Randonnée pédestre/ Obligations de l’autorité de police municipale/ Faute (absence de signalisation)

CAA de BORDEAUX

N° 16BX02289   
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre – formation à 3
M. LARROUMEC, président
M. Gil CORNEVAUX, rapporteur
Mme MOLINA-ANDREO, rapporteur public
CABINET JEAN-JACQUES MOREL, avocat

lecture du lundi 28 mai 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… D…a demandé au tribunal administratif de La Réunion de condamner la commune de Cilaos à lui verser une somme totale de 110 000 euros assortie des intérêts légaux, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices moraux subis du fait de l’accident du 3 avril 2002 dans le canyon de Bras Rouge sur le territoire de la commune de Cilaos, au cours duquel son épouse a trouvé la mort et sa fille, a été grièvement blessée.

Par un jugement n° 1300223 du 12 mai 2016, le tribunal administratif de La Réunion a condamné la commune de Cilaos au versement, à M.D…, d’une somme de 22 500 euros portant intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2012, qui eux-mêmes porteront intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 17 décembre 2013.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2016, la commune de Cilaos, représentée par MeA…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 12 mai 2016 ;

2°) de rejeter la demande indemnitaire présentée par M.D… ;

3°) de mettre à la charge de M. D…une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la demande préalable de M. D…présentée le 17 décembre 2012 est prescrite car l’accident, date de réalisation du dommage, qui est le fondement de sa demande est advenu le 3 avril 2002, la prescription étant acquise le 31 décembre 2006 ; la procédure pénale engagée en 2002 par M. D…n’a pas permis d’interrompre ce délai ;
– le sentier ne présentait aucun danger particulier et anormal qui aurait nécessité la mise en place d’une signalisation par la commune, alors que d’une part aucun accident ne s’était produit avant la date du 3 avril 2002 et que d’autre part le lieu de l’accident relève du domaine public fluvial relevant de la responsabilité de l’Etat, le maire ne possédant pas la compétence pour réglementer l’accès des sentiers en litiges ;
– les consortsD…, installés à La Réunion depuis l’année 2001 ne pouvait ignorer les risques afférents au passage d’un cyclone tropical quelques jours auparavant accompagnés de pluies très abondante de nature à déstabiliser les reliefs rocheux ;
– le dommage subit par les consorts D…trouve son origine par l’imprudence dont ils ont fait preuve en s’engageant sur ce sentier alors même que l’agent d’accueil du parc leur avait déconseillé d’y aller.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2016, M. B…D…, représenté par MeF…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de Cilaos une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n° 84-36 du 16 janvier 1984 ;
– loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
– le décret n° 86-473 du 14 mars 1986 ;
– le décret n° 2010-716 du 29 juin 2010 ;
– le décret n° 2011-444 du 21 avril 2011 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Gil Cornevaux ;
– et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Les époux D…et leur fille ont emprunté, le 3 avril 2002, le sentier de grande randonnée GR.R2 menant à la cascade de Bras Rouge à Cilaos. Mme C…D…et Mme E…D…, en cours de randonnée, ont volontairement quitté, le parcours balisé pour rejoindre le site pittoresque des sources d’eau chaude, situé à l’écart du sentier et signalé par un fléchage au sol non officiel. Les randonneuses alors qu’elles empruntaient le lit de la rivière du  » Bras Rouge « , vers 13 heures 15, les rives abruptes de ce cours d’eau, fragilisées par le passage le 10 mars 2002 du cyclone tropical  » Harry « , se sont éboulées à deux reprises. Ces éboulements ont provoqué la mort de Mme D…et gravement blessé Mme E…D…à la jambe. M. B…D…après avoir adressé une demande préalable adressée au maire de la commune de Cilaos le 17 décembre 2012, demeurée sans réponse, a saisi le tribunal administratif de La Réunion pour solliciter la réparation du préjudice moral résultant du décès de son épouse et du traumatisme subi par sa fille. La commune de Cilaos fait appel du jugement du 12 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de La Réunion l’a déclarée responsable des trois quarts des conséquences dommageables de l’accident et l’a condamné au versement d’une somme de 22 500 euros assortis des intérêts aux taux légal.

Sur l’exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Cilaos :

2. Aux termes de l’article 2 de la même loi :  » La prescription est interrompue par (…) / Tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance./ Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l’interruption. Toutefois, si l’interruption résulte d’un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée « . En vertu de ces dispositions, une plainte contre X avec constitution de partie civile, de même qu’une constitution de partie civile tendant à l’obtention de dommages et intérêts effectuée dans le cadre d’une instruction pénale déjà ouverte, interrompt le cours de la prescription quadriennale dès lors qu’elle porte sur le fait générateur, l’existence, le montant ou le paiement d’une créance sur une collectivité publique.

3. Il résulte de l’instruction qu’à la suite du décès de Mme D… et des blessures de Mme E…D…, survenu le 3 avril 2002, M. D…a déposé, le 6 décembre 2002, une plainte contre X avec constitution de partie civile, qui tendait à la recherche de responsabilité du fait de cet accident survenu le 3 avril 2002, est relative à la créance de l’intéressé, susceptible d’être mise à la charge d’une collectivité. Cette action qui a été introduite avant l’expiration du délai de la prescription quadriennale qui courait à compter du 1er janvier 2003, a eu pour effet, en vertu des dispositions de l’article 2 de la loi du 31 décembre 1968, d’interrompre ce délai jusqu’à la date à laquelle l’arrêt du 31 octobre 2006 par lequel la chambre d’instruction de la cour d’appel de Saint Denis de La Réunion rejetant l’appel à l’encontre d’une ordonnance de non lieu, est devenu définitif faisant ainsi partir un nouveau délai de prescription quadriennale à compter du 1er janvier 2007. Ce dernier, interrompu à nouveau par le recours indemnitaire déposé par M. D… à l’encontre de l’Etat le 9 août 2007, a recommencé de courir à compter du premier jour de l’année suivant l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 23 décembre 2010, le Conseil d’Etat ayant rejeté le 31 mai 2013, le pourvoi formé sur ce point précis de la responsabilité de l’Etat, soit à compter le 1er janvier 2014. Ainsi, le 17 décembre 2012 date à laquelle M. D…a présenté sa réclamation indemnitaire à la commune de Cilaos, ladite créance ne pouvait donc pas être regardée comme prescrite. Par suite, la commune de Cilaos n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont rejeté l’exception quadriennale de prescription de la créance de M. D…qu’elle opposait.

Sur la responsabilité de la commune :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune de Cilaos :

4. Les dispositions du 5° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui imposent au maire de prévenir, par des précautions convenables, les accidents et fléaux calamiteux tels que les éboulements de terre ou de rochers, ne s’appliquent que dans le cas où existe un danger excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par leur prudence, se prémunir.

5. Il résulte de l’instruction que l’accident qui a provoqué le décès de Mme C…D…et grièvement blessé Mme E…D…s’est produit en un lieu, le site des vasques d’eau chaude de la rivière Bras-Rouge, dont le caractère dangereux était avéré, alors même qu’il était fréquenté par de nombreux randonneurs, qui au demeurant devaient quitter le GR R2 pour l’atteindre. Cet itinéraire, dont la dangerosité avait été accentuée par le passage du cyclone Harry quelque peu de temps auparavant, était indiqué par un balisage non officiel, dont la commune de Cilaos ne pouvait ignorer l’existence. Ainsi, il incombait au maire de Cilaos, alors qu’un arrêté préfectoral du 13 mars 2002, en vigueur à la date de l’accident, avait par mesure de précaution, à la suite du passage du cyclone Harry, ordonné la fermeture des sentiers de randonnée de l’île, nonobstant les obligations incombant à d’autres personnes morales participant à la gestion dudit site, de prendre les mesures adéquates pour informer les randonneurs de la dangerosité particulière de cet itinéraire et du site, où s’est déroulé l’accident, situé sur le territoire de la commune de Cilaos. Or le maire de la commune de Cilaos, s’est contenté d’afficher, en mairie, l’arrêté préfectoral du 13 mars 2013, qui préconisait l’interdiction d’emprunt du sentier GR R2 sur son territoire, sans pour autant procéder à un affichage ou à une information spécifiant le danger particulier de l’itinéraire menant au site  » les vasques d’eau chaudes « . Ainsi, le maire de la commune de Cilaos, en n’ayant pas respecté les obligations qui pesait sur lui au regard des exigences sus rappelées de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, sans que la circonstance qu’aucun accident n’ait été a déploré auparavant ne puisse l’exonérer de cette obligation.

En ce qui concerne la faute des victimes :

6. Cependant, il résulte de l’instruction, que les victimes qui ne connaissait pas les lieux, se sont, avant l’excursion, renseignées auprès d’un agent d’accueil de la maison de la montagne qui leur a indiqué que les sentiers étaient rouverts. Ce même agent a précisé lors de la procédure pénale liée aux circonstances de l’accident qu’il déconseillait de façon générale cet itinéraire aux randonneurs. Néanmoins, MmesD…, en empruntant cet itinéraire menant aux vasques d’eau chaude, dont la dangerosité et l’absence de balisage officiel était indiqué dans le guide dont les victimes disposaient, au demeurant peu de temps après le passage du cyclone Harry, bien qu’aucun panneau n’interdisait l’accès des lieux ou n’en signalait le danger, savaient qu’elles allaient emprunter un cheminement dangereux, commettant ainsi une grave imprudence, de nature à atténuer la responsabilité de la commune. En laissant à la charge de la commune de Cilaos les trois quart des conséquences dommageables de l’accident litigieux, les premiers juges ont fait une juste appréciation de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

7. Il résulte de ce qui précède que la commune de Cilaos n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement contesté du 12 mai 2016, le tribunal administratif de La Réunion a déclaré la commune de Cilaos responsable des conséquences dommageables de l’accident à hauteur des trois quarts et l’a condamné au versement, à M.D…, d’une somme de 22 500 euros portant intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2012.

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D…la somme que demande la commune de Cilaos au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. D…sur le même fondement et de condamner la commune de Cilaos à lui verser la somme de 1 500 euros.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Cilaos est rejetée.
Article 2 : La commune de Cilaos versera à M. D…une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. B…D…et à la commune de Cilaos.
Délibéré après l’audience du 27 avril 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Gil Cornevaux, président-assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 mai 2018.

Le rapporteur,
Gil CornevauxLe président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,
Cindy Virin

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No16BX02289