Forêts de montagne/ Accident/ Compétence juridictionnelle/ Faute de police (non)

CAA de MARSEILLE

N° 17MA00828
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre – formation à 3
M. VANHULLEBUS, président
Mme Karine DURAN-GOTTSCHALK, rapporteur
M. ARGOUD, rapporteur public
LUDOT, avocat

 

lecture du jeudi 18 octobre 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B…C…a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune de Vernet-les-Bains et l’Office national des forêts (ONF) à lui payer la somme de 95 000 euros en réparation des préjudices résultant d’un accident subi sur un chemin de randonnée.
Par un jugement n° 1503782 du 19 janvier 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 février 2017, le 8 août 2017, le 5 octobre 2017 et le 17 novembre 2017, M.C…, représenté par MeA…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 janvier 2017 ;

2°) de condamner in solidum la commune de Vernet-les-Bains et l’ONF à lui payer la somme de 124 000 euros ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune et de l’ONF les dépens et la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– le juge administratif est compétent pour connaître des conclusions dirigées contre l’ONF chargé de la gestion et de la prévention des risques naturels et de la conservation, de la protection et de la surveillance des forêts ;
– il est également compétent dès lors que le massif du Canigou fait partie du domaine public de l’Etat ;
– l’ONF n’a pas assuré correctement ces missions ;
– le maire de la commune de Vernet-les-Bains a failli dans l’exercice de ses pouvoirs de police ;
– la responsabilité de la commune est également engagée pour défaut d’entretien normal et pour caractère exceptionnellement dangereux de l’ouvrage public ;
– le lieu de l’accident est établi ;
– l’information donnée aux promeneurs n’était pas suffisante ;
– les préjudices qu’il a subis doivent être réparés.

 

Par un mémoire, enregistré le 22 mars 2017, la Caisse nationale de santé demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 19 janvier 2017 ;

2°) de condamner in solidum la commune de Vernet-les-Bains, Groupama Méditerranée et l’ONF à lui payer la somme de 62 675,33 euros, ainsi que les intérêts au taux légal ;

3°) de mettre à la charge solidaire de la commune, de Groupama Méditerranée et de l’ONF les dépens et la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu’elle est fondée à demander la condamnation du tiers responsable à lui rembourser le montant des débours qu’elle a exposés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 août 2017 et le 22 septembre 2017, l’ONF conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. C…la somme de
3 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
– le juge administratif est incompétent pour connaître de sa responsabilité dans le cadre de sa gestion du domaine privé forestier ;
– à titre subsidiaire, le lieu exact de l’accident n’est pas précisé ;
– l’article L. 221-6 du code forestier est inapplicable au litige en l’absence de convention ;
– il ne lui appartient pas de prendre des mesures de sécurité du public contre les risques naturels ;
– le rocher ne s’est pas détaché d’un couloir d’éboulis dont il serait chargé de
l’entretien ;
– il convient de ramener les prétentions indemnitaires de M. C…à de plus justes proportions ;

– l’indemnisation qui peut être allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire comprend celle demandée au titre d’un arrêt de travail ;
– l’existence d’un préjudice d’agrément n’est pas établie.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2017, la commune de Vernet-les-Bains conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. C…la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– la forêt n’est pas un ouvrage public ;
– elle n’est pas propriétaire de cette forêt ;
– l’information donnée aux randonneurs est suffisante ;
– il convient de ramener les prétentions indemnitaires de M. C…à de plus justes proportions ;
– l’indemnisation qui peut être allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire comprend celle demandée au titre d’un arrêt de travail ;
– l’existence d’un préjudice d’agrément n’est pas établie.

 

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2017, la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Méditerranée – Groupama Méditerranée conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de M. C…la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– la réalité des faits n’est pas établie ;
– la commune a balisé le chemin et signalé les risques d’éboulement ;
– le site n’a pas le caractère d’un ouvrage exceptionnellement dangereux ;
– il convient de ramener les prétentions indemnitaires de M. C…à de plus justes proportions ;
– l’indemnisation qui peut être allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire comprend celle demandée au titre d’un arrêt de travail ;
– l’existence d’un préjudice d’agrément n’est pas établie.

 

Vu les autres pièces du dossier.

 

Vu :
– le code forestier ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

 

 

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Duran-Gottschalk, rapporteure,
– les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,
– et les observations de MeE…, représentant Groupama Méditerranée et de
Me D…substituant la SCP Henry-Chichet-Pailles, représentant la commune de Vernet-les-Bains.
Considérant ce qui suit :

1. M. C…a été blessé le 26 juillet 2013 par la chute d’un rocher alors qu’il se promenait sur le chemin de randonnée n° 7 dénommé  » Cascades des Anglais et Gorges du Saint Vincent  » situé sur la commune de Vernet-les-Bains, dans le massif forestier du Canigou, géré par l’Office National des Forêts (ONF). Il relève appel du jugement du 19 janvier 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation solidaire de la commune de Vernet-les-Bains et de l’ONF à réparer les préjudices qu’il a subis.
Sur la régularité du jugement :

2. Lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement public industriel et commercial (EPIC), les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique. Aux termes de l’article L. 221-1 du code forestier :  » L’Office national des forêts est un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’Etat.  » Aux termes de l’article L. 221-2 du même code :  » L’Office national des forêts est chargé de la mise en oeuvre du régime forestier et exerce cette mission dans le cadre des arrêtés d’aménagement prévus à l’article L. 212-1. Il est également chargé de la gestion et de l’équipement des bois et forêts mentionnés au 1° du I de l’article L. 211-1.  » Selon l’article L. 221-6 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur :  » L’Office national des forêts peut être chargé, en vertu de conventions passées avec des personnes publiques ou privées, de la réalisation, en France ou à l’étranger, d’opérations de gestion, d’études, d’enquêtes et de travaux en vue de (…) 3° La prévention des risques naturels « .

 

3. M. C…recherche la responsabilité de l’ONF en raison d’une part, de ses missions de gestion et prévention des risques naturels et d’autre part, d’entretien de la forêt dans le massif du Canigou lequel, contrairement à ce qu’il soutient, appartient au domaine privé de l’Etat, quand bien même le lieu appartiendrait à un site classé, serait inscrit en zone  » Natura 2000 « , en zone spéciale de conservation et en tant que  » Grand site de France « . Il ne résulte toutefois pas de l’instruction que l’ONF aurait conclu avec l’Etat une convention lui permettant d’exercer sur les lieux de l’accident une mission au titre de la prévention des risques naturels. Le défaut d’entretien reproché par ailleurs à l’ONF par le requérant ne met pas en cause l’exercice, par cet établissement public, de prérogatives de puissance publique. C’est par suite à bon droit que le tribunal administratif a rejeté les conclusions dirigées contre l’ONF comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

 

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité fondée sur le défaut d’entretien normal et le caractère exceptionnellement dangereux de l’ouvrage public :

4. Le chemin de randonnée emprunté par M. C…n’étant pas affecté à la circulation générale, il ne peut être qualifié d’ouvrage public. Dans ces conditions, le requérant ne peut utilement invoquer le défaut d’entretien normal de cet ouvrage, ni son caractère exceptionnellement dangereux.
En ce qui concerne la responsabilité du maire au titre de ses pouvoirs de police
générale :

5. Aux termes de L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, (…) les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels (…).  » Selon l’article L. 2212-4 du même code :  » En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances « . En vertu de ces dispositions, il incombe au maire de la commune d’assurer la sécurité des promeneurs et notamment de signaler les dangers qui excèdent ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement se prémunir.

6. Un panneau de danger est apposé sur le sentier de la cascade des Anglais avertissant les randonneurs du caractère très accidenté du terrain, leur demandant de rester vigilants et de ne pas utiliser les passerelles de franchissement de la cascade pour jouer ou se balancer. Il ne résulte par ailleurs pas de l’instruction que le risque qui s’est réalisé excèderait les risques ordinaires contre lesquels les randonneurs doivent se prémunir lorsqu’ils circulent sur des sentiers de montagne. Cette signalisation suffisante n’appelait aucune mesure complémentaire d’information. Dans ces conditions, et comme l’a jugé à bon droit le tribunal administratif, le maire n’a pas fait preuve de carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. C…et la Caisse nationale de santé ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes.

 

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune de Vernet-les-Bains, de la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Méditerranée – Groupama Méditerranée et de l’ONF, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que M. C…et la Caisse nationale de santé demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. C…les sommes demandées au même titre par la commune de Vernet-les-Bains, la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Méditerranée – Groupama Méditerranée et l’ONF.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C…et les conclusions de la Caisse nationale de santé sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de l’ONF, de la commune de Vernet-les-Bains et de la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Méditerranée – Groupama Méditerranée présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B…C…, à la Caisse nationale de santé, à l’Office National des Forêts, à la commune de Vernet-les-Bains et à la caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Méditerranée – Groupama Méditerranée.