Conseil d’État – 3ème chambre
- N° 475585
- ECLI:FR:CECHS:2024:475585.20241108
- Inédit au recueil Lebon
Lecture du vendredi 08 novembre 2024
Rapporteur
- Paul Levasseur
Rapporteur public
Mme Marie-Gabrielle Merloz
Avocat(s)
CABINET FRANÇOIS PINET ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme A… B… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle la cheffe du service agriculture et espaces ruraux de la direction départementale des territoires (DDT) des Hautes-Alpes a rejeté sa demande d’octroi de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) au titre de l’année 2019 et d’enjoindre à la même autorité de lui allouer cette indemnité. Par un jugement n° 2001536 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Par un arrêt n°22MA00715 du 3 mai 2023, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel formé par Mme B… contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 juillet et 4 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme B… demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
– le règlement délégué (UE) n° 640/2014 de la Commission du 11 mars 2014 ;
– le règlement d’exécution (UE) n° 808/2014 de la Commission du 17 juillet 2014 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;
– le décret n° 2014-580 du 3 juin 2014 ;
– le décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 ;
– le décret n° 2016-1050 du 1er août 2016 ;
– l’arrêté du 9 octobre 2015 relatif aux modalités d’application concernant le système intégré de gestion et de contrôle, l’admissibilité des surfaces au régime de paiement de base et l’agriculteur actif dans le cadre de la politique agricole commune à compter de la campagne 2015 ;
– l’arrêté du 1er août 2016 pris en application du décret n° 2016-1050 du 1er août 2016 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées, et modifiant le code rural et de la pêche maritime, et modifiant l’arrêté du 9 octobre 2015 relatif aux modalités d’application concernant le système intégré de gestion et de contrôle, l’admissibilité des surfaces au régime de paiement de base et l’agriculteur actif dans le cadre de la politique agricole commune à compter de la campagne 2015 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Paul Levasseur, auditeur,
– les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au Cabinet François Pinet, avocat de Mme A… B… et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B…, éleveuse de chèvres et d’équidés, est bénéficiaire, depuis 2008, des aides directes de la politique agricole commune (PAC), en particulier de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). Sa demande de paiement de l’ICHN au titre de la campagne PAC 2019 lui a été refusée par une décision du 19 décembre 2019 prise par la cheffe du service agriculture et espaces ruraux de la direction départementale des territoires (DDT) des Hautes-Alpes, agissant au nom de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur dans les conditions définies par les dispositions de l’article 78 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles et du décret du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020, au motif que l’un des équidés qu’elle avait déclarés ne remplissait pas la condition d’être âgé de trois ans au plus au 15 mai 2019 et qu’elle ne justifiait donc pas de la présence sur son exploitation de trois unités gros bétail (UGB). Par un jugement du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cette décision. Mme B… se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 3 mai 2023 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté son appel formé contre ce jugement.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l’article D. 113-18 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux aides versées au titre de la programmation de la PAC ayant débuté en 2014 : » Peuvent bénéficier des aides compensatoires de handicaps naturels et spécifiques, dans les conditions prévues par le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux de la France (…), les agriculteurs actifs « . Aux termes de l’article D. 113-19 du même code, applicable aux mêmes aides : » Le calcul des aides allouées à chaque agriculteur est effectué selon les règles définies par le programme de développement rural régional de la région où sont situées les surfaces agricoles de l’exploitation bénéficiaire et, le cas échéant, par le cadre national mentionné à l’article D. 113-18. / Un arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et du budget (…) précise, en tant que de besoin, les règles d’éligibilité exposées dans le cadre national ou les programmes de développement rural régionaux. Il détermine les surfaces et les catégories de cheptel retenues pour le calcul du taux de chargement lorsqu’un tel critère est prévu par le cadre national ou le programme de développement rural régional applicable à la région concernée « .
3. D’une part, l’article 1er de l’arrêté du 9 octobre 2015 du ministre chargé de l’agriculture relatif aux modalités d’application concernant le système intégré de gestion et de contrôle, l’admissibilité des surfaces au régime de paiement de base et l’agriculteur actif dans le cadre de la politique agricole commune à compter de la campagne 2015 prévoit que les agriculteurs déposent une demande unique au titre de la PAC contenant » la déclaration des effectifs animaux « . L’article 4 du même arrêté dispose que » la date limite de dépôt à laquelle la demande d’attribution de droits au paiement (…) au titre du régime de paiement de base doit être parvenue à la direction départementale chargée de l’agriculture du département dans lequel se situe le siège de l’exploitation est fixée (…) au 15 mai pour les campagnes 2018 et postérieures « . Son article 4 bis précise que » la qualité du demandeur d’aides s’apprécie au jour de la date limite de dépôt de la demande d’aides « .
4. Il résulte de ces dispositions que, pour pouvoir bénéficier de l’ICHN au titre de la campagne 2019, le demandeur doit justifier de sa qualité d’agriculteur actif à la date limite de dépôt de sa demande d’aide, soit le 15 mai 2019.
5. D’autre part, aux termes de l’article 3 de l’arrêté du 1er août 2016 des ministres chargés de l’agriculture et du budget pris en application du décret n° 2016-1050 du 1er août 2016 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées : » I. – Lorsque le document Cadre national pour le développement rural ou le programme de développement rural prévoit un critère de taux de chargement, les dispositions suivantes s’appliquent. / (…) II. – Les animaux autres que bovins pris en compte au titre du I sont ceux qui sont déclarés sur le formulaire de déclaration des effectifs animaux et qui sont présents sur l’exploitation pendant une durée minimale de 30 jours consécutifs incluant le 31 mars de l’année de la demande « . Aux termes de l’article 5 du même arrêté : » Le document Cadre national pour le développement rural ou le programme de développement rural précisent si les équidés sont pris en compte dans les critères d’éligibilité. / Le cas échéant, les équidés pris en compte sont ceux répondant aux critères de l’article 3 et relevant d’une des deux catégories ci-après : / (…) – poulains et pouliches âgés d’au moins 6 mois et au plus de 3 ans et non déclarés à l’entraînement au sens des codes des courses « . En outre, le cadre national du programme de développement rural approuvé par la Commission européenne le 30 juin 2015, qui fixe en son point 5.2.7.3.1.6 les conditions d’admissibilité pour bénéficier de l’ICHN, prévoit que le demandeur doit » détenir un cheptel d’au moins 3 UGB en production animale « .
6. Il résulte de ces dispositions que, pour pouvoir bénéficier de l’ICHN au titre de la campagne 2019, l’agriculteur qui en fait la demande doit établir qu’il détient au moins trois UGB éligibles, parmi lesquels, le cas échéant, les animaux autres que bovins pris en compte, dont les équidés, sont ceux qui sont présents sur l’exploitation pendant une période minimale de 30 jours consécutifs incluant le 31 mars 2019. A ce titre, les poulains et pouliches pris en compte pour bénéficier de l’ICHN au titre de la campagne PAC 2019 sont donc ceux âgés d’au moins 6 mois et au plus de 3 ans sur cette même période.
7. Par conséquent, en relevant que la date à laquelle s’apprécie l’âge des équidés pour ouvrir droit au bénéfice de l’ICHN au titre de la campagne PAC 2019 était le 15 mai 2019, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit. Par suite, son arrêt doit être annulé.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur le règlement au fond :
9. Il ressort des pièces du dossier que, par la décision litigieuse du 19 décembre 2019, le bénéfice de l’ICHN a été refusé à Mme B… au motif que l’un des équidés qu’elle avait déclarés était âgé de plus de trois ans au 15 mai 2019, alors qu’il n’est pas contesté que cet animal était encore âgé de moins de trois ans au terme d’une période de 30 jours consécutifs débutant le 31 mars 2019. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le bénéfice de l’ICHN ne pouvait être légalement refusé pour ce motif.
10. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, Mme B… est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d’annulation de la décision du 19 décembre 2019.
11. L’annulation pour ce motif de la décision attaquée du 19 décembre 2019 implique seulement que la demande de Mme B… soit réexaminée. Par suite, il y a lieu d’enjoindre au président du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur de procéder à ce réexamen dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, d’une part, à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, d’autre part, à ce qu’une somme soit mise au même titre à la charge de l’Etat qui, n’étant pas la collectivité pour le compte de laquelle la décision litigieuse a été prise, n’est pas partie au présent litige. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur la somme de 3 500 euros à verser à Mme B… au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 3 mai 2023 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 janvier 2022 est annulé.
Article 3 : La décision du 19 décembre 2019 de la cheffe du service agriculture et espaces ruraux de la DDT des Hautes-Alpes rejetant la demande d’ICHN de Mme B… au titre de la campagne PAC 2019 est annulée.
Article 4 : Il est enjoint au président du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur de procéder au réexamen de la demande de Mme B… dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 5 : La région Provence-Alpes-Côte-d’Azur versera à Mme B… une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Les conclusions présentées par la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme A… B…, à la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et à la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération.
Délibéré à l’issue de la séance du 17 octobre 2024 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d’Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d’Etat et M. Paul Levasseur, auditeur-rapporteur.
Rendu le 8 novembre 2024.
Le président :
Signé : M. Philippe Ranquet
Le rapporteur :
Signé : M. Paul Levasseur
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova
ECLI:FR:CECHS:2024:475585.20241108