Piste de ski mise à la disposition d’un club – Accident – Répartition des responsabilités exploitant/ association

28 mai 2024
Cour d’appel de Grenoble
RG n° 22/03538

S.A.S. AWP FRANCE

Le 12 février 2011, dans la station de ski des [16], sur la commune des Adrets (Isère), Mme [G] [N] a été victime d’un grave accident de ski lors d’un entraînement de slalom géant organisé par son club, l’association GUC Grenoble ski.

Mme [N] a saisi le juge des référés qui, par une ordonnance du 22 février 2017, a instauré une expertise médicale confiée au docteur [L]. L’expert a déposé son rapport le 15 septembre 2017.

Par assignations des 21 et 22 mars 2018, et du 24 novembre 2020, Mme [N] a saisi le tribunal de grande instance de Grenoble aux fins d’indemnisation de son préjudice.

Par jugement en date du 22 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

– jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont Mme [G] [N] a été victime le 12 février 2011 ;

– fixé comme suit le préjudice de Mme [G] [N] causé par cet accident :

dépenses de santé actuelles : 69 066,91 euros ;

frais divers : 1 517,80 euros ;

assistance par tierce personne temporaire : 3 380,62 euros

incidence professionnelle : 60 000 euros

préjudice universitaire : 4 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282,50 euros ;

souffrances endurées : 30 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 51 800 euros ;

préjudice d’agrément : 30 000 euros ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 69 066,91 euros en remboursement de ses débours, avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2020 et capitalisation de ceux dus au moins pour une année entière ;

– débouté l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C de toutes leurs demandes ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la SEM des 7 Laux la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné in solidum l »association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et une indemnité forfaitaire de gestion de 1 080 euros ;

– condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C aux entiers dépens, lesquels seront distraits au profit de la Selarl Europa en application de l’article 699 du code de procédure civile pour ceux dont il a été fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante.

Par déclaration d’appel en date du 30 septembre 2022, la SAS AWP France et l’association GUC Grenoble ski ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

La caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère a interjeté appel incident par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2023.

Mme [G] [N] a interjeté appel incident par conclusions notifiées par voie électronique le 21 mars 2023.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 juin 2023, les appelantes demandent à la cour de :

– à titre principal, réformer le jugement entrepris en ce que l’association GUC Grenoble ski a été déclarée entièrement responsable de l’accident subi par Mme [N] le 12 février 2011, et statuant à nouveau :

juger que Mme [N] ne rapporte pas la preuve d’une faute qui serait imputable à l’association GUC Grenoble qui serait en lien avec sa chute et ses blessures subies lors de sa participation à l’entraînement organisé sur une piste exploitée par la société d’aménagement des Sept-Laux sur le territoire de la commune des Adrets le 12 février 2011 ;

débouter Mme [N] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur la compagnie AWP P&C ;

condamner Mme [N] à payer à l’association GUC Grenoble ski et à la compagnie AWP P&C la somme de 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner en outre aux entiers dépens de la procédure distraits au profit de la SELARL cabinet Laurent Favet avocat conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– à titre subsidiaire :

déclarer la SEM des Sept-Laux seule et entièrement responsable des conséquences dommageables de l’accident dont a été victime Mme [N] lors de l’entrainement au slalom géant survenu sur les pistes du [14] exploitées et entretenues par ladite société le 12 février 2011 ;

condamner la SEM des Sept-Laux à relever et garantir intégralement l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP N&C de l’ensemble des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre en principal, frais et accessoires au profit de Mme [G] [N] ;

débouter la SEM des Sept-Laux de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski et de la compagnie AWP P&C ;

condamner la SEM des Sept-Laux à payer à l’association GUC Grenoble ski et son assureur AWP P&C la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

la condamner en outre aux entiers dépens distraits au profit de la SELARL cabinet Laurent Favet avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– à titre plus subsidiaire :

condamner la SEM des 7 Laux à relever et garantir l’association GUC Grenoble ski et la compagnie AWP P&N des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre au profit de Mme [G] [N] dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 50 % ;

réformer le jugement entrepris en ce qui concerne l’évaluation du préjudice corporel de Mme [N] en lien avec son accident du 12 février 2011 et statuant à nouveau, fixer le préjudice de Mme [N] en lien avec son accident de la façon suivante :

frais divers : 1 517.80 euros ;

assistance tierce personne temporaire : 2 574 euros ;

incidence professionnelle : 20 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282.50 euros ;

souffrances endurées : 20 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 40 000 euros ;

préjudice d’agrément : 5 000 euros ;

débouter Mme [N] de ses demandes plus amples ou contraires, notamment de son appel incident concernant ses demandes au titre de l’assistance par tierce personne temporaire, le préjudice universitaire et le déficit fonctionnel temporaire ;

réduire à de plus justes proportions les sommes allouées à Mme [N], et à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’ISERE au titre de leurs frais irrépétibles ;

débouter la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère de son appel incident non fondé s’agissant des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

statuer ce que de droit sur les dépens distraits au profit des avocats de la cause.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 juillet 2023, Mme [G] [N] demande à la cour de :

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont elle a été victime le 12 février 2011 ;

– dire qu’elle a commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité lors de l’entraînement de ski organisé le 12 février 2011 ;

– dire qu’elle engage sa responsabilité contractuelle à sonégard de Mme [G] [N] ;

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a fixé comme suit son préjudice :

dépenses de santé actuelles : 69 066,91 euros ;

frais divers : 1 517,80 euros ;

incidence professionnelle : 60 000 euros ;

souffrances endurées : 30 000 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 51 800 euros ;

préjudice d’agrément : 30 000 euros ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a fixé comme suit son préjudice :

assistance par tierce personne temporaire : 3 380,62 euros ;

préjudice universitaire : 4 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 10 282,50 euros ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

– infirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– statuant à nouveau :

fixer comme suit son préjudice:

assistance par tierce personne temporaire : 4 000 euros ;

préjudice universitaire : 7 000 euros ;

déficit fonctionnel temporaire : 15 440 euros ;

préjudice esthétique permanent : 3 000 euros

condamner en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à lui payer la somme de 202 757,80 euros en indemnisation de son préjudice ;

condamner in solidum le club GUC Grenoble ski et la société AWP P&C, assureur du GUC Grenoble ski, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 octobre 2023, la SEM 7 Laux demande à la cour de :

– à titre principal :

confirmer la décision de première instance en date du 22 septembre 2022 ;

rejeter l’ensemble des réclamations formulées par l’association GUC Grenoble ski et son assureur, à l’encontre de la SEM des 7 Laux ;

condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à la SEM des 7 Laux la somme de 3 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, distraits au profit de la SELARL Europa avocats, sur son affirmation de droit ;

– à titre subsidiaire, si la cour devait estimer que la SEM des 7 Laux engage sa responsabilité à l’égard de Mme [N] :

condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur, à relever et garantir la SEM des 7 Laux à hauteur de 50 % des sommes qui pourront éventuellement être mises à sa charge, en principal, intérêts et accessoires de toute nature, en raison des manquements fautifs causés par l’association GUC Grenoble ski ;

rejeter la demande de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur tendant à voir condamner la SEM des 7 Laux, à les relever et garantir à hauteur de 50 % des sommes qui pourront éventuellement être mises à leur charge, en principal, intérêts et accessoires de toute nature, au profit de Mme [N] ;

rejeter la demande de l’association GUC Grenoble ski et de son assureur tendant à voir condamner la SEM des 7 Laux à leur verser la somme de 4 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– à titre infiniment subsidiaire :

allouer à Mme [N] les sommes suivantes qui seront déclarées satisfactoires :

1 517,80 euros au titre des frais divers ;

3 600 euros au titre de l’assistance par tierce personne à titre temporaire ;

20 000 euros au titre de l’incidence professionnelle ;

9 938,75 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

25 000 euros au titre des souffrances endurées ;

51 800 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

rejeter le surplus des réclamations de Mme [N], notamment s’agissant du préjudice universitaire, ou du préjudice d’agrément ;

– en tout état de cause, condamner l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à la SEM des 7 Laux la somme de 3 000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, distraits au profit de la SELARL Europa avocats, sur son affirmation de droit.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 mars 2023, la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère demande à la cour de :

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à rembourser à la caisse la somme de 69 066,91 euros correspondant à ses débours définitifs, outre intérêts au taux légal à compter de la demande et anatocisme ;

– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Isère la somme de 1 080 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion ;

– réformer la décision de première instance en ce qu’elle a condamné in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance maladie la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère, représentée par son mandataire de gestion la caisse primaire d’assurance-maladie du Rhône, la somme de 1 800 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance ;

– en tout état de cause :

condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère, représentée par son mandataire de gestion la caisse primaire d’assurance-maladie du Rhône, la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

condamner in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SA AWP P&C, aux entiers dépens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’Union interrégion techn soc édud mutu (SMERRA), intimée citée à personne habilitée, n’a pas constitué avocat ; le présent arrêt est réputé contradictoire.

1. Sur l’action en responsabilité de Mme [G] [N] à l’encontre de l’association GUC Grenoble ski

Moyens des parties

L’association GUC Grenoble ski et son assureur la SAS AWP France soutiennent que les premiers juges n’ont pas caractérisé la faute imputée à l’association tout en éludant la propre faute commise par la victime Mme [N], de même qu’ils n’ont pas établi le lien de causalité entre la prétendue faute commise et le préjudice subi par cette dernière. Elles soutiennent également que la juridiction de première instance s’est mépris sur la portée de l’arrêté municipal relatif à la sécurité des pistes de ski en ce que la piste était bien ouverte et donc sous la responsabilité de l’exploitant.

La SEM des 7 Laux soutient que sa responsabilité ne peut pas être engagée et qu’il appartient à la seule association de veiller à la sécurité de ses adhérents pendant le temps de l’entraînement, et nullement à l’exploitant de la piste, qui est fermée, même temporairement, au public, et réservée aux clubs.

Mme [G] [N] soutient que l’association GUC Grenoble ski a manqué à son obligation de sécurité à son égard alors qu’il lui appartenait, en tant qu’organisateur de l’entraînement, conformément aux dispositions de l’arrêté municipal du 13 décembre 2010, de mettre en place un dispositif de sécurité approprié. Bien qu’ayant connaissance du caractère potentiellement dangereux de cette portion de piste, accentué par le manque de neige, elle a laissé l’entraînement se dérouler. Elle souligne une négligence du club qui a autorisé la tenue d’un entraînement de slalom géant dans des conditions non réglementaires (largeur de la piste, placement des portes). Le port d’un équipement de protection individuelle adapté n’est pas de nature à dispenser le club de prendre toutes les mesures de prudence. Son propre comportement n’a pas été remis en cause et il n’est pas établi une faute de sa part.

Réponse de la cour

En cause d’appel, Mme [G] [N] ne sollicite plus la condamnation in solidum de l’association GUC Grenoble ski et de la SEM des 7 Laux, mais la confirmation de la condamnation de la seule association GUC Grenoble ski.

Par suite, l’association GUC Grenoble ne peut invoquer la responsabilité de la SEM des 7 Laux pour faute que dans le cadre de son action en garantie à l’encontre de celle-ci.

Selon l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Les clubs sportifs sont tenus envers leurs membres et adhérents d’une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence et doivent réparation du dommage qui, sans leur faute, ne se serait pas réalisé (Civ. 1ère, 22 mai 2008, n° 07-10.903).

Il s’agit d’une obligation de moyens, qui s’apprécie toutefois avec plus de rigueur lorsqu’il s’agit d’un sport dangereux (Civ. 1ère, 16 octobre 2001, n° 99-18.221).

Il est constant que Mme [G] [N] a participé le 12 février 2011 à un entraînement de slalom géant organisé par son club de ski, l’association GUC Grenoble ski, sur la piste du ‘[13]’ sur le domaine des 7 Laux.

La piste exploitée par la SEM des Sept Laux était alors occupée par deux clubs de ski pour des entraînements au slalom : l’association GUC Grenoble ski et le CO 7Laux.

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, les circonstances de l’accident survenu le 12 février 2011 sont établies précisément par le témoignage de M. [U], qui a assisté à la chute, et par celui de M. [K], qui est le premier intervenant.

Il en ressort qu’alors qu’elle effectuait une seconde descente, Mme [N] a chuté au niveau du deuxième mur du tracé, situé à droite de la piste ‘[13]’ en descendant, tandis qu’elle évoluait sur une neige dure à une vitesse estimée à environ 70 km/h, pour finalement s’immobiliser en dehors de la piste, dans un ravin situé cinq mètres encontrebas.

Mme [G] [N] a présenté de graves lésions : un traumatisme crânien avec perte de connaissance, un traumatisme facial avec plaie du scalp, un traumatisme rachidien avec fracture de T6 déplacée, recul du mur postérieur, éclatement du corps vertébral, et un traumatisme thoracique. Il n’est pas sérieusement contestable que ces lésions trouvent leur origine dans la sortie de piste de la victime, et non seulement dans sa chute sur celle-ci.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la chute de Mme [G] [N] sur la piste puis dans le ravin selon les parties : une faute de carre de sa part, un défaut de sécurisation de la piste, un mauvais choix dans le tracé du slalom, l’état de piste.

– sur la faute de carre :

La chute initiale de Mme [N] est très probablement due à une faute de carre, c’est à dire une erreur qui consiste à perdre l’équilibre à la suite de l’appui de la jambe sur la carre non porteuse.

Cependant, cette erreur, courante dans la pratique du ski, ne suffit pas à caractériser une faute civile, s’agissant d’une simple maladresse ou négligence et non d’un acte délibéré.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur ne rapportent ainsi pas la preuve de ce que Mme [G] [N], décrite par son club de ski comme une skieuse aguerrie, disposant de l’équipement de protection individuelle recommandé (casque et dorsale), aurait commis une faute de nature à exonérer l’organisateur de l’entraînement de sa propre responsabilité.

– sur la sécurisation de la piste :

Il ressort du témoignage de M. [X] [U], témoin de la chute, que ‘la combe dans laquelle est partie [G] [N] comportait une souche d’arbre et un rocher sur la trajectoire de sa chute’.

M. [O] [R], entraîneur de l’association GUC Grenoble ski, qui a réalisé le tracé du slalom, atteste avoir demandé oralement au service des pistes ‘la pose de filets sur la partie basse de la piste’, et avait relevé lui-même que ‘cette partie peu enneigée à cette période aurait nécessité une protection en cas de sortie de piste comme ça a été le cas pour Melle [N]’. Selon lui, la ‘station’ lui aurait répondu que ‘la piste avait été aménagée comme stade de slalom, sans nécessité de filets’ lesquels demandent un entretien quotidien.

Le cabinet Eurisk, mandaté par l’assueur de la SEM des Sept-Laux, indique qu’aucun courrier ou mail n’a été transmis à la SEM concernant une demande de moyens pour la pose de filets complémentaires avant l’accident, ce qui n’est pas contesté par l’association GUC Grenoble ski.

Aux termes d’un courrier du 25 mars 2011 adressé au directeur de la société des téléphériques des 7 Laux, les co-présidents de l’association GUC Grenoble ski ont admis : ‘cette skieuse a chuté dans le tracé du slalom, mais la gravité de ses blessures est due à sa sortie de piste’. Ils évoquent également une sortie de piste similaire concernant un enfant adhérent de l’association.

Selon un rapport de ré-homologation du 4 septembre 2009, la fédération française de ski a homologué la piste de ski ‘le [13]’ tout en relevant concernant les lieux de l’accident : ‘altitude 1600 une rangée de 30 mètres de filet de type ‘B’ serait souhaitable sur le côté droit en descendant pour les épreuves de géant’.

Il est également mentionné que de gros travaux ont été effectués, portant la largeur de la piste à plus de 40 mètres, ce qui ‘améliore de façon significative la sécurité’.

Le cabinet Eurisk, mandaté par la SEM des Sept Laux, a cependant relevé que la suggestion de pose de filets de type ‘B’ correspond à des ‘filets de compétition ne correspondant pas des filets pour une exploitation courante et normale publique’.

Même si le rapport de la FFS ne crée aucune obligation à l’égard de l’association GUC Grenoble ski s’agissant de l’installation de filets, il ressort de ce qui précède que l’entraîneur en charge de l’entraînement pour l’association GUC Grenoble ski avait conscience du danger présenté par la présence d’une zone identifiée comme dangereuse en l’absence de filets de sécurité. Il n’a cependant ni attiré l’attention des participants sur l’existence de ce danger ni envisagé de reporter l’entraînement.

Par ailleurs, un arrêté municipal du maire de la commune des Adrets en date du 13 décembre 2010 dispose en son article 4 in fine:

« Les entraînements et compétitions sur les pistes de ski ouvertes au public sont interdites. De manière dérogatoire, et à titre exceptionnel, le service des pistes peut autoriser de telles activités à condition qu’un dispositif de sécurité approprié soit mis en place par l’organisateur de ces activités ».

Il appartenait donc à l’association GUC Grenoble d’assurer la mise en place d’un ‘dispositif de sécurité approprié’ et en l’espèce a minima de filets de sécurité sur la zone dangereuse repérée par le traceur.

– sur le choix du tracé du slalom :

Il est constant que le tracé du slalom a été réalisé par M. [R], entraîneur de l’équipe.

Selon M. [I] [K], participant à l’entraînement, un slalom spécial étant tracé sur la gauche de la piste, le tracé du géant passait sur la partie droite de la piste. Ce tracé n’était pas particulièrement proche du bord de la piste.

Selon le cabinet Eurisk, mandaté par la SEM des Sept-Laux, ‘le tracé réalisé par le GUC était un tracé tournant diminuant certes la vitesse mais augmentant le déport en cas de faute de quart sur un passage de porte de géant’. Il a également relevé que la piste était exploitée par deux clubs de ski alpin bien qu’elle soit homologuée pour un seul tracé, ‘ce qui donne par voie de conséquence des espaces d’échappement en cas de chute plus importants’.

Le ‘livret traceur national’ établi par la fédération française de ski dans le cadre de la ‘formation des cadres alpins’, sans valeur normative, mais qui renseigne sur les bonnes pratiques en la matière, recommande (pièce n° 40 de Mme [N] – page 6) :

‘En compétition, le coureur skie à la limite supérieure de ses capacités techniques, les risques de chute ou de sortie de piste sont ainsi augmentés.

Le traceur doit tenir compte de ce fait.

En cas de chute ou de sortie du tracé sur faute, le coureur peut être propulsé vers un obstacle. Le danger sera d’autant plus grand que l’obstacle sera plus rapproché, la vitesse plus grande, le sol dur et glacé.

Par la disposition judicieuse de son piquetage, le traceur devra :

– faire aborder les parties difficiles et dangereuses de la piste à vitesse contrôlée ; il faut alors arrondir le tracé en amont ;

– placer chaque porte en prenant conscience de la zone d’échappement en cas de chute ou de sortie (zone de sécurité) ;

– changer l’axe du tracé pour s’éloigner d’un obstacle.’

Or en l’espèce il est établi qu’une porte se trouvait dans la zone identifiée comme dangereuse, augmentant le risque de déport. Le traceur n’a ainsi pas anticipé qu’une chute ou une sortie de piste conduirait dans le ravin, alors même que la piste était partagée avec un autre tracé, réduisant les possibilités d’échappement en cas de sortie du tracé.

Par suite, il est établi une faute commise par le traceur de l’association GUC Grenoble ski en ce qu’il n’a pas tenu compte de l’existence de la zone dangereuse dans le choix du tracé et le positionnement de l’une des portes, ce qui a nécessairement conduit à la réalisation du dommage.

– sur l’état de la piste (neige dure, manque d’enneigement) :

Il ressort du témoignage de M. [X] [U], témoin direct de l’accident : ‘la piste avait été bien préparée par les dameurs la nuit. La neige était dure mais sans caractère anormal et les conditions climatiques étaient classiques pour un slalom géant sur cette partie de la piste. La visibilité était bonne. Il n’y avait pas de plaques de glace ou de cailloux sur la piste à cette heure-ci (10 heures)’.

Selon le rapport du cabinet Eurisk mandaté par la SEM des Sept Laux, les chutes de neige avaient été absentes sur le domaine skiable du 15 janvier 2011 au 15 février 2011. La neige était donc une neige dure.

Cependant, il n’est pas établi que la dureté de la neige serait à l’origine de l’accident, et en particulier de la chute de Mme [N] dans un ravin.

Il n’est pas davantage démontré que le déficit en enneigement aurait joué un rôle causal dans l’accident dont a été victime Mme [N].

Par suite, il est établi que l’association GUC Grenoble ski a manqué à son obligation de sécurité à l’égard de Mme [G] [N], en ce qu’ayant connaissance de la dangerosité du lieu de l’accident, elle n’a pas tenu compte de cela pour la réalisation du tracé du slalom, ni procédé ou fait procéder à l’installation de filets, ni renoncé à la tenue de l’entraînement, ni attiré l’attention de son adhérente sur ce danger.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a reconnu la responsabilité de l’association GUC Grenoble ski dans l’accident dont a été victime Mme [G] [N].

2. Sur l’action en garantie de l’association GUC Grenoble ski à l’encontre de la SEM des Sept Laux

Moyens des parties

L’association GUC Grenoble ski et son assureur, la SAS AWP France SAS, soutiennent à titre subsidiaire que c’est bien la personne morale qui s’est vue confier par la commune des Adrets l’aménagement et l’exploitation des pistes de ski qui doit veiller à ce que celle-ci ne comportent pas en leur sein de dangers excesifs au sens de la norme, c’est à dire des dangers contre lesquels les skieurs ne seraient pas en mesure de se prémunir eux-mêmes par leur propre prudence. La piste du [13] n’était pas fermée, ce qui ne mettait pas fin à son obligation de contrôle de protection et de surveillance.

La SEM des Sept Laux soutient qu’elle n’est pas responsable dans la survenance de l’accident dont a été victime Mme [N] en ce qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un manquement de l’exploitant à son obligation de sécurité de moyen, dès lors que la piste était fermée au public. Elle soutient qu’il existe un transfert des obligations s’agissant du dispositif de sécurité en application des articles 4 et 5 de l’arrêté municipal. Seule l’association GUC Grenoble ski se devait de tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité de ses adhérents. Elle rappelle que la piste a été homologuée par la fédération française de ski. Elle fait valoir qu’il n’est pas rapporté la preuve de ce que l’association GUC Grenoble ski aurait demandé une sécurisation de la zone de l’accident.

Réponse de la cour

Selon l’article 1147 du code civil, devenu l’article 1231-1, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L’exploitant d’une piste de ski est tenu d’une obligation de sécurité de moyen à l’égard des pratiquants (Civ. 1ère, 5 juillet 2017, n° 16-20.363).

Un arrêté municipal du maire de la commune des Adrets en date du 13 décembre 2010 dispose en son article 4 in fine:

« Les entraînements et compétitions sur les pistes de ski ouvertes au public sont interdites. De manière dérogatoire, et à titre exceptionnel, le service des pistes peut autoriser de telles activités à condition qu’un dispositif de sécurité approprié soit mis en place par l’organisateur de ces activités ».

L’article 5 de cet arrêté précise :

« Le service de la sécurité des pistes assure l’ouverture, le contrôle et la fermeture quotidienne des pistes aux pratiquants.

Le contrôle de pistes de ski alpin a pour objet de vérifier, avant et pendant l’ouverture aux pratiquants, qu’elles peuvent être ouvertes ou maintenues ouvertes, et notamment :

qu’elles ne présentent pas, sur leur parcours, de danger d’un caractère anormal ou excessif ;

que les dispositifs de balisage, de signalisation, d’information et de protection sont mis en oeuvre ;

que les secours y sont assurés.

Les pistes sont fermées en fin d’exploitation journalière, après vérification par tous moyens appropriés qu’aucun pratiquant ne s’y trouve, blessé ou en difficulté. En cours d’exploitation, les pistes doivent être ferémes à partir du moment où leur contrôle montrerait que la sécurité des pratiquants n’y est plus assurée ; cette fermeture sera alors matérialisée par un dispositif adapté.

Dès lors qu’elles sont déclarées fermées, les pistes ne sont plus contrôlées, ni protégées ni surveillées ».

L’article 6 de cette arrêté ajoute :

« Les dangers de caractère normal sont signalés par un ou plusieurs jalons de signalisation de danger reliés entre eux ou pas et, si nécessaire, par un filet. Des danger répétitifs de cette nature sur une piste peuvent être signalés aux pratiquants par un panneau d’affichage approprié, installé avant l’entrée de la piste, notamment en cas de faible enneigement ».

Il est constant d’une part que la commune des Adrets a délégué l’exploitation et la gestion du domaine skiable à la SEM des Sept Laux, et d’autre part qu’au moment de l’accident, la piste était fermée aux autres usagers du domaine skiable pour n’être réservée qu’aux seuls membres de l’association GUC Grenoble ski et du CO 7 Laux.

Il n’existe pas de convention écrite fixant les droits et obligations de chacune des parties. Néanmoins, en dépit de l’absence d’explications des parties sur ce point, la SEM des Sept Laux et l’association GUC Grenoble ski sont nécessairement liées par un contrat consistant en la mise à disposition de la piste contre rémunération.

Contrairement à ce qu’a jugé la juridiction de première instance, il ne peut être considéré que sur le temps des entraînements comme des compétitions le club

est seul responsable, pour les activités sportives qu’il organise, de la sécurité sur la piste mise à sa disposition et fermée au public.

En effet, comme l’indique l’arrêté municipal susvisé, la piste du [13] n’était pas fermée pour un motif qui ne permettait plus d’assurer la sécurité des pratiquants (par exemple un défaut d’enneigement).

Elle était donc ouverte, même de manière restrictive, ce qui implique que la SEM des Sept Laux demeurait responsable de la sécurisation de la piste.

Alors que la dangerosité de la piste avait été identifiée sur les lieux de l’accident, conformément à l’article 6 de l’arrêté susvisé, il appartenait à la SEM des Sept Laux a tout le moins d’indiquer la présence d’un danger, voire d’assurer la pose de filets de sécurité qui auraient pu limiter le dommage subi par Mme [G] [N] lors de sa sortie de piste.

Par suite, la SEM des Sept Laux doit sa garantie à l’association GUC Grenoble ski pour les condamnations mises à la charge de cette dernière pour l’indemnisation de Mme [N].

Eu égard à la gravité de la faute commise par la SEM des Sept Laux et au cumul des fautes commises par l’association GUC Grenoble ski, il convient de dire que chacue d’elles est responsable de 50 % du dommage subi par Mme [N].

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et la SEM des Sept Laux sera condamnée à relever et garantir l’association GUC Grenoble ski à hauteur de 50 % des condamnations prononcées à son encontre.

3. Sur l’évaluation des préjudices subis par Mme [N]

Les postes contestés par les parties concernent les préjudices suivants :

– l’assistance tierce personne temporaire ;

– le préjudice universitaire ;

– l’incidence professionnelle ;

– le déficit fonctionnel temporaire ;

– les souffrances endurées ;

– le déficit fonctionnel permanent ;

– le préjudice esthétique permanent ;

– le préjudice d’agrément.

a) sur l’assistance par tierce personne temporaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite l’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros sur la base d’un coût horaire de 20 euros.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur offrent la somme de 2 574 euros sur base d’un coût horaire de 13 euros aux motifs que l’aide humaine apportée à Mme [N] n’était pas spécialisée.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 3 600 euros sur la base d’un coût horaire de 16 euros.

Réponse de la cour

Les parties ne contestent pas le besoin en aide humaine de Mme [N] tel qu’évalué par l’expert à deux heures par jour du 2 septembre 2011 au 1er décembre 2011 (91 jours) puis à deux heures par semaine du 2 décembre 2011 au 6 février 2012 (66 jours).

L’indemnisation de ce poste de préjudice ne saurait être réduite en cas d’assistance familiale ou bénévole (Civ. 2ème, 17 décembre 2020, n° 19-15.969).

Sur la base d’un taux horaire de 20 euros, le préjudice subi par Mme [N] peut être fixé à la somme de 4 017,14 euros [(91 x 2 x 20) + (66/7 x 2 x 20)].

L’évaluation demandée par Mme [N] à la somme de 4 000 euros doit donc être retenue.

b) sur l’incidence professionnelle

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 60 000 euros. Elle souligne le fait que l’accident a augmenté la pénibilité de son emploi et qu’elle doit avoir recours à des aménagements. Elle estime être dans l’incapacité de travailler à temps plein et aura du mal à trouver un autre poste de travail.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur proposent la somme de 20 000 euros aux motifs que Mme [N] ne verse aucune pièce à l’appui de ses allégations et que l’expert n’a retenu aucune incidence professionnelle à l’exception d’une certaine pénibilité et d’une fatigabilité.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 20 000 euros aux motifs que compte tenu de l’accident le poste de travail de Mme [N] doit nécessairement être adapté.

Réponse de la cour

Cette incidence professionnelle à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques dudommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raisonde sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore dupréjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap.

Il ressort du rapport d’expertise, non contesté sur ce point par les parties, que Mme [N], âgée de 25 ans au jour de la consolidation de ses blessures et désormais de 33 ans, subit un fatigabilité accrue du fait de son handicap et doit bénéficier d’aménagements.

Par ailleurs, elle subit nécessairement une dépréciation sur le marché du travail compte-tenu de son impossibilité d’exercer un métier comportant des contraintes physiques.

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a fait droit à la demande de la victime de fixer ce poste à la somme de 60 000 euros.

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, la caisse primaire d’assurance-maladie n’a servi aucune prestation à ce titre et il ne ressort pas des pièces versées aux débats que la mutuelle de la victime lui verserait une prestation d’invalidité, qui est la seule susceptible d’être imputée sur ce poste de préjudice en vertu de l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

c) sur le préjudice universitaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 7 000 euros de ce chef aux motifs qu’elle a dû interrompre son année universitaire l’année de l’accident et n’a repris les cours qu’en octobre 2011 en aménageant ses horaires.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur concluent au débouté et soutiennent que Mme [N] reconnaît n’avoir subi aucun retard dans son parcours universitaire, ni aucune réorientation. Les efforts dont elle fait état sont d’ores et déjà intégré dans le déficit fonctionnel temporaire.

La SEM des Sept Laux conclut au débouté et soutient que Mme [N] a pu valider son année de STAPS et réussi une première année de Master mais ne justifie pas de ce qu’elle a dû accepter un Master 2 à [Localité 12] en raison de ses séquelles.

Réponse de la cour

Le préjudice scolaire ou universitaire indemnise la perte d’années d’études scolaires, universitaires ou de formation, consécutive à la survenance du dommage. Ce poste de préjudice intègre, en outre, le retard scolaire subi, mais aussi une possible modification d’orientation.

Au moment de l’accident, Mme [G] [N] était étudiante en 3ème année STAPS. Elle a interrompu son année universitaire pour ne reprendre les cours qu’en octobre 2011. Elle a poursuivi son cursus jusqu’au Master 2.

Si Mme [N] a réussi ses examens, les conditions de déroulement de la suite de ses études jusqu’à son retour en cours en octobre 2011 sont constitutives d’un préjudice, non indemnisé au titre du déficit fonctionnel temporaire, en ce qu’elle a subi une pénibilité dans la poursuite de ses études.

En revanche, Mme [N] ne rapporte pas la preuve de ce que son handicap est en lien avec la nécessité pour elle de poursuivre un Master 2 à [Localité 12].

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 4 000 euros.

d) sur le déficit fonctionnel temporaire

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 15 440 euros.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a fixé ce poste de préjudice à la somme de 10 282,50 euros.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 9 938,75 euros aux motifs que Mme [N] n’a pas été hospitalisée pendant toute la période de déficit fonctionnel temporaire retenue par l’expert.

Réponse de la cour

Ce poste de préjudice indemnise l’incapacité subie par la victime pendant toute la durée de la maladie traumatique, c’est-à-dire depuis le fait dommageable jusqu’à la date de la consolidation. Il correspond, outre la période d’hospitalisation, à ‘la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante’ (séparation de l’environnement familial et amical, privation des activités tant professionnelles que de loisirs, privation des activités en famille, préjudice sexuel).

L’expert a retenu les périodes de déficit fonctionnel temporaire suivantes :

– total du 12 février 2011 au 1er septembre 2011 (202 jours), correspondant aux différentes périodes d’hospitalisation, soit au CHU, soit en centre de rééducation ;

– partiel (à 50 % selon l’estimation du besoin en tierce personne) du 2 septembre 2011 au 1er décembre 2011 (91 jours) ;

– partiel à 30 % du 2 décembre 2011 au 6 février 2012 (67 jours) ;

– dégressif jusqu’à la consolidation fixée au 1er février 2016 (1455 jours).

Il est objectivé une période de déficit fonctionnel temporaire total dès lors qu’elle correspond non seulement à l’hospitalisation de la victime mais également à des périodes où elle se trouvait en centre de rééducation.

Sur la dernière période retenue par l’expert, le déficit fonctionnel temporaire partiel subi par Mme [N] peut être évalué à 25 % compte tenu de ce qu’il a ensuite été retenu un déficit fonctionnel permanent de 20 %.

Par suite, sur la base des périodes retenues par l’expert, il convient d’évaluer le préjudice subi par Mme [N] à la somme totale de 15 783,75 euros [(202 x 25) + (91 x 25 x 0,5) + (67 x 25 x 0,3) + (1455 x 25 x 0,25)].

Aussi convient-il de faire droit à la demande de Mme [N] tendant à fixer ce poste de préjudice à la somme de 15 440 euros.

e) sur les souffrances endurées

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la confirmation du jugement déféré qui a fixé ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros, pour tenir compte de la grande souffrance psychologique qu’a entraîné l’accident et sa prise en charge.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 20 000 euros pour réduire l’évaluation de ce poste de préjudice à de plus justes proportions.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 25 000 euros, la somme allouée par le tribunal lui paraissant excessive.

Réponse de la cour

L’expert a évalué ce poste de préjudice à 5,5 sur une échelle de 7.

Eu égard à la nature des blessures présentées par Mme [N] ensuite de l’accident et des souffrances physiques et psychologiques qu’elles ont engendré, c’est par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.

f) sur le déficit fonctionnel permanent

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la fixation de ce poste de préjudice à la somme de 51 800 euros pour tenir compte de la persistance de douleurs physiques et psychologiques.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur offrent la somme de 40 000 euros.

La SEM des Sept Laux s’en rapporte à la décision de la cour.

Réponse de la cour

Le déficit fonctionnel permanent subi par Mme [N] a été évalué à 20 % par l’expert pour prendre en compte ‘à la fois les déficits fonctionnels permanents liés à toutes les conséquences ostéoarticulaires présentées par Mme [N] aussi bien au niveau des ceintures scapulaires, de l’ensemble du rachis et du reste du squelette et également les troubles cognitifs évoqués’.

L’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 51 800 euros apparaît de nature à assurer une réparation intégrale du préjudice subi par Mme [G] [N] en regard de son âge au jour de la consolidation de ses blessures.

g) sur le préjudice esthétique permanent

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 3 000 euros à ce titre en indiquant que le tribunal a omis de statuer sur cette demande qui n’est pas reprise dans le dispositif.

L’association GUC Grenoble ski et son assureur demandent la confirmation du jugement déféré de ce chef.

La SEM des Sept Laux offre la somme de 2 500 euros aux motifs que l’évaluation de ce poste par la juridiction de première instance serait excessive.

Réponse de la cour

L’évaluation de ce poste de préjudice à la somme de 3 000 euros apparaît de nature à assurer une réparation intégrale du préjudice subi par Mme [G] [N] en regard de la persistance d’une cicatrice sur le visage chez une jeune femme de 25 ans au jour de la consolidation de ses blessures.

Ainsi que l’a relevé Mme [G] [N], la juridiction de première instance a répondu à cette demande dans les motifs de sa décision mais a omis de mentionner ce poste de préjudice dans le dispositif fixant les différents postes et de l’additionner aux autres postes pour déterminer les sommes dues à Mme [N].

Il convient donc de compléter le jugement déféré sur ce point.

h) sur le préjudice d’agrément

Moyens des parties

Mme [G] [N] sollicite la somme de 30 000 euros à ce titre aux motifs qu’elle a dû arrêter brutalement sa carrière d’athlète de haut niveau.

L’association GUC Grenoble et son assureur demandent à la cour de rejeter la demande ou à tout le moins de la ramener à la somme de 5 000 euros dès lors que Mme [N] ne justifie pas de ses affirmations et notamment du fait qu’elle appartenait à l’équipe de France d’athlétisme pour la saison 2010-2011.

La SEM des Sept Laux conclut au débouté aux motifs que Mme [N] ne verse aux débats aucun élément permettant de justifier d’une carrière à haut niveau.

Réponse de la cour

Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.).

La Cour de cassation exige que la spécificité de l’activité régulière de loisir ou sportive soit démontrée (Civ. 2ème, 27 avril 2017, n° 16-13.340 ; 3 juin 2021, n° 20-13.574), mais admet l’existence de ce préjudice en cas de limitation de l’activité concernée (Civ. 2ème, 29 mars 2018, n° 17-14.499) ou lorsqu’une gêne psychologique empêche la pratique d’une activité (Civ. 2ème, 5 juillet 2018, n° 16-21.776).

Comme l’a relevé la juridiction de première instance, Mme [G] [N] démontre qu’elle figurait parmi les meilleures perchistes de sa catégorie d’âge et qu’à ce titre elle était inscrite sur les listes des sportifs de haut niveau de la fédération française d’athlétisme, mais aussi qu’elle ne limitait pas sa pratique sportive à l’athlétisme.

En regard de l’état séquellaire de Mme [N], elle n’est pas en mesure de reprendre le saut à la perche et est limitée dans sa pratique d’autres sports en raison des douleurs qu’elle ressent à cette occasion.

C’est donc par une juste appréciation que la juridiction de première instance a évalué ce poste de préjudice à la somme de 30 000 euros après avoir considéré que le préjudice d’agrément était majeur en regard du statut de sportive de haut niveau de la victime et de son âge au jour de la consolidation de ses blessures.

Il convient donc de confirmer le jugement déféré de ce chef.

4. Sur l’indemnisation due à Mme [N]

Compte tenu de ce qui précède, le préjudice corporel de Mme [G] [N] doit être fixé comme suit :

Postes de préjudice

Evaluation

Indemnité due à la victime

Indemnité due à la CPAM

Dépenses de santé actuelles

69 066,91 euros

0

69 066,91 euros

Frais divers

1 517,80 euros

1 517,80 euros

0

Assistance par tierce personne temporaire

4 000 euros

4 000 euros

0

Incidence professionnelle

60 000 euros

60 000 euros

0

Préjudice universitaire

4 000 euros

4 000 euros

0

Déficit fonctionnel temporaire

15 440 euros

15 440 euros

Souffrances endurées

30 000 euros

30 000 euros

Déficit fonctionnel permanent

51 800 euros

51 800 euros

Préjudice esthétique permanent

3 000 euros

3 000 euros

Préjudice d’agrément

30 000 euros

30 000 euros

Total

199 757,80 euros

69 066,91 euros

Il convient donc de condamner solidairement l’association GUC Grenoble ski et son assureur à verser à Mme [G] [N] la somme de 199 757,80 euros à titre d’indemnisation de son préjudice corporel, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, avec capitalisation des intérêts par année entière comme demandé.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :

– jugé l’association GUC Grenoble ski seule et entièrement responsable de l’accident dont Mme [G] [N] a été victime le 12 février 2011 ;

– fixé l’assistance par tierce personne temporaire à la somme de 3 380,62 euros ;

– fixé le déficit fonctionnel temporaire à la somme de 10 282,50 euros ;

– condamné en conséquence l’association GUC Grenoble ski et son assureur la société AWP P&C à payer à Mme [G] [N] la somme de 190 980,92 euros en indemnisation de son préjudice ;

Confirme le jugement déféré pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déclare l’association GUC Grenoble ski et la SEM des Sept-Laux responsables du préjudice subi par Mme [G] [N] ensuite de l’accident survenu le 12 février 2011 ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre de l’assistance par tierce personne temporaire à la somme de 4 000 euros ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 15 440 euros ;

Fixe l’indemnisation due à Mme [G] [N] au titre du préjudice esthétique permanent à la somme de 3 000 euros ;

Condamne solidairement l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à Mme [G] [N] la somme de 199 757,80 euros à titre d’indemnisation de son préjudice, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les intérêts des sommes dues seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SEM des Sept-Laux à relever et garantir l’assocation GUC Grenoble ski à hauteur de 50 % de toute condamnation prononcée à son encontre ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à Mme [G] [N] la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP France à verser à la caisse primaire d’assurance-maladie de l’Isère la somme de 1 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Condamne in solidum l’association GUC Grenoble ski et la SAS AWP aux dépens de l’instance d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, présidente de la deuxième chambre civile et par Mme Caroline Bertolo, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE                                        LA PRÉSIDENTE