Demande d’autorisation pour l’aménagement d’un domaine skiable/ Incompatibilité avec les orientations d’un SDAGE

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 13MA05167
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre – formation à 3
M. LASCAR, président
M. Vincent L’HÔTE, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public

lecture du mardi 13 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges ont demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler l’arrêté en date du 11 juillet 2011 par lequel le préfet des Pyrénées-Orientales a rejeté leur demande d’autorisation présentée au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, en vue de l’aménagement d’un domaine skiable sur le territoire de la commune de Porta.

Par un jugement n° 1104149 du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté du 11 juillet 2011, a enjoint au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder au réexamen de la demande d’autorisation dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 31 décembre 2013, le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement demande à la Cour d’annuler le jugement du 5 novembre 2013.
Il soutient que :
– les premiers juges ont commis une erreur de droit en appréciant la gravité des atteintes portées aux zones humides uniquement au regard de la superficie affectée par le projet, sans rechercher si les composantes de cette partie présentaient des caractéristiques telles que la réalisation du projet compromettrait l’objectif de préservation et gestion durable des zones humides ;
– le tribunal a commis une erreur d’appréciation en estimant que le projet n’était pas incompatible avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne ;
– en tout état de cause, le rejet de la demande d’autorisation était justifié au regard des atteintes portées aux objectifs de conservation du site  » Capcir-Carlit-Campcardos « .
Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M.A…’hôte, premier conseiller,
– et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public.
1. Considérant que, dans le cadre d’un programme d’aménagement d’une station touristique de montagne sur le territoire de la commune de Porta, la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges ont déposé le 29 octobre 2007 une demande d’autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, en vue de l’aménagement d’un domaine skiable ; que le préfet des Pyrénées-Orientales leur a opposé un refus par un arrêté du 3 mars 2009 ; que, par un jugement du 11 mars 2011, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet des Pyrénées-Orientales de procéder au réexamen de la demande dans le délai de quatre mois ; que, le 11 juillet 2011, le préfet des Pyrénées-Orientales a pris un nouvel arrêté rejetant de nouveau la demande d’autorisation ; que ce second refus a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 novembre 2013, dont le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement fait appel ;
2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article L. 214-3 du code de l’environnement :  » I. – Sont soumis à autorisation de l’autorité administrative les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de nuire au libre écoulement des eaux, de réduire la ressource en eau, d’accroître notablement le risque d’inondation, de porter gravement atteinte à la qualité ou à la diversité du milieu aquatique, notamment aux peuplements piscicoles (…)  » ; que, d’autre part, le III de l’article L. 212-1 du même code prévoit que chaque bassin ou groupement de bassins hydrographiques est doté d’un ou de plusieurs schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux fixant, notamment, les orientations permettant de satisfaire aux principes prévus aux articles L. 211-1, au nombre desquels figure la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; que le XI du même article précise que les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l’eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux ;
3. Considérant que, pour rejeter la demande présentée par la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges, le préfet des Pyrénées-Orientales s’est fondé sur le motif que le projet n’était pas compatible avec les orientations du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne ; que le tribunal a estimé ce motif entaché d’une erreur d’appréciation ;
4. Considérant que le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne définit la protection et la restauration des zones humides comme un thème prioritaire ; que le C du paragraphe 3.4 indique que  » le bon état des eaux ne pourra pas être atteint si les milieux aquatiques ne retrouvent pas un fonctionnement plus naturel. Pour atteindre les objectifs du SDAGE, il convient de mettre en oeuvre une politique de préservation, de restauration et de gestion adaptée aux territoires (…) des fonctionnalités des milieux aquatiques  » ; que l’orientation C, qui consiste à  » gérer durablement les eaux souterraines, préserver et restaurer les fonctionnalités des milieux aquatiques et humides « , est déclinée en différentes actions ; que celle numérotée C30, intitulée  » préserver les milieux aquatiques à forts enjeux environnementaux  » parmi lesquels sont mentionnées les zones humides, précise que  » pour toute opération soumise à autorisation ou à déclaration sur un milieu aquatique à forts enjeux environnementaux, le document évaluant son impact sur l’environnement doit notamment préciser les incidences sur les paramètres qui ont conduit à l’identification du milieu dans le SDAGE et qui figurent sur les listes du SDAGE. L’opération ne peut être autorisée ou acceptée que si elle ne remet pas en cause de manière significative ces paramètres, ou si les mesures compensatoires ou autres, adaptées à l’enjeu identifié, visent à réduire de manière satisfaisante l’impact sur ces paramètres. Dans ce cas, l’autorité administrative prescrit au maître d’ouvrage des dispositifs de suivi des travaux et d’évaluation de l’efficacité des prescriptions et des mesures compensatoires (article L214-1-I du code de l’environnement), en tenant compte de l’importance des projets et de la sensibilité des milieux  » ; que l’action C46 a pour objet d' » éviter ou, à défaut, compenser l’atteinte grave aux fonctions des zones humides  » ;
5. Considérant que le rapport de présentation du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques, en date du 25 novembre 2008, mentionne que la réalisation du projet aurait pour effet direct la destruction de 7,6 hectares de zones humides et entrainerait une dégradation indirecte d’une surface plus importante ; que le rapport d’expertise établi par le conseil général de l’environnement et du développement durable en janvier 2009, indique qu’eu égard au fonctionnement particulier des tourbières, qui doit être apprécié dans une approche globale et qui est impacté par de multiples causes, l’ensemble de cet habitat présent sur le site est susceptible d’être menacé ; qu’il ressort de ces deux documents, sur lesquels le préfet pouvait s’appuyer sans être tenu de les annexer à sa décision, que les mesures compensatoires prévues par le dossier de demande d’autorisation ne sont pas de nature à permettre la reconstitution d’une surface de zones humides équivalente à celle détruite ; que la destruction d’une surface importante de zones humides induite par le projet entrainerait ainsi une perte définitive ; que, dans ces circonstances, le préfet des Pyrénées-Orientales, qui n’avait pas à tenir compte du rapport entre la superficie de zones humides affectée et celle du site, a pu estimer, sans erreur de droit ni erreur d’appréciation, que les incidences du projet n’étaient pas compatibles avec l’objectif de préservation et de restauration des zones humides défini par le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne ; qu’ainsi, le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement est fondé à soutenir que, pour annuler l’arrêté du 11 juillet 2011, le tribunal a estimé à tort que le motif de refus opposé par le préfet des Pyrénées-Orientales était entaché d’une erreur d’appréciation ;
6. Considérant qu’il appartient toutefois à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges, qui n’ont pas produit en appel, devant le tribunal administratif ;
7. Considérant, en premier lieu, que si l’arrêté contesté n’identifie pas les habitats naturels d’intérêts communautaires susceptibles d’être affectés, il énonce avec une précision suffisante l’impact du projet sur les zones humides, après avoir rappelé que le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux Adour-Garonne visait à préserver et restaurer ces dernières ; que ce motif du refus est suffisamment motivé ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que l’arrêté du 11 juillet 2011 ne méconnaît pas l’autorité de la chose jugée par le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 11 mars 2011 dès lors, d’une part, qu’il est fondé sur un autre motif que celui censuré par ce jugement, d’autre part, que ledit jugement a été annulé par un arrêt de la Cour de céans en date du 28 octobre 2014 ;
9. Considérant, en troisième lieu, que, comme il a été dit, le préfet des Pyrénées-Orientales n’avait pas à tenir compte du rapport entre la superficie de zones humides affectée et celle du site ; que, pour refuser l’autorisation sur le fondement du XI de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, le préfet n’avait pas à examiner si l’atteinte à la ressource en eau était significative mais seulement à apprécier si l’impact du projet sur le milieu aquatique, et notamment les zones humides, était compatible avec les dispositions du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux en vigueur ; que ce schéma prévoit, il est vrai, que seuls peuvent être autorisés les opérations ne portant pas une atteinte significative aux milieux aquatiques à forts enjeux environnementaux ; que le préfet a cependant estimé nécessairement l’impact du projet présenté par la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges comme mettant en cause de manière significative les paramètres ayant justifié l’objectif de préservation des zones humides en relevant que sa réalisation aurait  » un impact fort  » sur les fonctions assurées par ces zones ; que l’erreur de droit alléguée doit dès lors être écartée ;
10. Considérant, en quatrième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges, l’arrêté du 11 juillet 2011 n’indique pas qu’aucune mesure compensatoire n’a été envisagée mais que celles présentées dans le dossier de demande d’autorisation ne visaient pas à créer de nouvelles zones humides de fonctionnalités équivalentes ;
11. Considérant, en cinquième lieu, que la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l’article L. 414-4 du code de l’environnement dès lors que le refus contesté n’a pas été pris sur ce fondement ;
12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales du 11 juillet 2011 ;

D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 5 novembre 2013 est annulé.
Article 2 : La demande d’annulation présentée par la SAS Résidence Porte des Neiges et la SAS Domaine Porte des Neiges est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, à la SAS Résidence Porte des Neiges et à la SAS Domaine Porte des Neiges.