Biens indivis entre communes – Refus d’autorisation de transhumance – Erreur manifeste d’appréciation

CAA de BORDEAUX, 4ème chambre, 12/12/2023, 21BX02697, Inédit au recueil Lebon

Président

Mme MARTIN

Rapporteur

  1. Michaël KAUFFMANN

Rapporteur public

Mme GAY

Avocat(s)

LAGARDE

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) Arberet a demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler les décisions des 29 mai 2020, 6 juillet 2020 et 12 août 2020 par lesquelles la commission syndicale de la vallée du Barège (CSVB) a rejeté sa demande d’autorisation de pacage pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.
Par un jugement n° 2001310 du 22 avril 2021, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin 2021 et 20 mars 2023, ce dernier n’ayant pas été communiqué, le GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, représenté par Me Marcel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 2001310 du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau en tant qu’il a rejeté ses conclusions tendant à l’annulation des décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB ;

2°) d’annuler les décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB ;

3°) de mettre à la charge de la CSVB la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :
– le président de la CSVB n’a pas été régulièrement habilité à présenter des écritures en défense devant les premiers juges ;
– contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, il est recevable à contester la décision du 29 mai 2020, qui lui fait grief ;
– en prenant en compte la lettre du 9 juin 2020 établie par le conseil de la CSVB à destination du conseil du GAEC, en méconnaissance des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 relative au secret professionnel, le tribunal a entaché son jugement d’irrégularité ;
En ce qui concerne la décision du 29 mai 2020 :
– elle a été signée par une autorité qui n’a pas reçu délégation à cet effet ;
– elle est insuffisamment motivée en droit ;
– il n’a pas été mis à même de présenter des observations sur cette décision, qui doit s’analyser comme retirant une décision individuelle créatrice de droit ;
– elle est entachée d’erreur de droit dès lors que la commission a rajouté une condition, liée à l’accord et à la signature des deux co-gérants du GAEC, qui n’est pas prévue dans le règlement pastoral ; la mésentente entre les associés co-gérants n’a pas à entrer en compte dans l’appréciation de la décision de la commission syndicale à l’égard du GAEC dans la mesure où ce dernier doit simplement s’assurer du respect du règlement pastoral ; face à cette mésentente, la CSVB aurait dû solliciter de M. A… la confirmation de cette opposition ;

En ce qui concerne la décision du 6 juillet 2020 :
– elle est illégale par voie de conséquence de l’illégalité de la décision du 29 mai 2020 ;
– elle est insuffisamment motivée ;
– la procédure contradictoire prévue à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration n’a pas été respectée ;
– elle est entachée d’erreur manifeste d’appréciation ;
– la décision prise par la commission syndicale a des conséquences manifestement excessives pour le GAEC.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2021, la CSVB, représentée par Me Lagarde, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 000 euros soit mise à la charge du GAEC Arberet sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– son président a valablement été habilité à présenter des écritures en défense devant les premiers juges ;
– les conclusions tendant à l’annulation du courrier du 29 mai 2020 sont irrecevables dès lors que ce courrier ne fait pas grief ;
– les moyens soulevés par l’appelant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi du 10 juin 1793 ;
– la loi du 9 ventôse an XII ;
– le décret du 21 septembre 1805 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Michaël Kauffmann,
– les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
– et les observations de Me Marcel, représentant le GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire.
Considérant ce qui suit :

1. Le GAEC Arberet exploite un élevage d’ovins comportant environ 110 brebis laitières et exerce une activité de maraichage en zone de haute montagne à Germs, sur l’Oussouet. Le 30 novembre 2019, il a sollicité de la commission syndicale de la vallée du Barège (CSVB) une autorisation de transhumance de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020. Par un courrier du 29 mai 2020, la commission syndicale a informé l’un des co-gérants du GAEC, M. A…, de ce que la transhumance ne serait pas autorisée sans un accord écrit de l’autre co-gérant. Par une décision du 6 juillet 2020, la CSVB a refusé de faire droit à la demande du GAEC Arberet en raison de la méconnaissance de l’article 1er du règlement pastoral applicable au titre de l’année 2020 et, par une décision du 12 août 2020, elle a réitéré son refus. Le GAEC Arberet relève appel du jugement du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à l’annulation des décisions du 29 mai 2020 et du 6 juillet 2020 de la CSVB.

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 5222-1 du code général des collectivités territoriales :  » -. Lorsque plusieurs communes possèdent des biens ou des droits indivis, il est créé, pour leur gestion et pour la gestion des services publics qui s’y rattachent, une personne morale de droit public administrée, selon les modalités prévues à l’article L. 5222-2, par une commission syndicale composée des délégués des conseils municipaux des communes intéressées et par les conseils municipaux de ces communes. / (…) / La commission syndicale est présidée par un syndic élu par les délégués et pris parmi eux. Elle est renouvelée après chaque renouvellement général des conseils municipaux. / Les délibérations de la commission syndicale et les décisions du syndic sont soumises à toutes les règles établies pour les délibérations des conseils municipaux et les décisions des maires. « . Il résulte des dispositions combinées des lois des 10 juin 1793 et 9 ventôse an XII et du décret impérial additionnel à celui du 9 ventôse an XII que la juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations qui peuvent s’élever en matière de partage et de jouissance des biens communaux et sectionnaux, qui relèvent du plein contentieux.

Sur la régularité du jugement :

3. Aux termes de l’article L. 2131-1 du code général des collectivité territoriales, rendues applicables à la CSVB en application des dispositions précitées de l’article L. 5222-1 du même code :  » I. Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu’ils ont été portés à la connaissance des intéressés dans les conditions prévues au présent article et, pour les actes mentionnés à l’article L. 2131-2, qu’il a été procédé à la transmission au représentant de l’Etat dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement prévue par cet article. (…) « . Aux termes de l’article L. 2131-2 du même code :  » I. Sont transmis au représentant de l’Etat dans le département ou à son délégué dans l’arrondissement, dans les conditions prévues au II : / 1° Les délibérations du conseil municipal ou les décisions prises par délégation du conseil municipal (…) « .

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que la CSVB a présenté des écritures en défense au nom de la commission devant le tribunal administratif de Pau et a sollicité le rejet de la requête présentée par le GAEC Arberet ainsi que le versement de frais irrépétibles en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, que les premiers juges lui ont accordé à hauteur de 1 200 euros. Toutefois, alors que le caractère exécutoire de la délibération du 3 février 2021 de la CSVB habilitant son président à ester en justice pour son compte était sérieusement contesté devant le tribunal par le GAEC Arberet, qui se prévalait de l’absence de preuve de transmission de cette délibération au représentant de l’Etat dans le département, et l’est à nouveau à hauteur d’appel, la CSVB ne produit aucune pièce de nature à en justifier. Dès lors, le GAEC Arberet est fondé à soutenir qu’en se fondant sur les mémoires en défense produits par la CSVB pour rejeter ses conclusions tendant à l’annulation des décisions du 29 mai 2020 et du 6 juillet 2020 et lui allouer la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles, le tribunal, qui aurait dû les écarter des débats, a entaché son jugement d’irrégularité. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens relatifs à la régularité du jugement attaqué, il y a lieu, pour la cour, d’annuler ce jugement dans cette mesure et, dans les circonstances de l’espèce, de se prononcer immédiatement, par la voie de l’évocation, sur lesdites conclusions.

Sur la légalité de la décision du 29 mai 2020 :

5. Il résulte de l’instruction que le chef de service de la CSVB a, par courrier électronique du 29 mai 2020, informé M. A…, co-gérant du GAEC Arberet, que la transhumance du GAEC Arberet ne pouvait être effective qu’avec un accord écrit des deux co-gérants et que, passé un délai de dix jours sans production de cet accord, le cheptel du GAEC ne serait pas autorisé à transhumer. Ce courrier, qui se borne à informer M. A… de la nature de la décision qui pourra être prise ultérieurement à défaut de compléter son dossier de demande d’autorisation de transhumance ne présente pas le caractère d’une décision faisant grief. Par suite, comme le fait valoir la CSVB, les conclusions à fin d’annulation du courrier du 29 mai 2020 présentées par le GAEC Arberet sont irrecevables et doivent être rejetées.

Sur la légalité de la décision du 6 juillet 2020 :

6. Aux termes de l’article 1er du règlement pastoral établi au titre de l’année 2020 par la CSVB :  » La Commission Syndicale de la Vallée du Barège gère tous des terrains indivis de l’ensemble des Communes de la vallée, soit au total 43 611 ha, dont 28 368 ha de surface totale déclarée et 18 818 ha de surface admissible, soit 18 818 DPB. / (…) / La Commission Syndicale choisit saisonnièrement l’introduction dans ses estives des troupeaux selon : / (…) / La crédibilité du demandeur. Est crédible, notamment, toute personne en situation de régularité certaine avec les lois et règlements, et les normes internes à la structure au nom de laquelle l’accès au pâturage est demandé. (…) « .

7. Il résulte de l’instruction que, par une attestation du 23 juillet 2020, l’employé saisonnier chargé de la garde de l’estive d’Aspé-Saugué pour le compte de la CSVB a indiqué avoir été informé, le 6 juin 2020, de la présence d’une partie du troupeau d’ovins du GAEC Arberet sur l’estive. Par un courrier du 9 juin suivant, auquel se réfère la décision contestée du 6 juillet 2020, le conseil de la CSVB a informé celui du GAEC que  » la montée en estives est fixée au 10 juin 2020, les ovins du GAEC Arberet, ont quitté les filets le samedi 6 juin, pour se retrouver le 9 juin (au moins) sur le territoire syndical d’Aspé « . En raison du non-respect de la date publique applicable pour les montées en estives, la CSVB, sur le fondement de l’article 1er du règlement pastoral établi au titre de l’année 2020, a rejeté la demande d’autorisation de transhumance de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué présentée par le GAEC Arberet pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.

8. D’une part, la CSVB fait état en défense de ce que, contrairement à ce qu’a indiqué son propre conseil dans le courrier précité du 9 juin 2020, des ovins appartenant au GAEC Arberet auraient fréquenté l’estive d’Aspé-Saugué dès le 26 mai 2020. Toutefois, la seule attestation produite en ce sens, établie plus de deux mois après les faits par un membre de la commission pacage de la CSVB, n’est pas de nature à l’établir, alors qu’il résulte de l’instruction que les échanges intervenus entre le GAEC Arberet et la CSVB au sujet de la fuite d’une partie du troupeau se sont principalement déroulés au cours de la période comprise entre le 6 et le 12 juin 2020 et que le garde employé par la CSVB pour surveiller l’estive évoque également, à propos de cet évènement, la date du 6 juin 2020.

9. D’autre part, il est constant que l’incident en cause est isolé, la transhumance des ovins du GAEC Arberet s’étant déroulée au titre des années précédentes, 2017, 2018 et 2019, sans qu’aucun manquement au règlement pastoral ne soit à déplorer. Il résulte par ailleurs de l’instruction et notamment des échanges intervenus entre le GAEC Arberet et la CSVB que la fuite d’une partie du troupeau en juin 2020, dont le caractère accidentel n’est pas sérieusement contesté par la CSVB, résulte de mauvaises conditions météo qui ont sévi dans le secteur et ont conduit à la détérioration de l’enclos au sein duquel 56 brebis avaient été précédemment transportées, à Gavarnie-Gèdre, au sein de parcelles privées détenues par le GAEC au quartier du Saussa, à proximité de l’estive d’Aspé-Saugué. Lorsque M. A… a appris, le 9 juin 2020, la fuite d’une partie de son troupeau sur l’estive d’Aspé-Saugué, il a immédiatement informé la CSVB de la gêne visuelle qui l’empêchait temporairement de se déplacer sans risque en montagne, ainsi que le confirme un certificat médical établi le 10 juin 2020 par un médecin ophtalmologue, et a finalement mis en œuvre les moyens nécessaires pour que les brebis quittent l’estive d’Aspé-Saugué deux jours plus tard, le 12 juin 2020. Dans ces conditions, eu égard au caractère isolé et accidentel de l’incident, à la réactivité du co-gérant du GAEC Arberet ainsi qu’au très court laps de temps durant lequel les ovins ont occupé l’estive d’Aspé-Saugué avant la date d’ouverture des montées en estives, l’appelant est fondé à soutenir qu’en estimant que son profil n’était pas  » crédible « , critère qui, au demeurant, est insuffisamment précisé au sein du règlement pastoral, et en lui refusant, pour ce motif, l’autorisation de transhumance sollicitée pour la totalité de la période estivale, la CSVB a porté une appréciation manifestement erronée sur sa situation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le GAEC Arberet est seulement fondé à demander l’annulation de la décision du 6 juillet 2020 par laquelle la CSVB a rejeté sa demande d’autorisation de pacage pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020.

Sur les frais liés à l’instance :

11. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du GAEC Arberet, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la CSVB au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la CSVB une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le GAEC Arberet et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001310 du 22 avril 2021 du tribunal administratif de Pau est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions du GAEC Arberet tendant à l’annulation des décisions des 29 mai 2020 et 6 juillet 2020 de la CSVB et a alloué à cette dernière une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La décision du 6 juillet 2020 par laquelle la CSVB a rejeté la demande d’autorisation de pacage présentée par le GAEC Arberet pour la période du 1er juillet au 15 septembre 2020 est annulée.
Article 3 : La CSVB versera au GAEC Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le GAEC Arberet devant le tribunal administratif de Pau tendant à l’annulation de la décision du 29 mai 2020 de la CSVB et les conclusions présentées par la CSVB au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au groupement agricole d’exploitation en commun Arberet, pris en la personne de la SELARL Ekip, liquidateur judiciaire, et à la commission syndicale de la Vallée du Barège.