Avalanche/ Défaut de signalétique/ Faute de l’autorité de police (oui)/ Responsabilité de la commune (oui)

CAA de BORDEAUX

N° 17BX03610
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre – formation à 3
M. DE MALAFOSSE, président
M. Laurent POUGET L., rapporteur
Mme DE PAZ, rapporteur public
SCP MALESYS-BILLAUD, avocat

lecture du vendredi 28 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C…B…a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner la commune de Cazeaux-de-Larboust à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice moral résultant du décès accidentel de son épouse.

Par un jugement n° 1401547 du 21 septembre 2017, le tribunal administratif de Toulouse a condamné la commune de Cazeaux-de-Larboust à verser à M. B…une indemnité de 25 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 novembre 2017, la commune de Cazeaux-de-Larboust, représentée par MeA…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 21 septembre 2017 et de rejeter la demande présentée devant le tribunal par M. B…;

2°) subsidiairement, de limiter à 20 000 euros le montant du préjudice indemnisable et de fixer à 50 %, soit 10 000 euros, la part de responsabilité imputable à la commune ;

3°) de mettre à la charge de M. B…la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– le risque évalué par Météo France était limité ; il n’existait aucun risque particulier à 1 300 mètres d’altitude et le lieu de l’accident n’était pas répertorié comme propice aux avalanches ; aucun signalement particulier ne s’imposait donc ; si un affichage a été apposé le lendemain, c’est pour tenir compte de l’accident qui venait d’avoir lieu ; au demeurant, le risque général des randonnées en moyenne et haute montagne était signalé par la commune au moyen de cinq panneaux, dont quatre en des lieux de passage obligés pour les randonneurs suivant l’itinéraire parcouru en l’espèce par la victime ;
– la randonnée en montagne est par nature dangereuse ; les départs de neige sont possibles dans les couloirs surplombés par des plaques ; Mme B…a commis une imprudence fautive en ne tenant pas suffisamment compte des avertissements figurant sur les panneaux, de nature à exonérer la commune à tout le moins de la moitié de sa responsabilité ;
– le montant du préjudice du requérant ne saurait excéder 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 mars 2018, M. B…conclut au rejet de la requête, demande que l’indemnité au paiement de laquelle la commune de Cazeaux-de-Larboust a été condamnée soit portée à 30 000 euros, et sollicite que soit également mise à la charge de cette dernière la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
– l’information sur les risques n’a été apposée que le lendemain de l’accident ; le bulletin de risque d’avalanches faisait état de départs spontanés de coulées humides ; le lieu de l’accident était dépourvu de neige et rien ne pouvait alerter les victimes ; la commune ne pouvait pour sa part ignorer le danger ; au demeurant, depuis l’accident en cause, d’autres avalanches sont survenues au même endroit ; le sentier n° 39 était répertorié comme couloir naturel d’avalanche ;
– aucune imprudence fautive ne peut être reprochée à la victime ;
– compte tenu du lien conjugal, l’indemnisation de son préjudice n’a pas été surévaluée par le tribunal.

Par ordonnance du 31 janvier 2019, la clôture d’instruction a été fixée au 1er mars 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Laurent Pouget,
– et les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B…a été victime le 5 avril 2012 d’une avalanche ayant provoqué son décès, alors qu’elle effectuait une randonnée avec des membres de sa famille sur le sentier n° 39 situé dans le secteur de la vallée du Lis, sur le territoire de la commune de Cazeaux-de-Larboust. Saisi par M.B…, le tribunal administratif de Toulouse, par un jugement du 21 septembre 2017, a condamné la commune de Cazeaux-de-Larboust à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation du préjudice moral causé par le décès de son épouse. La commune relève appel de ce jugement. M.B…, par la voie de l’appel incident, demande que l’indemnité qui lui a été allouée soit portée à 30 000 euros.

Sur l’appel principal de la commune :

2. Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, (…) les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels (…) de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure (…) « .

3. Il résulte de l’instruction que le secteur de la vallée du Lis dans lequel se situe le sentier balisé qu’ont emprunté M. et Mme B…et leurs compagnons le 5 avril 2012, menant aux sites dits du Ru d’Enfer, du Gouffre d’Enfer et des Mines des Crabioules, était nécessairement connu des autorités locales comme étant propice aux risques liés aux coulées de neiges, y compris en période de fonte, dès lors qu’il est classé par le plan de prévention des risques naturels adopté le 5 mars 2004 en zone rouge  » avalanches  » en hiver et en zone rouge  » inondations  » du printemps à l’automne. Ainsi, quand bien même aucune avalanche n’avait été récemment répertoriée sur les sentiers dudit secteur, le risque pouvait néanmoins y être regardé comme réel et actuel, ce d’autant que les parcours de randonnée coupent parfois, comme c’est précisément le cas à l’emplacement de l’accident de MmeB…, les couloirs d’avalanches qu’empruntent naturellement au printemps les coulées de neige de fonte provoquées par l’effet du redoux sur les plaques de neige instables situées à des altitudes supérieures. Or, selon les constatations faites par les services de gendarmerie, ce n’est que le lendemain de l’accident qu’un panneau informant les randonneurs de ce risque a été apposé au départ même des sentiers. Si la commune de Cazeaux-de-Larboust fait valoir que cinq panneaux étaient implantés avant même l’accident en différents emplacements stratégiques (entrée de la vallée, Pont de la Cièrque, Bordes du Lis, Bourdalès et parking de l’auberge du Lis), elle ne peut être regardée comme établissant cette antériorité en ce qui concerne les quatre derniers de ces panneaux, dès lors que ni les photographies, ni l’attestation d’un élu qu’elle produit ne permettent de déterminer la date de mise en place desdits panneaux. Les mentions de l’attestation, corroborées sur ce point par le rapport de gendarmerie, permettent en revanche de tenir pour établi qu’un panneau était en place le long de la route départementale, à l’entrée de la vallée et du territoire communal. Toutefois, ce seul panneau, situé à 1 mètre du bord de la route et sur lequel ont été apposées des affichettes lisibles uniquement par des piétons, ne saurait constituer une signalétique adéquate du danger d’avalanche auquel Mme B…et ses compagnons ont été exposés. Dans ces conditions, c’est à juste titre que le tribunal administratif a estimé que le maire de Cazeaux-de-Larboust n’avait pas pris toutes les mesures appropriées pour informer les promeneurs des dangers particuliers présentés par le site, et que cette carence du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

4. Par ailleurs, les procès-verbaux de gendarmerie relèvent la méconnaissance qu’avaient du milieu montagnard M. et Mme B…et leurs compagnons, et il n’est pas contesté qu’alors même que le bulletin d’estimation du risque d’avalanche du massif luchonnais pour la journée du 5 avril 2012 mentionnait un phénomène de purge dans les pentes raides susceptible d’engendrer des avalanches de taille moyenne à assez grosse, aucune mise en garde n’a été faite à cet égard par le syndicat d’initiative de Luchon, qui leur a recommandé l’itinéraire qu’ils ont suivi. Et, compte tenu notamment de l’altitude relativement basse à laquelle ils évoluaient, aucun élément manifeste ne permettait aux intéressés de penser qu’ils couraient le risque d’être touchés par une avalanche. Dans ces conditions, la commune de Cazeaux-de-Larboust ne peut s’exonérer, fut-ce partiellement, de sa responsabilité en invoquant une faute par imprudence des victimes.

Sur l’appel incident de M.B… :

5. Il ne résulte pas de l’instruction que les premiers juges aient fait une inexacte appréciation du préjudice d’affection subi par M. B…à raison du décès de son épouse en fixant à 25 000 euros le montant de l’indemnité destinée à réparer ce préjudice.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Cazeaux-de-Larboust n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse l’a condamnée à verser une indemnité à M. B…en réparation de son préjudice d’affection, et ce dernier n’est, pour sa part, pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a fixé à 25 000 euros le montant de cette indemnité.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre une somme quelconque à la charge de M. B…au titre des frais exposés par la commune de Cazaux-de-Larboust et non compris dans les dépens. Il convient en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette commune la somme de 1 500 euros à verser à M. B…en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Cazeaux-de-Larboust et les conclusions d’appel incident de M. B…sont rejetées.