Construction de remontées mécaniques/ Atteinte au droit d’accès automobile des riverains/ Référé liberté

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine skiable d’interrompre les travaux en cours et de rétablir la viabilité de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard hors intempéries, dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance. Par une ordonnance n° 2006269 du 28 octobre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler l’article 1er de cette ordonnance ;

2°) d’enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine Skiable de désencombrer sans délai le chemin de l’Arête et de le remettre en état afin de rétablir son affectation à la circulation au moins provisoirement, le temps que la commune réalise le dévoiement de cette voie publique conformément aux dispositions indiquées au sein du dossier de demande d’autorisation d’exécution des travaux déposé le 25 octobre 2018 par cette société, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d’un délai d’un mois (hors intempéries) à partir de la notification de l’ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Samoëns et de la société SA Grand Massif Domaine Skiable la somme de 2 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– la requête est recevable ;
– la condition d’urgence est remplie dès lors que, en premier lieu, le requérant est privé de tout accès à sa résidence en véhicule automobile, en deuxième lieu, les services publics d’incendie et de secours sont dans l’incapacité d’intervenir sur sa propriété ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, et notamment à la liberté des riverains d’accéder à la voie publique dès lors que l’installation de la gare de télécabine a conduit à la destruction de la chaussée empêchant tout véhicule d’accéder à sa propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2020, la commune de Samoëns conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. A… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 et 19 novembre 2020, la société SA Grand Massif Domaines Skiables conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, M. A…, et d’autre part, la commune de Samoëns et la société SA Grand Massif Domaines Skiables ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 20 novembre 2020, à 10 heures :

– Me Robillot, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A… ;
– M. A… ;

– Me Pinet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Samoëns ;

– le maire de Samoëns ;

– le représentant de la société SA Grand Massif Domaines Skiables ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l’instruction au 23 novembre 2020 à minuit puis au 24 novembre 2020 à minuit.

Par deux nouveaux mémoires, présentés les 20 et 23 novembre 2020, M. A… maintient ses conclusions et ses moyens. Il demande en outre, à titre subsidiaire, qu’il soit enjoint à la commune de Samoëns de :
– solliciter l’accord des propriétaires des parcelles E 3635, E 944 et E 940 en vue d’une vente ainsi qu’un droit de passage pour la réalisation des travaux d’accès carrossable au chemin de l’Arête par tout véhicule de tourisme dans un délai de 3 jours à compter de la notification de l’ordonnance et faire connaître au juge des référés la réponse apportée dans les 24 heures, chacun de ces délais étant assorti d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
– en cas d’accord des propriétaires, réaliser les travaux dans le délai de trois jours et produire un constat de fin de travaux dans les 24 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais, puis acquérir les parcelles dans le délai de deux mois et justifier de cette acquisition dans les 24 heures, sous astreinte, pour chacun de ces délais, de 500 euros par jour de retard ;
– en cas de désaccord des propriétaires, solliciter du préfet de Haute-Savoie une autorisation d’occupation temporaire sur les parcelles E 3635, E 944 et E 940 dans les 48 heures et en justifier dans les 24 heures suivantes, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais ;
– réaliser les travaux d’accès au chemin de l’Arête dans le délai de trois jours à compter de la délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire et produire un constat de fin de travaux dans les 24 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais ;
– à défaut, enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables de rétablir l’accès initial au chemin de l’Arête après démolition ou déplacement de la gare de télécabines, dans un délai de 15 jours sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
– à défaut, enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables d’établir par tout moyen utile un accès carrossable par tout véhicule de tourisme au chemin de l’Arête, dans le délai de 15 jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par un nouveau mémoire, présenté le 23 novembre 2020, la commune de Samoëns maintient ses conclusions et ses moyens.

Par un nouveau mémoire, présenté le 24 novembre 2020, la société SA Grand Massif Domaines Skiables maintient ses conclusions et ses moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .

2. Il résulte de l’instruction que le maire de Samoëns a, par un arrêté du 3 septembre 2019, autorisé la société SA Grand Massif Domaine Skiable (GMDS) à exécuter les travaux de construction de la nouvelle gare de télécabine de Vercland. Il ressort de la demande d’autorisation d’exécution des travaux que cette gare devait être construite sur l’emprise de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , voie desservant la propriété de M. A…, et que des travaux de dévoiement de cette voie devaient être effectués concomitamment aux travaux de la gare. Toutefois, ces derniers ont débuté sans que ce dévoiement ne soit réalisé, empêchant l’accès de M. A… à son chalet desservi par le chemin de l’Arête. Par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté, pour défaut d’urgence, la requête présentée par M. A…, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ordonner la suspension des travaux de la gare et le rétablissement de la circulation publique sur le chemin de l’Arête.

3. En premier lieu, le libre accès des riverains à la voie publique constitue un accessoire du droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Par suite, la privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté, pouvant justifier l’intervention du juge des référés saisi au titre de cet article, de toute mesure nécessaire de sauvegarde.

4. Il résulte de l’instruction et il n’est d’ailleurs pas contesté que la nouvelle gare de télécabine de Vercland a été construite sur l’emprise de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , dont la commune ne conteste pas l’appartenance au domaine public communal, sans qu’aucun dévoiement de ce chemin ne soit effectué concomitamment à ces travaux, contrairement à ce que prévoyait l’autorisation de travaux. Il en résulte également que si un cheminement temporaire a été réalisé par la société GMDS sur une propriété privée située à côté de la nouvelle gare, le propriétaire de cette parcelle refuse désormais le passage des véhicules, privant M. A… de tout accès en véhicule automobile à son chalet. La commune de Samoëns et la société GMDS portent, dans ces conditions, une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété de M. A….

5. En second lieu, il résulte de l’instruction qu’alors même qu’il s’agit d’une résidence secondaire, M. A… a, pour des raisons professionnelles, un besoin urgent d’accéder à sa propriété desservie par le chemin de l’Arête. Par suite, la privation de tout accès par véhicule automobile à sa propriété constitue, pour M. A…, une situation d’urgence justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce que soit rétabli l’accès à sa propriété.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à la commune de Samoëns et à la société GMDS de prendre toute mesure de nature à rétablir l’accès à la propriété de M. A… par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d’aptitude spécifique de type  » tout terrain « .

8. Il y a également lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Samoëns et de la société GMDS le versement de la somme de 1 400 euros chacune à M. A… en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :
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Article 1er : L’article 1er de l’ordonnance du 28 octobre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine skiable de rétablir l’accès à la propriété de M. A… par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d’aptitude spécifique de type  » tout terrain « .
Article 3 : La commune de Samoëns et la société SA Grand Massif Domaine skiable verseront à M. A… la somme de 1 400 euros chacune en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Leurs conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B… A…, à la commune de Samoens et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables.