Téléphérique de La Grave – Valeur non amortie de l’immobilisation à la fin de la concession

CAA de MARSEILLE – 6ème chambre

  • N° 19MA05156
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 26 février 2024

Président

  1. FEDOU

Rapporteur

  1. Philippe GRIMAUD

Rapporteur public

  1. POINT

Avocat(s)

MBC AVOCATS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Téléphériques des glaciers de la Meije (TGM) a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal de condamner la commune de La Grave à lui verser, d’une part, la somme d’1 201 289,30 euros au titre des investissements réalisés et non amortis à la fin de la concession dont elle était titulaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande indemnitaire préalable et du produit de leur capitalisation et, d’autre part, la somme de 256 900 euros au titre de l’indemnisation des biens dits de reprise ou, à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise afin d’évaluer le montant des indemnités qui lui sont dues.

Par un jugement n° 1706236 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune de La Grave à verser à la société TGM la somme d’1 003 145 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 19 avril 2017 et a ordonné la capitalisation de ces intérêts à compter du 1er septembre 2018 et à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date.

Procédure devant la Cour :

Par un arrêt avant dire droit n° 19MA05156 du 29 mars 2021, la Cour, statuant sur l’appel de la commune de la Grave a, d’une part, rejeté les conclusions de la société TGM tendant à la condamnation de la commune de La Grave à lui verser la somme de 944 945,32 euros au titre des biens de retour non amortis et la somme de 256 344 euros en ce qui concerne les restaurants d’altitude, et, d’autre part, demandé, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société TGM relatives aux biens de reprise transmis à la commune et sur les conclusions indemnitaires reconventionnelles de la commune relatives à la reconstruction du téléphérique des Trifides, qu’il soit procédé à une expertise contradictoire en présence de ladite société et de la commune de La Grave, avec mission d’évaluer la valeur non amortie des biens de reprise à la date du 15 juin 2017, ainsi que le coût de la reconstruction de la remontée mécanique assurant la jonction avec le Dôme de la Lauze en adoptant pour date de référence du coût des travaux le 15 juin 2017.
Le 3 mai 2023, le collège d’experts a déposé son rapport, qui a été communiqué aux parties pour observations.

Par un mémoire enregistré le 6 juin 2023, la commune de La Grave, représentée par Me Delcombel, demande à la Cour :

1°) d’appeler à la cause la SELARL Berthelot et associés, prises en sa qualité de liquidateur de la société TGM et de déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable cette société ;

2°) de rejeter l’ensemble des demandes de la société TGM ;

3°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 5 novembre 2019 ;

4°) de condamner la société TGM à lui verser la somme de 870 604,84 euros hors taxes soit 1 044 725,81 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice tiré de la non reconstruction du téléski des Trifides ;

5°) de mettre à la charge de la société TGM la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la commune a déclaré sa créance dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société TGM ;
– les prétentions de la société TGM sur les biens de reprise sont vouées au rejet, dès lors qu’elle n’a pas communiqué à l’expert les éléments nécessaires à leur chiffrage ;
– plusieurs biens listés sont des biens de retour devant revenir gratuitement à la commune et non des biens de reprise ;
– il ne saurait être tenu compte d’une plus-value pour la commune alors que l’ouvrage n’a pas été reconstruit ;
– il convient de se placer en juin 2017, date de fin de concession, de tenir compte de la valeur de reconstruction de cet équipement et d’appliquer un abattement d’usure ;
– pour ce, la Cour pourra retenir le coût de reconstruction évalué par les experts et introduire le cas échéant une décote.

Un courrier du 6 juin 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d’appeler l’affaire à l’audience et a indiqué la date à partir de laquelle l’instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2.

Par ordonnance du 18 janvier 2024, la clôture de l’instruction a été fixée à sa date d’émission en application de l’article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code civil ;
– le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
– les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
– et les observations de Me Debliquis, pour la commune de la Grave.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention du 15 juin 1987, la commune de La Grave a confié à la société Téléphériques des glaciers de la Meije la construction et l’exploitation des remontées mécaniques du versant nord du massif de la Meije pour une durée de trente ans. A l’expiration du contrat, la société Téléphériques des glaciers de la Meije a sollicité l’indemnisation du défaut d’amortissement des travaux de remplacement des câbles porteurs du deuxième tronçon et du câble d’alimentation électrique atteignant l’altitude de 3 200 mètres, ainsi que l’indemnisation du transfert de biens de reprise transmis sans indemnité à la commune puis au nouveau concessionnaire. La commune de la Grave a demandé à titre reconventionnel, de condamner la société Téléphériques des glaciers de la Meije (TGM) au versement d’une indemnité de 500 000 euros, à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de la non-restitution du téléski des Trifides et d’ordonner une expertise afin de déterminer le montant des indemnités qui lui sont dues au titre de la non-restitution de ce téléski. Par le jugement attaqué, dont la commune de la Grave a relevé appel, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la première de ces deux demandes à hauteur de 944 945 euros et à la seconde à hauteur de 58 200 euros, et a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par un arrêt avant dire droit n° 19MA05156 du 29 mars 2021, la Cour, statuant sur l’appel de la commune de la Grave, a, d’une part, rejeté les conclusions de la société TGM tendant à la condamnation de la commune de La Grave à lui verser la somme de 944 945,32 euros au titre des biens de retour non amortis et à la somme de 256 344 euros en ce qui concerne les restaurants d’altitude, et, d’autre part, prescrit une expertise pour évaluer la valeur non amortie des biens de reprise à la date du 15 juin 2017, ainsi que le coût de la reconstruction de la remontée mécanique assurant la jonction avec le Dôme de la Lauze en adoptant pour date de référence du coût des travaux le 15 juin 2017. Le collège d’experts désigné a déposé son rapport le 3 mai 2023. La commune de La Grave demande désormais à la Cour de condamner la société TGM à lui verser la somme de 870 604,84 euros hors taxes, soit 1 044 725,81 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice tiré de la non restitution du téléski des Trifides.

Sur les conclusions indemnitaires de la société TGM :

2. Il ressort du rapport d’expertise que la société TGM n’a pas produit le tableau d’amortissement des immobilisations demandé par le collège d’expert afin de permettre le rapprochement avec l’inventaire des biens de reprise qui avait été établi. Le rapport conclut par suite à l’impossibilité de répondre au chef de mission visant à évaluer la valeur non amortie de ces biens de reprise à la date du 15 juin 2017.

3. Par suite, en l’absence au dossier de tout autre élément permettant le chiffrage de ce préjudice, les conclusions indemnitaires de la société TGM concernant ces biens de reprise ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires de la commune de La Grave :

4. Par son arrêt avant dire droit, la Cour a estimé que la commune de La Grave était fondée à demander la condamnation de la société TGM à l’indemniser du préjudice résultant de l’absence de reconstruction de la remontée mécanique des Trifides, qui s’était effondrée en 2008, alors qu’elle était en droit d’attendre le retour gratuit de ce bien dans son patrimoine à l’expiration de la concession en 2017.

5. Il résulte du rapport d’expertise que la reconstruction à l’identique de la remontée mécanique des Trifides était impossible, compte tenu de la configuration du site et dès lors que la falaise longeant le téléski s’était effondrée. Toutefois, le rapport d’expertise précise qu’une solution technique équivalente modifiant le tracé est envisageable, sans modification fonctionnelle ou qualitative de l’équipement. Le coût de cette remise en état de la remontée mécanique est ainsi évalué par le rapport à 870 604,84 euros hors taxes en 2017 et à 859 345,48 euros hors taxes en 2011.

6. Ainsi que mentionné dans l’arrêt avant dire droit, il y a toutefois lieu de tenir compte de la vétusté de l’équipement qui devait être restitué non dans un état neuf mais dans un état de fonctionnement normal. La commune de La Grave n’est par suite pas fondée à demander le versement de la somme de 870 604 euros hors taxes.

7. Contrairement à ce qu’a retenu le collège d’experts, le préjudice subi par la commune ne saurait être calculé en déduisant de la valeur de l’équipement neuf la valeur de l’équipement détruit en 2008, qu’il a évaluée à 58 250 euros hors taxes. En effet, le préjudice subi par la commune correspond à la valeur qui aurait été celle de cet équipement, au moment de son retour dans son patrimoine en 2017, s’il avait été reconstruit par la société après sa destruction accidentelle en décembre 2008. Ce préjudice correspond donc au prix de revient de l’équipement, évalué en fonction des coûts de la construction en juin 2009, date à laquelle sa reconstruction aurait matériellement pu être entreprise, après déduction de l’usure de l’équipement pendant la période courant de 2009 à 2017, date de la fin de la concession.
8. Le rapport d’expertise précise les différents éléments du prix de revient, calculé en mars 2011, en spécifiant les indices de l’Institut national de la statistique et des études économiques applicables à ces différents éléments. Il résulte de ce qui précède que, pour calculer le prix de revient de la reconstruction de la remontée mécanique en juin 2009, il y a lieu de tenir compte de ces coûts, non contestés, en appliquant la variation des différents indices correspondant, sauf s’agissant de l’indice TRTP, de création plus récente. Il résulte de ce calcul, retracé dans le tableau ci-dessous, que le prix de revient de la reconstruction de l’ouvrage, si elle avait eu lieu en juin 2009, aurait été de 767 593,72 euros. Compte tenu de la durée d’amortissement habituellement retenue pour ce type d’installation, soit vingt-cinq ans, il y a lieu d’évaluer la valeur non amortie de l’immobilisation à la fin de la concession, soit huit ans plus tard, à 521 963,73 euros, soit (25-8) / 25èmes du prix de revient.

Prix de revient en mars 2011
(P2011)Indices
en mars 2011
(I2011)Indices
en juin 2009 (I2009)Prix de revient en juin 2009 (P2011*I2009/I2011) Indice ING Etudes

20 000,00 €812,8781,519 229,82 €5 000,00 €812,8781,54 807,46 €6 000,00 €812,8781,55 768,95 €17 000,00 €812,8781,516 345,35 € Indice BT47 Station motrice et appareillage
297 420,00 €1119,8997264 804,20 €55 620,00 €1119,899749 520,58 € Indice TP13 Autres matériels

84 048,00 €569,4489,172 195,08 €4 800,00 €569,4489,14 123,08 €53 020,00 €569,4489,145 542,82 €111 200,00 €569,4489,195 517,95 €3 350,00 €569,4489,12 877,56 €15 000,00 €569,4489,112 884,62 €26 765,48 €569,4489,122 990,86 €5 560,00 €569,4489,14 775,90 €1 185,00 €569,4489,11 017,88 €515,00 €569,4489,1442,37 €4 220,00 €569,4489,13 624,87 € Indice TRTP Transport10 300,00 €1110 300,00 € Indice TP01 Montage4 500,00 €676,1622,34 141,92 € 27 360,00 €676,1622,325 182,85 € 15 150,00 €676,1622,313 944,45 € 21 900,00 €676,1622,320 157,33 € 10 650,00 €676,1622,39 802,54 € 1 132,00 €676,1622,31 041,92 € TRTP Transfert du matériel47 650,00 €1147 650,00 € BT47 Alimentation électrique10 000,00 €1119,89978 903,38 € Prix de revient total859 345,48 € 767 593,72 € Valeur non amortie ([25-[2017-2009]]/25) 521 963,73 €
9. Le préjudice indemnisé correspondant à la valeur de l’actif manquant dans le patrimoine de la collectivité, il n’y a pas lieu d’appliquer la taxe sur la valeur ajoutée.

Sur les intérêts et la capitalisation :10. Aux termes de l’article 1231-6 du code civil :  » Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure (…) « . Et aux termes de l’article 1343-2 du même code :  » Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l’a prévu ou si une décision de justice le précise « .

11. La commune a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 521 963,73 euros à compter de la date d’enregistrement des conclusions reconventionnelles au greffe du tribunal le 7 février 2019, avec capitalisation de cette somme. Toutefois, elle sollicite seulement les intérêts légaux à compter de l’arrêt à intervenir. Ces intérêts n’étant pas dus pour une année entière à la date du présent arrêt, il ne peut être fait droit à la demande de capitalisation.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société TGM doivent être rejetées et que la société TGM est condamnée à verser à la commune de La Grave la somme de 521 963,73 euros, ladite somme portant intérêt à compter de la date du présent arrêt.

Sur les conclusions à fin de mise en cause de la société Berthelot et Associés :

13. Cette société, qui agit seulement comme mandataire de la société TGM, ne peut voir sa responsabilité propre engagée. La procédure lui a été communiquée en sa qualité de représentante de la société TGM. Il n’y a donc pas lieu de faire droit aux conclusions de la commune de la Grave tendant à ce que l’arrêt lui soit déclaré commun.

Sur les frais liés au litige :

14. D’une part, comme le prévoit l’article R. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la société TGM, qui est la partie perdante dans la présente instance, les frais de l’expertise, liquidés et taxés par ordonnance de la présidente de la Cour du 23 mai 2023 à la somme totale de 14 598,64 euros pour M. A… et 6 292,98 euros pour M. B…, comprenant l’allocation provisionnelle de 4 204,98 euros.

15. D’autre part, la commune de La Grave n’étant pas la partie tenue aux dépens, la somme que demande la société TGM sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut être mise à sa charge. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société TGM une somme de 1 500 euros à ce titre.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1706236 du 5 novembre 2019 est annulé.
Article 2 : La société TGM, représentée par son liquidateur judiciaire, versera à la commune de La Grave la somme de 521 963,73 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 26 février 2024.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Téléphériques des glaciers de la Meije (TGM), prise en la personne de son liquidateur judiciaire la SELARL Berthelot et associés, et à la commune de La Grave.