Combe de Coulouvrier (74) – Aménagement – Atteinte à des espèces protégées – Raison impérative d’intérêt public majeur (C. env., art. L. 411-2) – Non

CAA de LYON, 3ème chambre, 16/03/2022, 20LY00289, Inédit au recueil Lebon

Président

  1. TALLEC

Rapporteur

Mme Bénédicte LORDONNE

Rapporteur public

  1. DELIANCOURT

Avocat(s)

UNTERMAIER

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure
La fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, devenue France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes (FNE AURA) a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 12 mai 2017 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a autorisé la société Grand Massif domaines skiables à procéder à l’aménagement de la combe de Coulouvrier, ainsi que la décision du 12 octobre 2017 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 1706316 du 19 décembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 12 mai 2017 et la décision du 12 octobre 2017, a mis à la charge de l’Etat le versement à la FNE AURA d’une somme de 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 janvier 2020, 21 août 2020 et 2 septembre 2021, la ministre de la transition écologique et solidaire, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 décembre 2019 ;
2°) de rejeter la demande présentée par FNE AURA devant ce tribunal.

Il soutient que :
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé sur les raisons qui ont conduit les premiers juges à écarter la qualification de raison impérative d’intérêt public majeur du projet et à annuler totalement l’arrêté attaqué ;
– les premiers juges ont commis une erreur de droit en mettant en balance l’intérêt général du projet et les atteintes qu’il est susceptible de porter aux espèces protégées et à leurs habitats ;
– c’est au prix d’une erreur d’appréciation que les premiers juges ont retenu que le projet ne répond pas à une raison impérative d’intérêt public majeur ;
– subsidiairement, c’est à tort que le tribunal administratif de Grenoble n’a pas fait application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement en limitant la portée de l’annulation prononcée à la seule dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées.

Par des mémoires en défense enregistrés les 15 février et 1er septembre 2021, la FNE AURA, représentée par Me Untermaier, conclut au rejet de la requête et demande qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l’Etat en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– les moyens soulevés sont infondés ;
– l’illégalité de la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées affecte un volet indivisible de l’autorisation unique ;
– l’arrêté attaqué n’est pas motivé au regard des incidences du projet sur l’environnement en méconnaissance de l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement ;
– le public a été privé d’une garantie tenant à la possibilité de demander au représentant de l’Etat l’organisation d’une concertation avec garant ;
– l’arrêté attaqué est illégal du fait de l’illégalité de l’arrêté portant création de l’UTN ; il devait faire l’objet d’une évaluation environnementale en tant que plan et programme ;
– l’avis de l’autorité environnementale est irrégulier dès lors qu’il a été instruit par la DREAL, qui était également chargée d’instruire la demande ;
– l’autorisation unique est illégale en tant qu’elle vaut dérogation au titre des espèces protégées, faute de remplir les trois conditions cumulatives exigées ;
– les mesures compensatoires que prévoit l’arrêté attaqué pour les amphibiens sont insuffisantes ; il en est de même, d’un point de vue tant quantitatif que qualitatif, concernant l’impact sur les zones humides ;
– l’autorisation unique est illégale en tant qu’elle vaut autorisation de défrichement, compte tenu de l’illégalité des atteintes portées au zones humides et aux espèces protégées et du non-respect des règles de compensation de l’article L. 341-6 du code forestier.

Par un mémoire enregistré le 31 juillet 2021, la société Grand Massif domaines skiables (GMDS), représentée par Me De Belenet, conclut à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 novembre 2019, au rejet de la demande présentée par la FNE AURA devant ce tribunal et demande qu’une somme de 15 000 euros soit mise à la charge de la FNE AURA en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– le jugement est irrégulier dès lors qu’il relève d’office un moyen ne présentant pas un caractère d’ordre public ;
– c’est à tort que les premiers juges ont considéré que l’autorisation n’est pas justifiée par des raisons impératives d’intérêt public majeur ;
– les moyens soulevés par la FNE AURA sont infondés.
– la portée de l’annulation prononcée devait être limitée à la seule dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées.

Par ordonnance du 2 septembre 2021, la clôture de l’instruction a été fixée en dernier lieu au 24 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
– le code de l’environnement ;
– le code forestier ;
– l’ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement ;
– l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes ;
– l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère,
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
– et les observations de Me Untermaier pour FNE AURA ainsi que celles de Me Lo-Casto Porte, pour la société Grand Massif domaine skiable.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 12 mai 2017, le préfet de la Haute-Savoie a, par une autorisation unique portant autorisation au titre de la loi sur l’eau, autorisation de défrichement et dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées, autorisé l’aménagement de la combe de Coulouvrier par la création d’un télésiège, de quatre pistes de ski alpin, d’un réseau d’enneigement et d’une retenue collinaire. La ministre de la transition écologique et solidaire relève appel du jugement du 19 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé, sur demande de la fédération Rhône-Alpes de protection de la nature, devenue France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes (FNE AURA) cet arrêté, ainsi que la décision du 12 octobre 2017 rejetant son recours gracieux.
Sur les conclusions de la société GMDS :

2. La société Grand Massif domaine skiable (GMDS) était partie en première instance et aurait eu ainsi qualité pour faire appel du jugement en litige dans le délai imparti à cet effet. Ainsi, elle a seulement la qualité d’observateur. Par suite, le mémoire qu’elle a produit ne constitue pas une intervention en demande, mais de simples observations.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative :  » Les jugements sont motivés « . Contrairement à ce que soutient la ministre, les premiers juges ont suffisamment précisé les raisons pour lesquelles ils ont estimé que le projet ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur, seule susceptible de permettre de délivrer une dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées. Dès lors qu’ils n’avaient pas été saisis de conclusions tendant à ce qu’ils fassent application des pouvoirs que leur confèrent les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, ils n’étaient pas tenus de motiver leur jugement à ce titre. En revanche, en opposant l’absence d’une des conditions cumulatives posées à la légalité de la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats, pour annuler en totalité l’arrêté du 12 mai 2017, sans préciser les motifs pour lesquels il a procédé à l’annulation totale de l’autorisation unique en litige, le tribunal administratif de Grenoble n’a pas suffisamment motivé le jugement attaqué.
4. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par voie d’évocation, sur les conclusions de la demande de la FNE AURA dirigées contre l’arrêté du 12 mai 2017 en tant qu’il n’a pas trait à la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées et, par l’effet dévolutif de l’appel, sur le surplus des conclusions de la requête de la ministre.
Sur les conclusions de la demande de la FNE AURA dirigées contre l’arrêté du 12 mai 2017 en tant qu’il n’a pas trait à la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées :

En ce qui concerne les dispositions applicables au litige et l’office du juge :

5. L’ordonnance du 26 janvier 2017, codifiée aux articles L. 181-1 et suivants du code de l’environnement, a institué une autorisation environnementale dont l’objet est de permettre qu’une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes dans les conditions qu’elle précise. L’article 15 de cette ordonnance a fixé les conditions d’entrée en vigueur de ces dispositions :  » Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur le 1er mars 2017, sous réserve des dispositions suivantes : (…) 2° Les demandes d’autorisation au titre (…) du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l’environnement (…) régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance ; après leur délivrance, le régime prévu par le 1° leur est applicable. Aux termes de ce 1° :  » Les autorisations délivrées au titre (…) du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance (…) avant le 1er mars 2017, sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état (…) « .
6. En vertu de l’article L. 181-17 du code de l’environnement, issu de l’article 1er de l’ordonnance du 26 janvier 2017 et applicable depuis le 1er mars 2017, l’autorisation environnementale est soumise, comme l’autorisation l’unique l’était avant elle, ainsi que les autres autorisations mentionnées au 1° de l’article 15 de cette même ordonnance, à un contentieux de pleine juridiction.
7. Il appartient au juge du plein contentieux, lorsqu’il est saisi d’une contestation dirigée contre une autorisation unique, d’en apprécier la légalité au regard des règles de procédure applicables à la date de délivrance de ces autorisations. S’agissant d’une demande d’autorisation dont il a été accusé réception le 10 juin 2016, sont applicables, en vertu du 2° de l’article 15 précité de l’ordonnance du 26 janvier 2017, les règles de procédure prévues par les dispositions législatives et réglementaire dans leur rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de cette ordonnance. Il en est de même pour l’autorisation de défrichement prévue par l’article L. 341-3 du code forestier dont le dossier a été reçu le 27 septembre 2016.
8. Il appartient en revanche au juge du plein contentieux d’apprécier le respect des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.
En ce qui concerne la légalité externe :
S’agissant de la motivation de l’arrêté :
9. Aux termes du I de l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable :  » (…) La décision de l’autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l’environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d’ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter ou réduire et, si possible, compenser les effets négatifs notables. Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l’environnement ou la santé humaine (…) « .
10. Il résulte des motifs de l’arrêté attaqué que les incidences du projet sur l’environnement sont prises en compte par les prescriptions qu’il comporte. Le titre 3 prévoit des prescriptions particulières au titre de la loi sur l’eau, et notamment des mesures de suivi, d’évitement, de réduction et de compensation des incidences. Le titre 4 prévoit des prescriptions particulières au titre du défrichement, et notamment des mesures de suivi et de compensation des incidences. Dans ces conditions, l’arrêté attaqué satisfait à la motivation exigée par les dispositions de l’article L. 122-1-1 du code de l’environnement.

S’agissant de l’absence de déclaration d’intention :

11. Aux termes de l’article L. 121-17 du code de l’environnement, créé par l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement :  » (…) / III. – En l’absence de toute concertation préalable décidée en application du I ou du II et respectant les modalités fixées aux articles L. 121-16 et L. 121-16-1, un droit d’initiative est ouvert au public pour demander au représentant de l’Etat concerné l’organisation d’une concertation préalable respectant ces modalités « . Aux termes de l’article L. 121-17-1 du même code :  » Le droit d’initiative prévu au III de l’article L. 121-17 est ouvert pour :1° Les projets mentionnés au 2° de l’article L. 121-15-1, lorsque le montant des dépenses prévisionnelles d’un tel projet réalisé sous maîtrise d’ouvrage publique est supérieur au seuil fixé par décret en Conseil d’Etat (…) « . Aux termes de l’article 19 du décret n° 2017-626 du 25 avril 2017 :  »  » II. – Pour les projets qui n’ont pas fait l’objet d’une décision ou d’une recommandation de la Commission nationale du débat public ou d’une autre procédure de concertation préalable avant le 1er janvier 2017, les dispositions des articles L. 121-17-1 à L. 121-19 du code de l’environnement ne sont pas applicables dès lors qu’ils ont fait l’objet d’un avis d’enquête publique ou d’un avis de mise à disposition du public avant le 1er juillet 2017 « .
12. Le projet, qui a fait l’objet d’un avis d’enquête publique dans  » Le Dauphiné Libéré  » les 5 et 26 janvier 2017, soit avant le 1er juillet 2017 et qui, en outre, n’excède pas le seuil de financement public déclenchant l’obligation de procéder à une déclaration d’intention, ne relève pas des dispositions de l’article L. 121-17-1. Dès lors, les dispositions précitées du code de l’environnement étaient inapplicables et le moyen tiré par la requérante de ce qu’elles auraient été méconnues doit par suite être écarté comme inopérant.
S’agissant du périmètre de l’évaluation environnementale :
13. Aux termes du III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes :  » L’évaluation environnementale est un processus constitué de l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après  » étude d’impact « , de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l’examen, par l’autorité compétente pour autoriser le projet, de l’ensemble des informations présentées dans l’étude d’impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d’ouvrage. (…) Lorsqu’un projet est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l’espace et en cas de multiplicité de maîtres d’ouvrage, afin que ses incidences sur l’environnement soient évaluées dans leur globalité « .
14. Aux termes de l’article 6 de cette ordonnance :  » Les dispositions de la présente ordonnance s’appliquent : / (…) – aux projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale systématique pour lesquels la première demande d’autorisation est déposée à compter du 16 mai 2017 (…) « .
15. La FNE AURA ne peut utilement se prévaloir des dispositions issues de cette ordonnance, qui ne sont pas applicables, en vertu de son article 6, s’agissant d’une demande d’autorisation dont il a été accusé réception le 10 juin 2016. En l’absence de dispositions équivalentes dans la version opposable au litige, le moyen tiré de l’irrégularité de l’évaluation environnementale, faute de prise en compte des incidences sur l’environnement des aménagements prévus pour le développement touristique du Grand Massif dans le cadre de l’Unité Touristique Nouvelle (UTN) de Sixt-Fer-à- Cheval et de Samoëns doit être écarté comme inopérant.
S’agissant de l’étude d’impact :

Quant à l’analyse des effets cumulés du projet avec d’autres projets :
16. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que ne sont pas applicables les dispositions du 5° du II de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1110 du 11 août 2016, pris pour l’application de l’ordonnance n° 2016-1058.
17. Aux termes du II de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, dans sa rédaction antérieure, issue du décret n° 2011-2019 du 29 décembre 2011, et applicable à la présente demande d’autorisation, ainsi qu’il a été dit au point précédent :  » l’étude d’impact présente : (…) 4° Une analyse des effets cumulés du projet avec d’autres projets connus. Ces projets sont ceux qui, lors du dépôt de l’étude d’impact : – ont fait l’objet d’un document d’incidences au titre de l’article R. 214-6 et d’une enquête publique ;-ont fait l’objet d’une étude d’impact au titre du présent code et pour lesquels un avis de l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement a été rendu public (…) « .
18. La FNE AURA soutient que l’étude d’impact réalisée aurait dû décrire les effets du projet sur l’environnement cumulés avec ceux résultant de l’UTN de Sixt-Fer-à-Cheval et Samoëns, approuvée par arrêté préfectoral en date du 20 juillet 2017. Toutefois, elle ne fait valoir aucun élément de nature à établir que cette UTN devait faire l’objet d’une enquête publique ou d’une étude d’impact, de sorte que la FNE AURA ne peut utilement se prévaloir d’une méconnaissance des dispositions citées au point précédent.
Quant aux effets du projet sur les zones humides et les mesures compensatoires prévues:
19. Contrairement à ce qui est soutenu, l’étude d’impact réalisée par le pétitionnaire et complétée dans le cadre de l’addendum du 16 janvier 2017, décrit suffisamment les effets du projet sur les zones humides et les mesures compensatoires prévues. Elle précise les surfaces des zones humides impactées par le projet, arrêtée à 17 001 m² et les impacts du projet sur ces zones. Elle précise de manière détaillée les mesures compensatoires prévues, qu’elle synthétise dans un tableau reproduit à la page14 de l’addendum et reprises dans l’arrêté attaqué.
S’agissant de l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale :
20. La FNE AURA soutient que l’avis de l’autorité environnementale a été émis au terme d’une procédure irrégulière au regard des exigences de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011.
21. Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l’avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu’autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d’une autonomie réelle répondant aux exigences de l’article 6 de la directive, sauf dans le cas où c’est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale. Au cas d’espèce, l’autorisation a été accordée par le préfet de la Haute-Savoie, après instruction de la direction départementale des territoires de la Haute-Savoie, alors que la DREAL Auvergne Rhône-Alpes, a préparé l’avis environnemental. Dans ces conditions, l’avis de l’autorité environnementale a été émis par une autorité disposant d’une autonomie réelle répondant aux exigences de l’article 6 de la directive.
En ce qui concerne la légalité interne :

S’agissant de l’exception d’illégalité de l’arrêté portant création de l’UTN :

22. L’autorisation unique en litige n’ayant pas été prise pour l’application de l’arrêté portant création de l’UTN, qui n’en constitue pas la base légale, la FNE AURA peut en tout état de cause exciper de l’illégalité de cet arrêté à l’appui de ses conclusions contre l’autorisation unique. Elle ne constitue pas avec elle une opération complexe.

S’agissant de l’incompatibilité avec le SDAGE Rhône Méditerranée Corse :

23. En vertu de l’article L. 212-1 XI du code de l’environnement, les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau doivent être compatibles avec les dispositions des Schémas directeurs d’aménagement et de gestions des eaux. Cette exigence de compatibilité implique seulement, dans le cadre d’une analyse globale à l’échelle du territoire pertinent, que l’autorisation accordée ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, compte tenu de leur degré de précision.
24. La FNE AURA, à l’appui de son moyen, se borne à soutenir que l’arrêté attaqué n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 6B-04 du SDAGE Rhône Méditerranée, aux termes desquelles :  » lorsque la réalisation d’un projet conduit à la disparition d’une surface de zones humides ou à l’altération de leurs fonctions, les mesures compensatoires prévoient la remise en état de zones humides existantes ou la création de nouvelles zones humides. Cette compensation doit viser une valeur guide de 200% de la surface perdue selon les règles suivantes : • une compensation minimale à hauteur de 100% de la surface détruite par la création ou la restauration de zone humide fortement dégradée, en visant des fonctions équivalentes à celles impactées par le projet. (…) • une compensation complémentaire par l’amélioration des fonctions de zones humides partiellement dégradées, situées prioritairement dans le même sous bassin ou dans un sous bassin adjacent « . Ce faisant, elle ne développe aucun élément permettant à la cour de confronter l’autorisation en litige à l’ensemble des orientations et objectifs fixés par le SDAGE, pour apprécier, dans le cadre de l’analyse globale à laquelle il doit être procédé, l’incompatibilité alléguée. Au demeurant, la surface des zones humides impactée par le projet a été définitivement arrêtée à 17 001 m² dans le cadre de l’étude d’impact. Les mesures prévues par le pétitionnaire, portent, en ce qui concerne les mesures de création ou de restauration de zones humides, sur une surface de 16 754 m², et en ce qui concerne l’amélioration des fonctions de zones humides partiellement dégradées, sur une superficie supplémentaire de 6 812 m². Ces mesures conservatoires sont compatibles avec l’article 6B-04, tant d’un point de vue quantitatif, à supposer même qu’on ne doive pas faire déduction de la surface correspondant à la zone AGR072, que qualitatif, faute pour l’intimée de démontrer que, comme elle le soutient, la compensation fonctionnelle par les zones humides créées ou restaurées n’est pas assurée en se prévalant d’un document relatif au projet du Club Méditerranée.
S’agissant du volet défrichement de l’arrêté en litige :
25. Pour contester le volet défrichement de l’arrêté du 12 mai 2017, la FNE AURA se borne à invoquer les atteintes aux zones humides et aux espèces protégées et à soutenir, sans autre précision, que les règles de compensation prévues à l’article L. 341-6 du code forestier ont été méconnues. Ces moyens ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.
S’agissant des mesures compensatoires prévues en phase de travaux :
26. Si des photographies, datant de mai 2020, attestent de la présence d’amphibiens dans la retenue collinaire, cette circonstance, postérieure à la réalisation des travaux, n’est pas de nature à démontrer l’insuffisance des mesures MRV15 et MRV17 destinées à réduire les impacts du projet sur les amphibiens en phase de travaux. Si elle soutient également que de telles mesures compensatoires auraient dû être prolongées durant la phase d’exploitation, dès lors que la gestion de cette retenue collinaire conduirait à la destruction d’individus d’espèces protégées, l’article 32 du présent arrêt confirme, en tout état de cause, l’annulation de l’autorisation litigieuse en tant qu’elle porte dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées.
S’agissant de l’autorisation d’occupation du domaine public :

27. Si la FNE AURA soutient que l’arrêté entraîne une occupation non autorisée du domaine public, en méconnaissance de l’article 11 de l’ordonnance 2014-619 du 12 juin 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique, aux termes duquel :  » L’autorisation unique, relevant de la présente ordonnance, ne peut être délivrée avant l’autorisation d’occuper le domaine public prévue à l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques « , ces dispositions ont été abrogées à compter du 1er mars 2017, par l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017. Elle ne peut, dans ces conditions, pas utilement s’en prévaloir.

Sur la légalité de la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées :
En ce qui concerne le motif d’annulation retenu par le jugement attaqué :

28. L’article L. 411-1 du code de l’environnement prévoit, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, l’interdiction de  » 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces (…). « . Le I de l’article L. 411-2 du même code, qui transpose l’article 6 de la directive du Conseil 92/43/CE du 21 mai 1992, renvoie à un décret en Conseil d’Etat la détermination des conditions dans lesquelles sont fixées, notamment :  » 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (…) / c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ; (…). « .
29. Un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
30. Pour accorder la dérogation sollicitée, le préfet de la Haute-Savoie a estimé que le projet répond à un intérêt public majeur dans la mesure où  » la modernisation et l’extension du domaine skiable sont rendues nécessaires par le développement des programmes immobiliers dans la vallée du Giffre et l’ouverture du village Club Méditerranée sur le plateau des Saix, ce qui induit le décloisonnement des domaines de Samoens et Morillon et le renforcement de l’accès à la Tête des Saix depuis le plateau, avec une liaison Grand Massif ne se limitant pas au télésiège de Chariande Express  » et  » compte tenu de la fréquentation touristique actuelle et à venir, des flux de skieurs prévisibles, de la saturation des appareils existants, de l’impact économique de l’aménagement de la combe de Coulouvrier en termes de compétitivité, d’attractivité, de création d’emplois directs et indirects, pendant la phase de chantier et en phase d’exploitation « .
31. Il résulte de l’instruction que l’accès à la Tête de Saix est déjà possible par le Chariade Express, de sorte que le projet vise seulement à améliorer les fonctionnalités du domaine skiable, en lien avec les flux de skieurs prévisibles générés notamment par les programmes immobiliers du secteur. S’il est soutenu que les équipements existants sont saturés, la difficulté est surtout concentrée sur le flux des skieurs vers Flaine, dans le sens de la remontée comme le soutient la défenderesse, qui n’est pas sérieusement contestée sur ce point. Le bénéfice à long terme d’un tel projet d’aménagement du bas de la combe de Coulouvrier, situé à relativement basse altitude, et dont l’enneigement est aléatoire, a été remis en doute par la commission faune du conseil national de la protection de la nature (CNPN) dans le cadre de son premier avis sur le projet. Enfin, il ne résulte pas de l’instruction que la saturation des équipements serait de nature à fragiliser durablement l’exploitation du domaine skiable. A cet égard, la ministre ne peut utilement invoquer le contexte de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, qui a généré une fréquentation touristique moindre du secteur concerné. Enfin, en matière de développement économique et touristique du secteur, les retombées du projet doivent s’apprécier au regard des seuls équipements en litige, et indépendamment des retombées économiques du Club Méditerranée. Enfin, si l’ancien télésiège n’est pas remplaçable pour des raisons de faisabilité technique liées à son implantation, il n’est pas démontré que la gestion du risque pour la sécurité lié à la saturation des infrastructures rendrait indispensable l’aménagement de la combe de Coulouvrier.
32. En raison du caractère cumulatif des conditions posées à la légalité des dérogations permises par l’article L. 411-2 du code de l’environnement, à supposer que la dérogation en litige permettrait le maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et répondrait à l’exigence de l’absence de solution alternative satisfaisante, la dérogation accordée, méconnaît ces dispositions dès lors qu’elle ne répond pas, comme il a été dit ci-dessus, à des raisons impératives d’intérêt public majeur. En revanche, ce motif ne vicie l’autorisation environnementale en litige qu’en tant qu’elle incorpore cette dérogation, divisible du reste de l’autorisation.
[0]En ce qui concerne l’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement :

33. Le vice tiré de ce que l’autorisation de dérogation litigieuse n’est pas justifiée par une raison impérative d’intérêt public majeur n’est pas susceptible d’être régularisé. En conséquence, la ministre n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Grenoble n’a pas fait application du 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, ni à demander qu’il en soit fait application en appel.
34. Il résulte de tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique et solidaire est seulement fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé totalement l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 12 mai 2017.
Sur les frais liés au litige :

35. Il ne peut être fait application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de la société Grand Massif domaine skiable qui n’a pas la qualité de partie dans l’instance d’appel. Ces dispositions font également obstacle à ce que soit mise à la charge de l’Etat, qui n’est pas partie perdante, la somme que demande la FNE AURA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 décembre 2019 est annulé en tant qu’il prononce l’annulation de l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 12 mai 2017, n’ayant pas trait à la dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la demande, des conclusions des parties en appel et les conclusions de la société Grand Massif domaine skiable sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et solidaire, à France Nature Environnement Auvergne Rhône-Alpes et à la société Grand Massif domaine skiable.
Délibéré après l’audience du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président,
M. Gilles Fédi, président-assesseur,
Mme Bénédicte Lordonné, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mars 2022.
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N° 20LY00289