Conseil d’État, 7ème chambre, 15/01/2024, 489157, Inédit au recueil Lebon
Conseil d’État – 7ème chambre
- N° 489157
- ECLI:FR:CECHS:2024:489157.20240115
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du lundi 15 janvier 2024
Rapporteur
- Alexandre Denieul
Rapporteur public
- Nicolas Labrune
Avocat(s)
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La commune de Samoëns a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, en premier lieu, d’enjoindre à la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS) de commercialiser dans tous les points de vente et notamment sur son site internet les forfaits » Grand Massif » pour la commune de Samoëns sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l’ordonnance, de maintenir les tarifs préférentiels du forfait » Grand Massif » applicables du 11 septembre au 30 septembre 2023 à due concurrence du nombre de jours durant lesquels ce forfait n’aura pas été commercialisé, ainsi que les tarifs applicables du 1er octobre au 30 novembre 2023 à due concurrence du nombre de jours durant lesquels ce forfait n’aura pas été commercialisé et de maintenir les tarifs applicables à compter du 1er décembre 2023 à compter de l’expiration des deux périodes de commercialisation à tarif préférentiel précédentes, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, en deuxième lieu, de rembourser aux usagers qui auraient été dans l’impossibilité d’acquérir un forfait » Grand Massif » sur la commune de Samoëns et qui l’auraient acheté sur le territoire d’une autre commune, la différence entre le tarif d’achat et le tarif voté par le conseil municipal de Samoëns le 4 septembre 2023, en troisième lieu, de modifier les informations relatives aux tarifs des forfaits pour la commune de Samoëns pour 2023/2024, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et enfin de prendre toute mesure utile afin d’assurer la publicité de l’ordonnance à venir et ses conséquences sur les tarifs pratiqués sur la commune de Samoëns, également sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard.
Par une ordonnance du 17 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 31 octobre et 15 novembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la commune de Samoëns demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;
3°) de mettre à la charge de la société GMDS la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Alexandre Denieul, auditeur,
– les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Samoëns et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS) ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que la commune de Samoëns a conclu le 1er septembre 2000 avec la société GMDS une convention de concession pour la construction et l’exploitation des remontées mécaniques et du domaine skiable. Le 4 septembre 2023, le conseil municipal de cette commune a approuvé les tarifs pour la saison à venir du forfait donnant accès à son domaine skiable ainsi que du forfait » Grand Massif « , qui donne accès au domaine skiable de la commune ainsi qu’à celui de cinq autres autorités concédantes, l’ensemble de ces domaines formant le » Grand Massif « . Les tarifs approuvés pour ce dernier forfait ont été fixés à un niveau inférieur à ceux qui avaient été proposés par la société et acceptés par les autres autorités concédantes. La société GMDS a décidé de commercialiser le forfait » Grand Massif » au tarif retenu par ces autres autorités. La commune de Samoëns a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, d’une demande tendant notamment à ce qu’il soit enjoint à son concessionnaire de commercialiser le forfait » Grand Massif » aux tarifs délibérés par son conseil municipal. Par une ordonnance du 17 octobre 2023, contre laquelle la commune de Samoëns se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.
2. S’il n’appartient pas au juge administratif d’intervenir dans l’exécution d’un marché public (sic) en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l’administration, lorsque celle-ci dispose à l’égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l’exécution du contrat, il en va autrement quand l’administration ne peut user de moyens de contrainte à l’encontre de son cocontractant qu’en vertu d’une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l’encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d’urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l’urgence, ne fasse obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
3. En premier lieu, en estimant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la condition d’urgence n’était pas remplie eu égard au motif invoqué par la commune, tenant aux conséquences financières de l’absence de mise en œuvre par la société GMDS de la baisse tarifaire qu’elle avait décidée unilatéralement pour le forfait » Grand Massif « , le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n’a pas commis d’erreur de droit.
4. En second lieu, dès lors que le juge des référés a estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie, le motif par lequel il a jugé que la demande de la commune de Samoëns se heurtait à une contestation sérieuse présente un caractère surabondant. Le moyen tiré de l’erreur de droit qui entacherait ce motif ne peut, par suite, qu’être écarté comme inopérant.
5. Il résulte de ce qui précède que la commune de Samoëns n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque.
6. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre une somme de 3 000 euros à verser par la commune de Samoëns à la société GMDS au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la société GMDS qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la commune de Samoëns est rejeté.
Article 2 : La commune de Samoëns versera à la société Grand Massif Domaines Skiables la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Samoëns et à la société Grand Massif Domaines Skiables (GMDS).