Articulation UTN/ Directives Habitats et Oiseaux – Conventionnalité

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 23/11/2022, 452173, Inédit au recueil Lebon

 

Rapporteur

Mme Airelle Niepce

Rapporteur public

  1. Stéphane Hoynck

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 mai 2021 et 5 janvier et 17 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France nature environnement et l’association France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leur demande, reçue le 3 mars 2021, tendant à ce que soient prises les mesures utiles nécessaires à assurer l’articulation entre les régimes de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne aux fins d’application des dispositions des articles L. 425-15 du code de l’urbanisme et L. 411-1 du code de l’environnement et de correcte transposition de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, et de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

2°) d’enjoindre à la ministre de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, lesdites mesures, en assortissant cette injonction d’une astreinte de 30 000 euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle portant sur l’interprétation combinée des dispositions des directives 92/43/CEE et 2009/147/CE et l’application du principe de prévention qui les sous-tend pour déterminer si elles imposent une évaluation des incidences et la démonstration d’une raison impérative d’intérêt public majeur préalablement à la décision de l’autorité chargée d’approuver ou d’autoriser un dispositif programmatique lorsque les projets et opérations qu’il décrit sont susceptibles de porter atteinte à l’interdiction de procéder à la perturbation intentionnelle d’espèces animales protégées et à la destruction, l’altération et la dégradation de leurs milieux particuliers ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à chacune d’elles au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– la directive 2001/42/ CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le décret n° 2021-1345 du 13 octobre 2021 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par une lettre reçue le 3 mars 2021, les associations France nature environnement et France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes ont demandé à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales de prendre toutes mesures utiles pour que l’articulation entre le régime de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations des travaux propres aux activités touristiques en montagne soit effectivement assurée conformément au droit de l’Union européenne. Cette demande doit être interprétée comme tendant à ce que soit prise toute mesure nécessaire à la complète mise en œuvre des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement ainsi que de l’article L. 425-15 du code de l’urbanisme s’agissant, en zone de montagne, d’une part, des projets de remontées mécaniques et d’aménagements de domaine skiable, d’autre part, des projets d’unité touristique nouvelle, en conformité avec les objectifs de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Les deux associations demandent l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicite qui leur a été opposé, résultant du silence gardé pendant plus de deux mois sur leur demande.

2. L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande des requérantes de prendre toute mesure utile permettant la complète application de dispositions législatives aux fins de correcte transposition des dispositions d’une directive réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire de prendre ces mesures. Il s’ensuit que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation d’un tel refus, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

3. Les dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, prises notamment pour la transposition des dispositions de l’article 12 de la directive du 21 mai 1992 précitée, prévoient, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, l’interdiction de  » 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces (…). « . Toutefois, les dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l’article 16 de la même directive du 21 mai 1992, permettent de déroger à ces interdictions dans les strictes conditions qu’elles précisent, parmi lesquelles figurent dans tous les cas celles qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Sur les remontées mécaniques et les aménagements de domaine skiable :

4. Aux termes de l’article L. 472-1 du code de l’urbanisme :  » Les travaux de construction ou de modification substantielle des remontées mécaniques définies à l’article L. 342-7 du code du tourisme sont soumis à autorisation, d’une part, avant l’exécution des travaux et, d’autre part, avant la mise en exploitation. / L’autorisation d’exécution des travaux portant sur la réalisation des remontées mécaniques tient lieu du permis de construire prévu à l’article L. 421-1 en ce qui concerne les travaux soumis à ce permis  » et aux termes de l’article L. 473-1 du même code :  » L’aménagement de pistes de ski alpin est soumis à l’autorisation délivrée par l’autorité compétente en matière de permis de construire « .

5. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 425-15 du code de l’urbanisme :  » Lorsque le projet porte sur des travaux devant faire l’objet d’une dérogation au titre du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de cette dérogation  » et aux termes de l’article R. 424-6 du même code :  » Lorsque la réalisation des travaux est différée dans l’attente de formalité prévues par une autre législation, la décision en fait expressément la réserve « .

6. Les associations requérantes soutiennent que les dispositions du code de l’urbanisme applicables aux projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable méconnaissent les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, en ce qu’elles ne prévoient ni que ces autorisations de travaux en zone de montagne ne peuvent être délivrées et mises en œuvre avant l’éventuelle délivrance d’une dérogation au titre du 4° du I de cet article L. 411-2, ni que le dossier de demande doit préciser, s’il y a lieu, que les travaux doivent faire l’objet d’une telle dérogation.

7. Toutefois, dès lors, d’une part, qu’il n’est pas contesté que les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement assurent une correcte transposition de la directive du 21 mai 1992 précitée, en particulier de son article 16 qui encadre les modalités selon lesquelles il peut le cas échéant être dérogé au principe général d’interdiction des destructions et perturbations des espèces protégées et de leurs habitats que la directive pose par ailleurs, d’autre part, qu’aucune des dispositions du code de l’urbanisme applicable aux projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable n’a pour objet ou pour effet de dispenser un projet relevant de ces dispositions de l’obligation d’obtenir le cas échéant une dérogation au titre du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement en cas d’incidences sur des espèces protégées ou leurs habitats, aucune méconnaissance des exigences de la directive ne saurait être tirée de l’absence d’articulation explicite entre ces deux législations indépendantes. Au demeurant, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 472-1 et L. 473-1 du code de l’urbanisme, d’une part, et des articles L. 425-15 et R. 424-6 du même code, d’autre part, que les projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable ayant fait l’objet d’une autorisation au titre du code de l’urbanisme ne peuvent être mises en œuvre avant la délivrance de la dérogation prévue au 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et que l’autorisation délivrée doit expressément faire état de cette réserve.

8. Il suit de là que les dispositions réglementaires du code de l’urbanisme applicables aux autorisations de travaux mentionnées aux articles L. 472-1 et L. 473-1 du code de l’urbanisme ne méconnaissent ni les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ni les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement prises pour leur transposition.

Sur les unités touristiques nouvelles :

9. Aux termes de l’article L. 122-16 du code de l’urbanisme, constitue une unité touristique nouvelle :  » Toute opération de développement touristique effectuée en zone de montagne et contribuant aux performances socio-économiques de l’espace montagnard « . Les articles L. 122-17 et L. 122-18 du même code distinguent les unités touristiques dites  » structurantes  » et  » locales « , dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat. L’article L. 122-19 du même code prévoit que les unités touristiques nouvelles ne sont pas soumises au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, prévu aux articles L. 122-5 à L. 122-7 du même code. En vertu des articles L. 122-20 et L. 122-21 du même code, la création et l’extension d’unités touristiques nouvelles structurantes et locales sont prévues, respectivement, par le schéma de cohérence territoriale et par le plan local d’urbanisme dans les communes qui sont couvertes par ces documents, et pour celles qui ne le sont pas, par l’autorité administrative selon des modalités définies par décret en Conseil d’Etat.

10. En premier lieu, en vertu des dispositions de l’article L. 104-1 du code de l’urbanisme, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme font systématiquement l’objet d’une évaluation environnementale, dans les conditions prévues par la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement ainsi que ses annexes et par les dispositions pertinentes du code de l’urbanisme. Par ailleurs, en vertu des dispositions de l’article L. 104-2 du même code, font également l’objet d’une évaluation environnementale dans les mêmes conditions :  » La création et l’extension d’unités touristiques nouvelles locales soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-21 qui sont susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement au sens de l’annexe II à la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001  » et aux termes des dispositions de l’article L. 104-2-1 du même code :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les critères en fonction desquels les unités touristiques nouvelles structurantes soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-20 font l’objet d’une évaluation environnementale systématique ou après un examen au cas par cas. « .

11. Pour l’application de ces dispositions, en vertu de l’article R. 104-17-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme et des unités touristiques nouvelles :  » Les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa des articles L. 122-20 et L. 122-21 font l’objet d’une évaluation environnementale à l’occasion de leur création et de leur extension lorsqu’elles permettent la réalisation de travaux, aménagements, ouvrages ou installations susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000 « . En dehors de ce cas, en vertu de l’article R. 104-17-2 du même code, dans sa rédaction issue du même décret du 13 octobre 2021, les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-20 sont soumises à une évaluation environnementale de façon systématique ou à un examen au cas par cas, et les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-21 sont soumises à un examen au cas par cas.

12. Il résulte de ces dispositions que les UTN structurantes prévues par un schéma de cohérence territoriale et les UTN locales prévues par un plan local d’urbanisme font systématiquement l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement, notamment, le cas échéant, sur les espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées et leurs habitats, à travers l’évaluation à laquelle sont soumis ces documents d’urbanisme. Par ailleurs, les UTN soumises à autorisation en vertu du second alinéa de l’article L. 122-20 ou de l’article L. 122-21 font l’objet soit systématiquement d’une telle évaluation environnementale préalable, soit d’un examen au cas par cas destiné à déterminer si elles sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, au regard des critères de l’annexe II de la directive du 27 juin 2001 précitée. A cet égard, le moyen tiré de ce que les dispositions du décret du 13 octobre 2021, qui précisent le champ d’application de l’examen au cas par cas ainsi que ses modalités, seraient illégales n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, l’existence d’incidences éventuelles d’un projet d’UTN sur les espèces protégées ou leurs habitats au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées est systématiquement appréciée, y compris s’agissant des UTN qui ne seraient pas susceptibles d’affecter une zone Natura 2000.

13. En second lieu, si les UTN constituent un dispositif d’aménagement spécifique aux zones de montagne qui vise à assurer une conciliation entre le développement des activités touristiques et la protection des milieux naturels et sont, à ce titre, susceptibles d’encadrer les conditions de délivrance des autorisations d’urbanisme, elles n’ont ni pour objet, ni pour effet d’autoriser directement la réalisation de projets ou d’équipements susceptibles de porter atteinte à la conservation des espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées, projets qui devront être ultérieurement autorisés et mis en œuvre conformément aux dispositions des différentes législations potentiellement concernées, parmi lesquelles, le cas échéant, les dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Par suite, le moyen tiré de ce qu’en ne prévoyant pas que la création d’une UTN soit préalablement soumise à la délivrance d’une dérogation au titre de ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait méconnu les objectifs et exigences des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de la décision implicite qu’elles attaquent. Par suite, leurs conclusions aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées.

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association France nature environnement et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association France nature environnement, première requérante dénommée et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.