Interdiction de skier à l’étranger/ Référé liberté/ Rejet

Conseil d’État, , 17/12/2020, 447431, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État –

  • N° 447431
  • ECLI:FR:CEORD:2020:447431.20201217
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 17 décembre 2020

Avocat(s)

SCP SPINOSI, SUREAU

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue des droits de l’homme demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du Premier ministre révélée par ses propos tenus publiquement le 2 décembre 2020 tendant à interdire aux français de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger pour pratiquer le ski et, corrélativement, à faire automatiquement subir à ceux qui le feraient une mesure de  » quarantaine de sept jours  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre d’indiquer publiquement, sous vingt-quatre heures et par un moyen de communication à large diffusion, que l’interdiction de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger est rapportée et n’a plus lieu d’être ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la gravité et à l’immédiateté de l’atteinte portée aux libertés fondamentales et, en second lieu, au caractère lourd des sanctions qui peuvent s’appliquer en cas de non-respect de la décision contestée ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la libre circulation, au principe d’égalité et au droit au respect de la vie privée et familiale ;
– la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle poursuit un objectif purement économique en limitant la concurrence avec les autres Etats européens qui autorisent les activités de sport d’hiver ;
– elle est inadaptée et injustifiée dès lors, en premier lieu, qu’elle instaure une interdiction générale et absolue sans distinguer selon que les zones fréquentées sont marquées par une circulation active du virus, en deuxième lieu, que les contrôles aux frontières ne peuvent être effectifs et, en dernier lieu, que la mesure de quarantaine ne s’applique qu’aux personnes qui auraient prétendument pratiqué le ski à l’étranger et non à celle qui se seraient rendues à l’étranger pour d’autres motifs ;
– elle est disproportionnée dès lors que le non-respect de cette interdiction entraîne une mesure d’isolement de sept jours.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la santé publique ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et  » qu’il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. « .

3. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

4. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

5. Il résulte des données scientifiques publiées qu’à la date du 15 décembre 2020, 2 391 447 cas ont été confirmés positifs au virus covid-19, en augmentation de 11 532 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 6,2% et 59 072 décès liés à l’épidémie sont à déplorer, en hausse de 314 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d’occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 56,8% mettant sous tension l’ensemble du système de santé. Cette dernière donnée analysée au niveau des régions atteint, respectivement, 64,1%, 87,8% et 93,9%, pour les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté.

Sur la demande en référé :

6. La Ligue des droits de l’homme soutient que la décision révélée par l’interview du Premier ministre méconnaît le principe de proportionnalité, qu’elle engendre une rupture d’égalité entre les personnes qui auraient pratiqué le ski à l’étranger et celles qui s’y seraient rendues pour d’autres motifs, et qu’elle est entachée d’un détournement de pouvoir.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée par un niveau élevé du nombre de contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne à titre d’exemple les régions françaises limitrophes de la Suisse, pays dans lequel le ski est au nombre des activités autorisées, et par la nécessité de mettre en oeuvre les mesures exigées pour éviter un rebond épidémique, la mesure révélée par l’interview du Premier ministre qui a pour objet d’éviter que la pratique du ski à l’étranger n’aboutisse à importer ce rebond épidémique, ne porte pas aux libertés invoquées une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir ne peut qu’être écarté d’autant qu’au surplus l’interview à l’origine du présent recours fait notamment mention de la volonté du Premier ministre de laisser une marge de manoeuvre aux préfets afin de tenir compte des situations locales et d’éviter une interdiction générale et absolue. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision révélée n’entraîne aucune discrimination constitutive, eu égard à ses motifs ou aux effets qu’elles seraient susceptibles de produire, d’une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la Ligue des droits de l’Homme est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’Homme.