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Tapis roulant – PPRN – Urbanisation en continuité

CAA de MARSEILLE – 1ère chambre

  • N° 23MA00486
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 04 juillet 2024

Président

  1. PORTAIL

Rapporteur

  1. Philippe D’IZARN DE VILLEFORT

Rapporteur public

  1. QUENETTE

Avocat(s)

SELARL CDMF – AFFAIRES PUBLIQUES – AVOCATS ASSOCIÉS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… C…, la société par actions simplifiée (SAS) Master Phil et M. D… A… ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’arrêté du 8 août 2019 par lequel le maire d’Enchastrayes a délivré à la Régie Ubaye-Ski un permis de construire un tapis de remontée mécanique sur des parcelles cadastrées section E nos 545, 921, 523 et 406 sur le territoire communal.

Par un jugement n° 1910740 du 28 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 28 février 2023, M. C… et la société par actions simplifiée (SAS) Master Phil, représentés par Me Vaillant, demandent à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du 28 décembre 2022 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d’annuler l’arrêté du 8 août 2019 du maire d’Enchastrayes ;

3°) de mettre à la charge de la commune d’Enchastrayes la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– le permis de construire contesté méconnaît les dispositions de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme, en l’absence d’accord du gestionnaire du domaine public ;
– il méconnaît le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) du 18 septembre 2000, les articles R. 111-2 du code de l’urbanisme et 6 de l’arrêté du 29 septembre 2010, dans la mesure où le projet aggrave les risques de glissement de terrain ;
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard du moyen tiré des risques d’atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, notamment dans la mesure où le tribunal n’a pas examiné ce moyen au regard des articles R. 111-2 du code de l’urbanisme et 6 de l’arrêté du 29 septembre 2010 ;
– le permis de construire contesté n’est pas conforme à l’emplacement réservé n° 46 prévu par le plan local d’urbanisme (PLU) d’Enchastrayes ; une modification de ce PLU aurait dû intervenir, en application des dispositions de l’article L. 153-36 du code de l’urbanisme ;
– il méconnaît les dispositions de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2023, la Régie Ubaye-Ski, représentée par Me Lacroix, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu’il soit fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, et, en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge solidaire de M. C… et de la SAS Master Phil la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la requête est irrecevable au regard des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme ;
– le recours de la SAS Master Phil est tardif, dans la mesure où cette société n’a pas formé de recours gracieux, et, par suite, irrecevable ;
– la requête est irrecevable au regard des dispositions de l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme en ce qu’elle est présentée pour M. C… ;
– les moyens de la requête ne sont pas fondés ;
– dans l’hypothèse où un moyen serait fondé, une régularisation est possible en application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juin 2023, la commune d’Enchastrayes, représentée par Me Fiat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge solidaire de M. C… et de la SAS Master Phil la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la requête est irrecevable au regard des dispositions des articles R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative, en l’absence de toute critique du jugement attaqué ;
– les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code du tourisme ;
– l’arrêté du 29 septembre 2010 relatif à la conception, à la réalisation, à la modification, à l’exploitation et à la maintenance des tapis roulants mentionnés à l’article L. 342-17-1 du code du tourisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. d’Izarn de Villefort, président-assesseur ;
– les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;
– les observations de Me Nallet-Rosado représentant la commune d’Enchastrayes, et de Me Plenet représentant la Régie Ubaye-Ski.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 8 août 2019, le maire d’Enchastrayes, agissant au nom de cette commune, a délivré à la Régie Ubaye-Ski de la communauté de communes Vallée de l’Ubaye Serre-Ponçon (CCVUSP) un permis de construire un tapis de remontée mécanique, sur des parcelles cadastrées section E nos 545, 921, 523 et 406, sises lieu-dit E… sur le territoire communal. M. C…, M. A… et la société par actions simplifiée (SAS) Master Phil ont demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler cet arrêté. M. C… et la SAS Master Phil relèvent appel du jugement du 28 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative :  » Les jugements sont motivés « .
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les requérants soulevaient devant le tribunal un moyen tiré de la méconnaissance, par l’arrêté contesté, des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNp) du 18 septembre 2000, au soutien duquel ils citaient l’article 6 de l’arrêté susvisé du 29 septembre 2010. Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Marseille a expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les requérants. En particulier, le tribunal, qui n’était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a suffisamment motivé sa réponse au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et du PPRNp, en citant l’article 6 de l’arrêté susvisé du 29 septembre 2010, de la même manière que les requérants le mentionnaient dans leur requête comme argument au soutien du moyen susmentionné. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les juges de première instance se sont livrés à un examen du permis de construire contesté au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, examen réalisé conformément à la manière dont le moyen était soulevé devant eux, à savoir au regard des risques de glissement de terrain tels qu’identifiés par le PPRNp. Par suite, M. C… et la SAS Master Phil ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d’irrégularité.
Sur les conclusions à fin d’annulation :

4. En premier lieu, aux termes de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme :  » Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public « .
5. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des statuts de la Régie Ubaye-Ski tels qu’approuvés par une délibération du 10 janvier 2017 du conseil de communauté de la CCVUSP puis modifiés par une délibération du 14 novembre 2017 de ce même conseil, que ladite régie a notamment pour objet l’exploitation des domaines skiables alpins, incluant le Sauze Super-Sauze, et  » l’exploitation, l’entretien, et la sécurisation, en toute saison et dans la limite des besoins du service, des domaines skiables ou sites espaces nordiques comprenant les remontées mécaniques et les installations techniques indispensables « . L’article 12 desdits statuts précise la liste limitative des attributions sur lesquelles le conseil communautaire s’est réservé le pouvoir de décision, au nombre desquelles ne figure pas la gestion du domaine public skiable. Dans ces conditions, il ressort des pièces du dossier que la Régie Ubaye-Ski est elle-même gestionnaire de ce domaine public. Etant à la fois gestionnaire et pétitionnaire, elle n’avait dès lors pas besoin de se fournir à elle-même l’accord prévu par les dispositions précitées de l’article R. 431-13 du code de l’urbanisme.
6. En deuxième lieu et d’une part, aux termes de l’article 6 de l’arrêté du 29 septembre 2010 relatif à la conception, à la réalisation, à la modification, à l’exploitation et à la maintenance des tapis roulants mentionnés à l’article L. 342-17-1 du code du tourisme :  » Tout tapis roulant est implanté en tenant compte des risques naturels éventuels. / Il est installé sur un terrain compatible avec les conditions d’installations définies par le constructeur. / Si nécessaire, le terrain est traité et aménagé pour répondre à ces conditions. L’état du sol au moment du montage (gel, humidité, etc.) est notamment pris en considération. (…) « .
7. D’autre part, aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations « . Il appartient à l’autorité d’urbanisme compétente et au juge de l’excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent.
8. Il ressort des pièces du dossier que la commune d’Enchastrayes est couverte par le PPRNp relatif aux mouvements de terrain, aux crues torrentielles et inondations et aux avalanches, approuvé le 18 septembre 2000. La pointe située à l’extrémité est de la parcelle cadastrée section E n° 545 est située en zone R10 de ce plan, tandis que le reste de cette parcelle ainsi que la parcelle cadastrée section E n° 921 et l’extrémité est de la parcelle cadastrée section E n° 406 sont situées en zone blanche de ce même plan. Le reste de cette dernière parcelle, ainsi que la parcelle cadastrée section E n° 523 ne sont, quant à elles, pas concernées par le plan de zonage du PPRNp susvisé. L’article 1.2 du règlement de ce plan, relatif aux différentes zones du plan de prévention des risques (PPR), prévoit que :  » Les zones blanches sises à l’intérieur du périmètre du PPR sont réputées sans risque naturel prévisible significatif, hormis le risque sismique. (…) La construction et l’occupation du sol n’y sont pas réglementées par le PPR. / Les zones rouges signifient qu’à ce jour, il n’existe pas de mesure de protection efficace et économiquement acceptable, pouvant permettre l’implantation de constructions ou ouvrages, soit du fait des risques naturels sur la zone elle-même, soit des risques que des implantations dans la zone pourraient provoquer ou aggraver. (…) « . Ce même règlement précise ensuite les risques spécifiques au Super-Sauze, sur le territoire de la commune d’Enchastrayes, à savoir les glissements de terrain et les crues torrentielles, et précise que les secteurs classés en zone R10 du Super-Sauze sont inconstructibles, sauf quelques exceptions limitativement énumérées.
9. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et notamment du dossier de demande de permis de construire, que le projet litigieux ne sera implanté que sur la partie sud-est de la parcelle cadastrée section E n° 545, puis sur la partie nord de la parcelle cadastrée section E n° 523. L’emprise au sol du projet litigieux est donc située, pour partie, en zone blanche du PPRNp, et, pour partie, en-dehors du zonage de ce plan. La seule proximité du projet avec la zone R10 du PPRNp ne saurait soumettre ce projet, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aux prescriptions imposées par le règlement de ce plan. En outre, en se bornant à soutenir que les zones aplanies créées par le projet ainsi que l’aménagement du nouveau chemin d’accès à leurs propriétés seraient de nature à aggraver les risques liés aux glissements de terrain, les requérants ne fournissent aucun élément concret permettant de caractériser de tels risques, dans une zone qui n’est pas, comme il vient d’être dit, concernée par un risque particulier à ce titre au sein des documents techniques y afférents. Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n’est pas prévu par le projet en lui-même que le chemin d’accès à leurs habitations soit remblayé et élargi à 4 mètres. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté méconnaîtrait le PPRNp doit être écarté. Pour les mêmes motifs, outre que l’implantation de l’ouvrage litigieux est ainsi conforme aux prescriptions fixées par l’article 6 de l’arrêté du 29 septembre 2010, le maire d’Enchastrayes n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard des exigences de la sécurité publique prescrites par l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.
10. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 151-8 du code de l’urbanisme :  » Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 « . Selon l’article L. 151-38 de ce même code :  » Le règlement peut (…) délimiter les zones qui sont ou peuvent être aménagées en vue de la pratique du ski et les secteurs réservés aux remontées mécaniques en indiquant, le cas échéant, les équipements et aménagements susceptibles d’y être prévus « . Aux termes de l’article L. 151-41 de ce même code :  » Le règlement peut délimiter des terrains sur lesquels sont institués : (…) 2° Des emplacements réservés aux installations d’intérêt général à créer ou à modifier (…) « . Enfin, selon l’article L. 153-36 de ce même code :  » Sous réserve des cas où une révision s’impose en application du I de l’article L. 153-31, le plan local d’urbanisme est modifié lorsque l’établissement public de coopération intercommunale ou la commune décide de modifier le règlement, les orientations d’aménagement et de programmation ou le programme d’orientations et d’actions « .
11. L’autorité administrative chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l’objet ne serait pas conforme à la destination de l’emplacement réservé, tant qu’aucune modification du plan local d’urbanisme emportant changement de la destination n’est intervenue. En outre, les dispositions précitées de l’article L. 151-41 du code de l’urbanisme ont pour objet de permettre aux auteurs d’un document d’urbanisme de réserver certains emplacements à des voies et ouvrages publics, à des installations d’intérêt général ou à des espaces verts, le propriétaire concerné bénéficiant en contrepartie de cette servitude d’un droit de délaissement lui permettant d’exiger de la collectivité publique au bénéfice de laquelle le terrain a été réservé qu’elle procède à son acquisition, faute de quoi les limitations au droit à construire et la réserve ne sont plus opposables. S’il est généralement recouru à ce dispositif pour fixer la destination future des terrains en cause, aucune disposition ne fait obstacle à ce qu’il soit utilisé pour fixer une destination qui correspond déjà à l’usage actuel du terrain concerné, le propriétaire restant libre de l’utilisation de son terrain sous réserve qu’elle n’ait pas pour effet de rendre ce dernier incompatible avec la destination prévue par la réservation.
12. Il ressort des pièces du dossier qu’est implanté, sur les parcelles cadastrées section E nos 545, 523 et 407, un emplacement réservé (ER) n° 46. La liste des emplacements réservés annexée au règlement du plan local d’urbanisme (PLU) d’Enchastrayes précise que cet ER correspond à l’emprise du téléski de Pré de l’Adroit, pour une surface de 4 200 m² et une largeur de 8 mètres. D’une part, le projet de tapis roulant litigieux a pour objet de permettre le transport du public, pour exercer des activités relatives aux sports de neige durant la saison d’hiver, et des activités de randonnée, notamment pédestre ou cyclable, durant la saison d’été. La destination de cet équipement reste ainsi identique à celle du téléski pour lequel a été institué l’ER concerné et qui a été déposé, et n’est, dès lors, pas incompatible avec cette destination. D’autre part, si la longueur de l’ancien téléski était de 524 m alors que celle du tapis roulant en litige sera de 80 m, il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire qu’un projet réalisé sur l’emprise d’un ER doive correspondre à la surface réservée, dès lors que le projet est conforme à la destination de l’ER. A cet égard, si les requérants soutiennent qu’une partie de l’emplacement réservé n° 46 sera affectée à des fins étrangères à celles pour lesquelles il a été réservé, cette allégation n’est toutefois étayée par aucun élément concret, et, concernant l’exécution du permis de construire litigieux, reste en tout état de cause sans incidence sur la légalité de l’arrêté contesté. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le permis de construire attaqué méconnaîtrait l’ER n° 46 du PLU d’Enchastrayes doit être écarté.
13. En dernier lieu, aux termes de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme :  » L’urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, sous réserve de l’adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l’extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d’annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d’installations ou d’équipements public incompatibles avec le voisinage des zones habitées « .
14. D’une part, le projet litigieux, qui porte sur la construction d’un tapis roulant aux fins de transporter du public, présente le caractère d’un équipement public. D’autre part, eu égard à la finalité même des remontées mécaniques, qui ne peuvent être implantées que dans le domaine skiable, ces installations sont, par nature, incompatibles avec le voisinage des zones habitées. Dans ces conditions, le tapis roulant litigieux relève des exceptions à la règle de l’urbanisation en continuité posée par les dispositions précitées de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu’être écarté comme inopérant.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, que M. C… et la SAS Master Phil ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande dirigée contre l’arrêté du 8 août 2019 du maire d’Enchastrayes.
Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d’Enchastrayes, qui n’est pas, dans la partie perdante, la somme demandée par M. C… et la SAS Master Phil au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge solidaire de M. C… et de la SAS Master Phil une somme de 1 500 euros au titre des frais de même nature exposés par la commune d’Enchastrayes et une somme de même montant au titre des mêmes frais exposés par la Régie Ubaye-Ski.

D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. C… et de la SAS Master Phil est rejetée.
Article 2 : M. C… et la SAS Master Phil pris ensemble verseront à la commune d’Enchastrayes une somme de 1 500 euros et à la Régie Ubaye-Ski une somme de même montant au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… C…, à la société par actions simplifiée Master Phil, à la commune d’Enchastrayes et à la Régie Ubaye-Ski.

Délibéré après l’audience du 20 juin 2024, où siégeaient :

– M. Portail, président,
– M. d’Izarn de Villefort, président assesseur,
– M. Angéniol, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
2
N° 23MA0048

PPRN – Enquête publique (conditions d’organisation) – Classement en zone rouge – Erreur manifeste d’appréciation (non)

CAA de LYON – 3ème chambre

  • N° 22LY01828
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 12 juin 2024

Président

  1. TALLEC

Rapporteur

Mme Bénédicte LORDONNE

Rapporteur public

  1. DELIANCOURT

Avocat(s)

SELARL CORDEL BETEMPS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 21 novembre 2019 par lequel le préfet de la Savoie a approuvé la révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) de la commune de Villaroger, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 17 mars 2020.

Par un jugement n° 2002726 du 19 avril 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin 2022 et 23 août 2023, M. B…, représenté par Me Cordel, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 avril 2022 ;
2°) d’annuler l’arrêté du 21 novembre 2019 par lequel le préfet de la Savoie a approuvé la révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) de la commune de Villaroger, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 17 mars 2020 ; à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise judiciaire ;
3°) de mettre une somme de 25 000 euros à la charge de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– l’arrêté préfectoral du 25 septembre 2017 prescrivant la révision du PPRN ne mentionne pas le lieu et les heures où le public pourra consulter le dossier d’enquête publique et formuler ses observations ;
– l’information du public par voie de presse a été insuffisante ;
– il n’y a pas eu de réunion préalable à l’enquête ;
– l’enquête publique s’est déroulée en période estivale ;
– si l’avis des personnes publiques associées semble avoir été demandé, seules deux d’entre-elles se sont exprimées et ont donné un avis positif ;
– l’avis de l’autorité environnementale n’a pas été sollicité ;
– le dossier soumis à enquête publique était incomplet, incohérent et inexact ;
– le classement des parcelles cadastrées section OE n°833, 834, 835, 2430 et 2434 en zone rouge-inconstructible du PPRN litigieux est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 août 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par ordonnance du 24 août 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 29 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
– et les observations de Me Jastrzeb-Senelas pour M. B….

Considérant ce qui suit :

1. M. A… B… est propriétaire sur le territoire de la commune de Villaroger (73640), de parcelles cadastrées section OE n°833, 834, 835, 2430, 2434, situées au lieudit  » Les Plagnes « , sur lesquelles est édifié son bâtiment agricole et d’habitation, qu’il exploite en GAEC. Il relève appel du jugement du 19 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande dirigée contre l’arrêté du 21 novembre 2019 par lequel le préfet de la Savoie a approuvé la révision du plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) de la commune de Villaroger, ensemble la décision de rejet de son recours gracieux du 17 mars 2020.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l’article R. 562-10 du code de l’environnement :  » Le plan de prévention des risques naturels prévisibles peut être révisé selon la procédure décrite aux articles R. 562-1 à R. 562-9. (…) « . L’article R. 562-8 du même code prévoit que le projet de plan est soumis par le préfet à une enquête publique dans les formes prévues par les articles R. 123-7 à R. 123-23. Aux termes de l’article R. 123-9 du même code :  » I. – L’autorité compétente pour ouvrir et organiser l’enquête précise par arrêté les informations mentionnées à l’article L. 123-10, quinze jours au moins avant l’ouverture de l’enquête (…) 4 Cet arrêté précise notamment : (…) 4° Les lieux, jours et heures où le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête, représentée par un ou plusieurs de ses membres, se tiendra à la disposition du public pour recevoir ses observations (…) « .
3. Comme l’ont relevé les premiers juges, conformément aux dispositions de l’article R. 123-9 précité, l’arrêté du 15 juillet 2019 prescrivant l’ouverture d’une enquête publique mentionne le lieu et les heures où le public pourra consulter le dossier et formuler ses observations. L’arrêté préfectoral du 25 septembre 2017 prescrivant la révision du PPRN n’avait pas à comporter de telles informations. Par suite, le moyen doit être écarté.
4. En deuxième lieu, le requérant reprend en appel son moyen selon lequel l’information du public par voie de presse aurait été insuffisante. Il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
5. En troisième lieu, aux termes de l’article R. 123-17 du code de l’environnement :  » Sans préjudice des cas prévus par des législations particulières, lorsqu’il estime que l’importance ou la nature du projet, plan ou programme ou les conditions de déroulement de l’enquête publique rendent nécessaire l’organisation d’une réunion d’information et d’échange avec le public, le commissaire enquêteur ou le président de la commission d’enquête en informe l’autorité en charge de l’ouverture et de l’organisation de l’enquête ainsi que le responsable du projet, plan ou programme en leur indiquant les modalités qu’il propose pour l’organisation de cette réunion (…) « .
6. Le commissaire-enquêteur justifie aux pages 6 et 7 de son rapport son choix de ne pas organiser de réunion publique, dès lors que le public qui s’est exprimé a mis en évidence une connaissance du dossier, en dépit de la participation réduite en cours d’enquête. L’utilité de l’organisation d’une réunion étant laissée à l’appréciation du commissaire enquêteur, celui-ci a pu décider, sans entacher d’irrégularité l’enquête publique, de ne pas la prescrire, le requérant n’étant pas fondé à soutenir qu’une telle réunion s’imposait nécessairement en raison d’un manque d’information du public qu’il n’établit pas.
7. En quatrième lieu, le requérant reprend son moyen selon lequel les conditions d’organisation de l’enquête publique en période estivale n’ont pas permis au public d’être suffisamment informé et de faire valoir ses observations. Il y a lieu d’écarter ce moyen par adoption des motifs circonstanciés retenus à bon droit par les premiers juges.
8. En cinquième lieu, aux termes de l’article R. 123-8 du code de l’environnement :  » Le dossier soumis à l’enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet, plan ou programme. Le dossier comprend au moins : (…) 4° Lorsqu’ils sont rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l’ouverture de l’enquête, les avis émis sur le projet plan, ou programme (…) « .
9. D’une part, s’il ressort des pièces du dossier que seules deux personnes publiques ont donné un avis positif au projet, les avis des autres personnes publiques consultées sont réputés favorables en l’absence de réponse dans le délai de deux mois.
10. D’autre part, les dispositions du II de l’article R. 122-17 du code de l’environnement imposent que les PPRN fassent l’objet d’un examen au cas par cas destiné à déterminer s’ils doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement.
11. Il ressort des pièces du dossier que l’autorité environnementale a dispensé le projet de PPRN d’une évaluation environnementale, par une décision du 29 août 2017, versée au dossier de première instance.
12. En sixième lieu, les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier soumis à enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette enquête, que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou, si elles ont été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative.
13. Si le requérant persiste en appel à mettre en cause la lisibilité du dossier soumis à enquête publique, en se prévalant de certaines observations du commissaire enquêteur et de ce que la commune elle-même a fait part de possibles incompréhensions et malentendus à venir pour les habitants, les éléments dont il fait état ne permettent nullement d’établir que le dossier serait incomplet, inexact ou incohérent. Contrairement à ce qui est soutenu, le bâtiment de M. B… est représenté sur la carte de zonage réglementaire et la carte de l’aléa avalanches, ayant motivé le classement des parcelles en litige, cadastrées section OE n°833, 834, 835, 2430 et 2434.
14. En septième et dernier lieu, le requérant soutient que le classement de ces parcelles, en zone rouge-inconstructible du PPRN est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
15. Il ressort des pièces du dossier que les parcelles en litige sont situées dans le secteur Le Crêt de La Savinaz, classées en zone constructible dans le précédent PPRN, et désormais en zone rouge, car concernées par l’avalanche du Crêt. Le nouveau zonage s’appuie notamment sur une modélisation numérique RAMMS de l’avalanche de référence, avec un mode numérique de terrain (MNT) plus détaillé que celui utilisé en 2002 par l’étude alors conduite par le cabinet Toroval, qui avait conclu à un risque faible. Sont mieux prises en compte les particularités du terrain susceptibles d’influencer la propagation des avalanches, en particulier la plate-forme EDF. Ainsi que l’a fait valoir le préfet en première instance, cette plate-forme dissipe une partie de l’énergie cinétique de l’avalanche qui ne peut plus aller aussi loin dans la combe du Crêt que l’avalanche historique du début du XXème siècle classée en aléa centennal, ce qui a conduit, malgré l’absence de réalisation d’ouvrage de protection, à la réduction de l’aléa dans cette combe par rapport au zonage du précédent PPRN, qui apparaît très efficace pour arrêter les éventuelles coulées de neige humide mais en cas d’avalanche de neige sèche et fluide, n’est pas suffisante pour réduire la pression de l’impact de l’avalanche sous le seuil des 30kPa sur la ferme de M. B….
16. Le requérant ne démontre pas davantage en appel qu’en première instance que le scénario de référence retenu dans le cadre de l’élaboration du PPRN ne serait pas pertinent.
17. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que les simulations numériques d’écoulement effectuées avec le programme RAMMS seraient erronées. En effet, s’agissant de l’estimation de l’épaisseur moyenne mobilisable par l’avalanche de référence, M. B… se borne à indiquer qu’elle ne serait pas justifiée ni ne résulterait d’une étude statistique des chutes de neige, en se prévalant de l’étude réalisée par le bureau Toraval en novembre 2020 qui ne propose pas d’autres données concernant la nivométrie locale. Le requérant ne démontre pas davantage qu’une erreur d’interprétation des résultats aurait été commise en assimilant la pression au sein de l’écoulement à la pression d’impact contre un obstacle. M. B… persiste en appel à soutenir que le calcul d’aléa est nécessairement faussé en raison de la prise en compte de la présence de matériaux sur ladite plate-forme, qui constitue une modification non pérenne de la topographie du terrain dès lors que ces derniers peuvent changer d’emplacement et de hauteur, au gré des activités de l’entrepreneur. Il produit à hauteur d’appel un constat d’huissier démontrant l’augmentation de la surface de stockage de matériaux en bordure de la plateforme. Cependant, le tribunal a relevé, sans être sérieusement critiqué sur ce point, que le requérant n’établit pas l’influence déterminante sur la simulation numérique d’écoulement de l’avalanche effectuée avec le programme RAMMS de ces matériaux, alors que le service de restauration des terrains en montagne (RTM) indique qu’il s’agit d’un faible obstacle vis-à-vis de la largeur d’écoulement, et que l’effet de frein, au profit d’ailleurs de la ferme B…, est très limité.
18. Il ressort du rapport de présentation du PPRN que l’analyse l’avalanche du crêt ne repose pas uniquement sur une modélisation numérique dès lors que cet outil a été croisé avec une analyse historique et spatiale du secteur. Si le requérant se prévaut des conclusions des cabinets Goeformer et Toraval, selon lesquelles les résultats des simulations numériques auraient occupé une place démesurée dans le raisonnement du chargé d’étude, alors, selon eux, que le zonage aurait dû résulter d’une synthèse équilibrée de ces multiples approches, il fait également reproche au PPRN de s’être fondé sur un unique témoignage ne reposant, selon lui, sur aucun fondement historique. Toutefois, sur ce point, le jugement n’est pas sérieusement critiqué en ce qu’il a relevé qu’il ressort du rapport de présentation du PPRN que le témoignage du père d’… concernant l’avalanche du début du XXième siècle renseigne uniquement sur la capacité du versant à produire des avalanches coulantes mais n’a pas été utilisé pour calquer l’évènement sur le terrain actuel en raison de l’évolution de celui-ci. En outre, il ressort du rapport de présentation que trois visites de terrain ont été organisées sur le secteur de la Savinaz les 28 octobre 2016, 2 février 2017, et 30 mars 2017. Le travail de photo-interprétation a été réalisé. Le requérant ne peut déduire du seul fait qu’un examen minutieux des clichés aériens de l’IGN n’a pas été effectué que l’analyse spatiale n’aurait pas été conduite avec suffisamment de rigueur.
19. Dans ces circonstances, et sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise, M. B… n’est pas fondé à soutenir que le classement de ses parcelles en zone exposée à un aléa fort et, par suite, en zone  » rouge  » du PPRN, lequel résulte d’une approche globale combinant analyse numérique, historique et spatiale, procèderait d’une erreur manifeste d’appréciation.
20. Il résulte de tout ce qui précède que M. B… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B… est rejetée

ICHN – Refus illégal – Critères d’éligibilité – Autorités compétentes

 

CAA de LYON – 3ème chambre

  • N° 22LY02593
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 12 juin 2024

Président

  1. TALLEC

Rapporteur

Mme Bénédicte LORDONNE

Rapporteur public

  1. DELIANCOURT

Avocat(s)

LAUMET

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L’EARL La Croix de Renod a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a refusé le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux.

Par un jugement n° 2001791 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 août 2022 et 12 janvier 2023, l’EARL La Croix de Renod, représentée par Me Laumet, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 juin 2022 ;
2°) de faire droit à ses conclusions de première instance ;
3°) de mettre une somme de 4 000 euros à la charge de la Région Auvergne Rhône-Alpes et de l’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que c’est à tort que la décision en litige et le tribunal administratif ont cru devoir faire application de l’instruction technique DGPE/SDPAC/2017-52 du 10 janvier 2017 du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ; seul un arrêté conjoint adopté par deux ministres, et non une simple instruction technique prise par un seul ministre, peut préciser les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux ; l’instruction technique du 10 janvier 2017 méconnaît les dispositions de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime ; elle n’est pas la norme règlementaire visée à l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime ; elle n’est pas une règle exposée dans le  » cadre national « , notion qui n’a pas à être amalgamée avec celle de droit national ; en tout état de cause, aucune règle nationale ne peut venir limiter les règles d’éligibilité de l’Union européenne ; l’instruction technique du 10 janvier 2017 ajoute un critère et va donc au-delà de la seule précision autorisée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2022, la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par la SELARL Philippe Petit et associés, agissant par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés sont infondés.

Par une ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 31 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ;
– le décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère ;
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
– et les observations de Me Laumet pour l’EARL La Croix de Renod ainsi que celles de Me Frigière pour la région Auvergne Rhône-Alpes.

Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré, présentée pour l’EARL La Croix de Renod, enregistrée le 29 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. L’EARL La Croix de Renod relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a refusé le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l’article 6 du règlement (UE) n° 1305/2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) :  » 1. Le Feader agit dans les États membres à travers les programmes de développement rural. Ces programmes mettent en œuvre une stratégie visant à répondre aux priorités de l’Union pour le développement rural grâce à un ensemble de mesures, définies au titre III. Un soutien auprès du Feader est demandé pour la réalisation des objectifs de développement rural poursuivis dans le cadre des priorités de l’Union. / 2. Un État membre peut présenter un programme unique couvrant tout son territoire ou une série de programmes régionaux. (…) / 3. Les États membres ayant opté pour des programmes régionaux peuvent aussi présenter pour approbation, conformément à l’article 10, paragraphe 2, un cadre national contenant les éléments communs de ces programmes sans procéder à une dotation budgétaire distincte (…) « . Par ailleurs, aux termes du paragraphe 2 de l’article 10 du même règlement :  » Chaque programme de développement rural est approuvé par la Commission au moyen d’un acte d’exécution « .
3. Pour la période 2014-2020, l’article 78 de la loi n° 2014-78 du 27 janvier 2014 relative à la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles confie à l’échelon régional l’élaboration de programmes de développement rural régionaux (PDRR), dont les fonctions d’autorité de gestion sont confiées aux régions. Aux termes du III de cet article  » Pour le Fonds européen agricole pour le développement rural, un décret en Conseil d’Etat précise en tant que de besoin les orientations stratégiques et méthodologiques pour la mise en œuvre des programmes. Il définit celles des dispositions qui doivent être identiques dans toutes les régions (…) « .
4. Aux termes de l’article 1er du décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020 :  » Les orientations stratégiques et méthodologiques mentionnées au premier alinéa du III de l’article 78 de la loi du 27 janvier 2014 susvisée pour la mise en œuvre, en France métropolitaine (…) des programmes de développement rural, sont fixées dans les annexes au présent décret. (…) « . Si les premiers juges ont mentionné, à tort, l’annexe II du décret du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020, l’annexe I de ce décret précise en son point 2.2 que le contenu obligatoire de l’ICHN concerne notamment  » les conditions d’éligibilité des demandeurs, liées à l’exploitation et liées à l’exploitant « . Elle prévoit que le type de bénéficiaires, les surfaces éligibles ainsi que les modalités de rémunération et de financement de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) inscrite dans les programmes de développement rural régionaux (PDRR) sont fixés au niveau national, au sein du cadre national, ainsi que le permet le 3 de l’article 6 du règlement du 17 décembre 2013. Ce décret donne ainsi effet aux dispositions du cadre national.
5. Aux termes de l’article D. 113-18 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue de l’article 1er du décret du 1er août 2016 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées :  » Peuvent bénéficier des aides compensatoires de handicaps naturels et spécifiques, dans les conditions prévues par le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux de la France prévus aux 2 et 3 de l’article 6 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) pour la période 2015-2020 et approuvés par la Commission européenne, les agriculteurs actifs au sens de l’article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique commune et de l’article D. 615-18 « . Aux termes de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du même décret :  » Le calcul des aides allouées à chaque agriculteur est effectué selon les règles définies par le programme de développement rural régional de la région où sont situées les surfaces agricoles de l’exploitation bénéficiaire et, le cas échéant, par le cadre national mentionné à l’article D. 113-18. / Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et du budget détermine les modalités de définition des sous-zones à l’intérieur de chaque zone défavorisée. Cet arrêté précise, en tant que de besoin, les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux. Il détermine les surfaces et les catégories de cheptel retenues pour le calcul du taux de chargement lorsqu’un tel critère est prévu par le cadre national ou le programme de développement rural régional applicable à la région concernée. (…) « .
6. Le cadre national du programme de développement rural approuvé par la commission européenne le 30 juin 2015, disponible sur le site du ministère de l’agriculture et de l’alimentation dans une rubrique dédiée au fonds européen agricole pour le développement rural, précise, en application des dispositions combinées du 3 de l’article 6 du règlement et de l’annexe I du décret du 16 avril 2015, les conditions d’admissibilité, pour l’indemnité compensatoire de handicaps naturels. Il prévoit notamment, au titre de l’éligibilité du demandeur :  » (…) Détenir un cheptel d’au moins 3 UGB en production animale (…) « .
7. Pour rejeter la demande l’EARL La Croix de Renod tendant à bénéficier, au titre de la campagne 2015, de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels et spécifiques, le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes lui a opposé le fait que le critère d’éligibilité hivernale prévu par le point 4.4 de l’instruction technique du ministère de l’agriculture du 10 janvier 2017, n’était pas rempli.
8. Le point 4.4 de cette l’instruction technique prévoit que  » Afin de s’assurer de l’effectivité de l’activité agricole pendant la période d’hivernage, le seuil de 3 UGB minimum pour l’éligibilité, tel que décrit au §2.1.2 (avec en particulier les conditions d’éligibilité à respecter pour les équidés) devra également être respecté pendant la période du 1er décembre au 1er avril « . Comme le soutient l’EARL La Croix de Renod, l’instruction technique dont il a été fait application ne s’est pas bornée à appliquer les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national, qu’elle a précisées en imposant la détention d’un cheptel de trois UGB minimum au cours de la période du 1er décembre au 1er avril, alors que les dispositions de l’article D. 113-19 du code rural et de la pêche maritime prévoient dans une telle hypothèse l’intervention d’un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et du budget.
9. Il résulte de ce qui précède que l’EARL La Croix de Renod est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d’injonction :

10. Le présent arrêt implique seulement que le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes procède au réexamen de la demande de l’EARL La Croix de Renod tendant au bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, et prenne une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la région Auvergne-Rhône-Alpes demande au titre des frais qu’elle a exposés soit mise à la charge de l’EARL La Croix de Renod, qui n’est pas partie perdante. En application de ces mêmes dispositions, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la défenderesse le versement d’une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’EARL La Croix de Renod.

D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001791 du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Grenoble, la décision du 29 novembre 2019 par laquelle le président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes a refusé à l’EARL La Croix de Renod le bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, ensemble la décision du 3 février 2020 de rejet de son recours gracieux, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au président du conseil régional Auvergne Rhône-Alpes de procéder au réexamen de la demande de l’EARL La Croix de Renod tendant au bénéfice des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) pour la campagne 2015, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt.
Article 3 : La région Auvergne-Rhône-Alpes versera une somme de 2 000 euros à l’EARL La Croix de Renod au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l’EARL La Croix de Renod et à la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Délibéré après l’audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
La rapporteure,
Bénédicte LordonnéLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Sandra Bertrand
La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 22LY02593

Piste de ski mise à la disposition d’un club – Accident – Répartition des responsabilités exploitant/ association

28 mai 2024
Cour d’appel de Grenoble
RG n° 22/03538

S.A.S. AWP FRANCE

Le 12 février 2011, dans la station de ski des [16], sur la commune des Adrets (Isère), Mme [G] [N] a été victime d’un grave accident de ski lors d’un entraînement de slalom géant organisé par son club, l’association GUC Grenoble ski.

Mme [N] a saisi le juge des référés qui, par une ordonnance du 22 février 2017, a instauré une expertise médicale confiée au docteur [L]. L’expert a déposé son rapport le 15 septembre 2017.

Par assignations des 21 et 22 mars 2018, et du 24 novembre 2020, Mme [N] a saisi le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins d’indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 22 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

– jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont Mme [G] [N] a été victime le 12 février 2011 ;

– fixé comme suit le préjudice de Mme [G] [N] causé par cet accident :

dépenses de santé actuelles : 69 066,91 euros ;

frais divers : 1 517,80 euros ;

assistance par tierce personne temporaire : 3 380,62 euros

incidence professionnelle : 60 000 euros

préjudice universitaire : 4 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282,50 euros ;

souffrances endurées : 30 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 51 800 euros ;

préjudice d’agrément : 30 000 euros ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 69 066,91 euros en remboursement de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2020 et capitalisation de ceux dus au moins pour une année entière ;

– débouté l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C de toutes leurs demandes ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la SEM des 7 Laux la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum l »association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et une indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C aux entiers dépens, lesquels seront distraits au profit de la Selarl Europa en application de l’article 699 du code de procédure civile pour ceux dont il a été fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante.

Par déclaration d’appel en date du 30 septembre 2022, la SAS AWP France et l’association GUC Grenoble ski ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

La caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère a interjeté appel incident par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2023.

Mme [G] [N] a interjeté appel incident par conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2023.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 juin 2023, les appelantes demandent à la cour de :

– à titre principal, réformer le jugement entrepris en ce que l’association GUC Grenoble ski a été déclarée entièrement responsable de l’accident subi par Mme [N] le 12 février 2011, et statuant à nouveau :

juger que Mme [N] ne rapporte pas la preuve d’une faute qui serait imputable à l’association GUC Grenoble qui serait en lien avec sa chute et ses blessures subies lors de sa participation à l’entraînement organisé sur une piste exploitée par la société d’aménagement des Sept-Laux sur le territoire de la commune des Adrets le 12 février 2011 ;

débouter Mme [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur la compagnie AWP P&C ;

condamner Mme [N] à payer à l’association GUC Grenoble ski et à la compagnie AWP P&C la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner en outre aux entiers dépens de la procédure distraits au profit de la SELARL cabinet Laurent Favet avocat conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– à titre subsidiaire :

déclarer la SEM des Sept-Laux seule et entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident dont a été victime Mme [N] lors de l’entrainement au slalom géant survenu sur les pistes du [14] exploitées et entretenues par ladite société le 12 février 2011 ;

condamner la SEM des Sept-Laux à relever et garantir intégralement l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP N&C de l’ensemble des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre en principal, frais et accessoires au profit de Mme [G] [N] ;

débouter la SEM des Sept-Laux de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski et de la compagnie AWP P&C ;

condamner la SEM des Sept-Laux à payer à l’association GUC Grenoble ski et son assureur AWP P&C la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner en outre aux entiers dépens distraits au profit de la SELARL cabinet Laurent Favet avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– à titre plus subsidiaire :

condamner la SEM des 7 Laux à relever et garantir l’association GUC Grenoble ski et la compagnie AWP P&N des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre au profit de Mme [G] [N] dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 50 % ;

réformer le jugement entrepris en ce qui concerne l’évaluation du préjudice corporel de Mme [N] en lien avec son accident du 12 février 2011 et statuant à nouveau, fixer le préjudice de Mme [N] en lien avec son accident de la façon suivante :

frais divers : 1 517.80 euros ;

assistance tierce personne temporaire : 2 574 euros ;

incidence professionnelle : 20 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282.50 euros ;

souffrances endurées : 20 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 40 000 euros ;

préjudice d’agrément : 5 000 euros ;

débouter Mme [N] de ses demandes plus amples ou contraires, notamment de son appel incident concernant ses demandes au titre de l’assistance par tierce personne temporaire, le préjudice universitaire et le déficit fonctionnel temporaire ;

réduire à de plus justes proportions les sommes allouées à Mme [N], et à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’ISERE au titre de leurs frais irrépétibles ;

débouter la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère de son appel incident non fondé s’agissant des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

statuer ce que de droit sur les dépens distraits au profit des avocats de la cause.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 juillet 2023, Mme [G] [N] demande à la cour de :

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont elle a été victime le 12 février 2011 ;

– dire qu’elle a commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité lors de l’entraînement de ski organisé le 12 février 2011 ;

– dire qu’elle engage sa responsabilité contractuelle à sonégard de Mme [G] [N] ;

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a fixé comme suit son préjudice :

dépenses de santé actuelles : 69 066,91 euros ;

frais divers : 1 517,80 euros ;

incidence professionnelle : 60 000 euros ;

souffrances endurées : 30 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 51 800 euros ;

préjudice d’agrément : 30 000 euros ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a fixé comme suit son préjudice :

assistance par tierce personne temporaire : 3 380,62 euros ;

préjudice universitaire : 4 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282,50 euros ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– statuant à nouveau :

fixer comme suit son préjudice:

assistance par tierce personne temporaire : 4 000 euros ;

préjudice universitaire : 7 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 15 440 euros ;

préjudice esthétique permanent : 3 000 euros

condamner en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 202 757,80 euros en indemnisation de son préjudice ;

condamner in solidum le club GUC Grenoble ski et la société AWP P&C, assureur du GUC Grenoble ski, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023, la SEM 7 Laux demande à la cour de :

– à titre principal :

confirmer la décision de première instance en date du 22 septembre 2022 ;

rejeter l’ensemble des réclamations formulées par l’association GUC Grenoble ski et son assureur, à l’encontre de la SEM des 7 Laux ;

condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à la SEM des 7 Laux la somme de 3 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, distraits au profit de la SELARL Europa avocats, sur son affirmation de droit ;

– à titre subsidiaire, si la cour devait estimer que la SEM des 7 Laux engage sa responsabilité à l’égard de Mme [N] :

condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur, à relever et garantir la SEM des 7 Laux à hauteur de 50 % des sommes qui pourront éventuellement être mises à sa charge, en principal, intérêts et accessoires de toute nature, en raison des manquements fautifs causés par l’association GUC Grenoble ski ;

rejeter la demande de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur tendant à voir condamner la SEM des 7 Laux, à les relever et garantir à hauteur de 50 % des sommes qui pourront éventuellement être mises à leur charge, en principal, intérêts et accessoires de toute nature, au profit de Mme [N] ;

rejeter la demande de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur tendant à voir condamner la SEM des 7 Laux à leur verser la somme de 4 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– à titre infiniment subsidiaire :

allouer à Mme [N] les sommes suivantes qui seront déclarées satisfactoires :

1 517,80 euros au titre des frais divers ;

3 600 euros au titre de l’assistance par tierce personne à titre temporaire ;

20 000 euros au titre de l’incidence professionnelle ;

9 938,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

25 000 euros au titre des souffrances endurées ;

51 800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

rejeter le surplus des réclamations de Mme [N], notamment s’agissant du préjudice universitaire, ou du préjudice d’agrément ;

– en tout état de cause, condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à la SEM des 7 Laux la somme de 3 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, distraits au profit de la SELARL Europa avocats, sur son affirmation de droit.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère demande à la cour de :

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à rembourser à la caisse la somme de 69 066,91 euros correspondant à ses débours définitifs, outre intérêts au taux légal à compter de la demande et anatocisme ;

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère la somme de 1 080 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion ;

– réformer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance maladie la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère, représentée par son mandataire de gestion la caisse primaire d’assurance-maladie du Rhône, la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;

– en tout état de cause :

condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère, représentée par son mandataire de gestion la caisse primaire d’assurance-maladie du Rhône, la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C, aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’Union interrégion techn soc édud mutu (SMERRA), intimée citée à personne habilitée, n’a pas constitué avocat ; le présent arrêt est réputé contradictoire.

1. Sur l’action en responsabilité de Mme [G] [N] à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski

Moyens des parties

L’association GUC Grenoble ski et son assureur la SAS AWP France soutiennent que les premiers juges n’ont pas caractérisé la faute imputée à l’association tout en éludant la propre faute commise par la victime Mme [N], de même qu’ils n’ont pas établi le lien de causalité entre la prétendue faute commise et le préjudice subi par cette dernière. Elles soutiennent également que la juridiction de première instance s’est mépris sur la portée de l’arrêté municipal relatif à la sécurité des pistes de ski en ce que la piste était bien ouverte et donc sous la responsabilité de l’exploitant.

La SEM des 7 Laux soutient que sa responsabilité ne peut pas être engagée et qu’il appartient à la seule association de veiller à la sécurité de ses adhérents pendant le temps de l’entraînement, et nullement à l’exploitant de la piste, qui est fermée, même temporairement, au public, et réservée aux clubs.

Mme [G] [N] soutient que l’association GUC Grenoble ski a manqué à son obligation de sécurité à son égard alors qu’il lui appartenait, en tant qu’organisateur de l’entraînement, conformément aux dispositions de l’arrêté municipal du 13 décembre 2010, de mettre en place un dispositif de sécurité approprié. Bien qu’ayant connaissance du caractère potentiellement dangereux de cette portion de piste, accentué par le manque de neige, elle a laissé l’entraînement se dérouler. Elle souligne une négligence du club qui a autorisé la tenue d’un entraînement de slalom géant dans des conditions non réglementaires (largeur de la piste, placement des portes). Le port d’un équipement de protection individuelle adapté n’est pas de nature à dispenser le club de prendre toutes les mesures de prudence. Son propre comportement n’a pas été remis en cause et il n’est pas établi une faute de sa part.

Réponse de la cour

En cause d’appel, Mme [G] [N] ne sollicite plus la condamnation in solidum de l’association GUC Grenoble ski et de la SEM des 7 Laux, mais la confirmation de la condamnation de la seule association GUC Grenoble ski.

Par suite, l’association GUC Grenoble ne peut invoquer la responsabilité de la SEM des 7 Laux pour faute que dans le cadre de son action en garantie à l’encontre de celle-ci.

Selon l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Les clubs sportifs sont tenus envers leurs membres et adhérents d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence et doivent réparation du dommage qui, sans leur faute, ne se serait pas réalisé (Civ. 1ère, 22 mai 2008, n° 07-10.903).

Il s’agit d’une obligation de moyens, qui s’apprécie toutefois avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux (Civ. 1ère, 16 octobre 2001, n° 99-18.221).

Il est constant que Mme [G] [N] a participé le 12 février 2011 à un entraînement de slalom géant organisé par son club de ski, l’association GUC Grenoble ski, sur la piste du ‘[13]’ sur le domaine des 7 Laux.

La piste exploitée par la SEM des Sept Laux était alors occupée par deux clubs de ski pour des entraînements au slalom : l’association GUC Grenoble ski et le CO 7Laux.

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, les circonstances de l’accident survenu le 12 février 2011 sont établies précisément par le témoignage de M. [U], qui a assisté à la chute, et par celui de M. [K], qui est le premier intervenant.

Il en ressort qu’alors qu’elle effectuait une seconde descente, Mme [N] a chuté au niveau du deuxième mur du tracé, situé à droite de la piste ‘[13]’ en descendant, tandis qu’elle évoluait sur une neige dure à une vitesse estimée à environ 70 km/h, pour finalement s’immobiliser en dehors de la piste, dans un ravin situé cinq mètres encontrebas.

Mme [G] [N] a présenté de graves lésions : un traumatisme crânien avec perte de connaissance, un traumatisme facial avec plaie du scalp, un traumatisme rachidien avec fracture de T6 déplacée, recul du mur postérieur, éclatement du corps vertébral, et un traumatisme thoracique. Il n’est pas sérieusement contestable que ces lésions trouvent leur origine dans la sortie de piste de la victime, et non seulement dans sa chute sur celle-ci.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la chute de Mme [G] [N] sur la piste puis dans le ravin selon les parties : une faute de carre de sa part, un défaut de sécurisation de la piste, un mauvais choix dans le tracé du slalom, l’état de piste.

– sur la faute de carre :

La chute initiale de Mme [N] est très probablement due à une faute de carre, c’est à dire une erreur qui consiste à perdre l’équilibre à la suite de l’appui de la jambe sur la carre non porteuse.

Cependant, cette erreur, courante dans la pratique du ski, ne suffit pas à caractériser une faute civile, s’agissant d’une simple maladresse ou négligence et non d’un acte délibéré.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur ne rapportent ainsi pas la preuve de ce que Mme [G] [N], décrite par son club de ski comme une skieuse aguerrie, disposant de l’équipement de protection individuelle recommandé (casque et dorsale), aurait commis une faute de nature à exonérer l’organisateur de l’entraînement de sa propre responsabilité.

– sur la sécurisation de la piste :

Il ressort du témoignage de M. [X] [U], témoin de la chute, que ‘la combe dans laquelle est partie [G] [N] comportait une souche d’arbre et un rocher sur la trajectoire de sa chute’.

M. [O] [R], entraîneur de l’association GUC Grenoble ski, qui a réalisé le tracé du slalom, atteste avoir demandé oralement au service des pistes ‘la pose de filets sur la partie basse de la piste’, et avait relevé lui-même que ‘cette partie peu enneigée à cette période aurait nécessité une protection en cas de sortie de piste comme ça a été le cas pour Melle [N]’. Selon lui, la ‘station’ lui aurait répondu que ‘la piste avait été aménagée comme stade de slalom, sans nécessité de filets’ lesquels demandent un entretien quotidien.

Le cabinet Eurisk, mandaté par l’assueur de la SEM des Sept-Laux, indique qu’aucun courrier ou mail n’a été transmis à la SEM concernant une demande de moyens pour la pose de filets complémentaires avant l’accident, ce qui n’est pas contesté par l’association GUC Grenoble ski.

Aux termes d’un courrier du 25 mars 2011 adressé au directeur de la société des téléphériques des 7 Laux, les co-présidents de l’association GUC Grenoble ski ont admis : ‘cette skieuse a chuté dans le tracé du slalom, mais la gravité de ses blessures est due à sa sortie de piste’. Ils évoquent également une sortie de piste similaire concernant un enfant adhérent de l’association.

Selon un rapport de ré-homologation du 4 septembre 2009, la fédération française de ski a homologué la piste de ski ‘le [13]’ tout en relevant concernant les lieux de l’accident : ‘altitude 1600 une rangée de 30 mètres de filet de type ‘B’ serait souhaitable sur le côté droit en descendant pour les épreuves de géant’.

Il est également mentionné que de gros travaux ont été effectués, portant la largeur de la piste à plus de 40 mètres, ce qui ‘améliore de façon significative la sécurité’.

Le cabinet Eurisk, mandaté par la SEM des Sept Laux, a cependant relevé que la suggestion de pose de filets de type ‘B’ correspond à des ‘filets de compétition ne correspondant pas des filets pour une exploitation courante et normale publique’.

Même si le rapport de la FFS ne crée aucune obligation à l’égard de l’association GUC Grenoble ski s’agissant de l’installation de filets, il ressort de ce qui précède que l’entraîneur en charge de l’entraînement pour l’association GUC Grenoble ski avait conscience du danger présenté par la présence d’une zone identifiée comme dangereuse en l’absence de filets de sécurité. Il n’a cependant ni attiré l’attention des participants sur l’existence de ce danger ni envisagé de reporter l’entraînement.

Par ailleurs, un arrêté municipal du maire de la commune des Adrets en date du 13 décembre 2010 dispose en son article 4 in fine:

« Les entraînements et compétitions sur les pistes de ski ouvertes au public sont interdites. De manière dérogatoire, et à titre exceptionnel, le service des pistes peut autoriser de telles activités à condition qu’un dispositif de sécurité approprié soit mis en place par l’organisateur de ces activités ».

Il appartenait donc à l’association GUC Grenoble d’assurer la mise en place d’un ‘dispositif de sécurité approprié’ et en l’espèce a minima de filets de sécurité sur la zone dangereuse repérée par le traceur.

– sur le choix du tracé du slalom :

Il est constant que le tracé du slalom a été réalisé par M. [R], entraîneur de l’équipe.

Selon M. [I] [K], participant à l’entraînement, un slalom spécial étant tracé sur la gauche de la piste, le tracé du géant passait sur la partie droite de la piste. Ce tracé n’était pas particulièrement proche du bord de la piste.

Selon le cabinet Eurisk, mandaté par la SEM des Sept-Laux, ‘le tracé réalisé par le GUC était un tracé tournant diminuant certes la vitesse mais augmentant le déport en cas de faute de quart sur un passage de porte de géant’. Il a également relevé que la piste était exploitée par deux clubs de ski alpin bien qu’elle soit homologuée pour un seul tracé, ‘ce qui donne par voie de conséquence des espaces d’échappement en cas de chute plus importants’.

Le ‘livret traceur national’ établi par la fédération française de ski dans le cadre de la ‘formation des cadres alpins’, sans valeur normative, mais qui renseigne sur les bonnes pratiques en la matière, recommande (pièce n° 40 de Mme [N] – page 6) :

‘En compétition, le coureur skie à la limite supérieure de ses capacités techniques, les risques de chute ou de sortie de piste sont ainsi augmentés.

Le traceur doit tenir compte de ce fait.

En cas de chute ou de sortie du tracé sur faute, le coureur peut être propulsé vers un obstacle. Le danger sera d’autant plus grand que l’obstacle sera plus rapproché, la vitesse plus grande, le sol dur et glacé.

Par la disposition judicieuse de son piquetage, le traceur devra :

– faire aborder les parties difficiles et dangereuses de la piste à vitesse contrôlée ; il faut alors arrondir le tracé en amont ;

– placer chaque porte en prenant conscience de la zone d’échappement en cas de chute ou de sortie (zone de sécurité) ;

– changer l’axe du tracé pour s’éloigner d’un obstacle.’

Or en l’espèce il est établi qu’une porte se trouvait dans la zone identifiée comme dangereuse, augmentant le risque de déport. Le traceur n’a ainsi pas anticipé qu’une chute ou une sortie de piste conduirait dans le ravin, alors même que la piste était partagée avec un autre tracé, réduisant les possibilités d’échappement en cas de sortie du tracé.

Par suite, il est établi une faute commise par le traceur de l’association GUC Grenoble ski en ce qu’il n’a pas tenu compte de l’existence de la zone dangereuse dans le choix du tracé et le positionnement de l’une des portes, ce qui a nécessairement conduit à la réalisation du dommage.

– sur l’état de la piste (neige dure, manque d’enneigement) :

Il ressort du témoignage de M. [X] [U], témoin direct de l’accident : ‘la piste avait été bien préparée par les dameurs la nuit. La neige était dure mais sans caractère anormal et les conditions climatiques étaient classiques pour un slalom géant sur cette partie de la piste. La visibilité était bonne. Il n’y avait pas de plaques de glace ou de cailloux sur la piste à cette heure-ci (10 heures)’.

Selon le rapport du cabinet Eurisk mandaté par la SEM des Sept Laux, les chutes de neige avaient été absentes sur le domaine skiable du 15 janvier 2011 au 15 février 2011. La neige était donc une neige dure.

Cependant, il n’est pas établi que la dureté de la neige serait à l’origine de l’accident, et en particulier de la chute de Mme [N] dans un ravin.

Il n’est pas davantage démontré que le déficit en enneigement aurait joué un rôle causal dans l’accident dont a été victime Mme [N].

Par suite, il est établi que l’association GUC Grenoble ski a manqué à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [G] [N], en ce qu’ayant connaissance de la dangerosité du lieu de l’accident, elle n’a pas tenu compte de cela pour la réalisation du tracé du slalom, ni procédé ou fait procéder à l’installation de filets, ni renoncé à la tenue de l’entraînement, ni attiré l’attention de son adhérente sur ce danger.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a reconnu la responsabilité de l’association GUC Grenoble ski dans l’accident dont a été victime Mme [G] [N].

2. Sur l’action en garantie de l’association GUC Grenoble ski à l’encontre de la SEM des Sept Laux

Moyens des parties

L’association GUC Grenoble ski et son assureur, la SAS AWP France SAS, soutiennent à titre subsidiaire que c’est bien la personne morale qui s’est vue confier par la commune des Adrets l’aménagement et l’exploitation des pistes de ski qui doit veiller à ce que celle-ci ne comportent pas en leur sein de dangers excesifs au sens de la norme, c’est à dire des dangers contre lesquels les skieurs ne seraient pas en mesure de se prémunir eux-mêmes par leur propre prudence. La piste du [13] n’était pas fermée, ce qui ne mettait pas fin à son obligation de contrôle de protection et de surveillance.

La SEM des Sept Laux soutient qu’elle n’est pas responsable dans la survenance de l’accident dont a été victime Mme [N] en ce qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un manquement de l’exploitant à son obligation de sécurité de moyen, dès lors que la piste était fermée au public. Elle soutient qu’il existe un transfert des obligations s’agissant du dispositif de sécurité en application des articles 4 et 5 de l’arrêté municipal. Seule l’association GUC Grenoble ski se devait de tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité de ses adhérents. Elle rappelle que la piste a été homologuée par la fédération française de ski. Elle fait valoir qu’il n’est pas rapporté la preuve de ce que l’association GUC Grenoble ski aurait demandé une sécurisation de la zone de l’accident.

Réponse de la cour

Selon l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L’exploitant d’une piste de ski est tenu d’une obligation de sécurité de moyen à l’égard des pratiquants (Civ. 1ère, 5 juillet 2017, n° 16-20.363).

Un arrêté municipal du maire de la commune des Adrets en date du 13 décembre 2010 dispose en son article 4 in fine:

« Les entraînements et compétitions sur les pistes de ski ouvertes au public sont interdites. De manière dérogatoire, et à titre exceptionnel, le service des pistes peut autoriser de telles activités à condition qu’un dispositif de sécurité approprié soit mis en place par l’organisateur de ces activités ».

L’article 5 de cet arrêté précise :

« Le service de la sécurité des pistes assure l’ouverture, le contrôle et la fermeture quotidienne des pistes aux pratiquants.

Le contrôle de pistes de ski alpin a pour objet de vérifier, avant et pendant l’ouverture aux pratiquants, qu’elles peuvent être ouvertes ou maintenues ouvertes, et notamment :

qu’elles ne présentent pas, sur leur parcours, de danger d’un caractère anormal ou excessif ;

que les dispositifs de balisage, de signalisation, d’information et de protection sont mis en oeuvre ;

que les secours y sont assurés.

Les pistes sont fermées en fin d’exploitation journalière, après vérification par tous moyens appropriés qu’aucun pratiquant ne s’y trouve, blessé ou en difficulté. En cours d’exploitation, les pistes doivent être ferémes à partir du moment où leur contrôle montrerait que la sécurité des pratiquants n’y est plus assurée ; cette fermeture sera alors matérialisée par un dispositif adapté.

Dès lors qu’elles sont déclarées fermées, les pistes ne sont plus contrôlées, ni protégées ni surveillées ».

L’article 6 de cette arrêté ajoute :

« Les dangers de caractère normal sont signalés par un ou plusieurs jalons de signalisation de danger reliés entre eux ou pas et, si nécessaire, par un filet. Des danger répétitifs de cette nature sur une piste peuvent être signalés aux pratiquants par un panneau d’affichage approprié, installé avant l’entrée de la piste, notamment en cas de faible enneigement ».

Il est constant d’une part que la commune des Adrets a délégué l’exploitation et la gestion du domaine skiable à la SEM des Sept Laux, et d’autre part qu’au moment de l’accident, la piste était fermée aux autres usagers du domaine skiable pour n’être réservée qu’aux seuls membres de l’association GUC Grenoble ski et du CO 7 Laux.

Il n’existe pas de convention écrite fixant les droits et obligations de chacune des parties. Néanmoins, en dépit de l’absence d’explications des parties sur ce point, la SEM des Sept Laux et l’association GUC Grenoble ski sont nécessairement liées par un contrat consistant en la mise à disposition de la piste contre rémunération.

Contrairement à ce qu’a jugé la juridiction de première instance, il ne peut être considéré que sur le temps des entraînements comme des compétitions le club

est seul responsable, pour les activités sportives qu’il organise, de la sécurité sur la piste mise à sa disposition et fermée au public.

En effet, comme l’indique l’arrêté municipal susvisé, la piste du [13] n’était pas fermée pour un motif qui ne permettait plus d’assurer la sécurité des pratiquants (par exemple un défaut d’enneigement).

Elle était donc ouverte, même de manière restrictive, ce qui implique que la SEM des Sept Laux demeurait responsable de la sécurisation de la piste.

Alors que la dangerosité de la piste avait été identifiée sur les lieux de l’accident, conformément à l’article 6 de l’arrêté susvisé, il appartenait à la SEM des Sept Laux a tout le moins d’indiquer la présence d’un danger, voire d’assurer la pose de filets de sécurité qui auraient pu limiter le dommage subi par Mme [G] [N] lors de sa sortie de piste.

Par suite, la SEM des Sept Laux doit sa garantie à l’association GUC Grenoble ski pour les condamnations mises à la charge de cette dernière pour l’indemnisation de Mme [N].

Eu égard à la gravité de la faute commise par la SEM des Sept Laux et au cumul des fautes commises par l’association GUC Grenoble ski, il convient de dire que chacue d’elles est responsable de 50 % du dommage subi par Mme [N].

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et la SEM des Sept Laux sera condamnée à relever et garantir l’association GUC Grenoble ski à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.

3. Sur l’évaluation des préjudices subis par Mme [N]

Les postes contestés par les parties concernent les préjudices suivants :

– l’assistance tierce personne temporaire ;

– le préjudice universitaire ;

– l’incidence professionnelle ;

– le déficit fonctionnel temporaire ;

– les souffrances endurées ;

– le déficit fonctionnel permanent ;

– le préjudice esthétique permanent ;

– le préjudice d’agrément.

a) sur l’assistance par tierce personne temporaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite l’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros sur la base d’un coût horaire de 20 euros.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur offrent la somme de 2 574 euros sur base d’un coût horaire de 13 euros aux motifs que l’aide humaine apportée à Mme [N] n’était pas spécialisée.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 3 600 euros sur la base d’un coût horaire de 16 euros.

Réponse de la cour

Les parties ne contestent pas le besoin en aide humaine de Mme [N] tel qu’évalué par l’expert à deux heures par jour du 2 septembre 2011 au 1er décembre 2011 (91 jours) puis à deux heures par semaine du 2 décembre 2011 au 6 février 2012 (66 jours).

L’indemnisation de ce poste de préjudice ne saurait être réduite en cas d’assistance familiale ou bénévole (Civ. 2ème, 17 décembre 2020, n° 19-15.969).

Sur la base d’un taux horaire de 20 euros, le préjudice subi par Mme [N] peut être fixé à la somme de 4 017,14 euros [(91 x 2 x 20) + (66/7 x 2 x 20)].

L’évaluation demandée par Mme [N] à la somme de 4 000 euros doit donc être retenue.

b) sur l’incidence professionnelle

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 60 000 euros. Elle souligne le fait que l’accident a augmenté la pénibilité de son emploi et qu’elle doit avoir recours à des aménagements. Elle estime être dans l’incapacité de travailler à temps plein et aura du mal à trouver un autre poste de travail.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur proposent la somme de 20 000 euros aux motifs que Mme [N] ne verse aucune pièce à l’appui de ses allégations et que l’expert n’a retenu aucune incidence professionnelle à l’exception d’une certaine pénibilité et d’une fatigabilité.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 20 000 euros aux motifs que compte tenu de l’accident le poste de travail de Mme [N] doit nécessairement être adapté.

Réponse de la cour

Cette incidence professionnelle à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques dudommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raisonde sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore dupréjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

Il ressort du rapport d’expertise, non contesté sur ce point par les parties, que Mme [N], âgée de 25 ans au jour de la consolidation de ses blessures et désormais de 33 ans, subit un fatigabilité accrue du fait de son handicap et doit bénéficier d’aménagements.

Par ailleurs, elle subit nécessairement une dépréciation sur le marché du travail compte-tenu de son impossibilité d’exercer un métier comportant des contraintes physiques.

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a fait droit à la demande de la victime de fixer ce poste à la somme de 60 000 euros.

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, la caisse primaire d’assurance-maladie n’a servi aucune prestation à ce titre et il ne ressort pas des pièces versées aux débats que la mutuelle de la victime lui verserait une prestation d’invalidité, qui est la seule susceptible d’être imputée sur ce poste de préjudice en vertu de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

c) sur le préjudice universitaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 7 000 euros de ce chef aux motifs qu’elle a dû interrompre son année universitaire l’année de l’accident et n’a repris les cours qu’en octobre 2011 en aménageant ses horaires.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur concluent au débouté et soutiennent que Mme [N] reconnaît n’avoir subi aucun retard dans son parcours universitaire, ni aucune réorientation. Les efforts dont elle fait état sont d’ores et déjà intégré dans le déficit fonctionnel temporaire.

La SEM des Sept Laux conclut au débouté et soutient que Mme [N] a pu valider son année de STAPS et réussi une première année de Master mais ne justifie pas de ce qu’elle a dû accepter un Master 2 à [Localité 12] en raison de ses séquelles.

Réponse de la cour

Le préjudice scolaire ou universitaire indemnise la perte d’années d’études scolaires, universitaires ou de formation, consécutive à la survenance du dommage. Ce poste de préjudice intègre, en outre, le retard scolaire subi, mais aussi une possible modification d’orientation.

Au moment de l’accident, Mme [G] [N] était étudiante en 3ème année STAPS. Elle a interrompu son année universitaire pour ne reprendre les cours qu’en octobre 2011. Elle a poursuivi son cursus jusqu’au Master 2.

Si Mme [N] a réussi ses examens, les conditions de déroulement de la suite de ses études jusqu’à son retour en cours en octobre 2011 sont constitutives d’un préjudice, non indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, en ce qu’elle a subi une pénibilité dans la poursuite de ses études.

En revanche, Mme [N] ne rapporte pas la preuve de ce que son handicap est en lien avec la nécessité pour elle de poursuivre un Master 2 à [Localité 12].

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros.

d) sur le déficit fonctionnel temporaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 15 440 euros.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 10 282,50 euros.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 9 938,75 euros aux motifs que Mme [N] n’a pas été hospitalisée pendant toute la période de déficit fonctionnel temporaire retenue par l’expert.

Réponse de la cour

Ce poste de préjudice indemnise l’incapacité subie par la victime pendant toute la durée de la maladie traumatique, c’est-à-dire depuis le fait dommageable jusqu’à la date de la consolidation. Il correspond, outre la période d’hospitalisation, à ‘la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante’ (séparation de l’environnement familial et amical, privation des activités tant professionnelles que de loisirs, privation des activités en famille, préjudice sexuel).

L’expert a retenu les périodes de déficit fonctionnel temporaire suivantes :

– total du 12 février 2011 au 1er septembre 2011 (202 jours), correspondant aux différentes périodes d’hospitalisation, soit au CHU, soit en centre de rééducation ;

– partiel (à 50 % selon l’estimation du besoin en tierce personne) du 2 septembre 2011 au 1er décembre 2011 (91 jours) ;

– partiel à 30 % du 2 décembre 2011 au 6 février 2012 (67 jours) ;

– dégressif jusqu’à la consolidation fixée au 1er février 2016 (1455 jours).

Il est objectivé une période de déficit fonctionnel temporaire total dès lors qu’elle correspond non seulement à l’hospitalisation de la victime mais également à des périodes où elle se trouvait en centre de rééducation.

Sur la dernière période retenue par l’expert, le déficit fonctionnel temporaire partiel subi par Mme [N] peut être évalué à 25 % compte tenu de ce qu’il a ensuite été retenu un déficit fonctionnel permanent de 20 %.

Par suite, sur la base des périodes retenues par l’expert, il convient d’évaluer le préjudice subi par Mme [N] à la somme totale de 15 783,75 euros [(202 x 25) + (91 x 25 x 0,5) + (67 x 25 x 0,3) + (1455 x 25 x 0,25)].

Aussi convient-il de faire droit à la demande de Mme [N] tendant à fixer ce poste de préjudice à la somme de 15 440 euros.

e) sur les souffrances endurées

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la confirmation du jugement déféré qui a fixé ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros, pour tenir compte de la grande souffrance psychologique qu’a entraîné l’accident et sa prise en charge.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 20 000 euros pour réduire l’évaluation de ce poste de préjudice à de plus justes proportions.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 25 000 euros, la somme allouée par le tribunal lui paraissant excessive.

Réponse de la cour

L’expert a évalué ce poste de préjudice à 5,5 sur une échelle de 7.

Eu égard à la nature des blessures présentées par Mme [N] ensuite de l’accident et des souffrances physiques et psychologiques qu’elles ont engendré, c’est par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.

f) sur le déficit fonctionnel permanent

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 51 800 euros pour tenir compte de la persistance de douleurs physiques et psychologiques.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur offrent la somme de 40 000 euros.

La SEM des Sept Laux s’en rapporte à la décision de la cour.

Réponse de la cour

Le déficit fonctionnel permanent subi par Mme [N] a été évalué à 20 % par l’expert pour prendre en compte ‘à la fois les déficits fonctionnels permanents liés à toutes les conséquences ostéoarticulaires présentées par Mme [N] aussi bien au niveau des ceintures scapulaires, de l’ensemble du rachis et du reste du squelette et également les troubles cognitifs évoqués’.

L’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 51 800 euros apparaît de nature à assurer une réparation intégrale du préjudice subi par Mme [G] [N] en regard de son âge au jour de la consolidation de ses blessures.

g) sur le préjudice esthétique permanent

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 3 000 euros à ce titre en indiquant que le tribunal a omis de statuer sur cette demande qui n’est pas reprise dans le dispositif.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la confirmation du jugement déféré de ce chef.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 2 500 euros aux motifs que l’évaluation de ce poste par la juridiction de première instance serait excessive.

Réponse de la cour

L’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 3 000 euros apparaît de nature à assurer une réparation intégrale du préjudice subi par Mme [G] [N] en regard de la persistance d’une cicatrice sur le visage chez une jeune femme de 25 ans au jour de la consolidation de ses blessures.

Ainsi que l’a relevé Mme [G] [N], la juridiction de première instance a répondu à cette demande dans les motifs de sa décision mais a omis de mentionner ce poste de préjudice dans le dispositif fixant les différents postes et de l’additionner aux autres postes pour déterminer les sommes dues à Mme [N].

Il convient donc de compléter le jugement déféré sur ce point.

h) sur le préjudice d’agrément

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 30 000 euros à ce titre aux motifs qu’elle a dû arrêter brutalement sa carrière d’athlète de haut niveau.

L’association GUC Grenoble et son assureur demandent à la cour de rejeter la demande ou à tout le moins de la ramener à la somme de 5 000 euros dès lors que Mme [N] ne justifie pas de ses affirmations et notamment du fait qu’elle appartenait à l’équipe de France d’athlétisme pour la saison 2010-2011.

La SEM des Sept Laux conclut au débouté aux motifs que Mme [N] ne verse aux débats aucun élément permettant de justifier d’une carrière à haut niveau.

Réponse de la cour

Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.).

La Cour de cassation exige que la spécificité de l’activité régulière de loisir ou sportive soit démontrée (Civ. 2ème, 27 avril 2017, n° 16-13.340 ; 3 juin 2021, n° 20-13.574), mais admet l’existence de ce préjudice en cas de limitation de l’activité concernée (Civ. 2ème, 29 mars 2018, n° 17-14.499) ou lorsqu’une gêne psychologique empêche la pratique d’une activité (Civ. 2ème, 5 juillet 2018, n° 16-21.776).

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, Mme [G] [N] démontre qu’elle figurait parmi les meilleures perchistes de sa catégorie d’âge et qu’à ce titre elle était inscrite sur les listes des sportifs de haut niveau de la fédération française d’athlétisme, mais aussi qu’elle ne limitait pas sa pratique sportive à l’athlétisme.

En regard de l’état séquellaire de Mme [N], elle n’est pas en mesure de reprendre le saut à la perche et est limitée dans sa pratique d’autres sports en raison des douleurs qu’elle ressent à cette occasion.

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros après avoir considéré que le préjudice d’agrément était majeur en regard du statut de sportive de haut niveau de la victime et de son âge au jour de la consolidation de ses blessures.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.

4. Sur l’indemnisation due à Mme [N]

Compte tenu de ce qui précède, le préjudice corporel de Mme [G] [N] doit être fixé comme suit :

Postes de préjudice

Evaluation

Indemnité due à la victime

Indemnité due à la CPAM

Dépenses de santé actuelles

69 066,91 euros

0

69 066,91 euros

Frais divers

1 517,80 euros

1 517,80 euros

0

Assistance par tierce personne temporaire

4 000 euros

4 000 euros

0

Incidence professionnelle

60 000 euros

60 000 euros

0

Préjudice universitaire

4 000 euros

4 000 euros

0

Déficit fonctionnel temporaire

15 440 euros

15 440 euros

Souffrances endurées

30 000 euros

30 000 euros

Déficit fonctionnel permanent

51 800 euros

51 800 euros

Préjudice esthétique permanent

3 000 euros

3 000 euros

Préjudice d’agrément

30 000 euros

30 000 euros

Total

199 757,80 euros

69 066,91 euros

Il convient donc de condamner solidairement l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à Mme [G] [N] la somme de 199 757,80 euros à titre d’indemnisation de son préjudice corporel, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, avec capitalisation des intérêts par année entière comme demandé.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont Mme [G] [N] a été victime le 12 février 2011 ;

– fixé l’assistance par tierce personne temporaire à la somme de 3 380,62 euros ;

– fixé le déficit fonctionnel temporaire à la somme de 10 282,50 euros ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare l’association GUC Grenoble ski et la SEM des Sept-Laux responsables du préjudice subi par Mme [G] [N] ensuite de l’accident survenu le 12 février 2011 ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre de l’assistance par tierce personne temporaire à la somme de 4 000 euros ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 15 440 euros ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre du préjudice esthétique permanent à la somme de 3 000 euros ;

Condamne solidairement l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à Mme [G] [N] la somme de 199 757,80 euros à titre d’indemnisation de son préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les intérêts des sommes dues seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SEM des Sept-Laux à relever et garantir l’assocation GUC Grenoble ski à hauteur de 50 % de toute condamnation prononcée à son encontre ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à Mme [G] [N] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP aux dépens de l’instance d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE                                        LA PRÉSIDENTE

Accident de ski – Hors-piste de proximité – Obligation de sécurisation de l’exploitant (non)

Cour d’appel de Montpellier
7 mai 2024

RG n° 21/04488

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 21/04488 – N° Portalis DBVK-V-B7F-PCRA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 JUILLET 2021

Tribuanl Judiciaire de PERPIGNAN

N° RG 19/01726

APPELANTS :

EPIC [Localité 5] Etablissement Public Industriel et Commercial, représenté par son représentant en exercice, domicilié en cette qualité au siège sis

[Adresse 9]

[Localité 5]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Stéphanie BAUDOT, avocat au barreau d’ALBERTVILLE, avocat plaidant

Compagnie d’Assurance ALLIANZ IARD représentée par son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Emily APOLLIS de la SELARL SAFRAN AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Stéphanie BAUDOT, avocat au barreau d’ALBERTVILLE, avocat plaidant

INTIMES :

Monsieur [T] [B]

né le [Date naissance 3] 1974 à [Localité 8]

[Adresse 6]

[Localité 8]

Représenté par Me Yann GARRIGUE de la SELARL LX MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU PUY-DE-DÔME prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Alexia ROLAND de la SCP VPNG, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Laurie MARTI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Ordonnance de clôture du 21 Février 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 MARS 2024, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre

M. Emmanuel GARCIA, Conseiller

Mme Corinne STRUNK, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Madame Sylvie SABATON, greffier.

Faits, Procédure et Prétentions des parties

Le 25 février 2018, vers 16h, M. [T] [B] a été victime d’une chute à ski sur la piste de classée verte et intitulée ‘solarium’ entre les balises 16 et 17 sur le domaine skiable d’une station dont la gestion a été confiée à l’EPIC [Localité 5]. Sa chute, qui l’a entraîné dans une excavation, lui a occasionné des blessures notamment une fracture luxation de la hanche gauche, une luxation de l’épaule gauche, un traumatisme au niveau de la face et une thrombose consécutive aux blessures. Il a fait l’objet d’un arrêt de travail du 28 février au 11 octobre 2018, date à laquelle il a repris une activité mi-temps thérapeutique.

Par acte du 22 mai 2019, il a assigné l’EPIC [Localité 5] et la compagnie Allianz Iard devant le tribunal de grande instance de Perpignan.

Le 18 novembre 2019, son assignation a été dénoncée à la Réunion des Assureurs maladie.

Une jonction a été ordonnée le 12 mars 2020

La CPAM du Puy de Dôme est intervenue volontairement à la procédure au lieu et place de la Réunion des assureurs maladie.

Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Perpignan a accueilli la CPAM du Puy de Dôme dans son intervention volontaire, jugé l’EPIC [Localité 5] responsable pour manquement à son obligation de sécurité de moyens des conséquences dommageables de l’accident de ski survenu le 25 février 2018 au préjudice de M. [B], jugé que ce dernier n’a commis aucune faute de nature à réduire ou exclure son droit à indemnisation, que la Compagnie d’assurance Allianz Iard doit sa garantie et a condamné en conséquence solidairement l’EPIC [Localité 5] et la Compagnie d’assurance Allianz Iard à indemniser M. [B] de son entier préjudice, et par jugement avant dire droit a ordonné une expertise confié au docteur [R] [J] et a condamné solidairement l’EPIC [Localité 5] et la Compagnie d’assurance Allianz Iard à payer M. [B] la somme de 20 000euros à titre de provision et la CPAM du Puy de Dôme la somme de 14 760,02euros à valoir sur le remboursement définitif de sa créance.

La juridiction a retenu sur le fondement de la responsabilité contractuelle des exploitants de la station de ski que nonobstant la signalisation dont était pourvue la piste verte à savoir des jalons jaunes et noirs espacés conformément aux normes Afnor applicables et l’absence de faute d’entretien des pistes, l’existence d’une excavation de 3 mètres de profondeur située à proximité d’une piste constitue un danger qui présente un caractère anormal ou excessif, que si la présence de relief en montagne ne peut permettre d’engager la responsabilité des exploitants, tel n’est pas le cas d’une excavation qui se situe à quelques mètres d’une piste verte privilégiée par les débutants incapables de maîtriser leur trajectoire, que l’exploitant doit prendre à leur égard des précautions particulières, qu’en l’espèce la présence de la cavité n’était nullement soulignée alors que ce relief n’était pas visible du fait de l’enneigement et de sa situation dans la partie ombragée de la piste et qu’aucune protection de type filet de protection n’existait pour empêcher la chute dans l’excavation.

La juridiction a également estimé qu’aucune faute ne peut être reprochée à M. [B].

Le 12 juillet 2021, l’EPIC et la compagnie Allianz Iard ont interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 19 février 2024, ils demandent à la cour de :

Dire recevable et bien fondé l’appel relevé par l’EPIC [Localité 5] et la Compagnie d’assurance ALLIANZ,

Vu l’article 1231-1 du code civil,

Infirmer le jugement déféré en ce qu’il a retenu la responsabilité de l’EPIC [Localité 5],

Statuant à nouveau, juger l’absence de manquement de l’exploitant du domaine skiable à son obligation de sécurité de moyens, la victime restant responsable du choix de sa course.

Débouter Monsieur [B] de sa demande de provision et de sa demande d’expertise judiciaire.

A titre subsidiaire,

Juger que la victime est responsable de son préjudice,

En conséquence, juger que Monsieur [B] est responsable à hauteur de 70% de son préjudice et laisser à sa charge 70% des causes du sinistre,

Condamner Monsieur [B] à payer à l’EPIC Porte Puy Morens et à la Compagnie ALLIANZ la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC

Ils exposent que l’obligation de sécurité des exploitants d’une station de ski alpin est nécessairement une obligation de moyens dans la mesure où le skieur joue un rôle actif par son comportement, que l’exploitant est tenu d’assurer la sécurité des skieurs mais sans décharger pour autant le skieur, utilisateur de la piste, qui se livre à une activité sportive à risques nécessitant de la prudence indispensable pour lui permettre de se prémunir des dangers subsistants, inhérents à cette activité, qu’il ne peut être exigé de l’exploitant du domaine skiable dont il assure l’exploitation, d’avoir cette même responsabilité en dehors des pistes et de baliser ou signaler absolument tous les obstacles et dangers éventuels du milieu naturel, que ce principe s’applique avec d’autant plus de rigueur que l’accident s’est déroulé en dehors de la piste balisée, que Monsieur [B] ne fait aucune démonstration d’une faute de l’EPIC [Localité 5] dans l’exécution de ses obligations, et qu’au contraire, le Tribunal Judiciaire de PERPIGNAN a bien relevé tous les éléments qui confirment que l’exploitant du domaine skiable n’a commis aucune faute puisqu’il fait état de la mise en place du balisage conforme à la norme, qu’il n’existe aucun danger de caractère anormal ou excessif sur la partie « piste » aménagée clairement délimitée que le jour des faits les gendarmes spécialisés ont constaté la présence de disquettes orange pour indiquer le côté droit de la piste dans le sens de la descente et deux jalons jaunes et noirs afin de signaler un danger en dehors de la piste et entre chaque jalon vert, 5 jalons jaunes et noirs, afin de signaler la cassure en dehors de la piste, comme l’impose la norme AFNOR S52102, que sur les photos prises au moment du secours, la présence de jalons jaune et noir est parfaitement visible, que de surcroît, le bord de la piste est situé à plusieurs mètres de l’excavation de sorte qu’aucun danger immédiat ne menace à priori un skieur normalement diligent et soucieux de sa vitesse, que la planche photographique figurant à l’enquête pénale, vient établir que cette cassure se trouve très largement en dehors de la piste balisée et sécurisée, que la fiche de secours de Monsieur [B] précise que son secours a été effectué entre les balises 16 et 17 de la piste « Solarium », en zone éloignée, que l’exploitant n’a pas l’obligation de protéger les obstacles naturels situés en dehors de la piste, qu’il est matériellement impossible pour un exploitant de mettre en place une barrière continue le long de la piste, car il existe forcément, en dehors de la piste elle-même, des obstacles naturels qu’il n’existe aucune obligation à la charge du service des pistes de supprimer les excavations en dehors de la piste dont il a la charge, pas davantage d’enserrer chaque piste de filets.

Ils soutiennent qu’en sa qualité de skieur, Monsieur [B] garde un rôle actif quant au choix de la trajectoire adoptée (virages serrés en bord de piste), et qu’il lui appartient d’adopter un comportement prudent et diligent.

Par conclusions déposées le 17 juin 2022, M. [T] [B] demande à la cour :

Confirmer entrepris et de

-Juger que la responsabilité de l’accident de ski survenu le 25 février 2018 dont a été victime M. [T] [B] est imputable à l’exploitant du domaine skiable en l’occurence l’EPIC [Localité 5]

– débouter l’exploitant et son assureur la compagnie d’assurance Allianz Iard de leurs demandes exposées en cause d’appel,

– les débouter de leurs demandes subsidiaires s’agissant d’un partage de responsabilité avec une responsabilité imputée à 70% à la victime en l’occurence M. [T] [B] dans l’accident qui s’est produit le 25 février 2018,

En conséquence :

Juger que l’EPIC [Localité 5] et son assureur la compagnie Allianz IARD sont tenus solidairement à la réparation intégrale de l’entier préjudice subi par M. [T] [B] du fait de l’accident du 25 février 2018

Confirmer le jugement en ce qu’il a statué sur la demande d’expertise et de provisions et a désigné lé docteur [J] [R] en qualité d’expert avec pour mission de déterminer l’étendue de l’entier préjudice corporel subi par la victime

condamner solidairement l’EPIC [Localité 5] et son assureur la compagnie Allianz IARD à payer à la victime la somme de 20 000euros à titre de provision et 5 000euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il soutient que lors de sa chute il a basculé dans une excavation non signalée et non protégée qui se trouvait à proximité directe de la piste, qu’aucune signalisation entre les balises 16 et 17 n’avertissait les skieurs de cette anfractuosité, que la réalité de l’accident est établie par l’attestation de M. [K], seul témoin direct de la chute, par les photographies prises à cette occasion.

Il indique que la responsabilité de l’exploitant, qui n’a pas mis en place une signalisation idoine pour informer de la dangerosité des lieux doit être retenue, et ce d’autant qu’aucun système de sécurité n’a été posé pour empêcher toute chute éventuelle, qu’il ne pouvait ni avoir conscience ni être protégé du fait du défaut de sécurisation, que l’accident s’est bien produit sur les pistes et non hors pistes, qu’aucun élément ne permet d’affirmer que M. [B] effectuait du ski hors piste, que les déclarations de M. [V] en ce sens ne sont que des suppositions, que la présence d’une cavité de 3m en bordure d’une piste verte présente un danger anormal et excessif, que selon la norme AFNOR, une piste de ski est un parcours protégé des dangers anormaux et excessifs, que tel n’a pas été le cas en l’espèce, que le procès verbal des services de gendarmerie a été établi plusieurs jours après les faits et qu’ils n’ont interrogé que les préposés de l’exploitant et non pas la victime ou le témoin direct des faits, qu’en l’espèce, M. [B] évoluait sur le domaine skiable et non pas en dehors, de sorte qu’il devait être protégé des obstacles qui se trouvent à proximité immédiate de la piste comme l’était l’excavation, ainsi que l’établissent les clichés photographiques, qu’il incombait à l’exploitant de mettre en oeuvre une protection pour cet obstacle situé à proximité de la piste, que la fiche des pisteurs établie lors de l’accident mentionne bien que les faits se sont produits sur la piste, de sorte que la question sur l’éloignement de la cavité est sans intérêt puisqu’il est acquis que M. [B] skiait sur la piste lors de l’accident et qu’il a basculé dans la cavité, démontrant sa présence non loin de la piste.

Par conclusions du 28 décembre 2021, la CPAM demande à la cour de confirmer le jugement de première instance et de condamner les appelantes à lui verser la somme de 500euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 21 février 2024.

Motifs

Il n’est pas contesté par les parties que M. [B] ayant acquis un forfait le jour des faits, un lien contractuel existant entre lui et l’EPIC et que la responsabilité de ce dernier repose sur un fondement contractuel.

La responsabilité de l’exploitant d’un domaine skiable est une obligation de sécurité de moyen eu égard au rôle actif tenu par le skieur et à la nécessaire prise de risque inhérente à la pratique du ski. Il appartient à la juridiction de rechercher, pour retenir l’éventuelle responsabilité de l’exploitant, s’il a pris les mesures de sécurité utiles pour limiter les risques de chute ou de blessures.

En l’espèce, il convient de relever, ainsi que l’a fait le juge de première instance, que la piste dite solarium était pourvue d’une signalisation adéquate, ainsi que le relève le peloton de gendarmerie arrivé sur les lieux de l’accident, qui note la présence de jalons de la couleur de la piste et ponctuellement de jalons jaune et noir afin de signaler le danger à savoir une cassure de neige de 3 mètres environ en contrebas de la piste entre les jalons 16 et 17, démontrant la mise en place d’une signalisation adaptée au danger et suffisante en période de bonne visibilité puisqu’il résulte du même rapport que les conditions météorologiques étaient bonnes, la neige de bonne qualité et la visibilité excellente. Ce document établi par les services de gendarmerie contredit les affirmations de M. [B] sur l’absence de signalisation idoine sur la piste verte, de même que les photographies prises le jour du secours qui permettent de justifier la présence visible des dits jalons.

M. [K], seul témoin direct des faits, affirme que M. [B], qui effectuait juste avant la chute des petits virages serrés sur le bord droit de la piste, a brusquement perdu le contrôle de ses skis et a chuté. Il résulte de ce témoignage qu’aucun obstacle n’était présent sur la piste qui ne présente aucun danger à l’origine de la chute de M. [B] et que seul son manque de prudence et d’expérience l’a empêché de rester maître de ses skis et d’en conserver le contrôle.

M. [B], qui n’impute nullement sa chute à la présence d’un obstacle sur la piste, critique la configuration de la piste et soutient que la présence, rendue invisible par l’enneigement, de cette excavation en bordure de la piste verte, démunie de filet de protection, constitue un manquement avéré à l’obligation de sécurité de l’EPIC qui n’aurait pas suffisamment signalé le danger et protégé les skieurs.

M. [K] qualifie le positionnement de l’excavation de ‘au bord de la piste’. Toutefois, la photographie n°4, produite par M. [B], laisse apparaître la trace du passage de skieurs entre la piste verte et l’excavation démontrant au contraire qu’une distance certaine les séparent. Cette image est confirmée par celle n°4 prise par les services de gendarmerie à l’examen de laquelle un constat similaire peut être fait, qui est corroboré par la fiche d’intervention établie au moment de l’accident par les services de secours qui notent une intervention réalisée en ‘zone éloignée’.

Or, aucune réglementation n’impose à l’exploitant d’une station de ski de sécuriser les obstacles situés hors de la piste, par l’installation de dispositifs de protection. L’excavation naturelle située à plusieurs mètres de la piste, peu pentue et sans difficulté particulière s’agissant d’une piste verte, ne revêt pas de caractère anormal ou excessif, d’autant que ce type de phénomène naturel se modifie au gré des chutes de neige et des vents. L’accident dû à un défaut de maîtrise du skieur ne peut engager la responsabilité de l’exploitant nonobstant les dangers naturels situés à l’extérieur de la piste alors qu’il appartient au skieur d’adapter sa vitesse et son comportement à ses capacités personnelles et à la configuration des lieux pour s’assurer de sa propre sécurité.

Dès lors en l’absence de preuve d’une faute de l’exploitant du domaine skiable, sa responsabilité ne peut être engagée et la demande d’indemnisation doit être rejetée.

L’équité ne commande nullement de faire application des dispositions d l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs la cour statuant par arrêt contradictoire :

Infirme le jugement rendu le 5 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Perpignan sauf en ce qu’il a accueilli la CPAM du Puy de Dôme en son intervention volontaire,

Statuant à nouveau :

Déboute M. [B] [T] de ses demandes,

Déboute la CPAM et L’EPIC [Localité 5] de leur demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] [B] aux entiers dépens y compris ceux de première instance.

Le Greffier La Présidente

 

 

Arrêté préfectoral autorisant la chasse au grand tétras et au lagopède – (Enième) illégalité…

 

CAA de BORDEAUX – 4ème chambre

  • N° 22BX01429
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 21 mai 2024

Président

Mme BALZAMO

Rapporteur

Mme Bénédicte MARTIN

Rapporteur public

Mme GAY

Avocat(s)

LAGIER

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie ont demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté du 27 septembre 2019 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020.

Par un jugement n° 1902158 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 15 septembre 2023, France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées, France Nature Environnement (FNE) Hautes-Pyrénées et Nature En Occitanie (NEO), représentées par Me Galinon, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler le jugement n° 1902158 du 17 mars 2022 du tribunal administratif de Pau ;

2°) d’annuler l’arrêté du 27 septembre 2019, par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
– le public n’a pas été consulté en méconnaissance des articles L. 120-1 et suivants du code de l’environnement alors que le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) qui contient des informations anciennes n’a pas permis d’apprécier les incidences sur l’environnement de l’arrêté litigieux ; les indices de reproduction n’ont pas été portés à la connaissance du public ; ce dernier n’a pu prendre connaissance des propositions de la direction régionale de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), sur les quotas de chasse 2019-2020, ni des recommandations de l’office français pour la biodiversité, seul organisme compétent sur cette espèce ;
– la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009 a été méconnue ; la baisse des effectifs, déjà constatée de 1960 à 2005, se poursuit de manière inquiétante ; les indices de reproduction des trois dernières années, seules données accessibles au moment de la délivrance de l’arrêté litigieux, laissent présager une diminution des effectifs pendant la période 2018-2019 ; l’espèce est en déclin ;
– l’objectif de conservation posé par la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 a été méconnu ; à la seule lecture des indices de reproduction contenus dans les bilans démographiques 2017 à 2019, le préfet était tenu de refuser les tirs de coqs du grand tétras pour ne pas aggraver son mauvais état de conservation ; les effets de l’arrêté de chasse s’apprécient à l’échelle de l’aire de distribution/répartition de l’espèce concernée ;
– l’article 7 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009, ainsi que le principe de précaution énoncé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ont été méconnus.

Par un mémoire enregistré le 24 février 2023, la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, représentée par Me Lagier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de chacune des requérantes la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– elle a intérêt à agir ;
– la requête est irrecevable ; l’association FNE Midi-Pyrénées n’est pas recevable à agir dès lors que deux de ses adhérents, l’association FNE Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie sont parties au contentieux et ont un intérêt direct à l’application ou non de l’arrêté préfectoral ; la délibération du conseil d’administration de Nature en Occitanie est irrégulière ; Nature en Occitanie doit établir qu’elle a obtenu un arrêté modificatif pour tenir compte de son changement d’identité juridique et qu’elle a accompli toutes les formalités utiles à ce sujet dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901 ; l’arrêté d’agrément de Nature en Occitanie a expiré le 18 décembre 2022 et celui de FNE Midi-Pyrénées le 9 janvier 2023 ;
– la décision préfectorale ne fait pas grief s’agissant du lagopède alpin ;
– à titre subsidiaire, les moyens soulevés au fond par l’association requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée le 1er juin 2022 au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Par ordonnance du 18 septembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 20 octobre 2023 à 12 h 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la charte de l’environnement ;
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Martin,
– et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les associations France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées, France Nature Environnement (FNE) Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie relèvent appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 qui a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020.

Sur l’intervention :

2. La fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, dont l’objet est, conformément à l’article L. 421-5 du code de l’environnement, de participer à la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats, justifie d’un intérêt au maintien de l’arrêté préfectoral en litige. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la recevabilité de la requête :

3. Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’environnement :  » Lorsqu’elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l’amélioration du cadre de vie, de la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, de l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d’une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l’environnement, peuvent faire l’objet d’un agrément motivé de l’autorité administrative. (…) « . Aux termes de l’article L. 142-1 de ce code :  » Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 (…) justifient d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément « .

4. Aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association FNE Hautes-Pyrénées, dont l’agrément régional a été renouvelé pour une durée de cinq ans par arrêté de la préfète des Hautes-Pyrénées du 10 octobre 2018, régulièrement publié, a pour objet  » la protection de la nature, de l’environnement et du cadre de vie du département des Hautes-Pyrénées, mais non exclusivement dans le département des Hautes-Pyrénées (…); elle fédère des personnes morales et physiques ayant donc pour objectifs :/- de conserver et de restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales ; (…) « . Dès lors et par application des dispositions précitées de l’article L. 142-1 du code de l’environnement, l’association FNE Hautes-Pyrénées justifie d’une qualité lui donnant intérêt à intérêt à agir contre l’arrêté du 27 septembre 2019 relatif à la chasse à tir du grand tétras et du lagopède pour la campagne 2019/2020. Par délibération du 26 septembre 2019, le conseil d’administration a décidé, conformément aux statuts de l’association, de déposer un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté préfectoral en litige et de mandater sa présidente à cette fin. Dans ces conditions, alors que la recevabilité d’une requête collective est assurée lorsque l’un au moins des requérants est recevable à agir, la fin de non-recevoir opposée par la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

5. Aux termes de l’article 1er de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages :  » 1. La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation. / 2. La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. « . Aux termes de l’article 2 de la même directive :  » Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. « . Selon l’article 7 de cette directive :  » 1. En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l’annexe II peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution (…) / 4. Les États membres s’assurent que la pratique de la chasse (…) telle qu’elle découle de l’application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l’article 2. / Ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance (…) « .

6. D’autre part, aux termes de l’article L. 420-1 du code de l’environnement :  » La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d’intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l’équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique. / Le principe de prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables s’impose aux activités d’usage et d’exploitation de ces ressources. Par leurs actions de gestion et de régulation des espèces dont la chasse est autorisée ainsi que par leurs réalisations en faveur des biotopes, les chasseurs contribuent au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Ils participent de ce fait au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural « . Aux termes de l’article L. 425-6 du même code :  » Le plan de chasse détermine le nombre minimum et maximum d’animaux à prélever sur les territoires de chasse. Il tend à assurer le développement durable des populations de gibier et à préserver leurs habitats, en conciliant les intérêts agricoles, sylvicoles et cynégétiques (…) « .

7. Il résulte de ces dispositions, éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général de protection des espèces d’oiseaux sauvages qui doit être concilié, en vertu de l’article 2 de la directive, avec des exigences économiques et récréationnelles. En vertu de l’article 7 de la directive, les espèces concernées, telle que le grand tétras, peuvent en principe faire l’objet d’actes de chasse, dès lors qu’ils ne compromettent pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution et qu’ils respectent les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées.

8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du document intitulé  » Stratégie nationale d’action en faveur du grand tétras 2012-2021  » établi par le ministère de l’écologie, que l’effectif de grands tétras mâles, seuls chassés, a connu, au plan national et sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées, qui accueille la population la plus importante de grands tétras en France, une réduction importante, de l’ordre de 60 % entre 1960 et 1994 et d’environ 25 % entre 1995 et 2003. Si l’on a pu observer une stabilisation des effectifs entre 2003 et 2006, la période de 2007 à 2009 a été marquée par une nouvelle tendance à la baisse, de même que la période de 2010-2011 à 2016-2017 passant d’un effectif de 2947 à 2923. Il ressort également des bilans démographiques réalisés par l’observatoire des galliformes de montagne, auquel appartient d’ailleurs la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, que, dans les deux zones bio-géographiques concernées par l’arrêté en litige, le taux de variation des effectifs entre 2010-2011 et 2016-2017 est de +1 et +5. Il est de 0 à l’échelle des Pyrénées. Dans l’unité naturelle du bassin du gave de Pau, alors que l’arrêté en litige prévoit le prélèvement de 8 grands tétras, le taux de variation est de +3. De la même façon, alors que l’arrêté en litige prévoit le prélèvement de 3 grands tétras dans l’unité naturelle de Bigorre, le taux de variation y est de – 2, alors que les effectifs sont restés constants entre les périodes 2010-2011 et 2016-2017. S’agissant plus particulièrement de l’année 2019 au titre de laquelle l’arrêté contesté a été pris, l’étude conduite le 10 janvier 2020 remise à l’office national de la chasse et de la faune sauvage conclut à un taux de variation négatif de 8 % par rapport à l’année 2018, révélant une baisse notable de l’effectif de coqs, affectant notamment le piémont central. Dans ces conditions, les prélèvements autorisés par l’arrêté en litige, même limités, sont de nature à compromettre les efforts de conservation de l’espèce des grands tétras dans les zones concernées.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête que les associations requérantes sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 en tant qu’il autorise le prélèvement de 17 grands tétras au cours de la campagne de chasse 2019-2020.

Sur les frais liés à l’instance :

10. Il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme globale de 1 500 euros à verser aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu de faire droit, en tout état de cause, aux conclusions présentées sur le même fondement par la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées.

DECIDE :
Article 1er : L’intervention de la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 17 mars 2022 et l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 en tant qu’il fixe les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne de chasse 2019-2020 sont annulés.

Article 3 : L’Etat versera aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie une somme globale de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées.
Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Pyrénées.

Délibéré après l’audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.

La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
2
N° 22BX01429

 

Locaux affectés aux remontées mécaniques – Lots en volume voisins – Domaine privé

CAA de LYON, 7ème chambre, 16/05/2024, 23LY03246, Inédit au recueil Lebon

CAA de LYON – 7ème chambre

  • N° 23LY03246
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 16 mai 2024

Président

  1. PICARD

Rapporteur

Mme Christine DJEBIRI

Rapporteur public

  1. RIVIERE

Avocat(s)

CABINET LEDOUX

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D… B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la délibération du 23 juillet 2018 par laquelle le conseil municipal de Val d’Isère (Savoie) a autorisé le maire à procéder à la vente du lot en volume n° 2 défini dans un état descriptif de division des volumes joint à la délibération et aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017, ainsi que les décisions implicite et expresse de rejet de son recours gracieux nées respectivement les 24 novembre et 7 décembre 2018 et, d’autre part, la délibération du 4 février 2019 par laquelle le conseil municipal a approuvé la modification de l’état descriptif de division ainsi que le plan de division en résultant et autorisé le maire à procéder à la vente des lots en volume n° 4 et 6 aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017.

Par un jugement nos 1900352, 1902466 du 19 octobre 2021, le tribunal a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé par M. B… et a enjoint au maire de Val d’Isère de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations des 23 juillet 2018 et 4 février 2019, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement.
Procédure initiale devant la cour
I. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 21LY04155 le 17 décembre 2021 et le 2 septembre 2022, ce dernier non communiqué, la société Holdispan et la société Chalet Izia, venant aux droits de la société Holdispan, représentées par Me Quenard, ont demandé à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. B… ;
3°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutenaient que :
– dans la mesure où la délibération du 23 juillet 2018 prévoit la cession à la société Holdispan ou à toute société se substituant à elle, elle a intérêt à contester le jugement ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– la cession par la copropriété Les Turios d’un terrain ne peut être utilisée comme terme de comparaison pour évaluer la valeur vénale des biens en litige, dès lors que ces derniers ont vocation à être utilisés au sein d’un hôtel ;
– les volumes n° 4 et 6 sont des volumes techniques créés afin de conforter la construction sur le garage de la société des téléphériques de Val d’Isère (STVI) mais ne sont pas à l’origine d’une surface de plancher supplémentaire ;
– le prix a été fixé d’un commun accord, sans que la commune ne leur ait imposé une quelconque charge particulière ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2 000 habitants.
Par un mémoire enregistré le 8 avril 2022, M. B…, représenté par Me Ledoux, concluait au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutenait que :
– la requête de la société Holdispan est irrecevable dès lors que cette société, qui n’est pas la bénéficiaire de la vente, n’a pas intérêt à agir ;
– le maire de Val d’Isère n’est pas habilité pour représenter la commune et la requête qu’il a présentée est irrecevable ;
– les délibérations contestées méconnaissent les articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales dès lors qu’il n’est pas démontré qu’elles ont été prises après envoi d’une convocation écrite au domicile des conseillers municipaux, accompagnée d’une note explicative de synthèse ;
– les convocations ne comportent pas d’information suffisante, dès lors que l’identité de l’acquéreur n’est pas mentionnée et que les motifs justifiant l’ajout d’une nouvelle parcelle ne sont pas précisés ;
– les dispositions de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales ont été méconnues, dès lors que l’avis de l’autorité compétente de l’État en vue de l’évaluation des biens immobiliers en cause n’a pas été sollicité ;
– les biens immobiliers ont été cédés à un prix inférieur à leur valeur vénale, dès lors que les lots en volumes n° 2, 4 et 6, issus de la division des parcelles cadastrées section AI n° 1 et AH n° 288 ont été cédés sans contrepartie financière ;
– la commune de Val d’Isère ne démontre pas l’existence d’un motif d’intérêt général justifiant la cession à un prix inférieur à la valeur vénale, dès lors notamment que cette cession n’est pas rendue nécessaire par la construction des garages de STVI ;
– en tout état de cause, le prix total de cession, soit en moyenne 4 273,50 euros par m2, est inférieur de plus de 50 % au prix auquel une parcelle similaire a été cédée en 2017 ;
– les biens cédés situés sur la parcelle cadastrée AH n° 200, qui était exploitée comme gare de téléphérique, et les lots en volume situés au-dessus de la parcelle cadastrée section AI n° 1 constituent des dépendances du domaine public qui présentent un caractère inaliénable ;
– la cession n’a pas été effectuée dans des conditions régulières dès lors qu’elle aurait dû être précédée des mesures de publicité ainsi que d’un appel d’offre.

Par un mémoire enregistré le 20 septembre 2022, non communiqué, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demandait à la cour :
1°) d’annuler ce jugement ;
2°) de rejeter les demandes de M. B… ;
3°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– la demande tendant à l’annulation de la délibération du 19 décembre 2017 est tardive et, par suite, irrecevable ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6 ;
– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2 000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés sous le n° 21LY04255 le 17 décembre 2021 et le 20 septembre 2022, ce dernier non communiqué, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demandait à la cour :
1°) d’annuler le jugement nos 1900352, 1902466 du 19 octobre 2021 ;
2°) de rejeter les demandes de M. B… ;
3°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– dès lors que le principe de la cession des volumes à la société Holdispan et son prix avaient été décidés par une délibération du 19 décembre 2017, devenue définitive, les conclusions de M. B… tendant à l’annulation de ces décisions sont tardives et, par suite, irrecevables ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6 ;
– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2 000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.

Par un mémoire enregistré le 8 avril 2022, M. B…, représenté par Me Ledoux, concluait au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il reprenait les moyens soulevés dans la requête n° 21LY04155.

III. Par une requête et un mémoire, enregistrés sous le n° 21LY04256 le 17 décembre 2021 et le 20 septembre 2022, ce dernier non communiqué, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demandait à la cour :
1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1900352, 1902466 du 19 octobre 2021 ;
2°) de mettre à la charge de M. B… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– dès lors que le principe de la cession des volumes à la société Holdispan et son prix avaient été décidés par une délibération du 19 décembre 2017, devenue définitive, les conclusions de M. B… tendant à l’annulation de ces décisions sont tardives et, par suite, irrecevables ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6 ;

– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2 000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.

Par un mémoire enregistré le 11 mars 2022, M. B…, représenté par Me Ledoux, concluait au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il reprenait les moyens soulevés dans la requête n° 21LY04155.
Par un arrêt nos 21LY04155, 21LY04255, 21LY04256 du 3 novembre 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 octobre 2021, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la commune à fin de sursis à exécution de ce jugement et rejeté la demande de M. B….

Procédure devant le Conseil d’État
Par une décision n° 470192 du 18 octobre 2023 le Conseil d’État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et a renvoyé à la cour le jugement de l’affaire, désormais enregistrée sous le n° 23LY03246.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d’État

Par des mémoires enregistrés les 3 et 6 novembre ainsi que le 28 décembre 2023, ce dernier n’ayant pas été communiqué, la commune de Val d’Isère persiste dans ses précédentes conclusions aux fins d’annulation et de sursis exécution du jugement contesté, de rejet des demandes de M. B… et de mise à la charge de ce dernier de sommes au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle maintient l’intégralité de ses écritures déposées dans les procédures d’appel n° 2104255 et n° 2104155.
Par des mémoires enregistrés les 14 novembre et 19 décembre 2023, ce dernier n’ayant pas été communiqué, la société Holdispan et la société Chalet Izia venant aux droits de la société Holdispan persistent dans leurs précédentes conclusions, par les mêmes moyens.

Elles soutiennent en outre que, dans la mesure où la délibération du 23 juillet 2018 prévoit la cession à la société Holdispan ou à toute société se substituant à elle, elle a intérêt à contester le jugement du tribunal administratif de Grenoble.

Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2023, M. B… persiste dans ses précédentes conclusions, par les mêmes moyens, portant à 10 000 euros la somme réclamée au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait également valoir que :
– la commune de Val d’Isère a méconnu les règles de la domanialité publique en décidant de procéder à la vente de la parcelle AI1 et de plusieurs lots en volumes des parcelles AI 1, AH 290, AH 291 et AH 292, alors que ceux-ci constituent des dépendances de son domaine public ;
– cette cession est intervenue à vil prix, sans la publicité et la mise en concurrence préalables nécessaires.

Par une ordonnance du 15 décembre 2023, la clôture de l’instruction a été fixée au 28 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code du tourisme ;
– le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;
– les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
– et les observations de Me Quénard pour les sociétés Holdispan et Chalet Izia, ainsi que celles de Me Bécue, substituant Me Ledoux pour M. B… et celles de Me Corbalan pour la commune de Val d’Isère ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2024, présentée pour M. B… ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Holdispan, aux droits de laquelle est venue la société Chalet Izia, a déposé, le 3 novembre 2017, une demande de permis de construire sur une parcelle cadastrée section AI n° 1 située rue de la Legettaz au lieu-dit Cristilidji-Le Cachet à Val d’Isère (Savoie) appartenant à la commune de Val d’Isère, en vue de la construction, au-dessus du garage exploité par la société des téléphériques de Val d’Isère (STVI), de bâtiments destinés à être exploités comme hôtel et à usage d’habitation. Le conseil municipal de Val d’Isère a décidé, par une délibération du 19 décembre 2017, d’autoriser le maire à procéder à la vente de ce bien aux prix et conditions fixés dans le compromis de vente qui y était annexé. Le permis de construire a été délivré à la société Holdispan le 14 février 2018. La construction des bâtiments entraînant un porte-à-faux empiétant sur la parcelle contiguë, cadastrée AH n° 200 située au lieu-dit Le Cachet, le conseil municipal a, par une délibération du 23 juillet 2018, autorisé le maire à procéder à la vente du lot en volume n° 2 défini dans un état descriptif de division des volumes joint à la délibération et aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017. Puis par une délibération du 4 février 2019, le conseil municipal a approuvé la modification de l’état descriptif de divisions ainsi que le plan de division en résultant et autorisé le maire à procéder à la vente des lots en volume n° 4 et 6 aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017. Le 15 mars 2019, la commune de Val d’Isère a cédé à la société Chalet Izia les lots en volume n° 2, 4 et 6 situés sur les parcelles cadastrées section AI n° 1 et section AH n° 290, 291 et 292 issues de l’ancienne parcelle AH 200. Par un jugement du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Grenoble, à la demande de M. B…, a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé à l’encontre de ces délibérations, et a enjoint au maire de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement. Sur appel de la commune de Val d’Isère et des sociétés Holdispan et Chalet Izia, la cour, par un arrêt du 3 novembre 2022, a annulé ce jugement, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la commune à fin de sursis à exécution de ce jugement, et rejeté la demande de M. B…. Mais, par une décision n° 470192 du 18 octobre 2023, le Conseil d’État a annulé cet arrêt faute pour la cour, avant de faire droit aux appels formés par les sociétés Holdispan et Chalet Izia ainsi que la commune de Val-d’Isère, de s’être prononcée sur les fins de non-recevoir opposées en défense par M. B…, et a renvoyé l’affaire à la cour.
Sur les fins de non-recevoir :

2. M. B… soutient que, faute d’être bénéficiaire de la vente en litige, la société Holdispan n’aurait pas intérêt à faire appel et ses conclusions seraient donc irrecevables. Toutefois, les délibérations contestées portent cession des lots litigieux à la société Holdispan, ou à toute société qui s’y substituerait. Or la société Chalet Izia, qui s’est substituée à la société Holdispan pour l’acquisition de ces lots, jouit d’un intérêt à obtenir l’annulation du jugement attaqué. Dès lors, la requête que cette société a introduite conjointement avec la société Holdispan est recevable. Par suite la fin de non-recevoir opposée à cet égard par M. B… ne peut qu’être écartée.
3. Par une délibération du 25 mai 2020 prise conformément à l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, le conseil municipal de Val d’Isère a donné délégation au maire, pendant la durée de son mandat, pour intenter au nom de la commune les actions en justice ou la défendre devant toutes les juridictions et à tous les stades de la procédure et notamment pour les affaires relevant du droit administratif en appel. Même si le maire doit rendre compte de ses décisions au conseil municipal, une telle obligation ne constitue pas une condition préalable à la décision de relever appel d’un jugement défavorable à la commune. Contrairement à ce que soutient M. B…, le maire avait donc qualité pour relever appel du jugement attaqué.

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la délibération du 23 juillet 2018, des décisions implicites puis expresse de son recours gracieux ainsi que celle de la délibération du 4 février 2019 :

4. Par la délibération du 19 décembre 2017 qui renvoie sur ce point au compromis de vente conclu entre la commune de Val d’Isère et la société Holdispan, le conseil municipal de Val d’Isère a décidé de conserver la propriété des ouvrages techniques situés sur la parcelle cadastrée section AI n° 1 et de céder à la société Holdispan, après division en volumes, les lots en volumes situés en surplomb de la parcelle. Le conseil municipal, qui n’a pas sollicité l’avis des services de l’évaluation domaniale, a décidé de fixer le prix de la cession à 600 euros par m², s’agissant des surfaces d’hôtel, et à 2 500 euros par m² pour les surfaces à usage d’habitation. Compte tenu des prévisions du projet initial, qui comportait la création de surfaces de plancher de 3 829 m² à usage d’hôtel et de 1 152 m² à usage d’habitation, le prix de la cession a été fixé à 5 177 400 euros. La délibération précisait que ce montant constituait un prix minimum et que le prix définitif serait déterminé compte tenu de la surface réellement construite. L’ensemble constitué des lots en volumes n° 2, 4 et 6, situés sur les parcelles cadastrées section AI n° 1 et section AH n° 290, 291 et 292 issues de l’ancienne parcelle AH 200, a été cédé au prix de 5 177 400 euros. Par un acte du 17 décembre 2020 portant constatation de la variabilité à la hausse du prix de vente et quittance, la société Chalet Izia a versé à la commune de Val d’Isère une somme de 277 730 euros à raison de la cession d’une surface de plancher supplémentaire de 197,20 m2. Enfin, par une délibération du 7 mars 2022, le conseil musical de Val d’Isère a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6.

5. La circonstance que la vente des volumes n° 4 et 6 puis celle des volumes n° 2, 4 et 6 aient été approuvées au prix inchangé de 5 177 400 euros par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’est pas, à elle seule, de nature à démontrer que l’ensemble des biens réels immobiliers cédés par la commune l’a été à un prix inférieur à leur valeur vénale, le lot n° 2 n’ayant qu’une incidence marginale et les droits ouverts par les trois lots devant être appréciés dans leur globalité. En outre, les transactions de 2017 dont se prévaut M. B… portant sur les parcelles AI n° 144 et AD n° 90 à Val d’Isère, ainsi que celle approuvée par délibération du 7 octobre 2018 pour un terrain communal, se rapportent à des ventes de terrains constructibles. Elles ne peuvent être regardées comme des termes de comparaison pertinents pour évaluer le prix de vente de lots en volume situés au-dessus d’une construction utilitaire, n’ouvrant aucune possibilité d’aménagement de stationnement et soumis à des sujétions inhérentes à l’usage du volume inférieur. L’intéressé, par les éléments qu’il invoque, n’apporte pas des éléments de comparaison pertinents probants concernant un projet similaire au projet litigieux et de nature à établir que la cession des lots en volumes n° 2, 4 et 6 serait réalisée pour un prix inférieur à leur valeur, à la date des délibérations contestées, alors qu’il s’agit de lots en volume situés au-dessus d’une construction utilitaire n’ouvrant aucune possibilité d’aménagement et soumis à des sujétions inhérentes à l’usage du volume inférieur. Il en résulte que la société Chalet Izia et la commune de Val d’Isère sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 et la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux de M. B…, au motif que les cessions étaient intervenues à vil prix.

6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. B… devant le tribunal administratif et la cour.

7. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales :  » Toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’État « . En vertu de l’article R. 2151-2 du même code, le chiffre de la population qui sert de référence pour l’application de l’article L. 2241-1 est celui de la population totale, obtenu par addition au chiffre de la population municipale de celui de la population comptée à part. Aux termes de l’article 2 du décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 :  » Les chiffres de la population municipale et de la population totale des communes, des cantons et des arrondissements sont arrêtés aux valeurs figurant dans les tableaux consultables sur le site internet de l’Institut national de la statistique et des études économiques (http://www.insee.fr) « .

8. Il est constant que la population de la commune de Val d’Isère, recensée en application des dispositions précitées, est inférieure à 2 000 habitants. L’avis des services spécialisés de l’État en matière domaniale n’avait donc pas à être recueilli, sans égard au surclassement démographique de la commune qui en ce qu’il a été prononcé en application de l’article L. 133-19 du code du tourisme, n’a pas d’incidence sur les conditions d’application de l’article L. 2241-1 précité du code général des collectivités territoriales.

9. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, dans sa version alors applicable :  » Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l’ordre du jour (…) Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux (…) « . Aux termes de l’article L. 2121-12 du même code :  » Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal « . Aux termes de l’article L. 2121-13 du même code :  » Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération « .

10. Il résulte de ces dispositions que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l’ordre du jour. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux conseillers municipaux de connaître le contexte et de comprendre les motifs de fait et de droit ainsi que les implications des mesures envisagées. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.

11. Il ressort des pièces du dossier que les conseillers municipaux ont été convoqués le 18 juillet 2018 et le 28 janvier 2019 par le maire de Val d’Isère, par courriers adressés à leur domicile, aux réunions du conseil municipal du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019, et que ces convocations indiquaient que figuraient à l’ordre du jour la vente de la parcelle AH 200. La circonstance que les convocations mentionnaient que le cessionnaire était M. C…, alors que les cessions ont été effectuées au bénéfice de la société dont ce dernier est le gérant, la société Holdispan, n’est pas de nature à avoir induit en erreur les conseillers municipaux sur la portée de ce point figurant à l’ordre du jour. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’un membre du conseil municipal ait, à la réception de ces convocations, fait valoir son droit à être informé plus précisément des sujets qui y figuraient. Si M. B… soutient que ces convocations n’étaient pas accompagnées d’une note explicative de synthèse portant sur les points portés à l’ordre du jour, la commune de Val d’Isère comptant moins de 3 500 habitants, les dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ne lui sont pas applicables pour les motifs exposés au point 10. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 9, pris en toutes ses branches, ne peut qu’être écarté.

12. En troisième lieu, avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était subordonnée à la condition que de l’affectation ou de l’aménagement spécial du bien pour son affectation au service public ou un usage direct du public, si nécessaire, après aménagement.

13. Il ressort des pièces du dossier que si les lots en volume n° 2, 4 et 6 sont situés au-dessus d’un garage utilisé par la STVI, concessionnaire de l’exploitation des remontées mécaniques, et en surplomb d’un chemin d’accès à la gare de départ du téléphérique de Solaise, ils ne sont pas, par eux-mêmes, affectés à l’usage direct du public ou à une activité de service public. Par ailleurs, si le garage constitue un ouvrage affecté au service public de l’exploitation des pistes de ski et spécialement aménagé à cet effet, il ne ressort pas des pièces du dossier que les lots en volume comprendraient des aménagements présentant une utilité directe pour cet ouvrage, notamment pour sa solidité ou son étanchéité, et qu’ils en constitueraient par suite l’accessoire. Par ailleurs, si la commune de Val d’Isère a été regardée comme possédant la parcelle cadastrée AH n° 200 par un acte de reconnaissance acquisitive du 15 décembre 2018 dès lors qu’elle en avait, depuis au moins trente ans, assuré l’entretien et l’exploitation en y implantant la gare de téléphérique, il ne ressort pas des pièces du dossier que le cheminement piétonnier permettant l’accès à cette gare, et au-dessus duquel se trouvent les lots en volumes n° 4 et 6, aient fait l’objet d’un aménagement spécial. Il en résulte qu’à la date des délibérations contestées, les lots en volumes n° 2, 4 et 6 appartenaient au domaine privé de la commune et ne nécessitaient pas une désaffection ou un déclassement préalable. Par suite, M. B… n’est pas fondé à soutenir que ces lots en volume ne pouvaient faire l’objet d’une cession en raison de leur appartenance au domaine public communal.

14. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que les délibérations contestées ont pour objet d’autoriser la cession par la commune de droits réels immobiliers, en vue pour le cessionnaire de la construction d’un hôtel et d’une résidence à usage d’habitation. Ainsi qu’il a été dit précédemment, il n’est pas établi que le prix auquel la commune a cédé les droits réels immobiliers en cause ait été inférieur à leur valeur vénale, ni que ces biens seraient constitutifs de dépendances du domaine public communal. Il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que la commune deviendrait propriétaire de ces ouvrages à l’issue des travaux, ni qu’elle disposerait d’un titre juridique quelconque lui en assurant la disponibilité, ni encore qu’elle pourrait tirer des avantages de leur utilisation ou de leur cession future ou qu’elle aurait participé financièrement à leur réalisation. En outre, il ressort des pièces du dossier qu’elle n’a exercé aucune influence sur l’architecture du bâtiment et qu’elle s’est bornée à reporter sur l’acquéreur les exigences de l’article L. 342-1 du code du tourisme pour la répartition des superficies hôtelière et résidentielle. De telles contraintes lui étant extérieures et susceptibles de s’appliquer de plein droit, elles ne sont pas de nature à démontrer que la cession en litige aurait été conclue pour répondre aux besoins de la collectivité en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix. Il suit de là que le moyen tiré de l’absence de publicité et de mise en concurrence propre à la commande publique doit être écarté.

15. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé par M. B… et a enjoint à la commune de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations des 23 juillet 2018 et 4 février 2019, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. Les demandes à fins d’annulation et d’injonction présentées au tribunal par M. B… doivent, en conséquence, être rejetées.

16. Dès lors que le présent arrêt statue au fond sur les conclusions de la requête de la commune de Val d’Isère tendant à l’annulation du jugement en litige, les conclusions de la requête tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Par suite, il n’y a pas lieu d’y statuer.

Sur les frais du litige :

17. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. B… une quelconque somme sur ce même fondement.

DÉCIDE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21LY04256.
Article 2 : Le jugement nos 1900352, 1902466 du 19 octobre 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : La demande de M. B… et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Val d’Isère, à la société Holdispan, à la société Chalet Izia et à M. D… B….
Délibéré après l’audience du 25 avril 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
M. Chassagne, premier conseiller ;
Mme Djebiri, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

La rapporteure,
C. DjebiriLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition,
La greffière,
N° 23LY03246 2

Chalet d’alpage – Servitude administrative de non-occupation saisonnière

CAA de LYON

N° 22LY00989

1ère chambre
Mme MEHL-SCHOUDER, président
Mme Anne-Gaëlle MAUCLAIR, rapporteur
Mme CONESA-TERRADE, rapporteur public
ADALTYS AFFAIRES PUBLIQUES, avocats

Lecture du mardi 30 avril 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 29 octobre 2018 par lequel le maire de la commune de La Clusaz a institué, sur le fondement des dispositions de l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme, une servitude administrative interdisant l’occupation en période hivernale de la construction située sur les parcelles cadastrées … et libérant la commune de son obligation d’assurer la desserte du bâtiment, ensemble la décision du 19 février 2019 rejetant son recours gracieux.

M. A… B… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 30 octobre 2018 du maire de la commune de La Clusaz portant non opposition à sa déclaration préalable sous réserve du respect de l’instauration de la servitude administrative, ensemble la décision du 19 février 2019 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement ns° 1902807 et 1902705 du 18 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces arrêtés.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 mars 2022, la commune de La Clusaz, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 18 janvier 2022 ;

2°) de rejeter les demandes de M. B… tendant à l’annulation des arrêtés des 29 et 30 octobre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de M. B… le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– l’existence et l’état actuel du chalet permettent de considérer que c’est un ancien chalet d’alpage qui peut être soumis aux dispositions du dernier paragraphe de l’article L. 122-11-3 du code de l’urbanisme ;
– le plan local d’urbanisme (PLU) peut encadrer la rénovation des chalets d’alpage et fixer un cadre à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation de construire, notamment en vertu des dispositions de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme ; la servitude en litige participe directement à la protection de son patrimoine en permettant la restauration et l’usage des chalets d’alpage et poursuit, au vu du plan de prévention des risques naturels, un objectif de sécurité publique ;
– l’autorisation préfectorale et la servitude administrative prévues à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme sont dissociables et l’alinéa 2 peut parfaitement s’appliquer aux anciens chalets d’alpage non reconnus par une autorisation préfectorale mais qualifiés comme tel dans un document d’urbanisme en raison de ses caractéristiques ;
– les moyens de légalité externe soulevés en première instance à l’encontre de l’arrêté du 30 octobre 2018 sont inopérants et, en tout état de cause, non fondés ;
– les autres moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 28 octobre 2022, M. B…, représenté par la Selarl Gaillard Oster Associés, conclut au rejet de la requête et à la réformation du jugement du 18 janvier 2022 en tant qu’il prononce l’annulation totale de l’arrêté du 30 octobre 2018 sans limiter son annulation à celle de son article 2, à titre subsidiaire à l’annulation de l’arrêté du 29 octobre 2018 et de l’article 2 de l’arrêté du 30 octobre 2018 ainsi que des décisions du 19 février 2019 de rejet de ses recours gracieux, et, enfin, à ce que soit mis à la charge de la commune de La Clusaz le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– les moyens soulevés par la commune de La Clusaz ne sont pas fondés ; son chalet ne peut être qualifié  » d’ancien chalet d’alpage  » au sens de l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme dès lors qu’il n’en remplit plus les caractéristiques ; si le plan local d’urbanisme de la commune identifie les bâtiments en alpage et les bâtiments d’estive sur le fondement des dispositions de l’article L.151-19 du code de l’urbanisme, notamment son chalet, une telle identification ne peut légalement justifier la servitude en litige ;
– c’est à tort que le tribunal a prononcé l’annulation totale de l’arrêté du 30 octobre 2018 alors qu’il n’a sollicité l’annulation que de l’article 2 de cet arrêté ;
– en tout état de cause, la servitude en litige est illégale en l’absence de consultation de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites et en l’absence de consultation et d’autorisation du préfet de la Haute-Savoie ; par conséquent, l’article 2 de l’arrêté portant non-opposition à déclaration préalable est illégal.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Mauclair, première conseillère ;
– les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;
– les observations de Me Louis, représentant la commune de La Clusaz et de Me Schmidt substituant Me Oster, représentant M. B….

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté n° 2018/265 du 29 octobre 2018 pris sur le fondement de l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme, le maire de la commune de La Clusaz a institué une servitude administrative interdisant, en période hivernale du 15 décembre au 31 mars de chaque année, l’utilisation du chalet d’alpage se trouvant sur les parcelles cadastrées …, situées … route du Col des Aravis. Par un arrêté du 30 octobre 2018, le maire ne s’est pas opposé à la déclaration préalable déposée le 4 octobre précédent par M. B… en vue de la transformation d’un gîte en une maison individuelle, la création de fenêtres de toit et le déplacement de la cheminée existante. Cette décision, qui vise l’arrêté du 29 octobre 2018, relève, en son article 2, que  » l’autorisation est subordonnée à l’instauration d’une servitude administrative (ci-jointe) publiée au fichier immobilier, interdisant l’utilisation du bâtiment en période hivernale, conformément à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme « . La commune de La Clusaz relève appel du jugement du 18 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés des 29 et 30 octobre 2018 ainsi que les décisions du 19 février 2019 rejetant les recours gracieux formés par M. B…. Par la voie de l’appel incident, M. B… demande la réformation de ce même jugement, en tant que le tribunal a prononcé l’annulation totale de l’arrêté du 30 octobre 2018. Il demande en outre à la cour de ne prononcer l’annulation que du seul article 2 de l’arrêté du 30 octobre 2018.

Sur la régularité du jugement :

2. En l’espèce, M. B… n’est pas fondé, par la voie de l’appel incident, et à supposer celui-ci recevable, à demander l’annulation du seul article 2 de l’arrêté du 30 octobre 2018 dont les prescriptions ne sont pas, en l’espèce, divisibles, étant relevé qu’il a, dans sa demande de première instance, sollicité l’annulation totale de cet arrêté.

Sur le moyen d’annulation retenu par le tribunal :

3. D’une part, aux termes de l’article L.122-10 du code de l’urbanisme :  » Les terres nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et forestières, en particulier les terres qui se situent dans les fonds de vallée, sont préservées. La nécessité de préserver ces terres s’apprécie au regard de leur rôle et de leur place dans les systèmes d’exploitation locaux. Sont également pris en compte leur situation par rapport au siège de l’exploitation, leur relief, leur pente et leur exposition « . Aux termes de l’article L. 122-11 du même code :  » Peuvent être autorisés dans les espaces définis à l’article L. 122-10 : (…) 3° La restauration ou la reconstruction d’anciens chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive, ainsi que les extensions limitées de chalets d’alpage ou de bâtiments d’estive existants dans un objectif de protection et de mise en valeur du patrimoine montagnard et lorsque la destination est liée à une activité professionnelle saisonnière. L’autorisation est délivrée par l’autorité administrative compétente de l’Etat après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. / Lorsque les chalets d’alpage ou bâtiments d’estive, existants ou anciens, ne sont pas desservis par les voies et réseaux, ou lorsqu’ils sont desservis par des voies qui ne sont pas utilisables en période hivernale, l’autorisation, qui ne peut être qu’expresse, est subordonnée à l’institution, par l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire ou prendre la décision sur la déclaration préalable, d’une servitude administrative, publiée au fichier immobilier, interdisant l’utilisation du bâtiment en période hivernale ou limitant son usage pour tenir compte de l’absence de réseaux. Cette servitude précise que la commune est libérée de l’obligation d’assurer la desserte du bâtiment par les réseaux et équipements publics. Lorsque le terrain n’est pas desservi par une voie carrossable, la servitude rappelle l’interdiction de circulation des véhicules à moteur édictée par l’article L. 362-1 du code de l’environnement « .

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme :  » Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu’il s’agit d’espaces boisés, il est fait application du régime d’exception prévu à l’article L. 421-4 pour les coupes et abattages d’arbres. « . Selon l’article R. 151-41 du même code :  » Afin d’assurer l’insertion de la construction dans ses abords, la qualité et la diversité architecturale, urbaine et paysagère des constructions ainsi que la conservation et la mise en valeur du patrimoine, le règlement peut : (…) 3° Identifier et localiser le patrimoine bâti et paysager à protéger, à conserver, à restaurer, à mettre en valeur ou à requalifier mentionné à l’article L. 151-19 pour lesquels les travaux non soumis à un permis de construire sont précédés d’une déclaration préalable et dont la démolition est subordonnée à la délivrance d’un permis de démolir et définir, s’il y a lieu, les prescriptions de nature à atteindre ces objectifs. « .

5. Il ressort des pièces du dossier que le chalet appartenant à M. B… était initialement composé d’une partie basse ayant dû accueillir un logis et une étable, ainsi que d’une partie haute abritant le fenil, a ensuite été utilisé, de 1977 à 1983, comme centre de colonies de vacances, puis a été exploité jusqu’en 1993 en tant qu’hôtel avant d’être transformé en gîte ouvert toute l’année, jusqu’à son acquisition par M. B… en 2017. Le 15 juin 2017, le préfet de la Haute-Savoie a, après avis de la pré-commission chalet d’alpage, estimé, comme le rappelle au demeurant l’arrêté en litige du 30 octobre 2018, que ce chalet ne présente pas, par son architecture actuelle, compte tenu notamment de sa transformation en gîte rural, le caractère patrimonial d’un ancien chalet d’alpage et n’a ainsi pas donné son autorisation en ce qu’il n’était, par suite, pas soumis à la procédure de l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme.

6. En admettant même que le plan local d’urbanisme (PLU) de la commune classe le secteur en zone Na à vocation de gestion des sites d’alpage et qu’il ait identifié, comme il le pouvait, la construction en litige comme un  » chalet d’alpage  » en application de l’article L. 151-19 du code de l’urbanisme, il ne ressort d’aucune disposition législative ou règlementaire que cette seule identification par le PLU d’une construction pour laquelle le préfet a refusé son autorisation en estimant, par une décision non contestée, qu’il ne s’agissait pas d’un ancien chalet d’alpage au sens de l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme, aurait pour objet ou pour effet de la soumettre aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 122-11, qui instituent une procédure spécifique et indépendante des protections pouvant être instituées par le PLU et qui permettent, seules, la mise en place de la servitude administrative de non-occupation saisonnière qu’elles prévoient. Si la commune se prévaut de l’objectif de sécurité publique recherché, en l’absence de desserte suffisante en période hivernale, notamment par les véhicules de secours et d’incendie, du fait de l’identification par le plan des risques naturels de l’existence d’un risque avalanche, ces circonstances, qui peuvent, si elles sont fondées, conduire l’autorité compétente à refuser l’autorisation de construire sollicitée, ne permettent en revanche pas plus, contrairement aux allégations de la commune, d’instituer la servitude prévue à l’article L. 122-11 du code de l’urbanisme. Dans ces conditions, le maire de la commune de La Clusaz ne pouvait légalement, par l’arrêté du 29 octobre 2018, instituer la servitude administrative de non-occupation saisonnière, ni, par l’arrêté du 30 octobre 2018, dont les dispositions sont indivisibles et dont l’annulation était, ainsi qu’il a été dit, demandé dans sa totalité en première instance, ne pas s’opposer à la déclaration préalable de travaux en l’assortissant de ladite servitude.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de La Clusaz n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés des 29 et 30 octobre 2018 ainsi que les décisions du 19 février 2019 rejetant les recours gracieux de M. B….

Sur les frais du litige :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B…, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la commune de La Clusaz, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de La Clusaz la somme demandée par M. B…, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de La Clusaz est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d’appel incident et tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par M. B… sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à La commune de La Clusaz et à M. A… B….
Délibéré après l’audience du 11 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La rapporteure,
A.-G. Mauclair La présidente,
M. C…
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY00989

Ours des Pyrénées – Mesures d’effarouchement – Légalité

Conseil d’État – 6ème chambre

  • N° 469597
  • ECLI:FR:CECHS:2024:469597.20240418
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 18 avril 2024

Rapporteur

Mme Juliette Mongin

Rapporteur public

  1. Nicolas Agnoux

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 décembre 2022, 27 juin 2023 et 3 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Pays de l’ours – ADET (Association pour le développement durable des Pyrénées), l’association Ferus – Ours Loup Lynx Conservation, l’Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), le Comité écologique ariègeois, l’association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l’association Animal cross et l’association Fonds d’intervention éco-pastoral – groupe ours Pyrénées (FIEP) demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 20 juin 2022 de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif à la mise en place de mesure d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– le code de l’environnement ;
– le décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 ;
– l’arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. D’une part, l’article 12 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive  » Habitats « , prévoit que :  » 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : (…) b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (…) « . L’ours brun (Ursus arctos) est au nombre des espèces figurant au point a) de l’annexe IV de la directive. L’article 16 de la même directive énonce toutefois que :  » 1. A condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) : (…) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété « .

2. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de l’article 12 de la directive  » Habitats  » :  » Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (…) d’espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (…) la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces (…) « . Aux termes du I de l’article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l’article 16 de la même directive :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (…) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l’article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s’appliquent (…) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (…) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété « .

3. Enfin, pour l’application de ces dernières dispositions, l’article R. 411-1 du code de l’environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l’objet des interdictions définies à l’article L. 411-1 du même code est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l’agriculture. L’article R. 411-6 du même code précise que :  » Les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (…) « . Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature  » (…) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement « .

4. Faisant suite à trois arrêtés pris à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, l’arrêté du 20 juin 2022 relatif à la mise en place de mesure d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, pris sur le fondement des dispositions citées au point précédent, a pour objet de fixer, à titre permanent, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques. L’association Pays de l’ours – ADET et autres demandent l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

5. L’article 2 de l’arrêté du 20 juin 2022 attaqué autorise le recours à des moyens d’effarouchement selon deux modalités, l’effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux. Dans les deux modalités, l’usage de la dérogation est conditionné à la mise en œuvre effective et proportionnée de moyens de protection du troupeau tels que définis par les plans de développement ruraux ou de mesures reconnues équivalentes, sauf si le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé. L’article 3 de l’arrêté fixe les conditions de mise en œuvre de l’effarouchement simple. Ainsi, un éleveur, groupement pastoral ou gestionnaire d’estive peut déposer une demande de dérogation qui doit être justifiée, aux termes du I de cet article, par la survenance d’au moins une attaque sur l’estive lors de l’année précédente, ou d’au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes ou de plus de dix attaques par an en moyenne lors des trois saisons d’estive précédentes. Le déclenchement des opérations d’effarouchement n’est possible, aux termes du II de cet article qu’en présence d’indices de la présence récente de l’ours brun à proximité du troupeau. La mise en œuvre de l’effarouchement simple est, par ailleurs, conditionnée, aux termes du III de l’article, à une information préalable par les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) en direction des personnes en charge de cette mise en œuvre. Un compte rendu annuel de réalisation doit être adressé au préfet par le bénéficiaire de la dérogation. L’article 4 de l’arrêté précise, enfin, les modalités de mise en œuvre de l’effarouchement renforcé, lequel est subordonné, aux termes de son I, à la mise en place de l’effarouchement simple et à la survenance, malgré la mise en œuvre effective de moyens d’effarouchement simple, d’une deuxième attaque en moins d’un mois. Sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, l’effarouchement renforcé peut être mis en œuvre dès la première attaque imputable à l’ours survenue malgré la mise en œuvre effective de moyens d’effarouchement simple lors de l’estive en cours. Sur les estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques par an au cours des trois saisons d’estive précédentes, l’effarouchement renforcé peut être mis en œuvre en cas de nouvelle attaque malgré la mise en œuvre effective de moyens d’effarouchement simple durant les douze mois précédents. La dérogation est délivrée aux termes du II de l’article pour une durée maximale de 8 mois ne pouvant s’étendre au-delà de la saison d’estive en cours, et peut être suspendue si le compte-rendu d’une opération d’effarouchement n’est pas adressé ou si les conditions de dérogation ne sont plus réunies. Les opérations d’effarouchement renforcés sont, aux termes du III de l’article, mises en œuvre autour d’un troupeau regroupé pour la nuit, lorsqu’il est exposé à la prédation d’un ours repéré à sa proximité immédiate. Elles sont réalisées de nuit, avec une extension possible aux périodes crépusculaires ou matinales, par l’éleveur ou le berger ou par des lieutenants de louveterie ou par des chasseurs ou des agents de l’OFB, constituant un binôme, depuis un ou plusieurs postes fixes, une personne éclairant l’ours et validant la possibilité de tir et une autre manipulant l’arme. Les tirs de munition à double détonation sont effectués en veillant à ce que les opérations demeurent entre le troupeau ou le poste fixe et la zone estimée de présence de l’ours, et en maintenant un angle d’au moins 45° par rapport au sol. Les tirs sont réalisés seulement tant que le prédateur persiste dans un comportement intentionnel de prédation, et prennent en compte le risque incendie. Toutes les personnes effectuant les tirs doivent être titulaires du permis de chasser valable pour l’année en cours et, s’agissant des personnes autres que les agents de l’OFB, doivent avoir suivi une formation préalable à la fois théorique et pratique. Elles ont en outre interdiction d’être en possession de munitions létales au moment de l’opération. L’article 5 de l’arrêté interdit toute mesure d’effarouchement renforcé dans le cœur du Parc national des Pyrénées et prévoit que les mesures d’effarouchement simple en ce cœur doivent faire l’objet d’une autorisation du directeur du parc.

Sur l’état de conservation de l’ours en France :

6. Il ressort des pièces des dossiers que l’ours brun ne vit plus en France que dans le massif des Pyrénées. Alors que l’effectif de l’espèce en France comptait encore environ 150 individus au début du XXème siècle, la population ursine a ensuite connu un fort déclin, pour ne plus compter que 7 ou 8 individus dans les années 1980. Un régime de protection a été institué en 1981 et des réintroductions effectuées à compter de 1996 permettent une amélioration progressive de la situation de l’espèce. Il ressort ainsi des éléments produits au dossier que l’effectif minimal retenu (EMR) pour l’année 2021 était de 74 spécimens, contre 68 spécimens l’année précédente, les dernières données disponibles publiées en début d’année 2023 faisant d’ailleurs état d’un effectif désormais estimé à 76 spécimens. Ces données mettent en évidence un taux d’accroissement moyen annuel de la population ursine de l’ordre de 11,23 % entre 2006 et 2021. Par ailleurs, l’aire de répartition totale de l’espèce, est estimée à environ 5 700 km², soit une diminution de 2 500 km² par rapport à 2020, cette diminution étant toutefois attribuée à une évolution dans la méthode de suivi de l’espèce qui a conduit à ce qu’aucun ours ne soit plus désormais équipé d’émetteur GPS. Dans ce contexte, et malgré l’accroissement de la population d’ours, les effectifs de l’espèce demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l’espèce, estimée à un peu plus d’une centaine d’individus matures par un rapport d’évaluation établi le 26 septembre 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle à la demande du Gouvernement, de sorte que l’état de conservation de l’espèce ne peut, à la date de l’arrêté attaqué, être regardé comme ayant retrouvé un caractère favorable au sens de l’article R. 161-3 du code de l’environnement, qui transpose l’article 1er de la directive du 21 mai 1992 précitée.

Sur la légalité de l’arrêté attaqué :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 et des dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement :

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative à l’objectif de prévenir des dommages importants à l’élevage :

7. Si les associations requérantes soutiennent que les pertes occasionnées par l’ours sont surestimées, notamment compte tenu des dispositions de l’article 3 du décret du 9 juillet 2019 relatif à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l’ours et le lynx qui permettent la prise en considération de mortalités pour lesquelles la responsabilité de l’ours n’est pas écartée, et, en tout état de cause, qu’elles ne représenteraient qu’une très faible proportion de l’ensemble des pertes constatées dans les estives concernées par la présence de l’ours, ces circonstances sont en elles-mêmes sans incidence sur la légalité de l’arrêté attaqué, dès lors que ses dispositions ne permettent, ainsi qu’il a été rappelé au point 5, le recours à des mesures d’effarouchement, simple ou renforcé, que dans le cas où le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés comme importants. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué méconnaîtrait la condition relative à l’objectif de prévenir des dommages importants à l’élevage posée à l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté.

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative à l’absence d’autre solution satisfaisante :

8. Si l’objectif tenant à la prévention des dommages importants à l’élevage est au nombre des motifs qui peuvent justifier, aux termes des dispositions législatives citées ci-dessus, une dérogation à l’interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d’une espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, et dont l’état de conservation est défavorable, de telles mesures dérogatoires ne sauraient par ailleurs être légalement adoptées que si elles ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et à empêcher le rétablissement de celles-ci dans un état de conservation favorable.

9. D’une part, si les associations requérantes soutiennent que les mesures d’effarouchement, simple comme renforcé, sont inefficaces pour prévenir des dommages aux troupeaux, il ressort des pièces du dossier que ces mesures, mises en œuvre à titre expérimental entre 2019 et 2021, ont permis, dans la majorité des cas, la mise en fuite des individus concernés et la réduction du nombre d’attaques dans les estives concernées, sans qu’il soit apporté par ailleurs d’éléments de nature à démontrer que d’autres mesures auraient une efficacité supérieure à celles résultant de l’arrêté attaqué.

10. D’autre part, l’arrêté attaqué prévoit, en son article 2, que la délivrance des dérogations permettant le recours à des moyens d’effarouchement des ours sur une estive donnée est conditionnée à la mise en œuvre effective et proportionnée des moyens de protection du troupeau tels que définis dans les plans de développement ruraux ou à la mise en œuvre effective, attestée par la direction départementale compétente, ou de mesures reconnues équivalentes, sauf si le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé. Il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre des mesures d’effarouchement revêt un caractère subsidiaire et est subordonnée à l’existence de mesures effectives et proportionnées de protection du troupeau, prévues par l’arrêté du 28 novembre 2019 relatif à l’opération de protection de l’environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ou de mesures effectives et reconnues équivalentes par la direction départementale des territoires et de la mer. Si les associations requérantes soutiennent que la combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et de la présence de chiens de protection, préconisée notamment par le CNPN, constitue une autre solution satisfaisante, il ne résulte pas des pièces du dossier que la mise en œuvre de telles mesures présenterait des résultats équivalents à ceux de l’effarouchement.

11. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté en litige méconnaîtrait les dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, faute pour le ministre d’établir qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante à la mise en place de mesures d’effarouchement, doit être écarté.

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle :

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier du bilan tiré de l’expérimentation menée en 2019, 2020 et 2021, qu’en l’état des connaissances disponibles, les mesures d’effarouchement simple par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, mises en œuvre dans les conditions prévues par l’arrêté attaqué, ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d’ours dans leur aire de répartition naturelle ou à empêcher l’amélioration de l’état de conservation de l’espèce.

13. En second lieu, d’une part, les dispositions du I de l’article 4 de l’arrêté attaqué permettent le recours à l’effarouchement renforcé à l’aide d’un fusil de calibre 12 chargé de cartouches à double détonation, ou, pour la protection des personnes réalisant l’opération face au comportement menaçant d’un ours, de cartouches à munition en caoutchouc lorsque les conditions qu’il prévoit en termes d’attaques préalables, rappelées au point 5, sont remplies. Les dispositions du II du même article prévoient que les dérogations accordées sont délivrées pour une durée maximale de huit mois, sans pouvoir s’étendre au-delà de la saison d’estive en cours. Par ailleurs, les dispositions de son III fixent différentes conditions cumulatives, mentionnées au point 5, encadrant strictement la mise en œuvre pratique de ces opérations d’effarouchement renforcé afin qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité et évitent toute atteinte, même accidentelle, à un spécimen d’ours.

14. D’autre part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du bilan tiré de l’application des arrêtés ayant permis la mise en œuvre d’opérations effarouchement renforcé à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, qu’aucune incidence des opérations menées sur l’évolution de l’espèce n’a été relevée. De même, aucun effet négatif particulier n’a été mis en évidence, selon les éléments versés au dossier par le ministre et qui ne sont pas utilement contestés par les associations requérantes, s’agissant de la situation des femelles en gestation ou suitées. A cet égard, il résulte des éléments produits que le nombre de femelles suitées a sensiblement augmenté en 2019 et 2020 et qu’aucune séparation entre une femelle et son ourson n’a été constatée à la suite de la mise en œuvre d’une opération d’effarouchement renforcé.

15. En outre, s’il est soutenu que les dérogations délivrées dans les conditions prévues par l’arrêté attaqué sont susceptibles, par leurs effets cumulés et faute de dispositions organisant une coordination entre les préfets concernés, d’empêcher un rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable, ainsi qu’il a été dit au point précédent, aucune incidence des opérations d’effarouchement menées n’a été relevée sur l’évolution de l’espèce. Par ailleurs, il appartient, dans tous les cas, au préfet compétent pour accorder une dérogation, sous le contrôle du juge administratif, d’apprécier au préalable si celle-ci n’est pas de nature à compromettre le rétablissement de l’espèce dans un état de conservation favorable, en tenant compte le cas échéant des potentiels effets cumulés avec les dérogations qu’il a déjà accordées.

16. Enfin, la circonstance que les personnes autres que les agents de l’Office français de la biodiversité autorisées à mettre en œuvre les tirs d’effarouchement renforcé, en vertu de l’article 4 de l’arrêté attaqué, seraient susceptibles de ne pas respecter les modalités de tirs fixées à cet article est, en tant que telle, sans incidence sur sa légalité.

17. Il suit de là, qu’en l’état des données les plus récentes, notamment des conclusions tirées de l’expérimentation menée pendant trois ans dans les estives concernées par la présence de l’ours, les dispositions de l’arrêté attaqué relatives à l’effarouchement renforcé, qui encadrent les modalités selon lesquelles des dérogations sont susceptibles d’être accordées par le préfet, n’apparaissent pas susceptibles de porter atteinte au maintien des populations de l’espèce dans leur aire de répartition naturelle, ni de compromettre l’amélioration de l’état de l’espèce.

18. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, pris pour la transposition de l’article 16 de la directive du 21 mai 1992, doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré du principe de précaution :

19. Aux termes de l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :  » 2. La politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur « . En vertu de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment de son arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019, il découle du principe de précaution consacré par les stipulations précitées que si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si une dérogation susceptible d’intervenir sur le fondement de l’article 16 de la directive du 21 mai 1992 précitée nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d’une espèce menacée d’extinction dans un état de conservation favorable, l’Etat membre doit s’abstenir de l’adopter ou de la mettre en œuvre.

20. Si les associations requérantes soutiennent que l’arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de précaution défini par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il résulte de ce qui a été dit aux points 12 à 17 qu’en l’état des connaissances scientifiques, la réglementation qu’il met en place ne contrevient pas à la condition du maintien ou du rétablissement, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans leur aire de répartition naturelle posée par la directive du 21 mai 1992 précitée et les articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement, et ne saurait donc être regardée comme laissant subsister une incertitude sur ce point. Dès lors, le moyen soulevé ne peut qu’être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêté attaqué. Par suite, leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association Pays de l’ours – ADET (Association pour le développement durable des Pyrénées) et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association Pays de l’ours – ADET (Association pour le développement durable des Pyrénées), première requérante dénommée, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré à l’issue de la séance du 14 mars 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d’Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 18 avril 2024.
La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse

ECLI:FR:CECHS:2024:469597.20240418

 

 

Conseil d’État, 6ème chambre, 18/04/2024, 474049, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – 6ème chambre

  • N° 474049
  • ECLI:FR:CECHS:2024:474049.20240418
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 18 avril 2024

Rapporteur

Mme Juliette Mongin

Rapporteur public

  1. Nicolas Agnoux

Avocat(s)

SCP LYON-CAEN, THIRIEZ

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 mai et le 6 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association One Voice demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 4 mai 2023 du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relatif à la mise en place de mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son Préambule ;
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– l’arrêté du 20 juin 2022 de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif à la mise en place de mesure d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de l’association One Voice ;

Considérant ce qui suit :

1. D’une part, l’article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive  » Habitats « , prévoit que :  » 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : (…) b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (…) « . L’ours brun (Ursus arctos) est au nombre des espèces figurant au point a) de l’annexe IV de la directive. L’article 16 de la même directive énonce toutefois que :  » 1. A condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) : (…) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété « .

2. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de l’article 12 de la directive  » Habitats  » :  » Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (…) d’espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (…) la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces (…) « . Aux termes du I de l’article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l’article 16 de la même directive :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (…) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en œuvre des interdictions prises en application du I de l’article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s’appliquent (…) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (…) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété « .

3. Enfin, pour l’application de ces dernières dispositions, l’article R. 411-1 du code de l’environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l’objet des interdictions définies à l’article L. 411-1 du même code est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l’agriculture. L’article R. 411-6 du même code précise que :  » Les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (…) « . Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature  » (…) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement « .

4. Faisant suite à trois arrêtés pris à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, l’arrêté de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire du 20 juin 2022 relatif à la mise en place de mesure d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, pris sur le fondement des dispositions citées au point précédent, a fixé, d’une part, les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns pouvaient être accordées à un éleveur, à groupement pastoral ou à un gestionnaire d’estive par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, pour la mise en œuvre de deux types de mesures, l’effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux, en fixant des conditions tenant notamment à la mise en œuvre de moyens de protection du troupeau, au nombre ou à la fréquence des attaques survenues au cours des saisons d’estive précédentes, d’autre part, les modalités de mise en œuvre de ces mesures et les conditions dans lesquelles il en est rendu compte.

5. L’arrêté du 4 mai 2023 abroge l’arrêté du 20 juin 2022 pour rétablir des dispositions pour l’essentiel identiques à celles de cet arrêté, sous réserve de précisions concernant les conditions de mise en œuvre de l’effarouchement renforcé. Les mots  » tirs non létaux  » sont remplacés par  » tirs à effet sonores « . Ces tirs ne peuvent plus être mis en œuvre que par un agent de l’Office français de la biodiversité, et non plus par l’éleveur, par le berger, par un lieutenant de louvèterie ou par un chasseur. Si l’ours en cause est une femelle suitée, le tir ne peut intervenir que lorsque les conséquences dommageables pour le troupeau résultant du comportement du prédateur apparaissent certaines.

Sur l’état de conservation de l’ours en France :

6. Il ressort des pièces des dossiers que l’ours brun ne vit plus en France que dans le massif des Pyrénées. Alors que l’effectif de l’espèce en France comptait encore environ 150 individus au début du XXème siècle, la population ursine a ensuite connu un fort déclin, pour ne plus compter que 7 ou 8 individus dans les années 1980. Un régime de protection a été institué en 1981 et des réintroductions effectuées à compter de 1996 permettent une amélioration progressive de la situation de l’espèce. Il ressort ainsi des éléments produits au dossier que l’effectif minimal retenu pour les ours pour l’année 2021 était de 74 spécimens, contre 68 spécimens l’année précédente, les dernières données disponibles publiées en début d’année 2023 faisant état d’un effectif désormais estimé à 76 spécimens. Ces données mettent en évidence un taux d’accroissement moyen annuel de la population ursine de l’ordre de 11,23 % entre 2006 et 2021. Par ailleurs, l’aire de répartition totale de l’espèce est estimée à environ 5 700 km², soit une diminution de 2 500 km² par rapport à 2020, cette diminution étant toutefois attribuée à une évolution dans la méthode de suivi de l’espèce qui a conduit à ce qu’aucun ours ne soit plus désormais équipé d’émetteur GPS. Dans ce contexte, malgré l’accroissement de la population d’ours, les effectifs de l’espèce demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l’espèce, estimée à un peu plus d’une centaine d’individus matures par un rapport d’évaluation établi le 26 septembre 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle à la demande du Gouvernement. Il suit de là que l’état de conservation de l’espèce ne peut, à la date de l’arrêté attaqué, être regardé comme ayant retrouvé un caractère favorable au sens de l’article R. 161-3 du code de l’environnement, qui transpose l’article 1er de la directive du 21 mai 1992 précitée.

Sur la légalité externe de l’arrêté attaqué :

7. Il ressort des pièces du dossier que préalablement à son adoption, l’arrêté attaqué a été soumis à la participation du public par voie électronique, entre le 31 mars et le 21 avril 2023, en application des dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement. Contrairement à ce que soutient l’association One Voice, la note de présentation du projet accompagnant le projet d’arrêté expose son contexte et son objet. Par ailleurs, étaient notamment joints à cette note de présentation tant l’avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) du 22 mars 2023, qui expose quelles seraient, selon lui, les incidences négatives du dispositif prévu, que le bilan global des expérimentations menées en 2019, 2020 et 2021 et le bilan de l’effarouchement pour l’année 2022. Par suite, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que les conditions dans lesquelles a été mise en œuvre la participation du public, auraient été irrégulières. Le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement ne peut, dès lors, qu’être écarté.

Sur la légalité interne de l’arrêté attaqué :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 et des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement :

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative à l’objectif de prévenir des dommages importants à l’élevage :

8. Si l’association requérante soutient que les pertes occasionnées par l’ours ne représenteraient qu’une faible proportion de l’ensemble des pertes accidentelles annuelles constatées dans les estives concernées par la présence de l’ours, cette seule circonstance est en elle-même sans incidence sur la légalité de l’arrêté attaqué, dès lors que ses dispositions ne permettent le recours à des mesures d’effarouchement, simple ou renforcé, que dans le cas où le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué méconnaîtrait la condition relative à l’existence de dommages importants à l’élevage posée à l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté.

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative à l’absence d’autre solution satisfaisante :

9. Si l’objectif tenant à la prévention des dommages importants à l’élevage est au nombre des motifs qui peuvent justifier, aux termes des dispositions législatives citées ci-dessus, une dérogation à l’interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d’une espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, et dont l’état de conservation est défavorable, de telles mesures dérogatoires ne sauraient par ailleurs être légalement adoptées que si elles ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce.

10. D’une part, si les requérantes soutiennent que les mesures d’effarouchement sont inefficaces, il ressort des pièces du dossier que ces mesures, mises en œuvre à titre expérimental entre 2019 et 2021 puis de manière pérenne en 2022 sur le fondement des données scientifiques disponibles, ont permis, dans la majorité des cas, la mise en fuite des individus concernés et la réduction du nombre d’attaques dans les estives concernées, sans que les requérantes n’apportent par ailleurs d’éléments de nature à démontrer que d’autres mesures auraient une efficacité supérieure à celles résultant de l’arrêté attaqué.

11. D’autre part, l’arrêté attaqué prévoit, en son article 2, que la délivrance des dérogations permettant le recours à des moyens d’effarouchement des ours sur une estive donnée est conditionnée à la mise en œuvre effective et proportionnée des moyens de protection du troupeau, tels que définis dans le plan stratégique national de la politique agricole commune, ou à la mise en œuvre effective, attestée par la direction départementale compétente, de mesures reconnues équivalentes, sauf si le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé. Il résulte de ces dispositions que la mise en œuvre des mesures d’effarouchement revêt un caractère subsidiaire, et est subordonnée à l’existence de mesures effectives et proportionnées de protection du troupeau, prévues par le plan stratégique national de la politique agricole commune ou de mesures effectives et reconnues équivalentes par la direction départementale des territoires et de la mer. Si les associations requérantes soutiennent que la combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et de la présence de chiens de protection, notamment préconisée par le CNPN, constitue une autre solution satisfaisante, il ne résulte pas des pièces du dossier, au vu des éléments produits, que la mise en œuvre de telles mesures présenterait des résultats équivalents à ceux de l’effarouchement.

12. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, les moyens tirés de ce que l’arrêté en litige méconnaîtrait les dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, faute pour le ministre d’établir qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante à la mise en place de mesures d’effarouchement, doit être écarté.

S’agissant de la méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle :

13. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier du bilan réalisé pour les années 2019, 2020, 2021 et 2022, qu’en l’état des connaissances disponibles, les mesures d’effarouchement simple par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, mises en œuvre dans les conditions prévues par l’arrêté attaqué, ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d’ours ou à compromettre l’amélioration de l’état de conservation de l’espèce. En outre, à supposer qu’ils soient susceptibles d’occasionner des dommages auditifs, l’article 3 de l’arrêté attaqué, à la différence des arrêtés précédents portant expérimentation, exclut expressément le recours à des dispositifs utilisant des systèmes pyrotechniques tels que les canons à gaz et les lance-fusées parmi les moyens susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre de l’effarouchement simple.

14. En second lieu, d’une part, les dispositions du I de l’article 4 de l’arrêté attaqué permettent le recours à l’effarouchement renforcé à l’aide d’un fusil de calibre 12 chargé de cartouches à double détonation, ou, pour la protection des personnes réalisant l’opération face au comportement menaçant d’un ours, de cartouches à munition en caoutchouc lorsque les conditions qu’il prévoit en termes d’attaques préalables, rappelées au point 5, sont remplies. Les dispositions du II du même article prévoient que les dérogations accordées sont délivrées pour une durée maximale de huit mois, sans pouvoir s’étendre au-delà de la saison d’estive en cours. Par ailleurs, les dispositions de son III fixent différentes conditions cumulatives, mentionnées au point 5, encadrant strictement la mise en œuvre pratique de ces opérations d’effarouchement renforcé afin qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité et d’éviter toute atteinte, même accidentelle, à un spécimen d’ours. Le 8° du III de cet article 4, issu de l’arrêté attaqué, réserve notamment désormais la possibilité de mettre en œuvre les opérations d’effarouchement renforcé aux seuls agents de l’Office français de la biodiversité, préalablement formés aux aspects techniques et réglementaires.

15. D’autre part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du bilan tiré de l’application des arrêtés ayant permis la mise en œuvre d’opérations effarouchement renforcé en 2019, 2020, 2021 et 2022, qu’aucune incidence des mesures prises sur l’évolution de l’espèce n’a été relevée. De même, aucun effet négatif particulier n’a été mis en évidence, selon les éléments versés au dossier par le ministre et qui ne sont pas utilement contestés par les associations requérantes, que ce soit s’agissant d’éventuels dommages auditifs à la suite de la mise en œuvre de tirs d’effarouchement, ou de la situation des femelles en gestation ou suitées. A cet égard, il résulte des éléments de bilan produits que les opérations d’effarouchement renforcé n’ont pas eu pour effet de séparer les mères de leur portée, ni de conduire à une baisse du nombre de jeunes détectés l’année suivant ces opérations, issus de portées de l’année précédente. Le 9° du III de l’arrêté attaqué conditionne par ailleurs la mise en œuvre des opérations d’effarouchement renforcé, en présence d’une femelle suitée accompagnée d’oursons, à l’existence de conséquences dommageables certaines à venir pour le troupeau résultant de leur comportement prédateur.

16. Il suit de là qu’en l’état des données les plus récentes, notamment des conclusions tirées de la mise en place d’opérations d’effarouchement pendant quatre ans dans les estives concernées par la présence de l’ours, il ne résulte pas des pièces du dossier que les dispositions de l’arrêté attaqué relatives à l’effarouchement renforcé, qui encadrent les modalités selon lesquelles des dérogations sont susceptibles d’être accordées par le préfet, seraient susceptibles de porter atteinte au maintien des populations de l’espèce dans leur aire de répartition naturelle, ou de compromettre l’amélioration de l’état de l’espèce.

17. Par suite, les différents moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, pris pour la transposition de l’article 16 de la directive du 21 mai 1992, doivent être écartés.

18. Il résulte de tout ce qui précède que l’association One Voice n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté attaqué.

19. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
————–
Article 1er : La requête de l’association One Voice est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association One Voice, au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au Premier ministre.
Délibéré à l’issue de la séance du 14 mars 2024 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Stéphane Hoynck, conseiller d’Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 18 avril 2024.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse

ECLI:FR:CECHS:2024:474049.20240418