Covid/ Fermeture des remontées mécaniques/ Référé liberté (rejet)

Conseil d’État, Juge des référés, 11/12/2020, 447208, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire additionnel et un mémoire en réponse, enregistrés les 4, 7 et 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions du décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et spécialement de l’article 1er du décret du 4 décembre 2020, en tant qu’il prévoit que  » les services mentionnés à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre de modifier les dispositions en vigueur et de prendre, dans un délai de trois jours à compter de l’ordonnance à intervenir, les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, afin de permettre l’ouverture immédiate des remontées mécaniques dans le strict respect des protocoles sanitaires établis ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils justifient d’un intérêt pour agir ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la date du 15 décembre initialement annoncée comme la date de fin du confinement, en deuxième lieu, au démarrage de la saison hivernale pour les stations de ski à compter du 18 décembre prochain, en troisième lieu, aux préparations importantes qu’impose la réouverture éventuelle des pistes au 18 décembre et, en dernier lieu, à l’impact économique de la fermeture des remontées mécaniques dès lors que la période des vacances de Noël représente traditionnellement 15 % du volume de fréquentation annuel des domaines skiables de France et concerne près de 120 000 emplois ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité ;
– l’interdiction générale et absolue d’ouverture des remontées mécaniques n’est pas nécessaire et excède manifestement l’objectif de sauvegarde de la santé publique dès lors, en premier lieu, qu’il n’est pas établi que le protocole sanitaire mis en place n’est pas suffisant pour prévenir le risque de propagation du virus, ni même que les remontées mécaniques, qui sont en plein air, sont un lieu privilégié de contamination, en deuxième lieu, qu’elle ne saurait être justifiée par les tensions des services hospitaliers car 95 % des blessés en montagne au cours de la saison 2019-2020 ont été pris en charge par les médecins des stations, en troisième lieu, que le risque de transmission du virus dans les remontées mécaniques est limité par rapport à d’autres situations ou activités autorisées, et, en dernier lieu, qu’il n’est tenu compte, pour l’édiction d’une telle mesure, ni des circonstances de lieu, ni des situations particulières de chaque station, ni de la possibilité de mesures moins restrictives grâce à la mise en place de protocoles sanitaires ;
– la mesure contestée est disproportionnée eu égard, d’une part, au caractère essentiel pour le milieu montagnard des remontées mécaniques et, d’autre part, à ses conséquences sociales et économiques ;
– la mesure contestée consacre une discrimination injustifiée dès lors que seuls les mineurs licenciés au sein d’un club affilié à la Fédération française de ski peuvent utiliser le service public de transport par remontées mécaniques ;
– la mesure contestée est inefficace dès lors qu’elle n’est pas de nature à prévenir les mouvements de population ;
– la mesure contestée comporte des risques pour la sécurisation des domaines skiables ;
– les dérogations prévues par le décret ne sont pas compréhensibles ;
– les mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » prévues par le gouvernement ne sont pas suffisantes.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, la communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office du tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et reprennent les moyens de cette requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne et le syndicat professionnel Union sport et cycle demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat Domaines skiables de France et autres. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 8 décembre 2020, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion et la société Teleski du Grand Valtin demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat domaines skiables de France et autres. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et que la mesure contestée porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’entreprendre, notamment en ce qu’elle ne prend pas en compte les spécificités du massif vosgien.

Par un mémoire en défense et des observations complémentaires, enregistrés les 8 et 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées et fait valoir que le gouvernement envisage des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne « .

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le syndicat Domaines skiables de France et les autres requérants, les intervenants, et, d’autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 9 décembre 2020 à 15 heures :

– Me Valdelievre, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Domaines skiables de France et des autres requérants ;

– les représentants du syndicat Domaines skiables de France ;

– le représentant de l’association des maires de stations de montagne ;

– Me Melka, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocate de la société La Bresse Labellemontagne et autres ;

– le représentant de la société La Bresse Labellemontagne ;

– les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a prolongé l’instruction jusqu’au 10 décembre à 10 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– le code de la santé publique ;
– le code du tourisme ;
– la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1.Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .

2. La requête visée ci-dessus, présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, est dirigée, dans le dernier état des écritures et ainsi qu’il a été dit à l’audience publique, contre le décret du 4 décembre 2020 qui a modifié l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire et qui prévoit, à la suite des déclarations du Premier ministre en date du 26 novembre 2020, que les remontées mécaniques mentionnées à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public, sauf exceptions que le décret énumère.

Sur les interventions :

3. La communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office de tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes, l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes, d’une part, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne, le syndicat professionnel Union sport et cycle, d’autre part, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion, la société Teleski du Grand Valtin, enfin, justifient d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Leurs trois interventions sont donc recevables.

Sur l’office du juge des référés :

4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

5. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et qu’  » il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.  »

6. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

7. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

8. Les requérants soutiennent que le décret qu’ils contestent porte à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité une atteinte grave et manifestement illégale. Cependant, si certaines discriminations peuvent constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu’elles produisent sur l’exercice d’une telle liberté, la méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature.

Sur la demande en référé :

9. Les requérants et intervenants font valoir que l’interdiction, sauf rares exceptions, de l’accès du public aux remontées mécaniques, qui a pour conséquence l’arrêt de l’activité du ski alpin sur l’ensemble du territoire national et qui emporte des conséquences économiques et sociales graves pour les stations de sport d’hiver et les collectivités locales concernées, n’est ni nécessaire, ni proportionnée. En effet, selon eux, si elle cible les remontées mécaniques, dont l’utilisation ne présente par elle-même aucune dangerosité avérée au regard du risque de contagion, qui plus est alors que des protocoles sanitaires stricts ont été élaborés, elle a en réalité pour objectif de limiter des déplacements de population qui auront lieu en toute hypothèse en raison de la réouverture de tous les commerces et des perspectives envisagées par le gouvernement d’autorisation sans limite des déplacements à l’occasion des fêtes de fin d’année. En outre, n’est pas documenté le risque de propagation de l’épidémie que ferait courir la fréquentation des stations de ski et d’autres moyens de transport, plus dangereux du point de vue des risques de contamination, restent en service. S’agissant de l’accroissement des flux de déplacements dans l’hypothèse d’une réouverture des remontées mécaniques, ils soutiennent que les comparaisons, quant à l’importance de ces flux, avec les années passées n’a pas de signification, puisqu’en tout état de cause la clientèle étrangère ferait largement défaut et que la clientèle nationale se situerait à des niveaux bien plus faibles. Par ailleurs, ils font valoir que des différenciations géographiques auraient dû être envisagées, notamment pour les régions où est pratiqué un ski à la journée sans hébergement et que la pression supplémentaire sur le système hospitalier que risquerait de provoquer le traitement des accidents de ski est marginale, 95 % de ces accidents étant traités au niveau des médecins des stations.

10. L’administration fait valoir, pour sa part, que l’interdiction contestée a pour objet d’éviter des flux supplémentaires de déplacements pendant la période des fêtes de fin d’année et de limiter les occasions de brassage de population à ce qui est indispensable à la vie de la Nation, que les protocoles sanitaires élaborés sont insuffisants à cet égard et que la pression sur le système de santé doit être mesurée en tenant compte de la médecine de ville. Elle indique qu’une différenciation dans la mise en oeuvre de la mesure contestée selon les régions serait source d’extrême complexité et risquerait en toute hypothèse de provoquer des reports de fréquentation vers les stations où les remontées mécaniques fonctionneraient. Elle relève que d’autres pays européens ont adopté le même type de mesure, et que certains pays envisagent de remettre en cause les dispositions plus souples qu’ils avaient adoptées dans un premier temps. Elle indique enfin que le gouvernement envisage de prendre à très brève échéance des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » pour limiter les effets économiques de la mesure contestée.

11. Il résulte de l’instruction que, dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée depuis quelques jours par un palier à un niveau élevé dans le nombre des nouvelles contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne notamment nombre des régions où se pratique le ski alpin, et par la nécessité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter un rebond épidémique, la mesure contestée, dont les effets économiques sont certes très importants pour les zones concernées mais qui a pour objectif de limiter les contaminations supplémentaires occasionnées par des flux importants de déplacements, ne porte pas aux libertés invoquées, malgré son caractère indifférencié selon les régions, une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs, et contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, il n’apparaît ni que les exceptions à l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques seraient difficilement compréhensibles, de sorte qu’il en résulterait une atteinte de la nature de celles que mentionne l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ni qu’elles entraîneraient des discriminations de la nature de celles mentionnées au point 8. Enfin, si les requérants font valoir que l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques risque d’entraîner des difficultés quant à la sécurisation des domaines skiables, le décret contesté prévoit expressément une dérogation à cette interdiction pour  » les professionnels dans l’exercice de leur activité « .

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension de l’exécution des dispositions contestées, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

O R D O N N E :
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Article 1er : L’intervention de la communauté de commune de l’Oisans, de la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, de l’office de tourisme de Courchevel, de l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et de l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes est admise.
Article 2 : L’intervention du département du Haut-Rhin, du syndicat mixte Haute-Garonne montagne et du syndicat professionnel Union sport et cycle est admise.
Article 3 : L’intervention de la société La Bresse Labellemontagne, de la société Lac Blanc Tonique, de la société Lispach Exploitation, du syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, de la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, de la société la Schlucht Labellemontagne, de la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, de la régie municipale Gerardmer Ski, de la société téléski du Solmont-Frentz, de la société Larcenaire, de la société MICLO, de la société Tanet Passion et de la société Teleski du Grand Valtin est admise.
Article 4 : La requête présentée par le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté est rejetée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Domaines skiables de France, premier requérant dénommé, à la communauté de commune de l’Oisans, au département du Haut-Rhin et à la société La Bresse Labellemontagne, premiers dénommés dans chacune des trois interventions, ainsi qu’au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.

ECLI:FR:CEORD:2020:447208.20201211