseil d’État en sa cause s’appuie sur l’idée qu’en acceptant de conclure une convention de délégation de service public, le contractant de la personne publique accepte de transférer gratuitement ses biens dans le patrimoine de celle-ci quelles que soient les stipulations du contrat sur ce point. Elle juge cet argument erroné dès lors que les exploitants de remontées mécaniques ont été contraints par la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne de conclure une convention de délégation de service public s’ils voulaient poursuivre l’exploitation de la station de ski qu’ils avaient créée. Elle ajoute qu’en 1998, la CCVU n’avait pas les finances nécessaires pour racheter l’ensemble des remontées mécaniques, de sorte qu’elles ont repoussé la question de l’indemnisation à la fin du contrat, en qualifiant les installations de « biens de reprise » et en prévoyant qu’elles pourraient alors être achetés par la CCVU à leur valeur vénale.
  3. La société requérante estime qu’il y a eu dans son cas une expropriation de fait, sans utilité publique, non « prévue par la loi », et sans juste indemnité.
  4. À propos de la légalité, elle souligne qu’en 1998, lors de la conclusion du contrat de délégation, aucune règle suffisamment claire et prévisible ne lui permettait de considérer, même entourée de conseils éclairés, que les biens dont elle était propriétaire allaient retourner gratuitement à la collectivité publique, ce que montrerait du reste le fait que les parties ont prévu exactement l’inverse dans leur convention. Il était selon elle impossible de savoir que le Conseil d’État déciderait en 2018 que les biens appartenant au délégataire antérieurement à la signature du contrat reviendraient gratuitement à la personne publique. Elle signale aussi que le principe de l’indemnisation à la hauteur de la valeur vénale avait été admis par la cour administrative d’appel de Lyon dans sa décision Société Télépente des Gets du 16 février 2012, ainsi que par la cour administrative de Marseille dans la première décision qu’elle a rendue en sa cause le 9 juin 2016. Elle note de plus que lorsque le dossier a été appelé une première fois devant le Conseil d’État, le rapporteur public a conclu à la confirmation de cette dernière décision et de l’indemnisation à hauteur de la valeur vénale, et qu’il aura fallu une décision de la Section du Contentieux pour trancher la question, ce qui montrerait que la règle dégagée par le Conseil d’État n’allait pas de soi. La société requérante souligne aussi que l’idée qui sous-tend la théorie des biens de retour est que le droit des concessions est un moyen pour la personne publique de se doter d’ouvrages d’utilité publique sans recourir à l’emprunt ou à l’impôt ; le concessionnaire est autorisé à construire des ouvrages par la personne publique, et est rémunéré de ses investissements par les revenus de l’exploitation de ces ouvrages et, à la fin du contrat, ces ouvrages reviennent gratuitement à la personne publique. Dans la mesure où c’est le contrat de concession qui permet au délégataire de construire un ouvrage public et de tirer un bénéfice de son exploitation, il apparaît normal que la durée de la concession soit déterminée par la durée de l’amortissement de l’ouvrage et, qu’en fin de convention, cet ouvrage revienne gratuitement à la collectivité. Cet équilibre du montage contractuel ne serait toutefois caractérisé que dans l’hypothèse où le contrat de concession autorise le délégataire à construire. Or, souligne-t-elle, en l’espèce les équipements ont été construits par elle sur ses propres terrains, à une époque où il n’était pas nécessaire de conclure une convention avec la collectivité, et elle ne pouvait se douter que conclure un jour une telle convention entraînerait un transfert gratuit de ses biens à cette dernière.
  5. S’agissant du but poursuivi, la société requérante déclare ne pas contester que les nécessités de continuité de service public justifient que la personne publique puisse se rendre propriétaire des bien de son contractant, à condition de les indemniser. Observant que la France est le seul pays de l’arc alpin à considérer que les remontées mécaniques sont un service public, elle en déduit qu’il ne s’agit pas d’un secteur public fondamental et que les atteintes aux libertés et droits individuels doivent en conséquence être d’autant plus strictement appréciés.
  6. Sur l’absence d’indemnisation, la société requérante fait valoir qu’étant donné la durée imposée par les textes d’une délégation de service public, qui doit correspondre à la durée d’amortissement des biens, en particulier en matière de remontées mécaniques, l’indemnisation à la valeur nette comptable est théorique, le bien étant normalement amorti à la fin de la convention, et que la valeur nette comptable ne reflète pas la valeur marchande des biens.
  7. D’après la société requérante, si on peut considérer en l’espèce que la privation de propriété est commandée par l’intérêt général, les conditions qui l’entourent ne ménagent pas un juste équilibre entre les impératifs de l’utilité publique et le respect de ses droits fondamentaux. Elle dénonce l’iniquité des conséquences pratiques de l’application de la règle des biens de retour lorsque des personnes privées ayant construit des infrastructures sur des terrains privés se trouvent dépossédées sans aucune indemnité. Le fait qu’elles ont contracté avec la personne publique serait sans influence dès lors que le contrat ne prévoyait pas que les biens reviendraient gratuitement à la collectivité en fin de contrat mais, au contraire, que la collectivité pourrait les racheter à leur valeur marchande.
  8. Renvoyant à l’arrêt Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce (satisfaction équitable) [GC] (no 25701/94, § 89, 28 novembre 2002), la société requérante rappelle qu’une privation de propriété constitue une atteinte excessive en l’absence de versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, et qu’un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. Selon elle, aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait l’intégration de ses biens dans le patrimoine public sans indemnité.
  9. b)     Le Gouvernement
  10. Le Gouvernement souligne qu’il n’y a pas eu privation de biens en l’espèce. Il fait valoir à cet égard, d’une part, que la société requérante a volontairement choisi de soumettre ses biens à la jurisprudence des biens de retour en contrepartie des bénéfices que lui apportait le contrat de délégation de service public. Il indique que la loi du 9 janvier 1985 prévoyait une période transitoire de quatorze ans durant laquelle les exploitants avaient trois options : soit réaliser leur patrimoine immédiatement, en cédant leurs installations à la collectivité en contrepartie d’une juste indemnité ; soit conclure un contrat de délégation de service public, avec in fine le transfert des biens de retour, à charge pour eux de négocier avec la collectivité un contrat qui valorise équitablement leur apport à la concession, la limitation du droit de l’exploitant étant alors compensée par le schéma général de l’équilibre contractuel, garanti ex ante par les termes de la convention, ou ex post, par une indemnité complémentaire, dans le cas où l’exploitant saisirait le juge du contrat après l’expiration de la convention pour obtenir une indemnisation visant à compenser le déséquilibre du contrat initial ; soit céder ses biens et droits réels au prix du marché à un tiers, qui aurait alors négocié une délégation de service public. D’autre part, le Gouvernement expose que les décisions de la juridiction administrative au fond se sont bornées à constater l’illégalité des protocoles d’accord au regard de la loi du 9 janvier 1985 et de la règle des biens de retour ; elles n’ont pas définitivement statué sur la question des modalités d’indemnisation éventuelles de la société requérante. D’après lui, une fois l’illégalité des délibérations constatée par décision de justice, les deux parties pouvaient poursuivre les négociations et rédiger un nouveau protocole d’accord prenant en compte les exigences fixées par la jurisprudence des biens de retour, qui pouvait prévoir l’indemnisation de l’exploitant. À titre subsidiaire, le Gouvernement souligne que la société requérante, qui est une actrice expérimentée du monde économique intervenant depuis longtemps dans le secteur de l’exploitation du domaine skiable, ne saurait prétendre qu’elle n’a pu volontairement consentir au transfert de ses biens en 1998 parce qu’elle ignorait la jurisprudence relative aux biens de retour ou l’estimait inapplicable.
  11. Le Gouvernement estime par ailleurs que la restriction du droit de propriété de la requérante était prévue par la loi. Il indique, premièrement, que la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne a qualifié les remontées mécaniques de service public, avec pour conséquence l’application de la règle jurisprudentielle bien établie des biens de retour. Deuxièmement, ce nouveau régime juridique était accompagné de garanties puisque l’article 47 de la loi prévoyait un régime transitoire pour la régularisation des services de remontées mécaniques mis en place antérieurement par des personnes privées, laissant aux exploitants plusieurs années pour conclure une convention de délégation de service public conforme ; le Conseil d’État a recherché l’intention du législateur et constaté qu’il n’avait pas entendu déroger en 1985 au régime des biens de retour, ce qui ressort aussi des débats de la loi no 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, qui a modifié l’article L. 342-2 du code du tourisme. Troisièmement, en 1998, lorsque la société requérante a conclu la convention il y avait déjà une jurisprudence établie relative au régime juridique applicable aux biens de retour, jugés indispensables à l’exécution du service public. Dans la mesure où la loi du 9 janvier 1985 faisait relever les remontées mécaniques et le domaine skiable du service public, la société requérante ne pouvait ignorer que l’apport de ses biens aux fins de décrocher le contrat de délégation de service public emporterait leur transfert effectif à la collectivité à l’expiration de la convention. Selon le Gouvernement, « la jurisprudence administrative appliquée par le Conseil d’État et la cour administrative d’appel de Marseille était prévisible et raisonnable » dès lors qu’elle était commandée par la nature spécifique des biens en cause, qui les rendait nécessaires à l’exécution du service public, que les décisions qu’ils ont rendues se bornaient à appliquer une jurisprudence déjà bien établie. Il ajoute que le « caractère raisonnable et rationnel de la jurisprudence relative aux biens de retour (…) dérive pleinement de l’économie et de la fonction du contrat de concession, qui est de permettre à l’État de financer à bas coût un service public ».
  12. Le Gouvernement soutient ensuite que la restriction en question répondait à un motif d’utilité publique et d’intérêt général, dès lors que confier la gestion des remontées mécaniques et des biens nécessaires à l’exploitation du domaine skiable répond à deux objectifs d’intérêt public : d’une part, cette évolution s’inscrit dans le cadre de la politique d’aménagement de la montagne qui a pour finalité de lutter contre la désertification de ces territoires, les stations de sport d’hiver concourant au développement économique des communes de montagne ; d’autre part, elle a été jugée nécessaire par le législateur et la juridiction administrative pour garantir la continuité du service public des remontées mécaniques.
  13. Selon le Gouvernement, il n’y a pas eu rupture du juste équilibre que l’État doit ménager entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. En premier lieu, il fait valoir que le droit français n’exclut pas l’indemnisation des exploitants ayant apporté leurs biens à une concession dans le cadre d’une délégation de service public, et que les biens apportés par la société requérante ont été valorisés initialement lors de la conclusion du contrat de délégation de service public de 1998 du fait de la place essentielle qu’ils occupaient dans le schéma de l’équilibre contractuel qui déterminait les droits et obligations des parties. En deuxième lieu, il rappelle que la société requérante n’était pas forcée de conclure un contrat de délégation de service public puisqu’elle aurait également pu céder ses biens à un autre exploitant ou accepter l’expropriation en échange d’une juste compensation, l’existence de trois possibilités constituant un tempérament favorisant la conciliation de l’objectif d’intérêt public de bonne gestion des remontées mécaniques et des droits contractuels des exploitants. Le Gouvernement ajoute que, s’il s’avère qu’un contrat de délégation de service public traduit un déséquilibre trop important, le délégataire peut invoquer un vice de consentement devant le juge du contrat, ce qui ouvre la voie de l’action indemnitaire, en application de la jurisprudence du Conseil d’État du 28 décembre 2009, Commune de Béziers. De plus, le calcul de l’indemnisation sur la base de la valeur nette comptable ne serait pas systématique lorsque le délégataire détenait les biens de retour préalablement à son engagement contractuel. Enfin, lorsque la mauvaise estimation de l’équilibre contractuel est due à une application erronée des avantages et charges, le juge administratif pourrait être amené à considérer que le déséquilibre conduit à un enrichissement sans cause de la personne publique et allouer au délégataire une indemnité rétablissant l’équilibre économique que les patries sont supposées avoir recherché.
  14. Ainsi, d’après le Gouvernement, quand bien même l’équilibre général du contrat de délégation aurait fait peser une charge sur la société requérante, l’excessivité de celle-ci serait due au fait que la société requérante n’a pas saisi le juge du contrat pour obtenir une indemnité compensant le dommage qu’elle a subi.
  1. Appréciation de la Cour
  1. La décision du Conseil d’État Commune de Douai du 21 décembre 2012 (paragraphe 26 ci-dessus), qui synthétise la jurisprudence relative aux « biens de retour », énonce notamment que, « dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ». La décision du Conseil d’État du 29 juin 2018 (paragraphe 22 ci-dessus) et l’arrêt de la cour d’appel de Marseille du 16 décembre 2019 (paragraphe 23 ci-dessus), rendus en la cause de la société requérante, ont précisé que cela vaut aussi « lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ». Ils ont ajouté « qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions [ci-dessus] » soit, ainsi que le comprend la Cour, à la date de la conclusion de la convention de délégation de service public.
  2. La Cour en déduit que les biens litigieux, dont la société requérante était propriétaire avant la conclusion du contrat de délégation de service public du 28 décembre 1998, ont été transférés à cette date dans le patrimoine de la CCVU.
  3. Elle note que le Gouvernement ne conteste pas qu’il y a eu transfert à la CCVU de la propriété de biens appartenant à la société requérante, mais soutient que ce transfert ne s’analyse pas en une privation de propriété, au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Elle juge toutefois inutile de trancher cette question dès lors qu’en l’espèce, d’une part, l’application de la règle des biens de retour est en tout cas constitutive d’une ingérence dans la jouissance du droit au respect des biens, et, d’autre part, à supposer même que cette ingérence soit constitutive d’une privation de propriété, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 pour les raisons indiquées ci-après.
  4. La Cour renvoie aux principes généraux tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Béláné Nagy c. Hongrie [GC] (no 53080/13, §§ 112-116, 13 décembre 2016) notamment. Il en ressort que toute ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens doit être légale, servir un intérêt public (ou général) légitime et être raisonnablement proportionnée au but qu’elle poursuit, le juste équilibre à préserver entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu étant brisé si l’individu concerné supporte une charge spéciale et exorbitante.
  5. a)      Sur la légalité de l’ingérence
  6. La Cour rappelle que le principe de légalité exige, d’une part, que l’ingérence ait une base en droit interne, étant entendu qu’il peut s’agir du droit d’origine jurisprudentiel comme du droit d’origine législative (voir, par exemple, Špaček, s.r.o., c. République tchèque, no 26449/95, § 54, 9 novembre 1999), et, d’autre part, que cette base légale présente une certaine qualité : elle doit être compatible avec la prééminence du droit et offrir des garanties contre l’arbitraire. Il s’ensuit qu’en plus d’être conformes au droit interne de l’État contractant, en ce compris la Constitution, les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (voir, par exemple, Vistiņš and Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 96-97, 25 octobre 2012).
  7. En l’espèce, certes, comme le souligne la société requérante, le Conseil d’État n’avait pas expressément jugé avant l’arrêt qu’il a rendu en sa cause que la règle des biens de retour s’appliquait à des biens dont le délégataire était propriétaire antérieurement à la signature de la convention de délégation de service public.
  8. La Cour constate cependant que cette règle est énoncée depuis longtemps par la jurisprudence du Conseil d’État. Cela ressort notamment des conclusions présentées en l’espèce par le rapporteur public devant cette juridiction (paragraphe 25 ci-dessus). D’après cette règle, dans le cadre d’une convention de délégation de service public, les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont, par principe, dans le silence de la convention, la propriété de la personne publique délégante dès leur réalisation ou leur acquisition par le concessionnaire, et lui font obligatoirement retour au terme du contrat, en principe à titre gratuit, sous réserve qu’ils aient été totalement amortis.
  9. La Cour, qui relève que la qualification générale du service des remontées mécaniques de « service public » résulte de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, estime qu’en signant le 28 décembre 1998 la convention de délégation de service public litigieuse avec la CCVU, la société requérante ne pouvait ignorer que le régime de la délégation de service public, qui comprend la règle des biens de retour, s’appliquerait dans son cas. Elle note de plus que le rapporteur public devant le Conseil d’État a relevé que ni les travaux préparatoires de cette loi, ni les modifications qui lui ont été apportées par la suite et les travaux préparatoires de ces textes, ne laissaient penser que le législateur aurait entendu écarter l’application du régime des biens de retour aux situations telles que celle de la société requérante (paragraphe 21 ci-dessus).
  10. La Cour constate par ailleurs que la société requérante a eu la possibilité de défendre sa cause contradictoirement devant les juridictions internes, en particulier au regard de l’application de la règle des biens de retour, et que la question de l’application de cette règle a fait l’objet d’un examen approfondi, comme cela ressort des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État ainsi que des motifs de la décision de cette juridiction et de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019 (paragraphes 21-23 ci-dessus).
  11. Il résulte de ce qui précède que la condition de légalité de l’ingérence est remplie en l’espèce.
  12. b)     Sur le but poursuivi
  13. La Cour constate que l’ingérence dénoncée par le requérant dans la jouissance de son droit au respect des biens, qui résulte de l’application en sa cause de la règle des biens de retour, visait à assurer la continuité du service public. Un tel but relève sans conteste de l’intérêt public, d’autant plus que, s’agissant en l’espèce du service public des remontées mécaniques, il se rattache à l’objectif de développement équitable et durable des territoires de montagne, qui a été déclaré « objectif d’intérêt national » par la loi du 9 janvier 1985 (paragraphe 27 ci-dessus).
  14. c)      Sur la proportionnalité
  15. À supposer que l’ingérence litigieuse soit constitutive d’une privation de propriété, la Cour rappelleque sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une ingérence de cette nature constituerait d’ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Cette disposition ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale. Des objectifs légitimes « d’utilité publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir, notamment, Kravchuk c. Russie, no 10899/12, § 40, 26 novembre 2019, Grainger et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 34940/10, § 37, 10 juillet 2012, et James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98). En outre, le contrôle de la Cour se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d’appréciation dont l’États jouit en la matière (voir, notamment, précités, Grainger et autres et James et autres, ibidem).
  16. Sur ce dernier point, la Cour constate en outre que l’ingérence litigieuse s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à l’aménagement du territoire, dont l’objet est, comme cela ressort de son premier article (paragraphe 27 ci-dessus), l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement, domaines dans lesquels les États jouissent d’une grande marge d’appréciation (voir, par exemple, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 78, CEDH 2007-V (extraits)).
  17. Ceci étant, la Cour relève que la société requérante a, avant l’intervention de la loi du 9 janvier 1985, exploité commercialement durant plusieurs décennies ses propres équipements de remontées mécaniques, dans un cadre de droit privé.
  18. La loi du 9 janvier 1985 a conféré le caractère de « service public » à l’ensemble du service des remontées mécaniques, confiant son organisation à des collectivités territoriales. Tout ce secteur d’activité était concerné, y compris les remontées mécaniques qui étaient alors exploitées par des personnes de droit privé selon des modalités de droit privé. Cette loi offre aux collectivités territoriales concernées le choix entre assurer elles-mêmes l’exécution de ce service, la confier à une autre personne morale de droit public et la concéder conventionnellement pour une durée déterminée à une entreprise privée. Dans le troisième cas de figure, elle donnait quatre ans aux exploitants privés et aux collectivités territoriales concernées pour conclure une convention de concession de service public. Elle ajoutait cependant que, dans le cas où une telle convention n’avait pu être conclue à l’expiration de ce délai du fait de la collectivité territoriale concernée, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée continuait de produire ses effets pour une durée maximale de dix ans.
  19. La société requérante, qui a bénéficié de cette mesure transitoire, a continué d’exploiter ses installations sous le régime du droit privé durant les quatorze années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985.
  20. Au cours ou à l’issue de cette période de quatorze années, la société requérante aurait pu cesser son activité et céder ses équipements à la CCVU au prix du marché, à l’amiable ou à la suite d’une procédure d’expropriation, voire, d’après le Gouvernement, à une personne privée. Elle a cependant choisi de poursuivre son activité après la période transitoire, avec pour seule possibilité à cette fin de conclure une convention de délégation de service public avec la CCVU, conformément à l’article 47 de la loi du 9 janvier 1985, ce qu’elle a fait le 28 décembre 1998 (paragraphes 8-11 ci-dessus).
  21. La société requérante a ensuite exploité les remontées mécaniques durant quinze années sous le régime de la délégation de service public.
  22. Elle a donc continué à exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985.
  23. La convention de délégation de service public du 28 décembre 1998 prévoyait qu’en cas de reprise de l’exploitation par la CCVU à son terme, les biens, équipements et installations de la société requérante seraient repris par cette dernière moyennant une indemnité ; un avenant du 18 novembre 2011 qualifiait divers biens apportés par la société requérante, dont les installations de remontées mécaniques, de « biens de reprise », et précisait que la CCVU pourrait exiger du délégataire qu’il les lui vende.
  24. Après l’expiration du terme de la convention de délégation de service public, la CCVU et la société requérante ont conclu un accord selon lequel la première s’engageait à verser à la seconde, en contrepartie de la cession des biens visés par l’avenant (ainsi que de quelques bien additionnels), le montant de 2 000 000 EUR, reflétant leur valeur vénale. L’accord n’a cependant pu être mis en œuvre en raison de l’annulation par le juge interne, sur le fondement de la règle des biens de retour, des délibérations de la CCVU l’approuvant.
  25. Le Conseil d’État et la Cour administrative de Marseille (paragraphes 22 et 23 ci-dessus) ont jugé à cet égard que les parties à une convention de concession de service public peuvent prendre en compte, dans le cadre de la définition de l’équilibre économique du contrat, les biens dont le concessionnaire était propriétaire antérieurement à la signature de la convention, qu’il affecte au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci, à condition qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique qui est partie à la convention, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée durant laquelle les biens apportés peuvent encore êtes utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés. Les parties peuvent à cette fin prévoir dans la convention le versement d’une indemnité au concessionnaire, mais une telle indemnité ne peut être versée que si, selon la formule de la décision du Conseil d’État du 29 juin 2018, reprise dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019, « l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ».
  26. S’il en résulte que la société requérante n’a pu obtenir le versement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens litigieux, il n’en résulte pas pour autant qu’elle a été privée de toute compensation et de toute possibilité d’indemnisation.
  27. En effet, d’une part, la société requérante indique elle-même que les équipements qu’elle a apportés à l’exploitation étaient amortis à la fin de la concession (paragraphe 32 ci-dessus). Il s’en déduit que le coût de ces équipements, qui avait ainsi été comptabilisé en charges, était couvert par les résultats de l’exploitation lorsqu’ils ont fait retour à la CCVU.
  28. D’autre part, il ressort des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État (paragraphe 21 ci-dessus), auxquelles renvoie le Gouvernement (paragraphe 31 ci-dessus), que, si le contrat se révèle a posteriori déséquilibré, et aboutit à son issu à un enrichissement sans cause de la personne publique, le concessionnaire est fondé à saisir le juge du contrat d’une demande tendant à l’obtention d’une indemnité destinée à rétablir l’équilibre économique du contrat.
  29. La société requérante aurait donc pu saisir les juridictions administratives d’un recours de plein contentieux, plaider dans ce cadre que l’accord approuvé par les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014 contribuait à l’équilibre économique du contrat, faire valoir que l’annulation de ces délibérations, qui empêchait la mise en œuvre de cet accord, avait rompu cet équilibre, et réclamer une indemnité destinée à le rétablir.
  30. Selon le Gouvernement, cette possibilité est toujours ouverte à la société requérante.
  31. Il apparaît en fait que la valeur des biens nécessaires au fonctionnement du service public apportés par le délégataire au moment de la signature de la convention de délégation de service public, qui sont transférés dans le patrimoine de la personne publique délégante, est en principe compensée puisqu’elle est intégrée au calcul de l’équilibre économique du contrat au moment de sa signature, et qu’à défaut, le délégataire peut, au terme du contrat, obtenir du juge administratif une indemnisation destinée à rétablir cet équilibre.
  32. Dans cette circonstance, à supposer que l’ingérence litigieuse soit constitutive d’une privation de propriété, compte tenu aussi de ce que la société requérante a pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985, on ne saurait considérer qu’elle a supporté une charge spéciale et exorbitante du seul fait qu’elle n’a pu obtenir le paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la CCVU. Vu de plus la large marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur et l’importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire, la Cour conclut que cette ingérence était raisonnablement proportionnée à ce but.
  33. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

  1. Déclare la requête recevable ;
  2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Ravarani et Mourou-Vikström.

G.R.
V.S.
 

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES RAVARANI ET MOUROU-VIKSTRÖM

 

Nous avons voté en faveur de la non-violation de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention, parce qu’en matière d’indemnisation du fait de la privation de propriété par les pouvoirs publics les États jouissent d’une large marge d’appréciation, parce qu’une indemnisation selon le droit commun n’est pas requise en la matière et enfin parce qu’on peut considérer que la requérante a entre-temps valorisé ses investissements.

Au-delà de ce constat, nous avons eu et avons toujours de sérieux questionnements et doutes concernant cette affaire qui concerne l’indemnisation de la société requérante à la fin du contrat de concession de service public. Nous n’entendons pas remettre en question le mécanisme français de la concession d’un service public, ni la théorie des « biens de retour » en vertu de laquelle les biens affectés par le concessionnaire au fonctionnement du service public sont censés, à la fin de la concession, avoir appartenu ab initio à la partie publique concédante. Nous n’entendons pas davantage remettre en question le mode d’indemnisation du concessionnaire qui ne peut pas prétendre à la contrepartie monétaire de la valeur vénale des biens, mais peut seulement obtenir une indemnisation dans la mesure où ses investissements ne sont pas amortis.

Or, on ne saurait assez insister sur le caractère très spécifique de la présente affaire qui n’a pas suivi le schéma traditionnel des concessions de service public, et c’est cette spécificité qui nous fait douter, à plusieurs égards, du raisonnement de la majorité pour aboutir à la non-violation. En l’espèce, la requérante était propriétaire de terrains montagneux et y avait érigé et exploitait, dès 1934, sous un régime de pur droit privé, des remontées mécaniques et autres biens d’équipement qu’elle avait elle-même payés. Elle ne s’est donc pas fait attribuer par les pouvoirs publics des terrains appartenant à l’État. Ce cas de figure est inédit. La loi du 9 janvier 1985 a mis fin à ce régime de droit privé en qualifiant les remontées mécaniques de service public et en permettant aux exploitants de signer avec les pouvoirs publics une convention de délégation de service public. La loi prévoyait une période transitoire pour régulariser les services de remontées mécaniques préexistants pendant laquelle toutes les remontées mécaniques non exploitées par l’autorité compétente devaient faire l’objet d’une convention de concession de service public. À défaut, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée expirait après un délai de dix ans.

La partie publique (la CCVU) et la requérante conclurent en 1998 une convention de délégation de service public. Il était prévu qu’en fin de contrat, l’autorité organisatrice pouvait reprendre elle-même l’exploitation du service. Dans ce cas, les équipements et installations devaient être « repris » – et non « retournés » – moyennent une indemnité fixée soit par accord amiable, soit, à défaut d’accord, à dire d’experts. Après certaines vicissitudes, les parties signèrent finalement, le 28 juillet 2014, un protocole d’accord aux termes duquel la CCVU s’engageait à payer 2 000 000 € à la société en contrepartie de la cession des biens.

C’est la délibération approuvant cet accord que le préfet attaqua dans la suite et que les juridictions administratives annulèrent alors. Le Conseil d’État appliqua notamment la théorie des biens de retour au cas d’espèce, avec comme résultat que les biens de la requérante étaient censés avoir appartenu aux pouvoirs publics même antérieurement à la passation de la concession de service public et le retour gratuit de ces biens à la personne publique. Il ajouta que les parties pouvaient « prendre en compte l’apport de ces biens ayant initialement appartenu à la requérante dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés [pouvaient] encore être utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résult[ait] aucune libéralité de la part de la personne publique. » Selon la décision, il y a libéralité dès que l’indemnisation dépasse l’amortissement des investissements réalisés.

Le raisonnement de la majorité nous interpelle à plusieurs égards.

Tout d’abord, l’arrêt juge inutile de trancher la question de savoir s’il y a eu en l’espèce expropriation ou non, se basant à cet effet sur l’affirmation, par le Gouvernement, que par l’application de la règle des biens de retour, il n’y a pas eu de privation de propriété. Or, il nous semble évident qu’il y a eu, dans les présentes circonstances, expropriation. C’est par l’effet de la loi du 9 janvier 1985 que la propriété de la requérante a été immédiatement transférée à la partie publique. Il s’agit d’une application élargie et discutable du régime des « biens de retour » à des biens acquis à titre privé à une époque où la délégation du service public n’avait pas été conclue entre les parties. Il ne peut pas y avoir eu de « retour » des biens dans le giron public car ceux-ci appartenaient à l’origine à la requérante. La CCVU l’avait bien reconnu puisque dans les dispositions contractuelles convenues entre parties, les remontées mécaniques et autres équipements étaient qualifiés de « biens de reprise ». D’ailleurs, dans ses conclusions devant le Conseil d’État, le rapporteur public avait clairement affirmé au sujet de ces remontées mécaniques, qu’il s’agissait d’« un cas de figure tout à fait exceptionnel, où l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété résulte directement de la loi ». Il avait en outre ajouté qu’au moment de la signature de la concession les biens étaient partiellement ou entièrement amortis et que leur valeur nette comptable était donc sans rapport avec le coût que représenterait pour la collectivité la réalisation ou l’acquisition de biens comparables auprès d’un autre partenaire (paragraphe 21 de l’arrêt). Il en résulte que l’équilibre concessif était affecté et qu’une action contre l’État sur le fondement du dol ou de l’enrichissement sans cause aurait seule pu y remédier.

Par ailleurs, il nous semble difficile de suivre le raisonnement de la majorité de la chambre selon laquelle « la société requérante ne pouvait ignorer que le régime de la délégation de service public, qui comprend la règle des biens de retour, s’appliquerait à son cas » (paragraphe 59 de l’arrêt). En effet, la société requérante a signé plusieurs accords, à savoir, la délégation initiale de service public le 28 décembre 1998, l’avenant du 18 novembre 2011, et le protocole d’accord approuvé en 2014 ; or, aux termes de tous ces accords la CCVU s’engageait à lui verser une somme d’argent correspondant à la reprise des remontées mécaniques, et des autres biens d’équipement ayant servi au fonctionnement de la station de ski. Même si ces conventions n’engageaient pas l’État central directement, elle engageait une collectivité publique représentant une de ses émanations décentralisées. La société requérante pouvait donc s’attendre à percevoir une indemnisation correspondant à un prix de rachat des biens acquis sur ses deniers propres, d’autant que ni la signature des conventions, ni l’appel à concurrence n’avaient soulevé d’objections ni même de questionnements de la part des autorités préfectorales.

La requérante avait-elle un réel choix d’échapper à l’application de la réglementation relative aux concessions de service public avec leur corollaire, la règle des biens de retour ? Il est dit au paragraphe 68 de l’arrêt qu’à l’issue de la période transitoire instaurée par la loi, la requérante aurait pu cesser son activité et céder ses équipements au prix du marché, à l’amiable ou à la suite d’une procédure d’expropriation. Cette affirmation étonne. Si nous comprenons bien la réglementation française en la matière, le caractère de service public des remontées mécaniques en montagne a été affirmé par la jurisprudence dès 1959, bien avant la loi du 9 janvier 1985 (v. le paragraphe 28 de l’arrêt). Or, si ces remontées et équipements relevaient du service public, l’indemnisation en cas de cession – volontaire ou moyennant expropriation – aux pouvoirs publics ne devait-elle pas obéir aux principes affirmés par le Conseil d’État en matière d’indemnisation en cas de retour de biens affectés au service public, à savoir que celle-ci ne saurait dépasser le montant non amorti des investissements, toute somme négociée ou attribuée au-delà étant considérée comme constituant un enrichissement sans cause ?

Nous sommes encore surpris de l’affirmation, dans le paragraphe 77 de l’arrêt, selon laquelle la requérante « aurait pu saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux en vue de se faire attribuer une somme destinée à restituer l’équilibre économique du contrat, plaider dans ce cadre que l’accord approuvé par les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014 contribuait à l’équilibre économique du contrat, faire valoir que l’annulation de ces délibérations, qui empêchait la mise en œuvre de cet accord, avait rompu cet équilibre, et réclamer une indemnité destinée à le rétablir. » En effet, selon la jurisprudence du Conseil d’État, toute indemnité qui dépasse la valeur amortie des investissements est à considérer comme une libéralité de la personne publique. Dans cette optique, toute indemnité supplémentaire, loin de rétablir l’équilibre économique, ne ferait que le rompre. Or, en l’espèce, la requérante avait depuis longtemps amorti ses investissements lorsqu’elle entra dans le contrat de concession de service public, ce que personne ne conteste ; ainsi tout recours ultérieur destiné à récupérer la moindre indemnisation supplémentaire aurait été voué à l’échec.

Urbanisation en continuité – Hameau

CAA de MARSEILLE – 1ère chambre

  • N° 22MA00351
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 28 septembre 2023

Président

  1. PORTAIL

Rapporteur

  1. Arnaud CLAUDÉ-MOUGEL

Rapporteur public

  1. QUENETTE

Avocat(s)

SCP PLANTARD ROCHAS & VIRY

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C… épouse B… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler le certificat d’urbanisme du 28 février 2019 par lequel le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard a, au nom de l’Etat, considéré non-réalisable la construction d’une maison individuelle sur son terrain situé au lieu-dit D… et cadastré section OC n° 299.

Par un jugement n° 1903188 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé ce certificat d’urbanisme et a enjoint au maire de Saint-Jacques-en-Valgodemard, au nom de l’Etat, de procéder au réexamen de la demande de Mme C….

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2022, la ministre de la transition écologique demande à la Cour d’annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 novembre 2021.

Elle soutient que :
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé et méconnaît les dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative ;
– le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le maire ne pouvait se fonder pour opposer le certificat d’urbanisme négatif contesté à la fois sur les dispositions de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme et celles de l’article L. 122-5 du même code ;
– le tribunal administratif a commis une erreur d’appréciation en estimant que la parcelle était en continuité avec un groupe de constructions au sens de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, Mme C… épouse B…, représentée par Me Plantard, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge l’Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Claudé-Mougel,
– les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;
– et les observations de Me Tramier, représentant Mme C… épouse B….

Considérant ce qui suit :

1. Mme C… épouse B…, propriétaire d’un terrain cadastré section OC n° 299 sur le territoire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard dans le département des Hautes-Alpes (05800), a demandé au maire de cette commune un certificat d’urbanisme opérationnel en vue d’y édifier une maison individuelle. Le 28 février 2019, le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard a délivré, au nom de l’Etat, à Mme C… épouse B… un certificat d’urbanisme indiquant que cette opération n’était pas réalisable. La ministre de la transition écologique demande à la Cour d’annuler le jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé ce certificat d’urbanisme et enjoint au maire de Saint-Jacques-en-Valgodemard de réexaminer la demande de Mme C… épouse B….

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Les articles L. 111-3 et L. 111-4 du code de l’urbanisme, qui ont repris les dispositions de l’article L. 111-1-2 du code désormais abrogées, interdisent en principe, en l’absence de plan local d’urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, les constructions implantées  » en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune « , c’est-à-dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Cependant, il résulte des dispositions de l’article L. 122-5 du même code de l’urbanisme, qui reprend celles du III de l’article L. 145-3 du code désormais abrogées, que l’urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d’urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les  » groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants  » et qu’est ainsi possible l’édification de constructions nouvelles en continuité d’un groupe de constructions traditionnelles ou d’un groupe d’habitations qui, ne s’inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L’existence d’un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l’existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble.

3. En premier lieu, les dispositions de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme fixent un régime d’urbanisation limitée pour les communes classées en zone de montagne, qu’elles soient ou non dotées de plan d’urbanisme, qui diffère de celui fixé par l’article L. 111-3 du code applicable aux communes qui ne sont pas dotées d’un tel plan, et régissent dès lors entièrement la situation des communes classées en zone de montagne pour l’application de la règle de constructibilité limitée. Par suite, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard, classée en zone de montagne, ne pouvait se fonder sur cet article pour délivrer le certificat litigieux.

4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la parcelle cadastrée section OC n° 299 appartenant à Mme C… épouse B… est séparée des constructions composant le lieudit  » D… « , situé à un kilomètre du centre de la commune, par la route départementale D 16 A qui permet d’y accéder. Ce lieudit comprend un bâtiment communal, une église et quatre maisons d’habitations distantes les unes des autres de quelques mètres, qui peuvent être perçus comme appartenant à un même ensemble et ainsi être regardés, eu égard aux critères rappelés au point 2, comme un groupe d’habitations existant au sens des dispositions de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme. Toutefois, le terrain de la requérante s’ouvre sur des parcelles non bâties, et s’inscrit dans un compartiment de terrain à dominante agricole différent des bâtiments composant ce groupe d’habitation. Dès lors, la parcelle appartenant à Mme C… épouse B… ne peut être regardée comme se trouvant en continuité de ce groupe d’habitations au sens de ces mêmes dispositions, eu égard à la coupure d’urbanisation créée par la route départementale, nonobstant le lavoir et le calvaire se trouvant du même côté de cette route que cette parcelle.

5. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé le certificat d’urbanisme délivré 28 février 2019 à Mme C… épouse B… en raison de la méconnaissance de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.

6. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme C… épouse B… ainsi qu’en appel.

7. En examinant si le terrain objet de la demande de certificat d’urbanisme entrait dans le champ des exceptions au principe de construction en continuité prévues par l’article L. 122-7 3ème alinéa du code de l’urbanisme, le maire de Saint-Jacques en Valgodemard n’a pas commis d’erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la régularité du jugement, que la ministre est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée par Mme C… épouse B… devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur les frais de l’instance :

9. L’Etat n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme C… épouse B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C… épouse B… devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme C… épouse B… fondées sur les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à Mme A… C… épouse B….
Copie en sera adressée à la commune de Saint-Jacques en Valgodemard.