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Taxe sur les logements vacants/ Résidences secondaires/ Majoration/ Suspension (non)

Conseil d’État, Juge des référés, 06/10/2023, 488602, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – Juge des référés

  • N° 488602
  • ECLI:FR:CEORD:2023:488602.20231006
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 06 octobre 2023

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM), M. B… G…, M. H… A…, M. E… C… et Mme F… D… demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution du décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du code général des impôts ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils ont intérêt pour agir en ce que le décret litigieux porte atteinte aux intérêts des résidents secondaires des stations de montagne et aux associations représentés par la FARSM et que les personnes physiques requérantes sont des résidents secondaires de telles stations ;
– la condition d’urgence est satisfaite dès lors que le décret attaqué peut conduire les communes figurant sur la liste qui lui est annexé à adopter par délibération une majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires pouvant aller jusqu’à 60% ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
– le décret litigieux est entaché d’irrégularité en ce qu’il ne comporte pas le contreseing du ministre de l’intérieur et des outre-mer ;
– le décret attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation ;
– le décret contesté a été pris sur le fondement de dispositions législatives contraires aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et devant les charges publiques et qui portent atteinte au droit de propriété.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des impôts ;
– la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 ;
– le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

2. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

3. L’article 73 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a étendu le champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants prévue à l’article 232 du code général des impôts aux communes qui, sans appartenir à une zone d’urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants comme requis antérieurement, connaissent un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou la proportion élevée de logements affectés à l’habitation autres que ceux affectés à l’habitation principale par rapport au nombre total de logements. Il en découle, en vertu de l’article 1407 ter du code général des impôts, que dans ces mêmes communes,  » le conseil municipal peut, par une délibération (…), majorer d’un pourcentage compris entre 5 % et 60 % la part lui revenant de la cotisation de taxe d’habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l’habitation principale due au titre des logements meublés (…) « .

4. Pour l’application de ces dispositions, le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 a modifié l’annexe au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants, notamment pour établir la liste des communes concernées par l’élargissement du périmètre d’application de cette taxe et, partant, de la majoration de taxe d’habitation sur les logements meublés non affectés à l’habitation principale. La Fédération des associations de résidents des stations de montagne et quatre propriétaires de résidences secondaires en station de montagne ont demandé l’annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, ils en demandent la suspension de l’exécution.

5. Pour justifier de la condition d’urgence, les requérants se bornent à faire valoir, de façon générale, que le décret attaqué autorise les communes figurant sur la liste qui lui est annexée à adopter des délibérations majorant la part leur revenant de la cotisation de taxe d’habitation sur les résidences secondaires dans des proportions pouvant aller jusqu’à 60%. Ce faisant, ils n’apportent aucun élément permettant d’apprécier l’impact sur leur situation des dispositions contestées. En tout état de cause, la mise en œuvre de la possibilité ouverte aux communes éligibles de majorer la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et, le cas échéant, la détermination de son taux sont subordonnées à l’intervention d’une délibération du conseil municipal. L’exécution du décret litigieux n’est donc pas susceptible par elle-même d’affecter directement les intérêts des propriétaires de résidences secondaires. Dans ces conditions, il n’est pas justifié d’une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des requérants.

6. Il résulte de ce qui précède que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut pas être regardée comme remplie. Par suite, il y a lieu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité du décret contesté, de rejeter la présente requête, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, selon la procédure prévue à l’article L. 522-3 du code de justice administrative.

O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres est rejetée.

Théorie des biens de retour/ Application à des biens acquis par le délégataire avant la conclusion du contrat/ Violation de l’art. 1er Prot. CEDH n° 1 (non)

Cour européenne des droits de l’homme

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SÀRL COUTTOLENC FRÈRES c. FRANCE

(Requête no 24300/20)

 

 

 

ARRÊT

Art 1 P1 • Privation de propriété • Transfert à une collectivité territoriale, en vertu de la règle dite des « biens de retour », d’installations de remontées mécaniques exploitées par la société requérante • Société ayant pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985 dont résulte la qualification générale du service des remontées mécaniques de « service public » • Absence de charge spéciale et exorbitante du seul fait de la non-obtention du paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la collectivité territoriale • Large marge d’appréciation • Importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire • Proportionnalité

 

STRASBOURG

5 octobre 2023

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En l’affaire Sàrl Couttolenc Frères c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
Catherine Brouard-Gallet, juge ad hoc,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 24300/20) dirigée contre la République française et dont une société de droit français, la Sàrl Couttolenc Frères (« la société requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 12 juin 2020,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 septembre 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

  1. L’affaire concerne le transfert à une collectivité territoriale, en vertu de la règle dite des « biens de retour », d’installations de remontées mécaniques qu’exploitait la société requérante. La société requérante dénonce une violation de l’article 1 du Protocole no 1.

EN FAIT

  1. La société requérante a son siège à La Sauze. Elle est représentée par Me S. Cottin, avocat.
  2. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
  3. La société requérante indique que la station de sports d’hiver de Sauze, située dans les Alpes-de-Haute-Provence, a été créée en 1934 sous l’impulsion de la famille Couttolenc, qui a progressivement construit des remontées mécaniques sur des terrains lui appartenant.
  4. Certains ouvrages et équipements de la station, notamment les remontées mécaniques, étaient ainsi exploitées par des sociétés créées par la famille Couttolenc, à travers plusieurs structures, parmi lesquelles figuraient la SARL Société d’exploitation des remontées mécaniques de Sauze (« SERMA ») et la société requérante. Cette dernière exploitait en pleine propriété ou par contrats de location les équipements installés sur les secteurs du « Sauze », du « Super Sauze » et de la « Rente ».
  5. Avec l’entrée en vigueur de la loi no 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, les remontées mécaniques sont devenues un service public à la charge de communes, groupements de communes ou départements, qui peuvent en assurer eux‑mêmes l’exécution, la confier à une autre personne morale de droit public ou la concéder conventionnellement pour une durée déterminée à une entreprise privée.
  6. La loi prévoyait un régime transitoire, laissant quatorze années pour régulariser les services de remontées mécaniques préexistants.
  1. La convention de délégation de service public du 28 décembre 1998 et l’avenant du 18 novembre 2011
  1. C’est ainsi que, le 28 décembre 1998, la société requérante, qui avait jusque-là continué à exploiter ses équipements selon des modalités de droit privé, conclut avec la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (« la CCVU ») une convention de délégation de service public pour une durée de quatorze ans, soit jusqu’au 31 décembre 2012.
  2. L’article 1 de la convention de délégation de service public définissait ainsi son objet :

« (…) l’autorité organisatrice confie au concessionnaire (…) :

– la construction et l’exploitation, à ses risques et périls, des installations de remontées mécaniques des secteurs de (…), selon les modalités définies au cahier des charges ;

– l’aménagement et l’entretien du réseau des pistes de ski alpin desservi par ces installations ;

– l’aménagement et l’exploitation des services annexes liés à l’exploitation et à la mise en sécurité du domaine skiable tels les dispositifs paravalanches, sauf exception prévue par avenant. »

  1. L’article 10, relatif aux obligations et engagements de l’exploitant, précisait notamment qu’il s’engageait à maintenir les appareils de remontée mécanique et les installations du domaine skiable en bon état de marche et de sécurité, à réaliser à ses risques et périls les travaux d’amélioration ou de construction des installations et à entretenir et aménager les pistes.
  2. L’article 24, précisait qu’en fin de contrat, l’autorité organisatrice pourrait :

« – soit proroger la présente convention dans le respect de la législation en vigueur ;

– soit engager une procédure d’appel public à délégation de service public ;

– soit reprendre elle-même l’exploitation du service, [avec] dans ce cas, [reprise] des biens, équipements et installations de l’exploitant (…) moyennant une indemnité fixée soit par accord amiable soit, à défaut d’accord, à dire d’experts. »

  1. Le 18 novembre 2011, les parties signèrent un avenant aux termes duquel la délégation de service public était prolongée jusqu’au 30 juin 2013. L’avenant ajoutait, sous le titre « biens de reprise », que « les biens de reprises tels que figurant en annexe 1 [dont des remontées mécaniques, des cabanes de téléskis et du matériel technique de toute nature] et les autres biens affectés à la délégation de service public mais appartenant à des tiers tels que figurant en annexe 2, [étaient] évalués à la somme forfaitaire de 5 000 000 euros ». Il ajoutait que la CCVU pourrait exiger du délégataire qu’il lui vende les biens de reprise.
  1. Les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014
  1. A l’approche du terme prévu par l’avenant du 18 novembre 2011, la CCVU ouvrit en juin 2012 une procédure de mise en concurrence en vue d’une délégation de service public portant sur l’exploitation de l’ensemble du domaine skiable. Un droit d’entrée de 5 000 000 euros (EUR) hors taxe était exigé « en raison des investissements initiaux réalisés par l’ancien délégataire qu’il n’a pu amortir en raison de la durée du contrat ». La société requérante se porta candidate.
  2. Cette procédure ayant été infructueuse, le CCVU décida de reprendre en régie l’exploitation du domaine skiable.
  3. Les parties ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur l’exécution de l’avenant du 18 novembre 2011.
  4. Le 29 juillet 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, saisi par la CCVU, enjoignit à la société requérante de remettre à cette dernière l’ensemble des biens, installations et documents nécessaires au fonctionnement du service public des remontées mécaniques listés à l’annexe 1 de l’avenant du 18 novembre 2011.
  5. Les parties ayant repris les négociations, elles signèrent un protocole d’accord aux termes duquel la CCVU s’engageait à payer 2 000 000 EUR à la société requérante en contrepartie de la cession des biens (et 1700 000 EUR à d’autres exploitants), que la CCVU approuva par des délibérations du 28 juillet 2014.
  1. La procédure devant les juridictions administratives
  1. Estimant que cet accord méconnaissait la règle « des biens de retour », le Préfet des Alpes de Haute-Provence saisit le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation de ces délibérations.
  2. La demande fut rejetée par un jugement du 18 août 2015, puis par un arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 9 juin 2016.
  1. La décision du Conseil d’État du 29 juin 2018
  1. Le ministre de l’Intérieur se pourvut en cassation contre l’arrêt du 9 juin 2016.
  2. Dans ses conclusions devant le Conseil d’État, le rapporteur public souligna notamment ce qui suit :

« (…) 7.  (…) les parties au protocole litigieux développent au soutien de l’arrêt attaque une argumentation fondée sur le respect de la liberté contractuelle et du droit de propriété.

Elles font valoir, tout d’abord, qu’un transfert de propriété portant sur des biens qui appartenaient déjà à l’exploitant ne saurait résulter tacitement du silence des stipulations contractuelles. Toutefois, le retour des biens nécessaires au fonctionnement service public à l’issue du contrat constitue l’un des éléments du régime d’ordre public consacre par [la] décision Commune de Douai. Les parties, à supposer qu’elles souhaitent stipuler sur ce point, ne pourraient donc déroger à la règle, quelle que soit la date d’acquisition des biens.

Le principal argument est toutefois tiré du déséquilibre financier qui résulterait de l’application du régime des biens de retour aux équipements acquis par le concessionnaire antérieurement à sa signature (…)

Les défenseurs rappellent, d’abord, à juste titre, que c’est le financement des équipements par les recettes tirées du contrat et notamment le prix payé par les usagers du service qui justifie, sur le plan économique, le retour gratuit à la collectivité.

Ils postulent, ensuite, que les biens qui appartenaient déjà au concessionnaire et que celui-ci a affectés à la concession ne sauraient, en revanche, avoir été financés par le public. Ces investissements se trouveraient donc situés, en quelque sorte, hors de la sphère de l’équilibre concessif. Les intégrer au patrimoine de la collectivité sans la contrepartie que constituerait un prix de rachat aboutirait par conséquent à déséquilibrer l’économie de la relation contractuelle, en faisant bénéficier le concédant d’un enrichissement sans cause.

Si nous ne pouvons adhérer à ce raisonnement, c’est parce que nous révoquons en doute le postulat selon lequel les biens qui appartenaient déjà au concessionnaire et dont il a fait l’apport ne sont pas pris en compte dans l’équilibre du contrat financé par les usagers.

Nous pensons, au contraire, que cet apport peut et doit être intégré à l’équilibre de la concession : soit ex ante, au moment de la négociation des termes du contrat, soit a posteriori, sous forme indemnitaire, si le déséquilibre se révèle à l’issue de sa période d’exécution.

  1. i) Commençons par la négociation du contrat. Il appartient au futur concessionnaire, quand il en discute l’équilibre économique, de faire valoir l’ensemble des charges qui lui incombent – et, à cet égard, non seulement les investissements qu’il devra réaliser mais aussi, le cas échéant, l’apport des biens dont il est déjà propriétaire et qu’il affecte à la concession.

Il est vrai que la mise en œuvre de ce principe se heurte à une difficulté pratique : comment fixer la valeur des investissements déjà réalisés pour les intégrer à la négociation ?

Certes, [la] jurisprudence prévoit les conditions dans lesquels le concessionnaire peut être indemnisé de la valeur non amortie des biens de retour. Cependant, la particularité des biens dont nous examinons le sort aujourd’hui tient à ce que, au moment de la signature de la concession, ils sont déjà partiellement ou entièrement amortis. Leur valeur nette comptable est donc sans rapport avec le coût que représenterait, pour la collectivité, la réalisation ou l’acquisition de biens comparables auprès d’un autre partenaire – qu’elle se fasse dans le cadre d’un marché si [la] personne publique [décide] d’exploiter l’activité en régie, ou par l’intermédiaire d’un autre concessionnaire qui, lui, devrait réaliser ou acquérir ces équipements pendant l’exécution du contrat et ne manquerait pas de réclamer une durée et une rémunération calculées en conséquence. Aussi cette valeur nette comptable, lorsqu’il y en aura une, ne pourra-t-elle être qu’un élément parmi d’autres que les parties pourront utiliser pour valoriser les biens apportés dans la détermination de l’équilibre financier du contrat.

En réalité, il leur reviendra de s’accorder librement sur les éléments de calcul pertinents au vu des circonstances particulières de chaque espèce – sous réserve, bien entendu, que la méthode retenue n’aboutisse pas à accorder une libéralité au concessionnaire. Nous venons d’évoquer la valeur nette comptable, ainsi que le coût d’acquisition ou de réalisation de biens de même nature, mais on pourrait aussi penser à la durée pendant laquelle les biens apportés pourront être encore utilisés pour les besoins du service public.

Les cas de figure seront extrêmement variés selon la nature des activités concédées.

Si l’on envisage, par exemple, celui des remontées mécaniques qui nous occupe aujourd’hui, le concessionnaire qui affecte au contrat des installations déjà amorties pourrait ainsi se prévaloir de l’existence d’un marché de la revente extrêmement actif, notamment en Europe de l’Est, dans le Caucase ou encore au Moyen-Orient (…).

  1. ii) Admettons à présent que le contrat, tel qu’il a été négocié par les parties et finalement et signé, se révèle a posteriori déséquilibré : sa durée, les tarifs prélevés sur les usagers, ne permettent pas d’assurer la rémunération des biens nécessaires au fonctionnement du service que le concessionnaire a affecté à l’exploitation et qui vont faire retour à la collectivité, notamment ceux dont il était antérieurement propriétaire.

On peut envisager, tout d’abord, que ce déséquilibre résulte d’un vice du consentement : le concessionnaire, s’agissant de la portée de son contrat en tant qu’il le prive de la propriété des biens qu’il a apportés à la concession, a commis une erreur, ou bien a été victime d’un dol de la part de la personne publique. Il sera alors fondé à saisir le juge du contrat afin que celui-ci tire les conséquences, notamment indemnitaires, de cette illégalité, dans le cadre de [la] jurisprudence CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, no 304802, p. 509.

On peut imaginer également – et ce sera le cas le plus habituel – que les parties se soient livrées de bonne foi à une appréciation erronée des avantages accordés au concessionnaire et des charges qui lui ont été imposées et que cette erreur aboutisse, à l’issue du contrat, à un enrichissement sans cause de la personne publique. Là encore, le concessionnaire sera fondé à demander au juge du contrat, en l’absence d’accord avec la collectivité, une indemnité destinée à rétablir l’équilibre économique que les parties sont supposées avoir recherché. Le remboursement de l’ensemble des investissements qu’il a affectés à la concession et qui sont transférés in fine au concédant doit lui être assuré.

Ainsi, pour nous résumer, l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété du concessionnaire n’est pas plus importante dans le cas des ouvrages dont il était propriétaire avant de signer son contrat, que dans le cas des biens acquis ou réalisés pendant l’exécution de celui-ci. En effet, « l’équivalence honnête entre ce qui est accordé au concessionnaire et ce qui est exigé de lui » est assurée dans les mêmes conditions ; en principe, par les termes du contrat (durée, rémunération par les usages, subventions éventuelles, valeur des investissements…) et, à défaut, sur le terrain indemnitaire.

Quant à la liberté contractuelle, rien ne contraint le futur concessionnaire à signer une convention dont il considérerait les termes comme désavantageux pour lui – notamment du point de vue de la valorisation de ses apports. S’il exploitait antérieurement l’activité que la collectivité souhaite reprendre sous forme concessive, libre à lui de refuser la proposition qui lui est faite et de poursuivre son exploitation ou de céder ses biens sur le marché.

À cet égard toutefois, il existe un cas de figure très particulier – il nous semble d’ailleurs unique – qui est celui de l’activité de remontées mécaniques. Il faut donc l’aborder à présent, pour examiner s’il y a lieu de déroger aux règles générales que nous venons de détailler.

  1. Les remontées mécaniques étaient qualifiées de service public industriel et commercial, lorsqu’elles étaient exploitées par une collectivité, depuis [la] décision CE, Sect., 23 janvier 1959, Commune d’Huez, nos 39532, 39793, p. 67.

Le législateur est allé beaucoup plus loin : en effet, la loi no85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne a étendu cette qualification au secteur dans son ensemble, y compris donc lorsque les remontées avaient été créés et exploitées à l’initiative de personnes privées, cas de loin le plus fréquent.

La loi a laissé aux personnes publiques organisatrices du service – en principe les communes ou leur groupement – le choix de l’exploiter en régie ou directe ou de le concéder. En ce cas, elle a pris soin d’encadrer la relation contractuelle par des règles destinées à protéger l’intérêt public face aux aménageurs touristiques.

(…) Nous nous trouvons donc, avec les remontées mécaniques, dans un cas de figure tout à fait exceptionnel, où l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété résulte directement de la loi. C’est en effet le législateur qui a décidé de mettre fin à l’exploitation privée des remontées mécaniques. Ce faisant, il a placé les exploitants privés devant le dilemme économique suivant :

– soit réaliser leur patrimoine immédiatement, en refusant de rentrer dans le régime conventionnel et en cédant leurs installations à la collectivité, dans le cadre d’un accord amiable ou, à défaut, à la suite d’une procédure d’expropriation ;

– soit accepter le régime conventionnel, dont l’application emporte in fine le transfert à la personne publique des ouvrages qui peuvent être qualifiés de biens de retour – à charge pour les opérateurs de négocier avec la personne publique un contrat qui valorise équitablement leur apport : en ce cas, nous retombons dans le schéma général de l’équilibre contractuel, garanti ex ante par les termes de la convention ou ex post par une indemnité complémentaire.

Ni les travaux préparatoires de la loi de 1985, ni les modifications qui lui ont été apportées par la suite et les travaux préparatoires de ces textes, ne laissent penser que le législateur aurait entendu écarter l’application du régime des biens de retour dans la seconde hypothèse.

(…) aucune des deux solutions ouvertes aux exploitants – rachat immédiat ou contractualisation avec les collectivités – ne signifie une privation du droit de propriété ou une mesure d’effet équivalent. Les investissements leur sont remboursés dans tous les cas.

Ils le sont, dans la seconde hypothèse, sous la forme de la rémunération prévue au contrat, éventuellement complétée par une indemnité dans les conditions que nous avons déjà exposées lorsqu’il est nécessaire d’en rétablir l’équilibre.

Les opérateurs de remontées mécaniques étaient libres d’opter pour l’une ou l’autre des deux voies en fonction de leurs calculs économiques. En outre, ils ont disposé d’une période transitoire exceptionnellement longue, de 14 ans au total, à la fois pour envisager le meilleur choix possible et pour adapter leur activité et leurs investissements à cette perspective (…) »

  1. Le 29 juin 2018, le Conseil d’État annula l’arrêt du 16 juin 2016 par une décision motivée comme il suit :

« (…) Sur les règles applicables aux biens de la concession :

  1. Considérant, en premier lieu, que, dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ; que le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée ;
  2. Considérant, en deuxième lieu, qu’à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ; que le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession ;
  3. Considérant, en troisième lieu, que lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement ; que lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ;
  4. Considérant que les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n’a pas entendu déroger, trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ; qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 3 ; qu’elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 4 ; que les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ;
  5. Considérant que, dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ; qu’en outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ;

Sur l’arrêt en tant qu’il se prononce sur la qualification des biens en cause et sur les conséquences indemnitaires :

  1. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la propriété des biens en cause, alors même qu’ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public concédé, n’avait pas été transférée à la communauté de communes dès la conclusion de la convention du seul fait de leur affectation à la concession de service public et que ces biens n’étaient pas régis par les règles applicables aux biens de retour, pour en déduire que le concessionnaire avait droit, du fait de leur retour dans le patrimoine de la CCVU, à une indemnité égale à leur valeur vénale (…) »
  1. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019
  1. Le 16 décembre 2019, statuant sur renvoi, la cour administrative d’appel de Marseille annula le jugement du 18 août 2015 et les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014, par un jugement ainsi rédigé :

« (…) 3.  Dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique. Le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée.

  1. à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public. Le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession.
  2. Lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement. Lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.
  3. Les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n’a pas entendu déroger, trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 4. Elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 5. Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.
  4. Dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation. En outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique.
  5. En l’espèce, il ressort du dossier que les biens affectés au service public des remontées mécaniques de la station de ski Sauze-Super Sauze par la société [requérante], seule cocontractante de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, et nécessaires à son fonctionnement, sont pour partie propriétés de cette société et pour partie propriétés de la (…) SERMA, de l’indivision L.C., de l’indivision P.C., et de M. E.C.
  6. En application des règles énoncées ci-dessus, les biens dont la société [requérante] était propriétaire avant la signature de la délégation de service public, qu’elle a affectés au fonctionnement du service public et qui étaient nécessaires à celui-ci, ont fait retour dans le patrimoine de la personne publique à l’expiration du contrat. S’agissant des biens qui, acquis dans le cadre de la concession, n’auraient pas été totalement amortis, la société [requérante] peut seulement, si elle s’y croit fondée, demander l’indemnisation du préjudice qu’elle estime subir à raison de leur retour à titre gratuit dans le patrimoine de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye. Ainsi, les délibérations contestées n’ont pu légalement approuver les termes du protocole d’accord envisagé par les parties, stipulant le rachat des biens en cause au prix de leur valeur vénale résiduelle (…) »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

  1. Les biens de retour
  1. Les biens affectés à une concession de service public sont répartis en trois catégories : les biens propres du concessionnaire, qui en général ne sont affectés qu’accessoirement aux besoins du service, lesquels demeurent la propriété de ce dernier ; les biens de reprise, qui sont plus directement utiles à l’exploitation, qui demeurent la propriété du délégataire sauf clause expresse de rachat ou de retour à titre gratuit dans le patrimoine de la personne publique prévue dans la convention ; les biens de retour, qui peuvent être définis comme étant l’ensemble des biens, meubles ou immeubles, nécessaires au fonctionnement du service public.
  2. Les caractéristiques des biens de retour ont été développées au fil du temps par la jurisprudence du Conseil d’État. En l’espèce, le rapporteur public devant le Conseil d’État a exposé ce qui suit dans ses conclusions :

« (…) Quant aux biens de retour la jurisprudence les a longtemps cernés (…) par les caractéristiques de leur régime juridique, sans se risquer à une définition de leur nature. Elle a consacré très rapidement l’existence de trois attributs.

  1. i)  Le premier se reflète dans la dénomination de ces biens : ils reviennent obligatoirement à la collectivité concédante en fin de contrat. Cette caractéristique n’a jamais connu aucune dérogation ni aménagement. On se situe en effet au cœur de la logique des biens de retour. Comme le soulignait le Pr A. Mestre, dans une note devenue canonique : « il ne faut pas oublier que le but essentiel de la concession est de doter la collectivité, sans appel à l’emprunt ou à l’impôt, d’ouvrages d’utilité publique, prêts à fonctionner. Le droit de retour n’est que le moyen juridique par lequel cet objectif sera un jour atteint » (note sur CE, 1er mars 1929, Sté des transports en commun de la région toulousaine, S. 1929.1.75). Autrement dit, la concession n’est pas seulement une modalité de gestion du service public. Elle est aussi et peut-être surtout un mode de financement des ouvrages nécessaires à l’existence et à la continuité de ce service. La qualification de biens de retour, qui implique que ces ouvrages sont de droit la propriété de la personne publique, au plus tard à l’expiration de la convention, constitue une garantie essentielle dans la poursuite de cet objectif puisqu’elle évite de soumettre le transfert de propriété aux aléas de la négociation contractuelle.

Cette seule stipulation suffisait donc à faire qualifier de biens de retour les équipements ainsi désignés : cf. CE, 28 juin 1889, Cie des chemins de fer de l’Est, nos 68505 et 72434, p. 781, conclusions Romieu ; CE, 9 mai 1891, Cie des chemins de fer de l’Est, nos 74346, 74486, p. 359 ; CE, 12 novembre 1897, Sté nouvelle du casino municipal de Nice, no 82773, p. 685).

  1. ii)  La deuxième caractéristique de ces biens réside en ceci que le retour se fait, en principe, à titre gratuit – « sans indemnité et en bon état de fonctionnement » pour reprendre la formule habituelle [des] arrêts [du Conseil d’État] : voyez CE, 9 novembre 1895, Ville de Paris, no 81383, p. 701, ou CE, 9 décembre 1898, Compagnie du gaz de Castelsarrasin, ոo 90349, p. 782, ou encore CE 31 mars 1922, Compagnie de l’éclairage des villes, ոo 66377, p. 304 et enfin CE, 28 mars 1928, Société « L’Energie électrique de la Basse-Isère », no 82582, p. 456.

Cette règle découle directement du principe de l’équilibre financier du contrat de concession (…)

(…) Il en résulte que les éléments essentiels du contrat – durée, niveau des recettes prélevées sur les usagers sous la forme d’un prix, importance des investissements mis à la charge du concessionnaire – sont supposés avoir été négociés entre les parties de façon à permettre au cocontractant de l’administration, notamment, de financer les biens qu’il est tenu d’affecter au service. Il est donc logique, dans ces conditions, qu’un bien payé par le public revienne gratuitement à la collectivité à l’expiration de la concession, sauf à faire bénéficier le concessionnaire d’un enrichissement sans cause. Lui reconnaître, par principe, un droit à indemnité, reviendrait en définitive à consacrer un double paiement des ouvrages.

Le seul aménagement à la règle de la gratuité trouve d’ailleurs sa justification dans ce même principe de l’équilibre financier du contrat. Vous jugez en effet, de très longue date, que le concessionnaire a toujours droit à l’indemnisation de la valeur non amortie des biens de retour (…

iii)  Enfin, troisième caractéristique des biens de retour, la collectivité concédante en est propriétaire, en principe, non pas à l’issue du contrat, mais bien dès leur affectation au service public – sans préjudice du droit de jouissance exclusif dont dispose le concessionnaire.

À nouveau, il s’agit de garantir que le but essentiel de la concession – qui est de permettre à la collectivité de disposer des ouvrages nécessaires au service public – soit bien atteint à l’issue du contrat. (…) La propriété publique des biens pendant la durée d’exécution du contrat est destinée à prévenir leur évaporation avant que minuit sonne à l’horloge de la concession.

Un grand nombre [des] arrêts [du Conseil d’État] ont été rendus au sujet de cette question de la propriété des biens pendant la durée d’exécution du contrat : outre la décision citée Cie des chemins de fer de l’Est, voyez CE,1er février 1929, Compagnie centrale d’énergie électrique, no 84018, 96941, p. 133 (a contrario) ou CE, Sect., 1er mars 1929, Société des transports en commun de la région toulousaine, no 84896, p. 255. Elle emporte en effet des conséquences fiscales considérables puisque c’est au concédant, en qualité de propriétaire, qu’il appartient alors d’acquitter les taxes foncières pendant la durée de la concession (…) »

  1. Cette jurisprudence a été synthétisée par le Conseil d’État dans la décision d’Assemblée Commune de Douai du 21 décembre 2012 (no 342788) :

« (…) dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ;

(…) à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application des principes énoncés ci-dessus, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ; que le contrat qui accorde au délégataire ou concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de délégation ;

(…) lorsque la personne publique résilie la convention avant son terme normal, le délégataire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, dès lors qu’ils n’ont pu être totalement amortis ; (…) lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus (…) »

  1. LA LOI du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ET Le service des remontées mécaniques
  1. Dans sa version applicable en 2014, l’article 1er de la loi no 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne était ainsi rédigé :

« La République française reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d’intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel. Le développement équitable et durable de la montagne s’entend comme une dynamique de progrès initiée, portée et maîtrisée par les populations de montagne et appuyée par la collectivité nationale, qui doit permettre à ces territoires d’accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions et offrir à la société des services, produits, espaces, ressources naturelles de haute qualité. Elle doit permettre également à la société montagnarde d’évoluer sans rupture brutale avec son passé et ses traditions en conservant et en renouvelant sa culture et son identité.

L’État et les collectivités publiques apportent leur concours aux populations de montagne pour mettre en œuvre ce processus de développement équitable et durable en encourageant notamment les évolutions suivantes :

– faciliter l’exercice de nouvelles responsabilités par les collectivités et les organisations montagnardes dans la définition et la mise en œuvre de la politique de la montagne et des politiques de massifs ;

– engager l’économie de la montagne dans des politiques de qualité, de maîtrise de filière, de développement de la valeur ajoutée et rechercher toutes les possibilités de diversification ;

– participer à la protection des espaces naturels et des paysages et promouvoir le patrimoine culturel ainsi que la réhabilitation du bâti existant ;

– assurer une meilleure maîtrise de la gestion et de l’utilisation de l’espace montagnard par les populations et collectivités de montagne ;

– réévaluer le niveau des services en montagne, assurer leur pérennité et leur proximité par une généralisation de la contractualisation des obligations. »

  1. Le caractère de service public industriel et commercial des remontées mécaniques en montagne lorsqu’elles étaient exploitées par une collectivité, affirmé en 1959 par le Conseil d’État (CE Section, 23 janvier 1959, Commune d’Huez, nos 39532 et 39793, Rec. p. 67), a été consacré par la loi du 9 janvier 1985, qui a étendu la qualification de service public au secteur dans son ensemble, y compris en cas de création et d’exploitation des remontées mécaniques par des personnes privées. Ce service relève désormais de la compétence des communes et de leurs groupements ou des départements qui l’ont organisé avant le 10 janvier 1985. L’exécution de ce service public est assurée soit directement par la personne publique, soit par une entreprise ayant passé à cette fin une convention avec elle. Dans ce cas, si la rémunération du cocontractant est substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation, la convention est une délégation de service public (Conseil d’État, avis, section des travaux publics, 19 avril 2005, no 371234).
  2. Les articles 42, 46 et 47 de la loi du 9 janvier 1985 (partiellement codifiés aux articles L. 342-1, L. 342-2, L. 342-9, L. 342-13 et L. 342-14 du code du tourisme) sont ainsi rédigés :

Article 42

« En zone de montagne, la mise en œuvre des opérations d’aménagement touristique s’effectue sous le contrôle d’une commune, d’un groupement de communes ou d’un syndicat mixte regroupant des collectivités territoriales. Sauf recours à la formule de la régie, cette mise en œuvre s’effectue dans les conditions suivantes :

– chaque opérateur doit contracter avec la commune ou le groupement de communes ou le syndicat mixte compétent ;

– chacun des contrats porte sur l’un ou plusieurs des objets constitutifs de l’opération touristique : études, aménagement foncier et immobilier, réalisation et gestion des équipements collectifs, construction et exploitation du réseau de remontées mécaniques, gestion des services publics, animation et promotion.

Les contrats établis à cet effet et, si un contrat porte sur plusieurs des objets constitutifs, pour chacun de ces objets prévoient à peine de nullité :

1o L’objet du contrat, sa durée et les conditions dans lesquelles il peut éventuellement être prorogé ou révisé ;

2o Les conditions de résiliation, de déchéance et de dévolution, le cas échéant, des biens en fin de contrat ainsi que les conditions d’indemnisation du cocontractant ;

3o Les obligations de chacune des parties et, le cas échéant, le montant de leurs participations financières ;

4o Les pénalités ou sanctions applicables en cas de défaillance du cocontractant ou de mauvaise exécution du contrat ;

5o Pour ceux ayant pour objet l’aménagement foncier, la réalisation et la gestion d’équipements collectifs, la gestion de services publics, les modalités de l’information technique, financière et comptable qui doit être portée à la connaissance des communes ou de leur groupement ou du syndicat mixte ; à cet effet, le cocontractant doit notamment fournir chaque année un compte rendu financier comportant le bilan prévisionnel des activités et le plan de trésorerie faisant apparaître l’échéancier des recettes et des dépenses.

(…) ».

Article 46

« Le service des remontées mécaniques est organisé par les communes sur le territoire desquelles elles sont situées ou par leurs groupements ou par le département auquel elles peuvent conventionnellement confier, dans les limites d’un périmètre géographique défini, l’organisation et la mise en œuvre du service.

(…) »

Article 47

« L’exécution du service est assurée soit en régie directe, soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l’autorité compétente.

La convention est établie conformément aux dispositions de l’article 42 et fixe la nature et les conditions de fonctionnement et de financement du service. Elle définit les obligations respectives des parties ainsi que les conditions de prise en charge de l’indemnisation des propriétaires pour les servitudes instituées en vertu de l’article 53 de la présente loi. Elle peut prévoir la participation financière de l’exploitant à des dépenses d’investissement et de fonctionnement occasionnées directement ou indirectement par l’installation de la ou des remontées mécaniques.

Dans un délai de quatre ans à compter de la publication de la présente loi, toutes les remontées mécaniques qui ne sont pas exploitées directement par l’autorité compétente doivent faire l’objet d’une convention conforme aux dispositions de la présente loi.

Toutefois, si à l’expiration du délai de quatre ans, du fait de l’autorité organisatrice et sans qu’elle puisse invoquer valablement la responsabilité de l’exploitant, la convention ou la mise en conformité de la convention antérieurement conclue n’est pas intervenue, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée ou la convention antérieurement conclue continue de produire ses effets pour une durée maximale de dix ans.

Lorsque l’autorité organisatrice décide de supprimer le service en exploitation ou de le confier à un autre exploitant, elle doit verser à l’exploitant évincé une indemnité de compensation du préjudice éventuellement subi de ce fait, indemnité préalable en ce qui concerne les biens matériels.

Lorsque l’autorité organisatrice décide de passer une convention avec l’exploitant en place ou de mettre en conformité la convention existante, la convention doit comporter les clauses permettant d’éviter que l’équilibre de l’exploitation ne soit modifié de façon substantielle. »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du ProtocOle no 1

  1. La société requérante se plaint du fait qu’en raison de l’application de la règle des biens de retour en sa cause, elle a, à l’échéance de la convention de délégation de service public, été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur vénale lui soit versée, et en vertu d’une règle qui n’était ni accessible ni prévisible. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

  1. Sur la recevabilité
  1. Le Gouvernement estime que la société requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il constate que la procédure interne, qui a été initiée par le préfet et qui visait uniquement l’annulation des délibérations de la CCVU pour illégalité, n’avait pas pour objet son indemnisation. Renvoyant aux conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État, il fait valoir que, si elle estimait que les biens nécessaires au fonctionnement du service public qu’elle avait affectés à l’exploitation et qui ont été retournés à la CCVU à l’issue de la convention n’avaient pas été rémunérés par les tarifs prélevés sur les usagers au cours de celle-ci, la société requérante aurait dû, avant de s’adresser à la Cour, saisir le « juge du contrat » afin qu’il constate l’éventuel déséquilibre économique du contrat et l’enrichissement sans cause de la CCVU, et lui alloue une indemnité rétablissant cet équilibre. Le juge du contrat aurait déterminé si l’annulation du protocole litigieux, qui aurait contribué au déséquilibre économique éventuel de l’accord conclu entre la CCVU et la société requérante, rendait nécessaire l’indemnisation de cette dernière. Il note à cet égard que le Conseil d’État a souligné dans la décision rendue le 29 juin 2018 en la cause de la société requérante, que le versement d’une indemnité est possible lorsque l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant la prise en compte par les résultats de l’exploitation de l’apport à la concession de biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat. Il note de plus que, si la société requérante a soulevé la question du déséquilibre du contrat en l’absence d’indemnisation dans le cadre de la procédure en annulation initiée par le préfet, elle l’a fait devant un juge incompétent, le juge de la légalité n’ayant pas le pouvoir de se prononcer sur une question indemnitaire. Il souligne enfin que la voie de l’action indemnitaire devant le juge du contrat est encore aujourd’hui ouverte à la société requérante.
  2. La société requérante réplique qu’elle a dûment soulevé son grief tiré d’une atteinte à son droit de propriété dans le cadre de la procédure interne. Elle ajoute qu’elle a plaidé que le contrat se révélait a posteriori déséquilibré en l’absence d’indemnisation des biens qu’elle avait apportés au moment de sa signature, en particulier devant la cour administrative de Marseille, saisie sur renvoi après cassation. Elle souligne de plus que, si cette juridiction a indiqué dans sa décision du 16 décembre 2019 qu’elle avait la possibilité de demander l’indemnisation des biens qui n’auraient pas été totalement amortis, cette possibilité ne présente aucun intérêt dans son cas puisque, construites entre 1967 et 1989, les remontées mécaniques étaient totalement amorties en fin de concession, de sorte que leur valeur n’est pas comptable mais vénale. Le Conseil d’État ayant considéré dans la décision rendue le 29 juin 2018 en sa cause que les biens ne pouvaient être indemnisés à leur valeur vénale, un nouveau recours n’aurait aucune chance de prospérer.
  3. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants la possibilité de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant d’en être saisie. Le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord avoir été soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales selon les procédures appropriées. L’obligation découlant de l’article 35 se limite cependant à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. La Convention ne prescrit ainsi que l’épuisement des recours relatifs aux violations incriminées, qui sont à la fois disponibles et adéquats. Ce qui importe aux fins de cette disposition, c’est que les requérants aient offert aux juridictions internes la possibilité de statuer en premier lieu sur les griefs dont ils saisissent la Cour, en usant d’une voie de recours appropriée. Par ailleurs, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne peut se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, par exemple, Sagan c. Ukraine, no 60010/08, § 43, 23 octobre 2018, ainsi que les références qui y figurent).
  4. C’est donc au regard du grief dont le requérant saisit la Cour que s’apprécie l’épuisement des voies de recours internes. En l’espèce, invoquant l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante se plaint du fait qu’en raison de l’application de la règle des biens de retour en sa cause, elle a, à l’échéance de la convention de délégation de service public, été privée de biens dont elle était propriétaire avant la signature de cette convention, sans qu’une indemnisation couvrant leur valeur vénale lui soit versée, et en vertu d’une règle qui n’était ni accessible ni prévisible.
  5. La Cour constate tout d’abord qu’il ressort du dossier que la CCVU a fait valoir devant le Conseil d’État que le retour de biens dont le concessionnaire était propriétaire avant la conclusion de la convention de concession serait constitutif d’une expropriation implicite, contraire à l’article 1 du Protocole no 1 à défaut d’une justification tenant de l’utilité publique et en l’absence d’une juste et préalable indemnisation tenant compte de la valeur marchande des biens, et qu’elle a caractérisé ce moyen au regard de la situation spécifique de la société requérante. La société requérante a ensuite développé le même argument devant la cour administrative d’appel de Marseille saisie sur renvoi.
  6. La Cour relève ensuite que le Conseil d’État a jugé le 29 juin 2018 en la cause de la société requérante que, même lorsque le concessionnaire était propriétaire de biens nécessaires au fonctionnement du service public avant la conclusion de la convention de délégation, ces biens doivent être retournés à la personne publique à l’échéance de celle-ci, gratuitement dès lors qu’ils sont amortis. Saisir le juge du contrat en vue de l’obtention d’une indemnité destinée à rétablir l’équilibre du contrat comme le suggère le Gouvernement n’aurait donc pas permis à la société requérante d’obtenir une somme couvrant la valeur vénale des biens et, par conséquent, n’aurait pas répondu au grief.
  7. Il apparaît ainsi que les juridictions internes ont été dûment mises en mesure d’examiner préalablement le grief dont la Cour est saisie.
  8. Il s’ensuit que l’exception de non-épuisement des voies de recours internes doit être rejetée.
  9. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
  1. Sur le fond
    1. Arguments des parties
  1. a)      La société requérante
  2. Selon la société requérante, le raisonnement du Conseil d’État en sa cause s’appuie sur l’idée qu’en acceptant de conclure une convention de délégation de service public, le contractant de la personne publique accepte de transférer gratuitement ses biens dans le patrimoine de celle-ci quelles que soient les stipulations du contrat sur ce point. Elle juge cet argument erroné dès lors que les exploitants de remontées mécaniques ont été contraints par la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne de conclure une convention de délégation de service public s’ils voulaient poursuivre l’exploitation de la station de ski qu’ils avaient créée. Elle ajoute qu’en 1998, la CCVU n’avait pas les finances nécessaires pour racheter l’ensemble des remontées mécaniques, de sorte qu’elles ont repoussé la question de l’indemnisation à la fin du contrat, en qualifiant les installations de « biens de reprise » et en prévoyant qu’elles pourraient alors être achetés par la CCVU à leur valeur vénale.
  3. La société requérante estime qu’il y a eu dans son cas une expropriation de fait, sans utilité publique, non « prévue par la loi », et sans juste indemnité.
  4. À propos de la légalité, elle souligne qu’en 1998, lors de la conclusion du contrat de délégation, aucune règle suffisamment claire et prévisible ne lui permettait de considérer, même entourée de conseils éclairés, que les biens dont elle était propriétaire allaient retourner gratuitement à la collectivité publique, ce que montrerait du reste le fait que les parties ont prévu exactement l’inverse dans leur convention. Il était selon elle impossible de savoir que le Conseil d’État déciderait en 2018 que les biens appartenant au délégataire antérieurement à la signature du contrat reviendraient gratuitement à la personne publique. Elle signale aussi que le principe de l’indemnisation à la hauteur de la valeur vénale avait été admis par la cour administrative d’appel de Lyon dans sa décision Société Télépente des Gets du 16 février 2012, ainsi que par la cour administrative de Marseille dans la première décision qu’elle a rendue en sa cause le 9 juin 2016. Elle note de plus que lorsque le dossier a été appelé une première fois devant le Conseil d’État, le rapporteur public a conclu à la confirmation de cette dernière décision et de l’indemnisation à hauteur de la valeur vénale, et qu’il aura fallu une décision de la Section du Contentieux pour trancher la question, ce qui montrerait que la règle dégagée par le Conseil d’État n’allait pas de soi. La société requérante souligne aussi que l’idée qui sous-tend la théorie des biens de retour est que le droit des concessions est un moyen pour la personne publique de se doter d’ouvrages d’utilité publique sans recourir à l’emprunt ou à l’impôt ; le concessionnaire est autorisé à construire des ouvrages par la personne publique, et est rémunéré de ses investissements par les revenus de l’exploitation de ces ouvrages et, à la fin du contrat, ces ouvrages reviennent gratuitement à la personne publique. Dans la mesure où c’est le contrat de concession qui permet au délégataire de construire un ouvrage public et de tirer un bénéfice de son exploitation, il apparaît normal que la durée de la concession soit déterminée par la durée de l’amortissement de l’ouvrage et, qu’en fin de convention, cet ouvrage revienne gratuitement à la collectivité. Cet équilibre du montage contractuel ne serait toutefois caractérisé que dans l’hypothèse où le contrat de concession autorise le délégataire à construire. Or, souligne-t-elle, en l’espèce les équipements ont été construits par elle sur ses propres terrains, à une époque où il n’était pas nécessaire de conclure une convention avec la collectivité, et elle ne pouvait se douter que conclure un jour une telle convention entraînerait un transfert gratuit de ses biens à cette dernière.
  5. S’agissant du but poursuivi, la société requérante déclare ne pas contester que les nécessités de continuité de service public justifient que la personne publique puisse se rendre propriétaire des bien de son contractant, à condition de les indemniser. Observant que la France est le seul pays de l’arc alpin à considérer que les remontées mécaniques sont un service public, elle en déduit qu’il ne s’agit pas d’un secteur public fondamental et que les atteintes aux libertés et droits individuels doivent en conséquence être d’autant plus strictement appréciés.
  6. Sur l’absence d’indemnisation, la société requérante fait valoir qu’étant donné la durée imposée par les textes d’une délégation de service public, qui doit correspondre à la durée d’amortissement des biens, en particulier en matière de remontées mécaniques, l’indemnisation à la valeur nette comptable est théorique, le bien étant normalement amorti à la fin de la convention, et que la valeur nette comptable ne reflète pas la valeur marchande des biens.
  7. D’après la société requérante, si on peut considérer en l’espèce que la privation de propriété est commandée par l’intérêt général, les conditions qui l’entourent ne ménagent pas un juste équilibre entre les impératifs de l’utilité publique et le respect de ses droits fondamentaux. Elle dénonce l’iniquité des conséquences pratiques de l’application de la règle des biens de retour lorsque des personnes privées ayant construit des infrastructures sur des terrains privés se trouvent dépossédées sans aucune indemnité. Le fait qu’elles ont contracté avec la personne publique serait sans influence dès lors que le contrat ne prévoyait pas que les biens reviendraient gratuitement à la collectivité en fin de contrat mais, au contraire, que la collectivité pourrait les racheter à leur valeur marchande.
  8. Renvoyant à l’arrêt Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce (satisfaction équitable) [GC] (no 25701/94, § 89, 28 novembre 2002), la société requérante rappelle qu’une privation de propriété constitue une atteinte excessive en l’absence de versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, et qu’un manque total d’indemnisation ne saurait se justifier que dans des circonstances exceptionnelles. Selon elle, aucune circonstance exceptionnelle ne justifiait l’intégration de ses biens dans le patrimoine public sans indemnité.
  9. b)     Le Gouvernement
  10. Le Gouvernement souligne qu’il n’y a pas eu privation de biens en l’espèce. Il fait valoir à cet égard, d’une part, que la société requérante a volontairement choisi de soumettre ses biens à la jurisprudence des biens de retour en contrepartie des bénéfices que lui apportait le contrat de délégation de service public. Il indique que la loi du 9 janvier 1985 prévoyait une période transitoire de quatorze ans durant laquelle les exploitants avaient trois options : soit réaliser leur patrimoine immédiatement, en cédant leurs installations à la collectivité en contrepartie d’une juste indemnité ; soit conclure un contrat de délégation de service public, avec in fine le transfert des biens de retour, à charge pour eux de négocier avec la collectivité un contrat qui valorise équitablement leur apport à la concession, la limitation du droit de l’exploitant étant alors compensée par le schéma général de l’équilibre contractuel, garanti ex ante par les termes de la convention, ou ex post, par une indemnité complémentaire, dans le cas où l’exploitant saisirait le juge du contrat après l’expiration de la convention pour obtenir une indemnisation visant à compenser le déséquilibre du contrat initial ; soit céder ses biens et droits réels au prix du marché à un tiers, qui aurait alors négocié une délégation de service public. D’autre part, le Gouvernement expose que les décisions de la juridiction administrative au fond se sont bornées à constater l’illégalité des protocoles d’accord au regard de la loi du 9 janvier 1985 et de la règle des biens de retour ; elles n’ont pas définitivement statué sur la question des modalités d’indemnisation éventuelles de la société requérante. D’après lui, une fois l’illégalité des délibérations constatée par décision de justice, les deux parties pouvaient poursuivre les négociations et rédiger un nouveau protocole d’accord prenant en compte les exigences fixées par la jurisprudence des biens de retour, qui pouvait prévoir l’indemnisation de l’exploitant. À titre subsidiaire, le Gouvernement souligne que la société requérante, qui est une actrice expérimentée du monde économique intervenant depuis longtemps dans le secteur de l’exploitation du domaine skiable, ne saurait prétendre qu’elle n’a pu volontairement consentir au transfert de ses biens en 1998 parce qu’elle ignorait la jurisprudence relative aux biens de retour ou l’estimait inapplicable.
  11. Le Gouvernement estime par ailleurs que la restriction du droit de propriété de la requérante était prévue par la loi. Il indique, premièrement, que la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne a qualifié les remontées mécaniques de service public, avec pour conséquence l’application de la règle jurisprudentielle bien établie des biens de retour. Deuxièmement, ce nouveau régime juridique était accompagné de garanties puisque l’article 47 de la loi prévoyait un régime transitoire pour la régularisation des services de remontées mécaniques mis en place antérieurement par des personnes privées, laissant aux exploitants plusieurs années pour conclure une convention de délégation de service public conforme ; le Conseil d’État a recherché l’intention du législateur et constaté qu’il n’avait pas entendu déroger en 1985 au régime des biens de retour, ce qui ressort aussi des débats de la loi no 2013-431 du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, qui a modifié l’article L. 342-2 du code du tourisme. Troisièmement, en 1998, lorsque la société requérante a conclu la convention il y avait déjà une jurisprudence établie relative au régime juridique applicable aux biens de retour, jugés indispensables à l’exécution du service public. Dans la mesure où la loi du 9 janvier 1985 faisait relever les remontées mécaniques et le domaine skiable du service public, la société requérante ne pouvait ignorer que l’apport de ses biens aux fins de décrocher le contrat de délégation de service public emporterait leur transfert effectif à la collectivité à l’expiration de la convention. Selon le Gouvernement, « la jurisprudence administrative appliquée par le Conseil d’État et la cour administrative d’appel de Marseille était prévisible et raisonnable » dès lors qu’elle était commandée par la nature spécifique des biens en cause, qui les rendait nécessaires à l’exécution du service public, que les décisions qu’ils ont rendues se bornaient à appliquer une jurisprudence déjà bien établie. Il ajoute que le « caractère raisonnable et rationnel de la jurisprudence relative aux biens de retour (…) dérive pleinement de l’économie et de la fonction du contrat de concession, qui est de permettre à l’État de financer à bas coût un service public ».
  12. Le Gouvernement soutient ensuite que la restriction en question répondait à un motif d’utilité publique et d’intérêt général, dès lors que confier la gestion des remontées mécaniques et des biens nécessaires à l’exploitation du domaine skiable répond à deux objectifs d’intérêt public : d’une part, cette évolution s’inscrit dans le cadre de la politique d’aménagement de la montagne qui a pour finalité de lutter contre la désertification de ces territoires, les stations de sport d’hiver concourant au développement économique des communes de montagne ; d’autre part, elle a été jugée nécessaire par le législateur et la juridiction administrative pour garantir la continuité du service public des remontées mécaniques.
  13. Selon le Gouvernement, il n’y a pas eu rupture du juste équilibre que l’État doit ménager entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. En premier lieu, il fait valoir que le droit français n’exclut pas l’indemnisation des exploitants ayant apporté leurs biens à une concession dans le cadre d’une délégation de service public, et que les biens apportés par la société requérante ont été valorisés initialement lors de la conclusion du contrat de délégation de service public de 1998 du fait de la place essentielle qu’ils occupaient dans le schéma de l’équilibre contractuel qui déterminait les droits et obligations des parties. En deuxième lieu, il rappelle que la société requérante n’était pas forcée de conclure un contrat de délégation de service public puisqu’elle aurait également pu céder ses biens à un autre exploitant ou accepter l’expropriation en échange d’une juste compensation, l’existence de trois possibilités constituant un tempérament favorisant la conciliation de l’objectif d’intérêt public de bonne gestion des remontées mécaniques et des droits contractuels des exploitants. Le Gouvernement ajoute que, s’il s’avère qu’un contrat de délégation de service public traduit un déséquilibre trop important, le délégataire peut invoquer un vice de consentement devant le juge du contrat, ce qui ouvre la voie de l’action indemnitaire, en application de la jurisprudence du Conseil d’État du 28 décembre 2009, Commune de Béziers. De plus, le calcul de l’indemnisation sur la base de la valeur nette comptable ne serait pas systématique lorsque le délégataire détenait les biens de retour préalablement à son engagement contractuel. Enfin, lorsque la mauvaise estimation de l’équilibre contractuel est due à une application erronée des avantages et charges, le juge administratif pourrait être amené à considérer que le déséquilibre conduit à un enrichissement sans cause de la personne publique et allouer au délégataire une indemnité rétablissant l’équilibre économique que les patries sont supposées avoir recherché.
  14. Ainsi, d’après le Gouvernement, quand bien même l’équilibre général du contrat de délégation aurait fait peser une charge sur la société requérante, l’excessivité de celle-ci serait due au fait que la société requérante n’a pas saisi le juge du contrat pour obtenir une indemnité compensant le dommage qu’elle a subi.
  1. Appréciation de la Cour
  1. La décision du Conseil d’État Commune de Douai du 21 décembre 2012 (paragraphe 26 ci-dessus), qui synthétise la jurisprudence relative aux « biens de retour », énonce notamment que, « dans le cadre d’une délégation de service public ou d’une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition, à la personne publique ». La décision du Conseil d’État du 29 juin 2018 (paragraphe 22 ci-dessus) et l’arrêt de la cour d’appel de Marseille du 16 décembre 2019 (paragraphe 23 ci-dessus), rendus en la cause de la société requérante, ont précisé que cela vaut aussi « lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ». Ils ont ajouté « qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions [ci-dessus] » soit, ainsi que le comprend la Cour, à la date de la conclusion de la convention de délégation de service public.
  2. La Cour en déduit que les biens litigieux, dont la société requérante était propriétaire avant la conclusion du contrat de délégation de service public du 28 décembre 1998, ont été transférés à cette date dans le patrimoine de la CCVU.
  3. Elle note que le Gouvernement ne conteste pas qu’il y a eu transfert à la CCVU de la propriété de biens appartenant à la société requérante, mais soutient que ce transfert ne s’analyse pas en une privation de propriété, au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Elle juge toutefois inutile de trancher cette question dès lors qu’en l’espèce, d’une part, l’application de la règle des biens de retour est en tout cas constitutive d’une ingérence dans la jouissance du droit au respect des biens, et, d’autre part, à supposer même que cette ingérence soit constitutive d’une privation de propriété, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 pour les raisons indiquées ci-après.
  4. La Cour renvoie aux principes généraux tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Béláné Nagy c. Hongrie [GC] (no 53080/13, §§ 112-116, 13 décembre 2016) notamment. Il en ressort que toute ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens doit être légale, servir un intérêt public (ou général) légitime et être raisonnablement proportionnée au but qu’elle poursuit, le juste équilibre à préserver entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu étant brisé si l’individu concerné supporte une charge spéciale et exorbitante.
  5. a)      Sur la légalité de l’ingérence
  6. La Cour rappelle que le principe de légalité exige, d’une part, que l’ingérence ait une base en droit interne, étant entendu qu’il peut s’agir du droit d’origine jurisprudentiel comme du droit d’origine législative (voir, par exemple, Špaček, s.r.o., c. République tchèque, no 26449/95, § 54, 9 novembre 1999), et, d’autre part, que cette base légale présente une certaine qualité : elle doit être compatible avec la prééminence du droit et offrir des garanties contre l’arbitraire. Il s’ensuit qu’en plus d’être conformes au droit interne de l’État contractant, en ce compris la Constitution, les normes juridiques sur lesquelles se fonde une privation de propriété doivent être suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (voir, par exemple, Vistiņš and Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 96-97, 25 octobre 2012).
  7. En l’espèce, certes, comme le souligne la société requérante, le Conseil d’État n’avait pas expressément jugé avant l’arrêt qu’il a rendu en sa cause que la règle des biens de retour s’appliquait à des biens dont le délégataire était propriétaire antérieurement à la signature de la convention de délégation de service public.
  8. La Cour constate cependant que cette règle est énoncée depuis longtemps par la jurisprudence du Conseil d’État. Cela ressort notamment des conclusions présentées en l’espèce par le rapporteur public devant cette juridiction (paragraphe 25 ci-dessus). D’après cette règle, dans le cadre d’une convention de délégation de service public, les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont, par principe, dans le silence de la convention, la propriété de la personne publique délégante dès leur réalisation ou leur acquisition par le concessionnaire, et lui font obligatoirement retour au terme du contrat, en principe à titre gratuit, sous réserve qu’ils aient été totalement amortis.
  9. La Cour, qui relève que la qualification générale du service des remontées mécaniques de « service public » résulte de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, estime qu’en signant le 28 décembre 1998 la convention de délégation de service public litigieuse avec la CCVU, la société requérante ne pouvait ignorer que le régime de la délégation de service public, qui comprend la règle des biens de retour, s’appliquerait dans son cas. Elle note de plus que le rapporteur public devant le Conseil d’État a relevé que ni les travaux préparatoires de cette loi, ni les modifications qui lui ont été apportées par la suite et les travaux préparatoires de ces textes, ne laissaient penser que le législateur aurait entendu écarter l’application du régime des biens de retour aux situations telles que celle de la société requérante (paragraphe 21 ci-dessus).
  10. La Cour constate par ailleurs que la société requérante a eu la possibilité de défendre sa cause contradictoirement devant les juridictions internes, en particulier au regard de l’application de la règle des biens de retour, et que la question de l’application de cette règle a fait l’objet d’un examen approfondi, comme cela ressort des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État ainsi que des motifs de la décision de cette juridiction et de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019 (paragraphes 21-23 ci-dessus).
  11. Il résulte de ce qui précède que la condition de légalité de l’ingérence est remplie en l’espèce.
  12. b)     Sur le but poursuivi
  13. La Cour constate que l’ingérence dénoncée par le requérant dans la jouissance de son droit au respect des biens, qui résulte de l’application en sa cause de la règle des biens de retour, visait à assurer la continuité du service public. Un tel but relève sans conteste de l’intérêt public, d’autant plus que, s’agissant en l’espèce du service public des remontées mécaniques, il se rattache à l’objectif de développement équitable et durable des territoires de montagne, qui a été déclaré « objectif d’intérêt national » par la loi du 9 janvier 1985 (paragraphe 27 ci-dessus).
  14. c)      Sur la proportionnalité
  15. À supposer que l’ingérence litigieuse soit constitutive d’une privation de propriété, la Cour rappelleque sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une ingérence de cette nature constituerait d’ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Cette disposition ne garantit pourtant pas dans tous les cas le droit à une compensation intégrale. Des objectifs légitimes « d’utilité publique » peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir, notamment, Kravchuk c. Russie, no 10899/12, § 40, 26 novembre 2019, Grainger et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 34940/10, § 37, 10 juillet 2012, et James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98). En outre, le contrôle de la Cour se borne à rechercher si les modalités choisies excèdent la large marge d’appréciation dont l’États jouit en la matière (voir, notamment, précités, Grainger et autres et James et autres, ibidem).
  16. Sur ce dernier point, la Cour constate en outre que l’ingérence litigieuse s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à l’aménagement du territoire, dont l’objet est, comme cela ressort de son premier article (paragraphe 27 ci-dessus), l’aménagement du territoire et la protection de l’environnement, domaines dans lesquels les États jouissent d’une grande marge d’appréciation (voir, par exemple, Hamer c. Belgique, no 21861/03, § 78, CEDH 2007-V (extraits)).
  17. Ceci étant, la Cour relève que la société requérante a, avant l’intervention de la loi du 9 janvier 1985, exploité commercialement durant plusieurs décennies ses propres équipements de remontées mécaniques, dans un cadre de droit privé.
  18. La loi du 9 janvier 1985 a conféré le caractère de « service public » à l’ensemble du service des remontées mécaniques, confiant son organisation à des collectivités territoriales. Tout ce secteur d’activité était concerné, y compris les remontées mécaniques qui étaient alors exploitées par des personnes de droit privé selon des modalités de droit privé. Cette loi offre aux collectivités territoriales concernées le choix entre assurer elles-mêmes l’exécution de ce service, la confier à une autre personne morale de droit public et la concéder conventionnellement pour une durée déterminée à une entreprise privée. Dans le troisième cas de figure, elle donnait quatre ans aux exploitants privés et aux collectivités territoriales concernées pour conclure une convention de concession de service public. Elle ajoutait cependant que, dans le cas où une telle convention n’avait pu être conclue à l’expiration de ce délai du fait de la collectivité territoriale concernée, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée continuait de produire ses effets pour une durée maximale de dix ans.
  19. La société requérante, qui a bénéficié de cette mesure transitoire, a continué d’exploiter ses installations sous le régime du droit privé durant les quatorze années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985.
  20. Au cours ou à l’issue de cette période de quatorze années, la société requérante aurait pu cesser son activité et céder ses équipements à la CCVU au prix du marché, à l’amiable ou à la suite d’une procédure d’expropriation, voire, d’après le Gouvernement, à une personne privée. Elle a cependant choisi de poursuivre son activité après la période transitoire, avec pour seule possibilité à cette fin de conclure une convention de délégation de service public avec la CCVU, conformément à l’article 47 de la loi du 9 janvier 1985, ce qu’elle a fait le 28 décembre 1998 (paragraphes 8-11 ci-dessus).
  21. La société requérante a ensuite exploité les remontées mécaniques durant quinze années sous le régime de la délégation de service public.
  22. Elle a donc continué à exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985.
  23. La convention de délégation de service public du 28 décembre 1998 prévoyait qu’en cas de reprise de l’exploitation par la CCVU à son terme, les biens, équipements et installations de la société requérante seraient repris par cette dernière moyennant une indemnité ; un avenant du 18 novembre 2011 qualifiait divers biens apportés par la société requérante, dont les installations de remontées mécaniques, de « biens de reprise », et précisait que la CCVU pourrait exiger du délégataire qu’il les lui vende.
  24. Après l’expiration du terme de la convention de délégation de service public, la CCVU et la société requérante ont conclu un accord selon lequel la première s’engageait à verser à la seconde, en contrepartie de la cession des biens visés par l’avenant (ainsi que de quelques bien additionnels), le montant de 2 000 000 EUR, reflétant leur valeur vénale. L’accord n’a cependant pu être mis en œuvre en raison de l’annulation par le juge interne, sur le fondement de la règle des biens de retour, des délibérations de la CCVU l’approuvant.
  25. Le Conseil d’État et la Cour administrative de Marseille (paragraphes 22 et 23 ci-dessus) ont jugé à cet égard que les parties à une convention de concession de service public peuvent prendre en compte, dans le cadre de la définition de l’équilibre économique du contrat, les biens dont le concessionnaire était propriétaire antérieurement à la signature de la convention, qu’il affecte au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci, à condition qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique qui est partie à la convention, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée durant laquelle les biens apportés peuvent encore êtes utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés. Les parties peuvent à cette fin prévoir dans la convention le versement d’une indemnité au concessionnaire, mais une telle indemnité ne peut être versée que si, selon la formule de la décision du Conseil d’État du 29 juin 2018, reprise dans l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille du 16 décembre 2019, « l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ».
  26. S’il en résulte que la société requérante n’a pu obtenir le versement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens litigieux, il n’en résulte pas pour autant qu’elle a été privée de toute compensation et de toute possibilité d’indemnisation.
  27. En effet, d’une part, la société requérante indique elle-même que les équipements qu’elle a apportés à l’exploitation étaient amortis à la fin de la concession (paragraphe 32 ci-dessus). Il s’en déduit que le coût de ces équipements, qui avait ainsi été comptabilisé en charges, était couvert par les résultats de l’exploitation lorsqu’ils ont fait retour à la CCVU.
  28. D’autre part, il ressort des conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État (paragraphe 21 ci-dessus), auxquelles renvoie le Gouvernement (paragraphe 31 ci-dessus), que, si le contrat se révèle a posteriori déséquilibré, et aboutit à son issu à un enrichissement sans cause de la personne publique, le concessionnaire est fondé à saisir le juge du contrat d’une demande tendant à l’obtention d’une indemnité destinée à rétablir l’équilibre économique du contrat.
  29. La société requérante aurait donc pu saisir les juridictions administratives d’un recours de plein contentieux, plaider dans ce cadre que l’accord approuvé par les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014 contribuait à l’équilibre économique du contrat, faire valoir que l’annulation de ces délibérations, qui empêchait la mise en œuvre de cet accord, avait rompu cet équilibre, et réclamer une indemnité destinée à le rétablir.
  30. Selon le Gouvernement, cette possibilité est toujours ouverte à la société requérante.
  31. Il apparaît en fait que la valeur des biens nécessaires au fonctionnement du service public apportés par le délégataire au moment de la signature de la convention de délégation de service public, qui sont transférés dans le patrimoine de la personne publique délégante, est en principe compensée puisqu’elle est intégrée au calcul de l’équilibre économique du contrat au moment de sa signature, et qu’à défaut, le délégataire peut, au terme du contrat, obtenir du juge administratif une indemnisation destinée à rétablir cet équilibre.
  32. Dans cette circonstance, à supposer que l’ingérence litigieuse soit constitutive d’une privation de propriété, compte tenu aussi de ce que la société requérante a pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans après l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985, on ne saurait considérer qu’elle a supporté une charge spéciale et exorbitante du seul fait qu’elle n’a pu obtenir le paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés à la CCVU. Vu de plus la large marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur et l’importance du but légitime poursuivi, s’agissant de la continuité d’un service public s’inscrivant dans une politique d’aménagement du territoire, la Cour conclut que cette ingérence était raisonnablement proportionnée à ce but.
  33. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

  1. Déclare la requête recevable ;
  2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 octobre 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Ravarani et Mourou-Vikström.

G.R.
V.S.
 

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES RAVARANI ET MOUROU-VIKSTRÖM

 

Nous avons voté en faveur de la non-violation de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention, parce qu’en matière d’indemnisation du fait de la privation de propriété par les pouvoirs publics les États jouissent d’une large marge d’appréciation, parce qu’une indemnisation selon le droit commun n’est pas requise en la matière et enfin parce qu’on peut considérer que la requérante a entre-temps valorisé ses investissements.

Au-delà de ce constat, nous avons eu et avons toujours de sérieux questionnements et doutes concernant cette affaire qui concerne l’indemnisation de la société requérante à la fin du contrat de concession de service public. Nous n’entendons pas remettre en question le mécanisme français de la concession d’un service public, ni la théorie des « biens de retour » en vertu de laquelle les biens affectés par le concessionnaire au fonctionnement du service public sont censés, à la fin de la concession, avoir appartenu ab initio à la partie publique concédante. Nous n’entendons pas davantage remettre en question le mode d’indemnisation du concessionnaire qui ne peut pas prétendre à la contrepartie monétaire de la valeur vénale des biens, mais peut seulement obtenir une indemnisation dans la mesure où ses investissements ne sont pas amortis.

Or, on ne saurait assez insister sur le caractère très spécifique de la présente affaire qui n’a pas suivi le schéma traditionnel des concessions de service public, et c’est cette spécificité qui nous fait douter, à plusieurs égards, du raisonnement de la majorité pour aboutir à la non-violation. En l’espèce, la requérante était propriétaire de terrains montagneux et y avait érigé et exploitait, dès 1934, sous un régime de pur droit privé, des remontées mécaniques et autres biens d’équipement qu’elle avait elle-même payés. Elle ne s’est donc pas fait attribuer par les pouvoirs publics des terrains appartenant à l’État. Ce cas de figure est inédit. La loi du 9 janvier 1985 a mis fin à ce régime de droit privé en qualifiant les remontées mécaniques de service public et en permettant aux exploitants de signer avec les pouvoirs publics une convention de délégation de service public. La loi prévoyait une période transitoire pour régulariser les services de remontées mécaniques préexistants pendant laquelle toutes les remontées mécaniques non exploitées par l’autorité compétente devaient faire l’objet d’une convention de concession de service public. À défaut, l’autorisation d’exploiter antérieurement accordée expirait après un délai de dix ans.

La partie publique (la CCVU) et la requérante conclurent en 1998 une convention de délégation de service public. Il était prévu qu’en fin de contrat, l’autorité organisatrice pouvait reprendre elle-même l’exploitation du service. Dans ce cas, les équipements et installations devaient être « repris » – et non « retournés » – moyennent une indemnité fixée soit par accord amiable, soit, à défaut d’accord, à dire d’experts. Après certaines vicissitudes, les parties signèrent finalement, le 28 juillet 2014, un protocole d’accord aux termes duquel la CCVU s’engageait à payer 2 000 000 € à la société en contrepartie de la cession des biens.

C’est la délibération approuvant cet accord que le préfet attaqua dans la suite et que les juridictions administratives annulèrent alors. Le Conseil d’État appliqua notamment la théorie des biens de retour au cas d’espèce, avec comme résultat que les biens de la requérante étaient censés avoir appartenu aux pouvoirs publics même antérieurement à la passation de la concession de service public et le retour gratuit de ces biens à la personne publique. Il ajouta que les parties pouvaient « prendre en compte l’apport de ces biens ayant initialement appartenu à la requérante dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés [pouvaient] encore être utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résult[ait] aucune libéralité de la part de la personne publique. » Selon la décision, il y a libéralité dès que l’indemnisation dépasse l’amortissement des investissements réalisés.

Le raisonnement de la majorité nous interpelle à plusieurs égards.

Tout d’abord, l’arrêt juge inutile de trancher la question de savoir s’il y a eu en l’espèce expropriation ou non, se basant à cet effet sur l’affirmation, par le Gouvernement, que par l’application de la règle des biens de retour, il n’y a pas eu de privation de propriété. Or, il nous semble évident qu’il y a eu, dans les présentes circonstances, expropriation. C’est par l’effet de la loi du 9 janvier 1985 que la propriété de la requérante a été immédiatement transférée à la partie publique. Il s’agit d’une application élargie et discutable du régime des « biens de retour » à des biens acquis à titre privé à une époque où la délégation du service public n’avait pas été conclue entre les parties. Il ne peut pas y avoir eu de « retour » des biens dans le giron public car ceux-ci appartenaient à l’origine à la requérante. La CCVU l’avait bien reconnu puisque dans les dispositions contractuelles convenues entre parties, les remontées mécaniques et autres équipements étaient qualifiés de « biens de reprise ». D’ailleurs, dans ses conclusions devant le Conseil d’État, le rapporteur public avait clairement affirmé au sujet de ces remontées mécaniques, qu’il s’agissait d’« un cas de figure tout à fait exceptionnel, où l’atteinte portée aux conditions d’exercice du droit de propriété résulte directement de la loi ». Il avait en outre ajouté qu’au moment de la signature de la concession les biens étaient partiellement ou entièrement amortis et que leur valeur nette comptable était donc sans rapport avec le coût que représenterait pour la collectivité la réalisation ou l’acquisition de biens comparables auprès d’un autre partenaire (paragraphe 21 de l’arrêt). Il en résulte que l’équilibre concessif était affecté et qu’une action contre l’État sur le fondement du dol ou de l’enrichissement sans cause aurait seule pu y remédier.

Par ailleurs, il nous semble difficile de suivre le raisonnement de la majorité de la chambre selon laquelle « la société requérante ne pouvait ignorer que le régime de la délégation de service public, qui comprend la règle des biens de retour, s’appliquerait à son cas » (paragraphe 59 de l’arrêt). En effet, la société requérante a signé plusieurs accords, à savoir, la délégation initiale de service public le 28 décembre 1998, l’avenant du 18 novembre 2011, et le protocole d’accord approuvé en 2014 ; or, aux termes de tous ces accords la CCVU s’engageait à lui verser une somme d’argent correspondant à la reprise des remontées mécaniques, et des autres biens d’équipement ayant servi au fonctionnement de la station de ski. Même si ces conventions n’engageaient pas l’État central directement, elle engageait une collectivité publique représentant une de ses émanations décentralisées. La société requérante pouvait donc s’attendre à percevoir une indemnisation correspondant à un prix de rachat des biens acquis sur ses deniers propres, d’autant que ni la signature des conventions, ni l’appel à concurrence n’avaient soulevé d’objections ni même de questionnements de la part des autorités préfectorales.

La requérante avait-elle un réel choix d’échapper à l’application de la réglementation relative aux concessions de service public avec leur corollaire, la règle des biens de retour ? Il est dit au paragraphe 68 de l’arrêt qu’à l’issue de la période transitoire instaurée par la loi, la requérante aurait pu cesser son activité et céder ses équipements au prix du marché, à l’amiable ou à la suite d’une procédure d’expropriation. Cette affirmation étonne. Si nous comprenons bien la réglementation française en la matière, le caractère de service public des remontées mécaniques en montagne a été affirmé par la jurisprudence dès 1959, bien avant la loi du 9 janvier 1985 (v. le paragraphe 28 de l’arrêt). Or, si ces remontées et équipements relevaient du service public, l’indemnisation en cas de cession – volontaire ou moyennant expropriation – aux pouvoirs publics ne devait-elle pas obéir aux principes affirmés par le Conseil d’État en matière d’indemnisation en cas de retour de biens affectés au service public, à savoir que celle-ci ne saurait dépasser le montant non amorti des investissements, toute somme négociée ou attribuée au-delà étant considérée comme constituant un enrichissement sans cause ?

Nous sommes encore surpris de l’affirmation, dans le paragraphe 77 de l’arrêt, selon laquelle la requérante « aurait pu saisir le juge administratif d’un recours de plein contentieux en vue de se faire attribuer une somme destinée à restituer l’équilibre économique du contrat, plaider dans ce cadre que l’accord approuvé par les délibérations de la CCVU du 28 juillet 2014 contribuait à l’équilibre économique du contrat, faire valoir que l’annulation de ces délibérations, qui empêchait la mise en œuvre de cet accord, avait rompu cet équilibre, et réclamer une indemnité destinée à le rétablir. » En effet, selon la jurisprudence du Conseil d’État, toute indemnité qui dépasse la valeur amortie des investissements est à considérer comme une libéralité de la personne publique. Dans cette optique, toute indemnité supplémentaire, loin de rétablir l’équilibre économique, ne ferait que le rompre. Or, en l’espèce, la requérante avait depuis longtemps amorti ses investissements lorsqu’elle entra dans le contrat de concession de service public, ce que personne ne conteste ; ainsi tout recours ultérieur destiné à récupérer la moindre indemnisation supplémentaire aurait été voué à l’échec.

Urbanisation en continuité – Hameau

CAA de MARSEILLE – 1ère chambre

  • N° 22MA00351
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 28 septembre 2023

Président

  1. PORTAIL

Rapporteur

  1. Arnaud CLAUDÉ-MOUGEL

Rapporteur public

  1. QUENETTE

Avocat(s)

SCP PLANTARD ROCHAS & VIRY

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C… épouse B… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler le certificat d’urbanisme du 28 février 2019 par lequel le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard a, au nom de l’Etat, considéré non-réalisable la construction d’une maison individuelle sur son terrain situé au lieu-dit D… et cadastré section OC n° 299.

Par un jugement n° 1903188 du 23 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a annulé ce certificat d’urbanisme et a enjoint au maire de Saint-Jacques-en-Valgodemard, au nom de l’Etat, de procéder au réexamen de la demande de Mme C….

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2022, la ministre de la transition écologique demande à la Cour d’annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 novembre 2021.

Elle soutient que :
– le jugement attaqué est insuffisamment motivé et méconnaît les dispositions de l’article L. 9 du code de justice administrative ;
– le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le maire ne pouvait se fonder pour opposer le certificat d’urbanisme négatif contesté à la fois sur les dispositions de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme et celles de l’article L. 122-5 du même code ;
– le tribunal administratif a commis une erreur d’appréciation en estimant que la parcelle était en continuité avec un groupe de constructions au sens de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, Mme C… épouse B…, représentée par Me Plantard, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge l’Etat la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu’aucun des moyens de la requête n’est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Claudé-Mougel,
– les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;
– et les observations de Me Tramier, représentant Mme C… épouse B….

Considérant ce qui suit :

1. Mme C… épouse B…, propriétaire d’un terrain cadastré section OC n° 299 sur le territoire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard dans le département des Hautes-Alpes (05800), a demandé au maire de cette commune un certificat d’urbanisme opérationnel en vue d’y édifier une maison individuelle. Le 28 février 2019, le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard a délivré, au nom de l’Etat, à Mme C… épouse B… un certificat d’urbanisme indiquant que cette opération n’était pas réalisable. La ministre de la transition écologique demande à la Cour d’annuler le jugement du 23 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé ce certificat d’urbanisme et enjoint au maire de Saint-Jacques-en-Valgodemard de réexaminer la demande de Mme C… épouse B….

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Les articles L. 111-3 et L. 111-4 du code de l’urbanisme, qui ont repris les dispositions de l’article L. 111-1-2 du code désormais abrogées, interdisent en principe, en l’absence de plan local d’urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers ou de tout document d’urbanisme en tenant lieu, les constructions implantées  » en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune « , c’est-à-dire des parties du territoire communal qui comportent déjà un nombre et une densité significatifs de constructions. Cependant, il résulte des dispositions de l’article L. 122-5 du même code de l’urbanisme, qui reprend celles du III de l’article L. 145-3 du code désormais abrogées, que l’urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d’urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les  » groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants  » et qu’est ainsi possible l’édification de constructions nouvelles en continuité d’un groupe de constructions traditionnelles ou d’un groupe d’habitations qui, ne s’inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L’existence d’un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l’existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble.

3. En premier lieu, les dispositions de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme fixent un régime d’urbanisation limitée pour les communes classées en zone de montagne, qu’elles soient ou non dotées de plan d’urbanisme, qui diffère de celui fixé par l’article L. 111-3 du code applicable aux communes qui ne sont pas dotées d’un tel plan, et régissent dès lors entièrement la situation des communes classées en zone de montagne pour l’application de la règle de constructibilité limitée. Par suite, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, le maire de la commune de Saint-Jacques-en-Valgodemard, classée en zone de montagne, ne pouvait se fonder sur cet article pour délivrer le certificat litigieux.

4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que la parcelle cadastrée section OC n° 299 appartenant à Mme C… épouse B… est séparée des constructions composant le lieudit  » D… « , situé à un kilomètre du centre de la commune, par la route départementale D 16 A qui permet d’y accéder. Ce lieudit comprend un bâtiment communal, une église et quatre maisons d’habitations distantes les unes des autres de quelques mètres, qui peuvent être perçus comme appartenant à un même ensemble et ainsi être regardés, eu égard aux critères rappelés au point 2, comme un groupe d’habitations existant au sens des dispositions de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme. Toutefois, le terrain de la requérante s’ouvre sur des parcelles non bâties, et s’inscrit dans un compartiment de terrain à dominante agricole différent des bâtiments composant ce groupe d’habitation. Dès lors, la parcelle appartenant à Mme C… épouse B… ne peut être regardée comme se trouvant en continuité de ce groupe d’habitations au sens de ces mêmes dispositions, eu égard à la coupure d’urbanisation créée par la route départementale, nonobstant le lavoir et le calvaire se trouvant du même côté de cette route que cette parcelle.

5. Il résulte de ce qui précède que la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé le certificat d’urbanisme délivré 28 février 2019 à Mme C… épouse B… en raison de la méconnaissance de l’article L. 122-5 du code de l’urbanisme.

6. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés en première instance par Mme C… épouse B… ainsi qu’en appel.

7. En examinant si le terrain objet de la demande de certificat d’urbanisme entrait dans le champ des exceptions au principe de construction en continuité prévues par l’article L. 122-7 3ème alinéa du code de l’urbanisme, le maire de Saint-Jacques en Valgodemard n’a pas commis d’erreur de droit.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la régularité du jugement, que la ministre est fondée à demander l’annulation du jugement attaqué et le rejet de la demande présentée par Mme C… épouse B… devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur les frais de l’instance :

9. L’Etat n’étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées par Mme C… épouse B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées.

D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme C… épouse B… devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de Mme C… épouse B… fondées sur les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à Mme A… C… épouse B….
Copie en sera adressée à la commune de Saint-Jacques en Valgodemard.

UTN – Limite basse (surface)

CAA Nancy, 1ère chambre

  • N° 21NC02491
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 29 juin 2023

Président

  1. WALLERICH

Rapporteur

  1. Marc WALLERICH

Rapporteur public

Mme ANTONIAZZI

Avocat(s)

LEONEM AVOCATS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI de construction La Kaelberhutte, Mme T… Q…, M. L… Q…, M. et Mme L… N…, Mme A… E… et M. G… K…, Mme A… M…, Mme A… I…, Mme U… C…, M. D… O…, Mme F… O…, M. et Mme R… H…, Mme P… B… et M. J… B…, représentés par la SELARL Leonem Avocats, prise en la personne de Me David Bozzi, ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler l’arrêté du 28 mai 2019, par lequel le maire de la commune de Breitenbach a accordé un permis de construire trois yourtes et deux annexes à la SARL Un autre monde, ainsi que la décision du maire de la commune, du 13 août 2019, rejetant leur recours gracieux du 25 juillet 2019 tendant au retrait dudit permis.

Par un jugement n° 1907790 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ce recours.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 septembre 2021 et des mémoires complémentaires enregistrés le 21 mars 2023, le 24 avril 2023 et le 25 avril 2023 la SCI de construction La Kaelberhutte, Mme T… Q…, M. L… Q…, M. et Mme L… N…, Mme A… E… et M. G… K…, Mme A… M…, Mme A… I…, Mme U… C…, M. D… O…, Mme F… O…, M. et Mme R… H…, Mme P… B… et M. J… B… demandent à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 15 juillet 2021 ;

2°) d’annuler l’arrêté du 28 mai 2019 par lequel le maire de la commune de Breitenbach a accordé à la SARL Un autre monde un permis de construire trois yourtes et deux annexes, ainsi que la décision du maire de la commune du 13 août 2019 de rejet de leur recours gracieux tendant au retrait dudit permis ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Breitenbach et de la SARL Un autre monde, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils ont un intérêt à agir ;
– c’est à tort que les premiers juges ont écarté les moyens soulevés en première instance ;
– l’arrêté litigieux méconnaît les dispositions de l’article R. 431-30 du code de l’urbanisme ;
– les articles 1N, 2N et 11N du PLU méconnaissent les dispositions des articles L. 151-8, L. 151-11, L. 151-13 et L. 122-9 du code de l’urbanisme. Partant, et en vertu de l’application du principe de l’exception d’illégalité, l’arrêté litigieux est illégal eu égard aux dispositions immédiatement antérieures remises en vigueur ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions des articles 1N et 2N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 3N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 4N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 9N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article 10N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les dispositions de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme et de l’article 11N du règlement du PLU ;
– l’arrêté méconnaît les règles relatives aux unités touristiques nouvelles ;
– l’arrêté est illégal par voie d’exception, dès lors que l’autorisation de défrichement sur laquelle il repose est entachée d’illégalité ;
– l’arrêté est illégal en tant qu’il n’a pas fait l’objet d’une évaluation environnementale au sens du point 47 de l’annexe de l’article R. 122-2 du code de l’environnement.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 novembre 2021, le 17 avril 2023 et le 10 mai 2023, la SARL Un autre monde, représentée par la SELAS M et S…, prise en la personne de Me Laurent Keller, conclut au rejet de la requête, à l’annulation du jugement en tant qu’il a rejeté ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, à la condamnation des appelants à une somme de 46 280 euros augmentée de 36 632 euros sur ce même fondement, et à ce que soit mis à leur charge le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la requête est irrecevable dès lors que les requérants ne justifient d’un intérêt leur donnant qualité à agir ;
– les moyens présentés par les appelants ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 octobre 2022 et 13 avril 2023 au greffe de la cour, la commune de Breitenbach, représentée par la SCP Racine Strasbourg, prise en la personne de Me Anne-Claire Muller-Pistré, conclut au rejet de la requête, et à ce que soit mis à la charge des appelants, le versement d’une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la requête est irrecevable ;
– le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’autorisation de défrichement est inopérant ;
– tous les autres moyens ne sont pas fondés.

La clôture de l’instruction a été fixée au 25 mai 2023 par une ordonnance du 25 avril 2023.

Un mémoire complémentaire, enregistré le 25 mai 2023, a été présenté pour les requérants.

Un mémoire en défense complémentaire, enregistré le 25 mai 2023 a été présenté pour la commune de Breitenbach.

Ils n’ont pas été communiqués en application de l’article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de la santé publique ;
– l’arrêté du 7 septembre 2009 fixant les prescriptions techniques applicables aux installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Wallerich, président,
– les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
– et les observations de Me Juliac-Degrelle, pour la SCI de construction la Kaelberhutte et autres, ainsi que celles de Me Martinez-White, pour la SARL Un autre monde.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 28 mai 2019, le maire de la commune de Breitenbach a délivré un permis de construire trois yourtes et deux annexes sur un terrain situé au lieu-dit la Kaelberhutte à Breitenbach, à la SARL Un autre monde, sollicité le 7 mars 2019. La SCI de construction la Kaelberhutte et les autres requérants ont formulé un recours gracieux, tendant au retrait dudit permis. Ce recours a été rejeté par une décision du maire du 13 août 2019. Par une requête introduite devant le tribunal administratif de Strasbourg, les requérants ont sollicité l’annulation de l’arrêté du 28 mai 2019 et de la décision du 13 août 2019. Par un jugement du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande. La SCI de construction la Kaelberhutte et les autres requérants relèvent appel de ce jugement.

Sur la légalité interne de l’arrêté du 28 mai 2019 :

En ce qui concerne le moyen tiré de l’exception d’illégalité du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) de Breitenbach :

2. Aux termes de l’article L. 600-12 du code de l’urbanisme :  » Sous réserve de l’application des articles L. 600-12-1 et L. 442-14, l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur « . Aux termes de l’article L. 600-12-1 du même code :  » L’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l’utilisation du sol ou à l’occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d’illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet « .

3. Il résulte de l’article L. 600-12-1 du code de l’urbanisme que l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document local d’urbanisme n’entraine pas l’illégalité des autorisations d’urbanisme délivrées lorsque cette annulation ou déclaration d’illégalité repose sur un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet en cause. Il appartient au juge, saisi d’un moyen tiré de l’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, de vérifier d’abord si l’un au moins des motifs d’illégalité du document local d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation d’urbanisme. Un vice de légalité externe est étranger à ces règles, sauf s’il a été de nature à exercer une influence directe sur des règles d’urbanisme applicables au projet. En revanche, sauf s’il concerne des règles qui ne sont pas applicables au projet, un vice de légalité interne ne leur est pas étranger. En outre, lorsqu’un motif d’illégalité non étranger aux règles d’urbanisme applicables au projet est susceptible de conduire à remettre en vigueur tout ou partie du document local d’urbanisme immédiatement antérieur, le moyen tiré de l’exception d’illégalité du document local d’urbanisme à l’appui d’un recours en annulation d’une autorisation d’urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

4. Les requérants font valoir que les dispositions des articles 1N, 2N et 11N du règlement du PLU méconnaissent les articles L. 151-11, L. 151-13, L. 151-8 et L. 122-9 du code de l’urbanisme, et que le projet méconnaît les règles du document immédiatement antérieur.

5. Dans un premier temps, aux termes de l’article L. 151-11 du code de l’urbanisme, dans sa version applicable au litige :  » I.- Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut : / 1° Autoriser les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière du terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages ; / 2° Désigner, en dehors des secteurs mentionnés à l’article L. 151-13, les bâtiments qui peuvent faire l’objet d’un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l’activité agricole ou la qualité paysagère du site. Le changement de destination est soumis, en zone agricole, à l’avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, et, en zone naturelle, à l’avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. / II. – Dans les zones agricoles ou forestières, le règlement peut autoriser les constructions et installations nécessaires à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, lorsque ces activités constituent le prolongement de l’acte de production, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière sur le terrain sur lequel elles sont implantées et qu’elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages. L’autorisation d’urbanisme est soumise pour avis à la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers « . Aux termes de l’article L. 151-13 du même code :  » Le règlement peut, à titre exceptionnel, délimiter dans les zones naturelles, agricoles ou forestières des secteurs de taille et de capacité d’accueil limitées dans lesquels peuvent être autorisés : / 1° Des constructions ; / 2° Des aires d’accueil et des terrains familiaux locatifs destinés à l’habitat des gens du voyage au sens de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ; / 3° Des résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs. / Il précise les conditions de hauteur, d’implantation et de densité des constructions, permettant d’assurer leur insertion dans l’environnement et leur compatibilité avec le maintien du caractère naturel, agricole ou forestier de la zone. / Il fixe les conditions relatives aux raccordements aux réseaux publics, ainsi que les conditions relatives à l’hygiène et à la sécurité auxquelles les constructions, les résidences démontables ou les résidences mobiles doivent satisfaire. / Ces secteurs sont délimités après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l’article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime. /Leur caractère exceptionnel s’apprécie, entre autres critères, en fonction des caractéristiques du territoire, du type d’urbanisation du secteur, de la distance entre les constructions ou de la desserte par les réseaux ou par les équipements collectifs « . Aux termes de l’article R. 151-25 du même code :  » Peuvent être autorisées en zone N : (…) 2° Les constructions, installations, extensions ou annexes aux bâtiments d’habitation, changements de destination et aménagements prévus par les articles L. 151-11, L. 151-12 et L. 151-13, dans les conditions fixées par ceux-ci « . Aux termes de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme :  » Les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard « .

6. Il résulte de la combinaison de ces articles que des constructions autres que celles nécessaires à des équipements collectifs ou à la transformation, au conditionnement et à la commercialisation des produits agricoles, ainsi que les changements de destination, ne sont autorisées en zone naturelle que si elles sont insérées dans l’environnement et compatibles avec le maintien du caractère naturel de la zone.

7. Il résulte de la combinaison des articles 1N et 2N du règlement du PLU, que sont autorisés en secteur NG3 :  » L’aménagement et la réfection des constructions existantes ;/ L’extension limitée à 20% de l’emprise au sol existante à la date d’approbation du PLU des constructions existantes. / Les installations d’hébergement temporaire touristique démontable et sans dalle (yourtes), ainsi que les installations qui y sont liées « . Aussi, l’article 11N du règlement du PLU dispose que :  » 5. Les toitures devront être conçues de façon à reprendre l’esprit des formes des yourtes (toiture à pan concave ou à un seul pan par exemple) / 6. Les façades des constructions annexes (sanitaires) devront être traitées en matériaux rappelant celles des yourtes ou en matériaux rappelant l’aspect bois ou l’aspect « pierres ». / 7 ; Les constructions annexes aux yourtes devront être recouvertes d’une toiture végétalisée. Lorsqu’elles sont corrélées à au moins deux yourtes, les constructions annexes (sanitaires) devront être contiguës. / 8. Le traitement des yourtes et de leurs annexes devra être harmonieux sur l’ensemble du site « .

8. Les requérants font valoir que la zone NG3 n’est pas constituée en secteur de taille et de capacité limitées et que, par conséquent, le périmètre de ce secteur a été fixé en méconnaissance des articles L. 151-11 et L. 151-13 du code de l’urbanisme. De même, ils considèrent que les occupations du sol autorisées au sein de cette zone ne permettent pas de maintenir le caractère montagnard, naturel et forestier du site, dès lors qu’elles nécessitent un important défrichement de la zone représentant une superficie de 0,7 hectares pour le projet litigieux. Les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme sont applicables au cas d’espèce, dès lors que le terrain d’assiette se situe dans un site inscrit du massif des Vosges. D’une part, il ressort des pièces du dossier que la commune détient environ 750 hectares de forêt, que la zone NG3 jouxte une zone AC de 7 hectares sur laquelle est implantée une exploitation agricole, qui s’ouvre sur une large zone naturelle où l’habitat est diffus et que la sensibilité paysagère de la zone est qualifiée de  » faible à moyenne « , hors axe de vision principal et point de vue. Ainsi et en tout état de cause, eu égard à une analyse globale de la situation, si le secteur NG3 n’a pas été formellement délimité en secteur de taille et de capacité limitées, il n’en demeure pas moins qu’il reste circonscrit à 1,36 hectares et que, si la réalisation du projet nécessite effectivement un défrichement, les articles 1N et 2N du règlement PLU ne sont pas incompatibles avec les exigences de préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. D’autre part, les dispositions relatives à l’aspect extérieur, tendent à insérer les yourtes, autant que faire se peut, dans leur environnement, en prévoyant notamment la mise en place d’une toiture végétalisée et le rappel de l’aspect bois ou pierre pour les annexes, le tout afin de rendre harmonieuse l’intégralité du projet dans son environnement. Ainsi, si la construction de yourtes n’est pas ordinaire sur le territoire de la commune de Breitenbach, et plus généralement dans la région concernée, il n’en demeure pas moins que le PLU exige qu’elles s’intègrent au mieux dans le paysage et le patrimoine naturel et culturel montagnard. Par conséquent, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions des articles 1N, 2N et 11N seraient incompatibles avec les exigences de préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel, culturel et montagnard. Partant, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les articles 1N, 2N et 11N du règlement du PLU méconnaîtraient les articles L. 122-9, L. 151-11 et L. 151-13 du code de l’urbanisme.

9. Les requérants font valoir que la création du secteur NG3 est incohérente avec les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables, notamment avec ses orientations A1, A4, A5, B2 et C2, en tant qu’elle conduit nécessairement à un étalement urbain en dehors de l’enveloppe urbaine, à modifier la topographie naturelle du terrain, à l’urbanisation d’un secteur agricole et naturel, à un important déboisement, à nuire à la qualité écologique et paysagère, ainsi qu’aux continuités écologiques, et à la destruction d’une partie de la ressource ligneuse de la commune, et que, dès lors, elle méconnaît les dispositions de l’article L. 151-8 du code de l’urbanisme.

10. Aux termes de l’article L. 151-5 du code de l’urbanisme :  » Le projet d’aménagement et de développement durables définit : 1° Les orientations générales des politiques d’aménagement, d’équipement, d’urbanisme, de paysage, de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers, et de préservation ou de remise en bon état des continuités écologiques ; (…) Il ne peut prévoir l’ouverture à l’urbanisation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers que s’il est justifié, au moyen d’une étude de densification des zones déjà urbanisées, que la capacité d’aménager et de construire est déjà mobilisée dans les espaces urbanisés. Pour ce faire, il tient compte de la capacité à mobiliser effectivement les locaux vacants, les friches et les espaces déjà urbanisés pendant la durée comprise entre l’élaboration, la révision ou la modification du plan local d’urbanisme et l’analyse prévue à l’article L. 153-27. « . Aux termes de l’article L. 151-8 du même code :  » Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols permettant d’atteindre les objectifs mentionnés aux articles L. 101-1 à L. 101-3 « .

11. Pour apprécier la cohérence ainsi exigée au sein du plan local d’urbanisme entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durables, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire couvert par le document d’urbanisme, si le règlement ne contrarie pas les orientations générales et objectifs que les auteurs du document ont définis dans le projet d’aménagement et de développement durables, compte tenu de leur degré de précision. Par suite, l’inadéquation d’une disposition du règlement du plan local d’urbanisme à une orientation ou un objectif du projet d’aménagement et de développement durables ne suffit pas nécessairement, compte tenu de l’existence d’autres orientations ou objectifs au sein de ce projet, à caractériser une incohérence entre ce règlement et ce projet.

12. En premier lieu, eu égard au caractère intégralement démontable de l’ensemble des installations projetées et à leur nombre limité, le projet autorisé ne conduit pas à un étalement urbain en dehors du centre urbanisé de la commune. En second lieu, si la topographie du terrain à vocation à être modifiée, il ressort des pièces du dossier que pour la construction de la yourte n°1, le terrain ne sera pas modifié, que pour la construction des annexes ainsi que celle des yourtes n°2 et n° 3, la topographie naturelle du terrain sera légèrement modifiée, du fait d’une retenue des terres nécessaire à l’implantation de la structure, afin de stabiliser le terrain, mais que la pente naturelle a vocation à être conservée. De plus, si la réalisation du projet conduit effectivement à un défrichement, son étendue sera limitée et son impact visuel faible eu égard à la surface forestière du ban communal, et son absence d’incompatibilité avec la préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard. Par ailleurs la ressource ligneuse ne sera pas substantiellement réduite. Enfin, en ce qui concerne la préservation des continuités écologiques, la réalisation de projets autorisés en zone NG3 implique un défrichement d’une partie de la forêt. Par conséquent il ne ressort pas des pièces du dossier que la création de la zone NG3, eu égard à sa superficie, à son emplacement et aux règles qui encadrent les constructions qu’elle autorise, révèle une incohérence avec les objectifs mentionnés par les requérants, alors au demeurant que le PADD poursuit également l’objectif d’encourager le développement économique en valorisant le potentiel touristique et naturel du territoire comme source d’économie locale

13. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’exception d’illégalité du règlement de PLU de Breitenbach doit être écarté tel qu’il est articulé, et en toutes ses branches.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R.431-30 du code de l’urbanisme :

14.Aux termes de l’article R. 431-30 du code de l’urbanisme :  » Lorsque les travaux projetés portent sur un établissement recevant du public, la demande est accompagnée des dossiers suivants, fournis en trois exemplaires :/ a) Un dossier permettant de vérifier la conformité du projet avec les règles d’accessibilité aux personnes handicapées, comprenant les pièces mentionnées aux articles R. 111-19-18 et R. 111-19-19 du code de la construction et de l’habitation ;/ b) Un dossier permettant de vérifier la conformité du projet avec les règles de sécurité, comprenant les pièces mentionnées à l’article R. 123-22 du même code « . Aux termes de l’article R. 111-19-18 du code de la construction et de l’habitation :  » Le dossier, mentionné au a de l’article R. 111-19-17, comprend les pièces suivantes (…) : 3° Une notice expliquant comment le projet prend en compte l’accessibilité aux personnes handicapées, en ce qui concerne : / a) Les dimensions des locaux et les caractéristiques des équipements techniques et des dispositifs de commande utilisables par le public qui sont définis par arrêté du ministre chargé de la construction ; / b) La nature et la couleur des matériaux et revêtements de sols, murs et plafonds ; / c) Le traitement acoustique des espaces ; / d) Le dispositif d’éclairage des parties communes « .

15. Les insuffisances affectant le dossier de demande de permis de construire au regard des prescriptions de l’article R. 111-19-18 du code de la construction et de l’habitation n’entachent d’illégalité la décision que si, compte tenu de la nature de la construction projetée et de ces insuffisances ainsi que des autres pièces dont elle dispose pour y suppléer, l’autorité compétente n’a pas été mise à même de s’assurer que les conditions d’accès à l’établissement des personnes handicapées respectent la réglementation.

16.Les requérants font valoir que le dossier de demande de permis de construire est incomplet, dès lors que la notice d’accessibilité ne contient aucun élément relatif au traitement acoustique des espaces et au dispositif d’éclairage des parties communes. Ils estiment que ces omissions n’ont pas permis au service instructeur d’apprécier la conformité du projet aux règles d’accessibilité. Or, si la notice d’accessibilité ne fait effectivement pas état du traitement acoustique des espaces, pas plus que du dispositif d’éclairage des parties communes, la notice de sécurité mentionne les matériaux utilisés pour la construction des yourtes, qui permettent d’évaluer l’isolation acoustique des lieux. En revanche, les pièces du dossier ne mentionnent pas les éléments relatifs au dispositif d’éclairage des parties communes. Il s’ensuit qu’aucun élément du dossier de demande de permis ne permettait au service instructeur d’apprécier le respect, par le dispositif envisagé, des dispositions en vigueur en la matière. Néanmoins, il s’agit du seul élément manquant. Par conséquent, cette seule omission n’a pas été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. Partant, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’arrêté du 28 mai 2019 méconnaît les dispositions de l’article R.431-30 du code de l’urbanisme.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des articles 1N et 2N du règlement du PLU de Breitenbach :

17. Aux termes de l’article 1N du règlement du PLU :  » Toutes les occupations et utilisations du sol non autorisées sous conditions particulières à l’article 2N sont interdites « . Aux termes de l’article 2N :  » En sous-secteur NG3 sont admis, en sus des OUS admises dans toute la zone : / 14. L’aménagement et la réfection des constructions existantes ;/ 15. L’extension limitée à 20% de l’emprise au sol existante à la date d’approbation du PLU des constructions existantes. / 16. Les installations d’hébergement temporaire touristique démontable et sans dalle (yourtes), ainsi que les installations qui y sont liées « .

18. Contrairement à ce qu’ils soutiennent, l’article 2N du règlement du PLU n’interdit pas la réalisation de terrassement pour les places de stationnement, que nécessiteront la construction des yourtes, pour stationner les véhicules des personnes hébergées dans ces yourtes. Le moyen précité ne peut dès lors qu’être écarté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3N du règlement du PLU de Breitenbach :

19. Aux termes de l’article 3N du règlement du PLU :  » Les voies publiques ou privées doivent avoir des caractéristiques adaptées à l’approche du matériel de lutte contre l’incendie, des véhicules d’enlèvement des ordures ménagères et aux opérations qu’elles doivent desservir « .

20. Si les requérants font valoir que le chemin d’accès au terrain d’assiette du projet, qui mesure un peu moins de trois mètres de large, ne permet pas une desserte suffisante et présente une certaine dangerosité, compte tenu notamment de la capacité d’accueil maximale des yourtes d’une cinquantaine de personnes en journée, et des conditions météorologiques hivernales qui entraînent, en cas de neige, un rétrécissement de la chaussée praticable, il ressort des pièces du dossier, comme l’ont relevé les premiers juges, que ce chemin dessert, outre le terrain d’assiette du projet, uniquement la yourte déjà installée par la société pétitionnaire, qui a vocation à intégrer le nouveau projet, ainsi que la ferme exploitée par l’un des requérants, et est donc déjà emprunté par des véhicules, sans qu’il ne soit établi que des problèmes particuliers de sécurité et d’accès se seraient déjà posés. Compte tenu de la vocation touristique du projet, de sa taille et de sa capacité d’accueil limitées, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’emplacement des places de stationnement, la végétation qui l’entoure et l’accroissement de fréquentation du chemin seraient de nature à le rendre plus dangereux. Le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 3N du règlement du plan local d’urbanisme pourra également être écarté.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4N du règlement du PLU de Breitenbach :

21. Aux termes de l’article 4N du règlement du PLU :  » 2. En l’absence de réseau collectif de distribution d’eau potable, le captage, forage ou puits particulier devront préalablement être autorisés et réalisés dans les conditions fixées par la réglementation en vigueur (…) / 4. A défaut de de réseau d’assainissement collectif, l’assainissement autonome est admis sous réserve de respecter la réglementation en vigueur (…) « . Aux termes de l’article 5 de l’arrêté du 7 septembre 2009 fixant les prescriptions techniques applicables aux installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique inférieure ou égale à 1,2 kg/j de DBO5 :  » 4° Le dimensionnement de l’installation exprimé en nombre d’équivalents-habitants est égal au nombre de pièces principales au sens de l’article R. 111-1-1 du code de la construction et de l’habitation, à l’exception des cas suivants, pour lesquels une étude particulière doit être réalisée pour justifier les bases de dimensionnement : /les établissements recevant du public, pour lesquels le dimensionnement est réalisé sur la base de la capacité d’accueil ; (…) « .

22. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l’avis de l’Agence régionale de santé du 11 avril 2019, que la mise en œuvre du dispositif d’alimentation en eau potable ne nécessitait qu’une déclaration, qui a, par ailleurs, été réalisée. De plus, le syndicat des eaux et de l’assainissement d’Alsace-Moselle a attesté, le 26 mars 2019, de la conformité du projet aux exigences réglementaires relatives à l’assainissement autonome en vigueur, au vu du dossier de demande de permis de construire comportant le nombre et le type de constructions, ainsi que la capacité d’accueil maximale. Ainsi, il ressort de cette attestation que le dimensionnement de l’installation d’assainissement autonome peut être déterminé eu égard aux nombres de pièces principales. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 4N du règlement du PLU doit être écarté comme non fondé.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 9N du règlement du PLU de Breitenbach :

23. Aux termes de l’article 9N du règlement du PLU :  » En sous-secteur NG3, l’emprise au sol cumulée des constructions nouvelles à usage d’hébergement touristique est limitée à 300 m² par unité foncière, y compris les installations techniques (sanitaires) « .

24. Les requérants se prévalent d’une erreur de calcul, dès lors que selon eux l’emprise au sol serait de 292,52 mètres carrés, et non de 271,80 mètres carrés, tel qu’indiqué sur le plan de masse. Or, il s’avère que cette erreur a déjà été rectifiée, à juste titre, par les juges de première instance, qui ont porté l’emprise au sol à 297,52 mètres carrés, résultant des données des plans de masse produits prenant en compte la construction d’une yourte de huit mètres de diamètre, soit une emprise au sol de 50,26 mètres carrés, de deux yourtes de sept mètres de diamètre, soit une emprise au sol de 38,48 mètres carrés chacune, de deux bâtiments annexes d’une emprise au sol de 117 et 48,3 mètres carrés, et de panneaux photovoltaïques d’une emprise au sol de cinq mètres carrés.

25. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ne devaient pas être prises en compte la surface de la citerne d’eau, qui sera enterrée, ni celle des places de stationnement, qui ne feront l’objet d’aucun aménagement, à l’exception de la place PMR qui nécessitera un terrassement en terre pour stabiliser le sol, ni celle du cheminement en bois et les plateformes d’accès aux yourtes, dont il n’est pas établi qu’il serait de nature à créer de l’emprise au sol.

26. Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 9N du règlement du PLU n’est pas fondé.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 10N du règlement du PLU de Breitenbach :

27. Aux termes des règles générales du règlement du PLU :  » La hauteur des constructions est mesurée par rapport au niveau moyen du terrain d’assiette avant travaux éventuels d’affouillement ou d’exhaussement du sol nécessaires à la réalisation du projet et le point le plus haut du plan de toiture (faîtage ou sommet de l’acrotère) « . Aux termes de l’article 10N du règlement du PLU, en sous-secteur NG3 :  » La hauteur maximale des constructions est fixée à 5 mètres hors tout « .

28. Si les requérants soutiennent que les yourtes seront visibles depuis le chemin d’accès et leurs habitations à une hauteur supérieure à celle autorisée, la vue qu’ils auront est sans incidence sur le respect des règles de hauteur au sens réglementaire du terme. Par ailleurs, les requérants font valoir que les règles de hauteur ne sont pas respectées, dès lors qu’il n’y a pas un seul point de référence comme l’exige le PLU, et que la yourte n° 3 représente selon eux une hauteur de 5,75 mètres. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune des yourtes ne dépasse la hauteur autorisée par rapport au niveau moyen du terrain d’assiette, calculé par bâtiment, en fonction des mesures du terrain naturel mentionnées sur les plans de masse, propres à chacun de ces bâtiments. Si, la hauteur a été calculée à partir d’un point de référence différent pour chacune des constructions, il n’apparaît pas que cette méthode soit contraire aux dispositions du règlement du PLU alors que au demeurant la méthode proposée par les requérants ne permet pas d’obtenir une valeur exacte du niveau moyen du terrain d’assiette qui s’étend bien au-delà de l’emprise des constructions. De plus, il ressort des pièces du dossier que toutes les yourtes sont inférieures à 5 mètres de haut. Partant, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’arrêté contesté méconnaît les dispositions de l’article 10N du règlement du PLU.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme et de l’article 11N du règlement du PLU de Breitenbach :

29. Aux termes de l’article R. 111-1 du code de l’urbanisme :  » Le règlement national d’urbanisme est applicable aux constructions et aménagements faisant l’objet d’un permis de construire, d’un permis d’aménager ou d’une déclaration préalable ainsi qu’aux autres utilisations du sol régi par le présent code. / Toutefois les dispositions des articles R. 111-3, R. 111-5 à R. 111-19 et R. 111-28 à R. 111-30 ne sont pas applicables dans les territoires dotés d’un plan local d’urbanisme ou d’un document d’urbanisme en tenant lieu « . Aux termes de l’article R. 111-27 du même code :  » Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales « . Aux termes de l’article 11N du règlement du PLU :  » 1. L’autorisation de construire peut-être refusée ou n’être accordée que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, ainsi qu’aux paysages naturels ou urbains. 2. La création de talus ou remblais artificiels est interdite. 3. Les matériaux de surfaces extérieures des bâtiments à implanter devront être traités de manière à optimiser l’insertion des bâtiments dans leur environnement en évitant les teintes vives. Ils devront être d’aspect naturel, non réfléchissants et dans des teintes qui s’insèrent dans leur environnement proche. 4. Les dispositifs d’exploitation d’énergie renouvelable sont autorisés sur les bâtiments. / DE PLUS, EN SOUS-SECTEUR NG3 / 5. Les toitures devront être conçues de façon à reprendre l’esprit des formes des yourtes (toiture à pan concave ou à un seul pan par exemple). / 6. Les façades des constructions annexes (sanitaires) devront être traitées en matériaux rappelant celles des yourtes ou en matériaux rappelant l’aspect bois ou l’aspect « pierres ». / 7. Les constructions annexes aux yourtes devront être recouvertes d’une toiture végétalisée. Lorsqu’elles sont corrélées à au moins deux yourtes, les constructions annexes (sanitaires) devront être contiguës. / 8. Le traitement des yourtes et de leurs annexes devra être harmonieux sur l’ensemble du site « .

30. Dès lors qu’elles ont le même objet que celles de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme et qu’elles posent des exigences qui ne sont pas moindres, c’est par rapport aux dispositions du règlement du plan local d’urbanisme que doit être appréciée la légalité de la décision attaquée.

31. En l’espèce, les requérants soutiennent, en se fondant notamment sur l’avis défavorable émis par l’architecte des bâtiments de France, en date du 22 mars 2019, que le projet litigieux est de nature à porter atteinte au caractère et à l’intérêt des paysages naturels caractéristiques du site inscrit du massif des Vosges, ainsi qu’au caractère des lieux avoisinants, dès lors qu’il implique un défrichement de 0,7 hectares, la suppression à venir d’arbres, la modification de la pente du terrain naturel, la rupture avec le patrimoine local alsacien et les habitations avoisinantes.

32. Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux points précédents, la zone NG3 est un secteur de taille et capacité d’accueil limitées, dans lequel l’implantation de yourtes a été spécifiquement autorisée, sous réserve de respecter certaines caractéristiques propres à ce type d’habitat, que le projet litigieux respecte. La circonstance que le projet nécessite un défrichement de 0,7 hectares ne porte aucune atteinte aux lieux avoisinants dès lors que le projet est implanté en limite d’une grande clairière et que ce défrichement reste limité au regard de l’étendue de boisement qui entoure le site. Enfin, ni le projet, dans son essence même, ni les installations nécessitées par celui-ci telles que la pose de panneaux photovoltaïques d’une emprise au sol de cinq mètres carrés et d’une citerne d’eau enterrée ne sont contraire à l’article 11N ni de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, ainsi qu’aux paysages naturels, alors même que ce type d’habitat est insolite et peu répandu dans le massif vosgien, et en dépit du fait que l’architecte des bâtiments de France a émis un avis défavorable au projet.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance des règles relatives aux unités touristiques nouvelles :

33. Aux termes de l’article L. 122-15 du code de l’urbanisme :  » Le développement touristique et, en particulier, la création ou l’extension des unités touristiques nouvelles prennent en compte les communautés d’intérêt des collectivités territoriales concernées et la vulnérabilité de l’espace montagnard au changement climatique. Ils contribuent à l’équilibre des activités économiques et de loisirs, notamment en favorisant la diversification des activités touristiques ainsi que l’utilisation rationnelle du patrimoine bâti existant et des formules de gestion locative des constructions nouvelles. / La localisation, la conception et la réalisation d’une unité touristique nouvelle doivent respecter la qualité des sites et les grands équilibres naturels « . Aux termes de l’article L. 122-16 du même code :  » Toute opération de développement touristique effectuée en zone de montagne et contribuant aux performances socio-économiques de l’espace montagnard constitue une  » unité touristique nouvelle « , au sens de la présente sous-section « . L’article L. 122-17 du même code dispose que :  » Constituent des unités touristiques nouvelles structurantes : / 1° Celles dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat ; / 2° Le cas échéant, celles définies comme structurantes pour son territoire par le document d’orientation et d’objectifs du schéma de cohérence territoriale, dans les conditions prévues à l’article L. 141-23 « . Aux termes de l’article R. 122-8 du même code :  » Constituent des unités touristiques nouvelles structurantes pour l’application du 1° de l’article L. 122-17 les opérations suivantes : / 1° La création, l’extension ou le remplacement de remontées mécaniques, lorsque ces travaux ont pour effet : / a) La création d’un nouveau domaine skiable alpin ; / b) L’augmentation de la superficie totale d’un domaine skiable alpin existant, dès lors que cette augmentation est supérieure ou égale à 100 hectares ; / 2° Les liaisons entre domaines skiables alpins existants ; / 3° Les opérations de construction ou d’extension d’hébergements et d’équipements touristiques d’une surface de plancher totale supérieure à 12 000 mètres carrés, à l’exclusion des logements à destination des personnels saisonniers ou permanents des équipements et hébergements touristiques ;/ 4° L’aménagement, la création et l’extension de terrains de golf d’une superficie supérieure à 15 hectares ;/ 5° L’aménagement de terrains de camping d’une superficie supérieure à 5 hectares ;/ 6° L’aménagement de terrains pour la pratique de sports ou de loisirs motorisés d’une superficie supérieure à 4 hectares :/ 7° Les travaux d’aménagement de pistes pour la pratique des sports d’hiver alpins, situés en site vierge au sens du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement d’une superficie supérieure à 4 hectares ;/ 8° La création d’une remontée mécanique n’ayant pas pour objet principal de desservir un domaine skiable, pouvant transporter plus de dix mille voyageurs par jour sur un dénivelé supérieur à 300 mètres « . Aux termes de l’article L. 122-18 du code de l’urbanisme :  » Constituent des unités touristiques nouvelles locales : / 1° Celles dont la liste est fixée par décret en Conseil d’Etat ; / 2° Le cas échéant, celles définies par le plan local d’urbanisme, dans les conditions prévues au II de l’article L. 151-7 « . Aux termes de l’article R. 122-9 du même code :  » Constituent des unités touristiques nouvelles locales, pour l’application du 1° de l’article L. 122-18 : / 1° La création, l’extension ou le remplacement de remontées mécaniques, lorsqu’ils ont pour effet l’augmentation de plus de 10 hectares et de moins de 100 hectares d’un domaine skiable alpin existant ; / 2° L’aménagement, la création et l’extension de terrains de golf d’une superficie inférieure ou égale à 15 hectares ;/ 3° Les opérations suivantes, lorsqu’elles ne sont pas situées dans un secteur urbanisé ou dans un secteur constructible situé en continuité de l’urbanisation : / a) La création ou l’extension, sur une surface de plancher totale supérieure à 500 mètres carrés, d’hébergements touristiques ou d’équipements touristiques ; / b) L’aménagement de terrains de camping d’une superficie comprise entre 1 et 5 hectares ; / c) La création de refuges de montagne mentionnés à l’article L. 326-1 du code du tourisme, ainsi que leur extension pour une surface de plancher totale supérieure à 200 mètres carrés « .

34. Les requérants font valoir que le projet constitue une unité touristique nouvelle au sens de l’article L. 122-16 du code de l’urbanisme et qu’il méconnaît les dispositions de l’article L. 122-15 du même code, dès lors qu’il porte une atteinte grave à la qualité des sites et aux grands équilibres naturels du massif vosgien. Or, il ressort des pièces du dossier que le projet ne saurait constituer une unité touristique nouvelle, soumise à un régime spécifique, dès lors qu’il créé une surface de plancher limitée de 211 mètres carrés inférieure à la surface de 500 m2 mentionnée à l’article R. 122-9 du code de l’urbanisme. Par conséquent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’arrêté contesté méconnaît les dispositions relatives aux unités touristiques nouvelles.

Sur le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’autorisation de défrichement délivrée le 5 avril 2018 :

35. Une autorisation de défrichement ne forme pas avec un permis de construire une opération complexe, de sorte que les illégalités d’une autorisation de défrichement devenue définitive, ne sauraient être invoquées à l’appui de conclusions dirigées contre un permis de construire.

36. Les requérants font valoir que l’arrêté contesté est illégal par voie d’exception, dès lors que l’autorisation de défrichement sur laquelle il repose est elle-même entachée d’illégalité, en tant que le maire aurait excédé l’autorisation accordée par le conseil municipal, en la sollicitant auprès du préfet. Or, il ressort des pièces du dossier que l’autorisation de défricher a été délivrée le 5 avril 2018 et n’a fait l’objet d’aucune contestation dans le délai de deux mois suivant son affichage pour les tiers et suivant sa notification pour le bénéficiaire. Ainsi, la décision est devenue définitive. Partant, le moyen tiré de l’exception d’illégalité de l’autorisation de défrichement ne peut qu’être écarté.

Sur le moyen tiré de l’absence d’évaluation environnementale :

37. Aux termes du point 47 de l’annexe de l’article R. 122-2 du code de l’environnement, sont soumis à évaluation environnementale,  » les défrichements portant sur une superficie totale, même fragmentée, égale ou supérieure à 25 hectares « . Sont soumis à un examen au cas par cas,  » Les défrichements soumis à autorisation au titre de l’article L. 341-1 du code forestier en vue de la reconversion des sols, portant sur une superficie totale, même fragmentée, de plus de 0,5 hectares « , ainsi que  » les autres déboisements en vue de la reconversion des sols, portant sur une superficie totale, même fragmentée, de plus de 0,5 hectares « .

38. Le préfet de la région Grand Est a été saisi sur le fondement des dispositions précitées, pour un projet portant sur la réalisation de trois yourtes ainsi que des aménagements paysagers constitués de haies sauvages, d’aménagements de lisières, de la plantation d’un verger de hautes tiges et de la création d’une mare, comportant un défrichement de 0,7 hectares et un changement de destinations des sites. L’autorité administrative compétente a décidé, après avoir relevé que le projet se situait dans un massif forestier de 750 hectares, en dehors d’un zonage environnemental caractéristique d’une sensibilité particulière et qu’au regard des éléments fourmis par le pétitionnaire le projet n’est pas susceptible d’impacter notablement l’environnement et la santé, que ce projet n’était pas soumis à évaluation environnementale par une décision du 26 février 2018. Si le projet soumis a été modifié par l’adjonction de deux bâtiments annexes, destinés à la cuisine et aux sanitaires, il n’apparaît pas, eu égard au caractère mineur des adaptations en cause, qu’il aurait dû faire l’objet d’une nouvelle saisine du préfet, alors que la surface de défrichement est demeurée inchangée.

39. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées en défense, les requérants ne sont pas fondés à demander l’annulation du jugement du 15 juillet 2021, de l’arrêté du 28 mai 2019 et de la décision du 13 août 2019 par laquelle le maire a rejeté leur recours gracieux du 25 juillet 2019.

Sur les conclusions présentées par la SARL Un autre monde, sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme :

40. Aux termes de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme :  » Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel « .

41. S’il résulte de l’instruction que la SARL Un autre monde démontre effectivement que la présente instance lui cause un important préjudice financier, il n’en ressort pas qu’il provienne d’un comportement abusif des requérants contestant l’arrêté du 28 mai 2019. Par conséquent, les conclusions à fin d’indemnisation présentées par la SARL Un autre monde, sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme, doivent être rejetées.

Sur les frais d’instance :

42. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Un autre monde et de la commune de Breitenbach, qui ne sont pas dans la présente instance les parties perdantes, la somme demandée par la SCI de construction La Kaelberhutte et les autres requérants, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la SCI de construction La Kaelberhutte et des autres requérants, le versement d’une somme de 1 500 euros à la SARL Un autre monde, ainsi que le versement d’une somme de 1 500 euros à la commune de Breitenbach, sur le même fondement.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI de construction La Kaelberhutte et des autres requérants est rejetée.
Article 2 : Les conclusions à fin d’indemnisation formulées sur le fondement de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme par la SARL Un autre monde sont rejetées.
Article 3 : Le versement d’une somme de 1 500 euros à la SARL Un autre monde, ainsi que le versement d’une somme de 1 500 euros à la commune de Breitenbach, sont mis à la charge de la SCI de construction la Kaelberhutte et des autres requérants, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI de construction la Kaelberhutte, représentant unique des autres requérants en application des dispositions de l’article R. 751-3 du code de justice administrative, à la commune de Breitenbach et à la SARL Un autre monde.

PLU (St-Gervais)/ Vices régularisables

CAA de LYON – 1ère chambre

  • N° 21LY02895
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 16 mai 2023

Président

Mme MEHL-SCHOUDER

Rapporteur

Mme Claire BURNICHON

Rapporteur public

  1. LAVAL

Avocat(s)

LIOCHON DURAZ

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L’association Fédération Rhône-Alpes de la Protection de la Nature section Haute-Savoie, devenue France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74), et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA), ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la délibération du 9 novembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Saint-Gervais a approuvé la révision n° 2 de son plan local d’urbanisme (PLU).

Par un jugement n° 1702614 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a, d’une part, annulé la délibération du conseil municipal de Saint-Gervais-les-Bains du 9 novembre 2016 en tant qu’elle a défini une zone AUD dans le secteur dit des Chosalets/Bétasses, une zone AUB du secteur de l’Essey et les OAP n° 6 et n° 7, et, d’autre part, sursis à statuer sur les conclusions en annulation de la zone AUBb du secteur du Bettex et de l’OAP n° 3, durant un délai de trente jours à compter de la notification du présent jugement dans l’attente des observations des parties.

Par un jugement n°1702614 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Grenoble a sursis à statuer sur les conclusions en annulation de la zone AUBb du secteur du Bettex et de l’OAP n° 3, durant un délai d’un an à compter de la notification du jugement.

Par une délibération du 10 février 2021, le conseil municipal de Saint-Gervais-les-Bains a approuvé la modification n° 3 du plan local d’urbanisme.
Par un jugement n° 1702614 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du conseil municipal de Saint-Gervais-les-Bains du 9 novembre 2016 et du 10 février 2021 en tant qu’elles ont défini une zone AUBb dans le secteur du Bettex et ont prévu l’OAP n° 3.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 27 août 2021, la commune de Saint-Gervais-Les-Bains, représentée par le cabinet CLDAA, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 5 juillet 2021 ;

2°) de rejeter les demandes des associations France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) ;

3°) de mettre à la charge de ces associations le versement solidaire de la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– le jugement attaqué est irrégulier en ce qu’il est insuffisamment motivé ;
– le rapport de présentation est suffisant, il précise l’objet de la modification ; les dispositions du 3° de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme ont été respectées ;
– les dispositions du 5° de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme ont été respectées en ce que le rapport de présentation décrit et analyse le fonctionnement de l’hydrosystème et précise que l’OAP vise en priorité la protection intégrale des zones humides, dans leur périmètre, comme dans leur fonctionnement et leur gestion ;
– l’orientation d’aménagement et de programmation n° 3 est cohérente avec le projet d’aménagement et de développement durables ; le jugement attaqué méconnaît l’article L. 151-6 du code de l’urbanisme ; l’OAP n° 3 a identifié les zones humides et la zone de compensation potentielle le cas échéant et elle a été complétée avec l’objectif de la protection intégrale des zones humides ;
– les autres moyens invoqués en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 mai 2022, l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA), représentées par la SELARL Morell Alart et Associés, concluent au rejet de la requête de la commune de Saint-Gervais-Les-Bains et à ce qu’il soit mis à la charge de la commune le versement de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
– le rapport de présentation est insuffisant en ce qu’il présente la modification n° 3 comme une erreur matérielle ; les dispositions du 3° de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme ont été méconnues et les cartes de l’étude environnementale sont insuffisantes ;
– les dispositions du 5° de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme ont été méconnues en ce que le rapport de présentation est insuffisant sur l’analyse et le fonctionnement de l’hydrosystème ainsi que sur l’évitement ; la compensation est inexistante et le rapport de présentation n’analyse pas les incidences de l’évolution du PLU sur les fonctionnalités de la zone humide détruite ;
– le tribunal s’est bien prononcé sur la cohérence, et non sur la compatibilité, de l’OAP n° 3 avec le PADD ; compte tenu des caractéristiques de l’OAP n° 3, les zones humides ne pourront pas être préservées dans leur intégralité ;
– le dossier d’enquête publique était insuffisant en l’absence de réponse de la commune à l’avis de la MRAe et le public a été privé de la connaissance des compléments annoncés par la commune ;
– les conclusions du commissaire enquêteur sont dépourvues d’une motivation suffisante et personnelle, en méconnaissance de l’article R. 123-19 du code de l’urbanisme, et il n’a pas fait preuve d’indépendance ;
– les vices entachant la délibération du 9 novembre 2016 n’ont pas été régularisés.

Par ordonnance du 20 mai 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 7 juin 2022.

Par lettre du 30 mars 2023, les parties ont été informées en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de l’irrecevabilité des moyens invoqués devant le tribunal administratif de Grenoble par l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) contre la légalité de la délibération litigieuse en l’absence d’appel de leur part et dirigé contre les jugements des 31 octobre 2019 et 12 mars 2020.
L’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) ont présenté des observations en réponse à ce moyen d’ordre public, qui ont été enregistrées le 19 avril 2023 et communiquées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
– les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
– les observations de Me Raffin pour l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA).

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 9 novembre 2016, le conseil municipal de la commune de Saint-Gervais-les-Bains a adopté la révision n° 2 de son plan local d’urbanisme (PLU). Par un jugement n° 1702614 du 31 octobre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette délibération du 9 novembre 2016 en tant qu’elle a défini une zone AUD dans le secteur dit des Chosalets/Bétasses, une zone AUB dans le secteur de l’Essey et les OAP nos 6 et 7. Il a également sursis à statuer sur les conclusions en annulation de la zone AUBb du secteur du Bettex et de l’OAP n° 3, pendant trente jours à compter de la notification du jugement, dans l’attente des observations des parties. Par un autre jugement n° 1702614 du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Grenoble a sursis à statuer sur les conclusions en annulation de la zone AUBb du secteur du Bettex et de l’OAP n° 3, pendant un an à compter de la notification du jugement. Suite à ce jugement avant dire droit, par un arrêté du 18 novembre 2019, une procédure de modification n° 3 a été prescrite. La mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) a rendu le 22 avril 2020 une décision après un examen au cas par cas relative à cette modification. Par une délibération du 10 février 2021 le conseil municipal, après une enquête publique qui a eu lieu du 24 décembre 2020 au 25 janvier 2021, a approuvé la modification n° 3 du PLU. La commune de Saint-Gervais-les-Bains relève appel du jugement du 5 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du 9 novembre 2016 et du 10 février 2021 en tant qu’elles ont défini une zone AUBb dans le secteur du Bettex et ont institué l’OAP n° 3.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En application de l’article L. 9 du code de justice administrative, les jugements doivent être motivés. Le tribunal administratif a suffisamment motivé son jugement en examinant le contenu du rapport de présentation et en l’appréciant au regard notamment de l’avis de la MRAe ainsi que la légalité de l’OAP n° 3 au regard des dispositions de l’article L. 151-6 du code de l’urbanisme. Il est dès lors suffisamment motivé. La circonstance que les premiers juges se soient fondés sur l’avis de la MRAe précité sans qu’une confrontation ne soit effectuée avec le contenu de l’évaluation environnementale reprise dans le rapport de présentation approuvé ne relève pas de la régularité du jugement mais de son bien-fondé, et le moyen tiré de l’irrégularité du jugement ne peut donc qu’être rejeté.
Sur la légalité des délibérations du 9 novembre 2016 et 10 février 2021 :

En ce qui concerne la régularisation des vices :
3. En premier lieu, aux termes de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme, alors en vigueur et désormais codifié à l’article R. 151-3 du même code :  » Lorsque le plan local d’urbanisme doit faire l’objet d’une évaluation environnementale conformément aux articles L. 121-10 et suivants, le rapport de présentation : (…) / 3° Analyse les incidences notables prévisibles de la mise en œuvre du plan sur l’environnement et expose les conséquences éventuelles de l’adoption du plan sur la protection des zones revêtant une importance particulière pour l’environnement telles que celles désignées conformément aux articles R. 214-18 à R. 214-22 du code de l’environnement ainsi qu’à l’article 2 du décret n° 2001-1031 du 8 novembre 2001 relatif à la procédure de désignation des sites Natura 2000 ; /(…) /5° Présente les mesures envisagées pour éviter, réduire et, si possible, compenser s’il y a lieu, les conséquences dommageables de la mise en œuvre du plan sur l’environnement et rappelle que le plan fera l’objet d’une analyse des résultats de son application, notamment en ce qui concerne l’environnement, au plus tard à l’expiration d’un délai de dix ans à compter de son approbation ; « .
4. D’une part, le rapport de présentation portant sur l’évaluation environnementale, dans sa version approuvée par le PLU en février 2021 (RP2) et réalisée dans le cadre de la modification n° 3 du PLU de Saint-Gervais-les-Bains, examine la nature des sols et les modalités d’alimentation de la zone humide en précisant notamment que la zone portant l’OAP du Bettex est alimentée par un bassin versant relativement restreint de douze hectares au sein du vaste versant Nord-Nord-Est du Mont d’Arbois, et étudie les pentes et directions d’écoulement, en indiquant ensuite que les deux autres  » patchs  » de zones humides à proximité du terrain de tennis résultent probablement de microfailles localement plus profondes ou de fuites latérales du milieu principal. Ce rapport comprend un plan schématique du bassin versant topographique actif dominant le terrain étudié localisant ce bassin et les écoulements des eaux superficielles, une vue globale de la topographie du site ainsi qu’une vue aérienne retraçant l’emprise de l’OAP n° 3, celle de l’étude pour l’expertise  » zone humide  » et celle des zones humides présentes sur le terrain. Il indique enfin, en conclusion, que l’expertise relative à la zone humide confirme la présence d’une zone humide sur une surface totale de 1 798 m² et qu’il n’existe pas de lien hydraulique entre la zone humide située sur l’emprise de l’OAP du Bettex et le milieu recensé plus au nord-ouest par l’inventaire départemental des zones humides, les sous-bassins versants alimentant chacune des zones étant très différents.

5. Ce RP2 comprend également une analyse de la modification sur le paysage, un examen du réseau écologique, de la ressource en eau, de la gestion de l’eau potable en matière d’assainissement et d’eaux pluviales, de la gestion des déchets, des sols et sous-sols, des ressources énergétiques, gaz à effets de serre et facteurs climatiques, de la qualité de l’air et du climat, du bruit et des risques naturels et technologiques. Ce RP2, dans le cadre de l’analyse de l’incidence de la modification du PLU sur la biodiversité et la dynamique écologique, comprend aussi une carte retraçant l’emprise de l’OAP n° 3, avec les zones anthropisées, les prairies de transition à hautes herbes et les points de relevés floristiques, entre-autres. En conséquence, ce rapport de présentation, qui a tenu compte des observations de la MRAe, analyse les incidences notables prévisibles de la mise en œuvre du plan sur les zones humides du secteur et les conséquences éventuelles de l’adoption du plan sur la protection de ces zones conformément aux dispositions précitées du 3° de l’article R. 123-2-1 du code de l’urbanisme.

6. D’autre part, ce même RP2 du PLU approuvé précise que  » l’OAP vise en priorité la protection intégrale des zones humides, dans leur périmètre, comme dans leur fonctionnement et leur gestion. Les aménagements veilleront à éviter les zones humides le long des courts de tennis et dans la bande inconstructible sous la remontée mécanique, ce qui correspond à une surface évitée d’environ 760m²  » et ajoute que, pour la zone humide qui ne pourra être évitée, celle-ci fera l’objet d’une compensation in situ et que, selon les sondages des sols réalisés sur la zone et les données hydrogéologiques, la seule dérivation des venues d’eaux des circulations superficielles permettront de restaurer un habitat similaire à celui observé sur la zone humide actuelle, dans des sols et un substratum de même nature et une situation topographique propice à cette solution. Il y est par ailleurs aussi mentionné que l’OAP intègre  » des espaces verts libres de constructions à conserver dans les secteurs d’exutoire des écoulements afin de recréer la végétation spontanée des milieux humides, de caractéristiques phytosociologiques similaires à la zone qui serait détruite et en connexion avec les zones humides conservées  » afin de garantir l’objectif d’équivalence fonctionnelle de la zone compensée avec la zone potentiellement impactée, et que la superficie maximum impactée de 1 038m² imposera le cas échéant une compensation sur 2 100 m² environ et l’absence totale de possibilité d’usage récréatif de la zone de compensation, compte tenu de la nature même des sols restaurés. L’ensemble de ces éléments permet de constater que le rapport de présentation de la modification n° 3 présente les mesures envisagées pour éviter, réduire et compenser s’il y a lieu, les conséquences dommageables de la mise en œuvre du plan sur l’environnement.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les vices entachant le rapport de présentation concernant les zones humides du secteur du Bettex ont été régularisés par la délibération du 10 février 2021.
8. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 151-6 du code de l’urbanisme :  » Les orientations d’aménagement et de programmation comprennent, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables [PADD], des dispositions portant sur l’aménagement, l’habitat, les transports, les déplacements et, en zone de montagne, sur les unités touristiques nouvelles « .
9. L’OAP n° 3  » Zone AUB du Bettex cœur de station « , telle que complétée par la modification n° 3 du PLU de Saint-Gervais-les-Bains, indique que l’objectif visé est la protection intégrale des zones humides, dans leur périmètre comme dans leurs fonctionnement et gestion, en précisant que tout aménagement ou construction devra veiller en premier lieu à éviter les zones humides. Elle précise également que si une telle mesure d’évitement n’est pas possible, l’impact potentiel sur ces zones devra être réduit et, qu’en dernier lieu, toute destruction d’une zone humide ou partie de zone humide devra être compensée en reprenant la mise en place des mesures de compensation in situ précisées par le RP2 mais en précisant que des espaces verts libres de construction devront être conservés dans les secteurs d’exutoire des écoulements afin de recréer la végétation spontanée des milieux humides de caractéristiques phytosociologiques similaires à la zone qui serait détruite et en connexion avec les zones humides conservées. L’OAP n° 3 comporte par ailleurs une carte localisant les zones humides, précise la structuration du projet autour d’un cœur de quartier ainsi que les espaces dédiés à la gestion des eaux pluviales, d’évitement et de compensation possible des zones humides. Compte tenu de ces éléments et alors que le PLU en tant que document de planification n’avait pas à préciser davantage la mise en œuvre de mesures de compensation en l’absence de projet défini sur le secteur, l’OAP n° 3 précitée comporte des objectifs et principes d’aménagement qui sont en cohérence avec l’objectif du PADD tendant à  » protéger la trame verte et bleue : espaces forestiers, espaces naturels de coupure d’urbanisation, les zones humides « .
10. Il résulte de ce qui précède que le vice entachant l’OAP n° 3 a été régularisé par la délibération du 10 février 2021.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Gervais-les-Bains est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble a considéré que les vices entachant la délibération du 9 novembre 2016 en tant qu’elle a défini une zone AUBb dans le secteur du Bettex et prévu l’OAP n° 3, n’avaient pas été régularisés par la délibération du 10 février 2021. Par ailleurs, en l’absence d’appel dirigé contre les jugements des 31 octobre 2019 et 12 mars 2020, l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) ne sont pas recevables à reprendre à leur compte l’argumentation développée devant le TA de Grenoble contre la légalité des délibérations litigieuses.
En ce qui concerne les vices propres de la procédure de régularisation :
12. Il résulte de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme que les parties à l’instance ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer en vue de permettre la régularisation de l’acte attaqué ne peuvent contester la légalité de l’acte pris par l’autorité administrative en vue de cette régularisation que dans le cadre de cette instance et qu’elles ne sont, en revanche, pas recevables à présenter devant le tribunal administratif une requête tendant à l’annulation de cet acte. Elles peuvent, à l’appui de la contestation de l’acte de régularisation, invoquer des vices affectant sa légalité externe et soutenir qu’il n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent soulever aucun autre moyen, qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant-dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.
13. En premier lieu, aux termes de l’article L. 153-19 du code de l’urbanisme :  » Le projet de plan local d’urbanisme arrêté est soumis à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement par le président de l’établissement public de coopération intercommunale ou le maire « . L’article R. 153-8 du même code prévoit que :  » Le dossier soumis à l’enquête publique est composé des pièces mentionnées à l’article R. 123-8 du code de l’environnement et comprend, en annexe, les différents avis recueillis dans le cadre de la procédure. / Il peut, en outre, comprendre tout ou partie des pièces portées à la connaissance de l’établissement public de coopération intercommunale compétent ou de la commune par le préfet (…) « .
14. Contrairement à ce que soutiennent les fédérations en défense, le rapport du commissaire-enquêteur énumère et synthétise les avis des personnes publiques associées et notamment l’avis de la MRAe et il cite également le mémoire de la commune de Saint-Gervais-les-Bains fait en réponse à cet avis, lesquels étaient joints au dossier d’enquête. Par ailleurs, ce mémoire en réponse indique clairement que le rapport de présentation RP2 sera complété et reprend les compléments qui ont été ajoutés en février 2021, permettant ainsi au public d’avoir connaissance des modifications apportées au rapport de présentation après l’enquête.
15. En deuxième lieu, aux termes de l’article R. 123-19 du code de l’environnement : « Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et examine les observations recueillies./Le rapport comporte le rappel de l’objet du projet, plan ou programme, la liste de l’ensemble des pièces figurant dans le dossier d’enquête, une synthèse des observations du public, une analyse des propositions produites durant l’enquête et, le cas échéant, les observations du responsable du projet, plan ou programme en réponse aux observations du public./ Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête consigne, dans une présentation séparée, ses conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables, favorables sous réserves ou défavorables au projet./(…) « .

16. Le commissaire-enquêteur, après avoir rappelé l’objet et le déroulement de la procédure de modification n° 3 et précisé ses apports, notamment dans le rapport de présentation, liste et analyse les avis des personnes publiques associées et notamment celui de la MRAe, ainsi que le mémoire en réponse de la commune produit avant enquête, puis analyse les observations formulées par le public et donne son avis sur ces dernières. Il ressort de ce rapport et des conclusions qu’il comporte que le commissaire a donné, en toute impartialité, un avis, qui est personnel, sur le projet de modification n° 3, en relevant également la possibilité d’inscrire le projet d’urbanisation du Bettex en évitant les deux zones humides et en recommandant à la commune d’étudier avec le concepteur du projet cette possibilité, qui permettrait de valoriser ces zones humides et de les intégrer dans les aménagements paysagers et peut-être même de les signaler à titre pédagogique avec une signalétique appropriée. Par suite, les dispositions de l’article R. 123-19 du code de l’environnement n’ont pas été méconnues.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Saint-Gervais-les-Bains est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du conseil municipal de Saint-Gervais-les-Bains du 9 novembre 2016 et du 10 février 2021 en tant qu’elles ont défini une zone AUBb dans le secteur du Bettex et prévu l’OAP n° 3.

Sur les frais d’instance :

18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Saint-Gervais-les-Bains, qui n’est pas la partie perdante, verse à l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et à l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) la somme qu’elles demandent au titre des frais non compris dans les dépens qu’elles ont exposés. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Saint-Gervais-les-Bains au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n°1702614 du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA) devant le tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par les parties tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Gervais-les-Bains, à l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74) et à l’association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA).
Délibéré après l’audience du 25 avril 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Camille Vinet, présidente assesseure,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Aides agricoles/ ZSCN/ ZSCS

CAA de LYON – 3ème chambre

  • N° 21LY03732
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 17 mai 2023

Président

  1. TALLEC

Rapporteur

Mme Sophie CORVELLEC

Rapporteur public

  1. DELIANCOURT

Avocat(s)

SELARL GC AVOCAT

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures

I. Par une requête enregistrée sous le numéro 1901530, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or, l’exploitation agricole à responsabilité limitée Cédric Bazin, le groupement agricole d’exploitation en commun Reconnu des Pralets, le groupement agricole d’exploitation en commun Jacotot, M. C… B…, le groupement agricole d’exploitation en commun de Bessey-en-Chaume, M. H… D…, M. F… A…, la société civile d’exploitation agricole de Flagny et la société à responsabilité limitée Domaine Guy Fouquerand ont demandé au tribunal administratif de Dijon :
1°) d’annuler l’arrêté du 27 mars 2019 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation et du ministre de l’économie et des finances portant délimitation des zones agricoles défavorisées ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Par une requête enregistrée sous le numéro 1903320, la Confédération paysanne de Côte-d’Or et M. E… G… ont demandé au tribunal administratif de Dijon :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a refusé de procéder à la publication au Journal officiel de l’annexe de l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées ;
2°) d’annuler l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées, en tant qu’il ne classe pas en zones soumises à des contraintes naturelles les communes d’Antheuil, Aubaine, Bessey-en-Chaume, Bévy, Bouhey, Bouilland, La Bussière-sur-Ouche, Clémencey, Collonges-lès-Bévy, Crugey, Curley, L’Etang-Vergy, Flavignerot, Fussey, Mavilly-Mandelot, Meloisey, Messanges, Quemigny-Poisot, Reulle-Vergy, Saint-Jean-de-Bœuf, Saint-Victor-sur-Ouche, Semezanges, Ternant, Thorey-sur-Ouche, Urcy et Cormot-Vauchignon, ensemble la décision portant rejet de leur recours gracieux ;
3°) d’annuler l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées, en tant qu’il ne classe pas en zones agricoles défavorisées les communes de Chamboeuf, Corcelles-les-Monts, Détain-et-Bruant et Veuvey-sur-Ouche, ensemble la décision portant rejet de leur recours gracieux ;
4°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de procéder à la publication au Journal officiel de la République française de l’annexe de l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées ;
5°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de modifier l’annexe de l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées en classant les communes d’Antheuil, Aubaine, Bessey-en-Chaume, Bévy, Bouhey, Bouilland, La Bussière-sur-Ouche, Clémencey, Collonges-lès-Bévy, Crugey, Curiey, L’Etang-Vergy, Flavignerot, Fussey, Mavilly-Mandelot, Meloisey, Messanges, Quemigny-Poisot, Reulle-Vergy, Saint-Jean-de-Bœuf, Saint-Victor-sur-Ouche, Semezanges, Ternant, Thorey-sur-Ouche, Urcy et Cormot-Vauchignon en zones soumises à des contraintes naturelles ;
6°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de modifier l’annexe de l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées en classant les communes de Chamboeuf, Corcelles-les-Monts, Détain-et-Bruant et Veuvey-sur-Ouche en zones agricoles défavorisées.

Par un jugement nos 1901530, 1903320 du 21 septembre 2021, le tribunal administratif de Dijon a joint ces demandes et a :
1°) annulé l’arrêté du 27 mars 2019 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation et du ministre de l’économie et des finances portant délimitation des zones agricoles défavorisées en tant qu’il ne classe pas les communes d’Antheuil, Bessey-en-Chaume, Bouhey, Bouilland, Clémencey, Curley, Flavignerot, La Bussière-sur-Ouche, Quemigny-Poisot, Saint-Jean-de-Bœuf, Saint-Victor-sur-Ouche, Semezanges, Thorey-sur-Ouche, Urcy, Cormot-Vauchignon, Ternant, Aubaine et Mavilly-Mandelot en zone soumise à des contraintes naturelles importantes ;
2°) annulé la décision implicite de rejet du recours gracieux de la Confédération paysanne de Côte d’Or et de M. G… en tant qu’elle ne classe pas les communes d’Antheuil, Bessey-en-Chaume, Bouhey, Bouilland, Clémencey, Curley, Flavignerot, La Bussière-sur-Ouche, Quemigny-Poisot, Saint-Jean-de-Bœuf, Saint-Victor-sur-Ouche, Semezanges, Thorey-sur-Ouche, Urcy, Cormot-Vauchignon, Ternant, Aubaine et Mavilly-Mandelot en zone soumise à des contraintes naturelles importantes ;
3°) mis à la charge de l’Etat les sommes de 300 euros à verser à la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or, à l’exploitation agricole à responsabilité limitée Cédric Bazin, au groupement agricole d’exploitation en commun Reconnu des Pralets, au groupement agricole d’exploitation en commun Jacotot, à M. C… B…, au groupement agricole d’exploitation en commun de Bessey-en-Chaume, à M. H… D…, à M. F… A…, à la société civile d’exploitation agricole de Flagny et à la société à responsabilité limitée Domaine Guy Fouquerand, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 22 novembre 2021 et un mémoire enregistré le 28 octobre 2022, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or, désignée représentante unique, l’exploitation agricole à responsabilité limitée Cédric Bazin, M. C… B…, M. H… D…, la société civile d’exploitation agricole de Flagny et la société à responsabilité limitée Domaine Guy Fouquerand, représentés par Me Chareyre (SELARL GC Avocat), avocat, demandent à la cour :
1°) d’annuler l’article 4 de ce jugement du tribunal administratif de Dijon du 21 septembre 2021 rejetant le surplus de leurs conclusions ;
2°) d’annuler l’arrêté du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées, en tant qu’il ne classe pas en zones agricoles défavorisées les communes de Corcelles-les-Monts, Détain-et-Bruant, Flavignerot, Chamboeuf, Veuvey-sur-Ouche, Messanges, L’Etang-Vergy, Reulle-Vergy, La Rochepot, Fussey, Chaux, Nolay, Segrois, Nantoux, Collonges-lès-Bévy, Saint-Romain, Baubigny et Crugey ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et les sommes de 300 euros à verser à chacun des autres appelants, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
S’agissant des communes de Messanges, L’Etang-Vergy, Reulle-Vergy, La Rochepot, Fussey, Chaux, Segrois, Nantoux, Collonges-lès-Bévy, Saint-Romain, Baubigny et Crugey :
– leur inclusion au sein de la  » petite région agricole  » (PRA)  » côte viticole et arrière-côte de Bourgogne « , laquelle est fortement hétérogène, est injustifiée ;
– leur classement en ZSCN est justifié par application du critère de la PBS  » restreinte « , en raisonnant en moyenne par hectare de surface agricole utile dans ces communes ;
S’agissant des communes de Corcelles-les-Monts, Détain-et-Bruant, Chamboeuf, Veuvey-sur-Ouche et Nolay :
– elles répondent aux critères biophysiques requis pour être classées, les nouveaux chiffres publiés n’étant pas justifiés ;
– leur inclusion au sein de la  » petite région agricole  » (PRA)  » côte viticole et arrière-côte de Bourgogne « , laquelle est fortement hétérogène, est injustifiée ;
– leur classement en ZSCS, qui est indépendant des critères biophysiques, est justifié, en application du critère de l’autonomie fourragère, apprécié à l’échelle des communes concernées.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2022, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l’appel incident, d’annuler l’article 1er du jugement du tribunal administratif de Dijon du 21 septembre 2021 annulant partiellement l’arrêté du 27 mars 2019.

Il expose que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le respect des critères de classement doit être apprécié par référence aux PRA en vertu du décret du 27 mars 2019 dont la légalité, notamment en ce qui concerne cette méthode, a été validée par le Conseil d’Etat.

Par ordonnance du 28 octobre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 28 novembre 2022.
Par courrier du 4 avril 2023, les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d’office l’irrecevabilité des conclusions présentées, par la voie de l’appel incident, par le ministre en charge de l’agriculture et tendant à l’annulation du jugement attaqué en ce qu’il a partiellement annulé l’arrêté du 27 mars 2019, celles-ci soulevant un litige distinct de l’appel principal formé par la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et autres.
Par deux mémoires enregistrés les 5 et 13 avril 2023, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et autres ont présenté des observations en réponse à ce moyen d’ordre public.
Ils exposent que les conclusions du ministre soulevant un litige distinct de l’appel principal, elles sont irrecevables.
Par un mémoire enregistré le 12 avril 2023, le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a présenté des observations en réponse à ce moyen d’ordre public.
Il expose que son appel incident, qui ne soulève pas de litige distinct de l’appel principal, est recevable.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
– le règlement (UE) n° 808/2014 de la Commission du 17 juillet 2014 ;
– la décision d’exécution C (2019) 1769 de la Commission européenne du 27 février 2019 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;
– le décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 ;
– le décret n° 2019-243 du 27 mars 2019 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère ;
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public ;
– et les observations de Me Chareyre, avocat, représentant la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 27 mars 2019, les ministres en charge de l’économie et de l’agriculture ont énuméré les communes classées comme  » zones soumises à des contraintes naturelles  » (ZSCN) et comme  » zones soumises à des contraintes spécifiques  » (ZSCS), en application de l’article 32 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 et de l’article D. 113-15 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version issue du décret du 27 mars 2019, afin de permettre le versement de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) aux exploitants agricoles installés dans ces zones. Saisi par la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or (FDSEA 21), par la confédération paysanne de Côte-d’Or et par différents exploitants agricoles, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 21 septembre 2021, annulé cet arrêté en ce qu’il ne classait pas les communes d’Antheuil, de Bessey-en-Chaume, de Bouhey, de Bouilland, de Clémencey, de Curley, de Flavignerot, de La Bussière-sur-Ouche, de Quemigny-Poisot, de Saint-Jean-de-Bœuf, de Saint-Victor-sur-Ouche, de Semezanges, de Thorey-sur-Ouche, d’Urcy, de Cormot-Vauchignon, de Ternant, d’Aubaine et de Mavilly-Mandelot en ZSCN et rejeté le surplus de leurs demandes. La FDSEA de Côte-d’Or et cinq exploitants agricoles relèvent appel de ce jugement en ce qu’il a ainsi rejeté le surplus de leurs demandes, en son article 4, concernant dix-sept autres communes du département. Par la voie de l’appel incident, le ministre en charge de l’agriculture demande l’annulation de ce même jugement en ce qu’il a partiellement annulé l’arrêté du 27 mars 2019.

Sur l’appel incident du ministre en charge de l’agriculture :

2. Un appel incident est recevable, sans condition de délai, s’il ne soumet pas au juge d’appel un litige distinct de celui qui a été soulevé par l’appel principal.
3. Par son mémoire en défense enregistré le 28 septembre 2022, le ministre en charge de l’agriculture demande, par la voie de l’appel incident, l’annulation du jugement du tribunal administratif de Dijon du 21 septembre 2021 en tant qu’il a partiellement annulé l’arrêté du 27 mars 2019. L’annulation ainsi prononcée par le tribunal administratif portant sur le défaut de classement de dix-huit communes de la Côte-d’Or, distinctes de celles visées par l’appel principal présenté par la FDSEA 21 et autres, ces conclusions incidentes soulèvent un litige distinct de l’appel principal. Ayant été introduites au-delà du délai d’appel, ces conclusions sont, par suite, irrecevables.
Sur l’appel principal de la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et autres :

4. En premier lieu, aux termes, d’une part, de l’article 31 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) :  » 1. Les paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d’autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d’indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée (…) « . Le paragraphe 3 de l’article 32 de ce même règlement, relatif aux ZSCN, dispose que :  » Afin de pouvoir bénéficier des paiements prévus à l’article 31, les zones autres que les zones de montagne sont considérées comme soumises à des contraintes naturelles importantes lorsqu’au moins 60 % de la surface agricole remplit au moins l’un des critères énumérés à l’annexe III, à la valeur seuil indiquée. / Le respect de ces conditions est assuré au niveau des unités administratives locales (niveau « UAL 2 ») ou au niveau d’une unité locale nettement délimitée qui couvre une zone géographique clairement d’un seul tenant et dotée d’une identité économique et administrative définissable. / Lorsqu’ils délimitent les zones concernées par le présent paragraphe, les États membres procèdent à un exercice d’affinement basé sur des critères objectifs, afin d’exclure les zones dans lesquelles des contraintes naturelles importantes, visées au premier alinéa, ont été démontrées, mais ont été surmontées par des investissements ou par l’activité économique, ou par une productivité normale des terres dûment attestée, ou dans lesquelles les méthodes de production ou les systèmes agricoles ont compensé la perte de revenus ou les coûts supplémentaires visés à l’article 31, paragraphe 1 « . Enfin, le paragraphe 4 de ce même article, relatif aux ZSCS, dispose que :  » Les zones autres que celles visées aux paragraphes 2 et 3 peuvent bénéficier des paiements prévus à l’article 31 si elles sont soumises à des contraintes spécifiques et lorsque la poursuite de la gestion des terres est nécessaire pour assurer la conservation ou l’amélioration de l’environnement, l’entretien du paysage rural et la préservation du potentiel touristique de la zone ou pour protéger le littoral. / Les zones soumises à des contraintes spécifiques comprennent les surfaces agricoles dans lesquelles les conditions naturelles de production sont similaires et dont la superficie totale ne dépasse pas 10 % du territoire de l’État membre concerné. / En outre, des zones peuvent également bénéficier des paiements au titre du présent paragraphe si: / – 60 % au moins de la surface agricole remplit au moins deux des critères énumérés à l’annexe III, avec une marge ne dépassant pas 20 % de la valeur seuil indiquée, ou / – 60 % au moins de la surface agricole est composée de zones qui remplissent au moins l’un des critères énumérés à l’annexe III à la valeur seuil indiquée et de zones remplissant au moins deux des critères énumérés à l’annexe III, avec pour chacune d’elles une marge ne dépassant pas 20 % de la valeur seuil indiquée. / Le respect de ces conditions est assuré au niveau des UAL de niveau 2 ou au niveau d’une unité locale clairement définie qui couvre une seule zone géographique précise d’un seul tenant ayant une identité économique et administrative définissable. Lorsqu’ils délimitent les zones concernées par le présent alinéa, les États membres procèdent à un exercice d’affinement, comme prévu à l’article 32, paragraphe 3. Les zones considérées admissibles au titre du présent alinéa sont prises en considération pour le calcul de la limite de 10 % visée au deuxième alinéa « .

5. Aux termes, d’autre part, de l’article D. 113-15 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret du 27 mars 2019 relatif à la révision des critères de délimitation des zones agricoles défavorisées autres que les zones de montagne :  » Les autres zones agricoles défavorisées sont constituées : – des zones autres que les zones de montagne qui sont soumises à des contraintes naturelles importantes, dites ZSCN, telles que définies au 3 de l’article 32 du règlement (UE) n° 1305/2013 du 13 décembre 2013 ; / – des autres zones soumises à des contraintes spécifiques, dites ZSCS, telles que définies au 4 de l’article 32 du règlement (UE) n° 1305/2013 du 13 décembre 2013. / Leurs éléments de définition sont ceux précisés dans le cadre national, pris en application du 3 de l’article 6 du règlement (UE) n° 1305/2013 du 13 décembre 2013, approuvé par la décision d’exécution C (2019) 1769 de la Commission du 27 février 2019 « .
6. Dans le cadre de la révision des zones défavorisées rendue nécessaire par l’entrée en vigueur des dispositions des articles 31 et 32 du règlement n° 1305/2013 relatifs aux paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles et des zones soumises à des contraintes spécifiques et à leur désignation, la France a présenté à la Commission européenne une demande de modification du cadre national selon la procédure prévue au b) de l’article 11 de ce règlement. Les points 5.2.7.3.2 et 5.2.7.3.3 de ce document précisent, en application des dispositions combinées du 3 de l’article 6 du règlement et de l’annexe I du décret du 16 avril 2015, les conditions d’admissibilité, les montants et les taux d’aide applicables ainsi que les critères d’affinement visés à l’article 32 de ce même règlement. Les annexes intitulées  » Définitions et méthodologie dans l’Hexagone pour les ZSCN (sous-mesure 13.2) et pour les ZSCS (sous-mesure 13.3)  » et  » Définition des ZSCN et ZSCS en Corse, Guyane, Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Mayotte  » décrivent la méthode et les données utilisées afin de délimiter les zones dans lesquelles les exploitants agricoles peuvent bénéficier de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), conformément aux critères fixés par le règlement du 17 décembre 2013 et les points précités du cadre national. Par une décision d’exécution du 27 février 2019, la Commission européenne a approuvé le cadre national ainsi modifié. Par les dispositions précédemment rappelées du décret du 27 mars 2019 relatif à la révision des critères de délimitation des zones agricoles défavorisées autres que les zones de montagne, le Premier ministre a donné effet aux éléments de définition des zones soumises à des contraintes naturelles et des zones soumises à des contraintes spécifiques contenus dans le cadre national. Sur le fondement de ce décret, l’arrêté litigieux du 27 mars 2019 portant délimitation des zones agricoles défavorisées a fixé la liste des communes et parties de communes classées au titre de ces deux types de zones.
7. Il résulte de ces dispositions, et notamment de celles du cadre national, que le classement d’une commune en ZSCN, comme en ZSCS, que ce soit, dans ce dernier cas, par application combinée des critères biophysiques ou par la méthode dite  » hors critères combinés « , est subordonné à un  » exercice d’affinement « , destiné à exclure de ces classements les zones considérées comme ayant surmonté les contraintes naturelles ou spécifiques auxquelles elles sont soumises. En vertu du cadre national, plus particulièrement de ses annexes, le respect des critères mis en œuvre pour cet exercice d’affinement, à l’exception de celui tiré des investissements réalisés, est apprécié à l’échelle des  » petites régions agricoles  » (PRA) ou, pour les 10 % de PRA les plus grandes, à l’échelle cantonale. Parmi les critères ainsi appréciés à l’échelle de la PRA, figure celui subordonnant le classement à un niveau de production brute standard par hectare (PBS/ha) inférieur ou égal à 80 ou 85 % de la moyenne nationale. Subsidiairement, est substitué à cet indicateur celui dit de la  » PBS restreinte « , si les productions à forte valeur ajoutée représentent plus de 50 % de la valeur de la PBS et que la valeur des productions résiduelles reste significative, en représentant plus de 10 % de la PBS, au sein de la PRA en cause.
8. Il est constant que le classement des communes concernées par l’appel de la FDSEA 21 et autres a été notamment refusé au stade de l’exercice d’affinement.
9. Pour contester l’appréciation du respect de ces critères d’affinement, notamment celui dit de la  » PBS restreinte « , à l’échelle de la PRA  » côte viticole et arrière-côte de Bourgogne « , dont les communes en cause relèvent, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or et autres soutiennent que l’hétérogénéité de cette PRA fait obstacle à ce qu’elle soit retenue. Toutefois, ils ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester la pertinence de cette échelle, du deuxième alinéa du 3. de l’article 32 du règlement, qui exige la délimitation d’  » unités administratives locales  » ou  » d’une unité locale nettement délimitée qui couvre une zone géographique clairement d’un seul tenant et dotée d’une identité économique et administrative définissable « , celui-ci n’étant applicable qu’à la première étape de la définition des zones, et non à la seconde que constitue l’exercice d’affinement. Par ailleurs, ils ne sauraient utilement se plaindre des disparités, tenant plus particulièrement à la part de cultures à forte valeur ajoutée telles que la viticulture, existant entre les communes de cette PRA, le critère subsidiaire dit de la  » PBS restreinte  » ayant précisément pour objet de neutraliser la PBS liée à ces cultures au stade de l’exercice d’affinement. Dans ces conditions, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que l’exercice d’affinement aurait été, à tort, opéré à l’échelle de la PRA  » côte viticole et arrière-côte de Bourgogne « .
10. En conséquence, la FDSEA 21 et autres ne pouvant se prévaloir d’une échelle autre que la PRA  » côte viticole et arrière-côte de Bourgogne  » pour la mise en œuvre de l’exercice d’affinement et ne contestant pas que cette PRA ne satisfait pas à cet exercice, ils ne sont pas fondés à soutenir que les communes de Messanges, de L’Etang-Vergy, de Reulle-Vergy, de La Rochepot, de Fussey, de Chaux, de Segrois, de Nantoux, de Collonges-lès-Bévy, de Saint-Romain, de Baubigny et de Crugey devaient être classées comme ZSCN, ni davantage que celles de Corcelles-les-Monts, de Détain-et-Bruant, de Chamboeuf, de Veuvey-sur-Ouche et de Nolay, devaient être classées en ZSCS.
11. En second lieu, si la FDSEA 21 et autres soutiennent par ailleurs que les communes de Corcelles-les-Monts, de Détain-et-Bruant, de Chamboeuf, de Veuvey-sur-Ouche et de Nolay respectent les critères biophysiques nécessaires au classement en ZSCN, ils n’apportent aucun élément tendant à remettre en cause l’exactitude des données publiées dans le  » tableau des valeurs des critères ZSCN et ZSCS pour les communes de l’hexagone  » sur le site internet du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la FDSEA 21 et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté le surplus de leur demande concernant les communes de Messanges, de L’Etang-Vergy, de Reulle-Vergy, de La Rochepot, de Fussey, de Chaux, de Segrois, de Nantoux, de Collonges-lès-Bévy, de Saint-Romain, de Baubigny, de Crugey, de Corcelles-les-Monts, de Détain-et-Bruant, de Chamboeuf, de Veuvey-sur-Ouche et de Nolay.
Sur les frais liés au litige :

13. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le paiement des frais exposés par la FDSEA 21 et autres en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la FDSEA 21 et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire par la voie de l’appel incident sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de Côte-d’Or, au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.

Servitude montagne (Allos)/ Légalité/ Proportionnalité

CAA de MARSEILLE – 5ème chambre

  • N° 21MA04519
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 03 mai 2023

Président

Mme VINCENT

Rapporteur

  1. Sylvain MERENNE

Rapporteur public

  1. PECCHIOLI

Avocat(s)

BOURREL

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… C… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’arrêté du 5 juillet 2019 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 au lieu-dit les Guinands, à Allos.

Par un jugement n° 1907732 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 25 novembre 2021, 4 juillet et 6 septembre 2022, M. C…, représenté par Me Bourrel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 30 septembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d’ordonner une expertise portant sur la distance entre l’entraxe du téléporté des Guinands 2 et son habitation ;

3°) d’annuler l’arrêté du 5 juillet 2019 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 au lieu-dit les Guinands ;

4°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l’État en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant en première instance et en appel.

Il soutient que :
– le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif a écarté un moyen comme inopérant sans en informer préalablement les parties conformément à l’article R. 611-7 du code de justice administrative ;
– l’article L. 342-20 du code de tourisme ne permet pas de régulariser les installations existantes ;
– il méconnaît le code de l’expropriation ;
– une étude technique portant sur la probabilité de glissements de terrain aurait dû être réalisée ;
– la remontée mécanique ne respecte pas les conditions posées par le plan de prévention des risques naturels prévisibles ;
– elle ne respecte pas non plus les valeurs limites relatives aux bruits de voisinage ;
– les nuisances sonores de l’installation méconnaissent le règlement 2016/424 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, l’article L. 342-8 du code tourisme, et les articles L. 572-3 et L. 572-6 du code de l’environnement ;
– le plan joint à l’arrêté contesté ne représente pas fidèlement le tracé de la télécabine actuelle, et méconnaît ainsi l’article L. 342-22 du code de tourisme ;
– la surface survolée n’est pas de 208 mètres carrés, mais de 270 mètres carrés ;
– l’interdiction de clôturer la parcelle est injustifiée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 juin et 25 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont pas fondés.

Par des observations en défense, enregistrées le 18 mai 2022, le syndicat mixte du Val d’Allos, représenté par Me Fages, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. C… ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Vu :
– le code du tourisme ;
– le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. A…,
– les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
– et les observations de Me Bourrel, représentant M. C…, et de Me Seisson, substituant Me Fages, avocat du syndicat mixte du Val d’Allos.

Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 juillet 2019, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a institué plusieurs servitudes en application des articles L. 342-20 et L. 342-26-1 du code de tourisme en vue de l’exploitation des stations de ski du Seignus et de la Foux d’Allos sur le territoire de la commune d’Allos.

2. M. C… fait appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 dont il est propriétaire au lieu-dit les Guinands.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En écartant l’un des moyens de M. C… comme inopérant, le tribunal administratif de Marseille s’est borné à exercer son office en répondant aux moyens invoqués devant lui, sans relever lui-même un moyen dont il aurait été tenu d’informer les parties sur le fondement de l’article R. 611-7 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :
4. Le premier alinéa de l’article L. 342-20 du code du tourisme prévoit que :  » Les propriétés privées ou faisant partie du domaine privé d’une collectivité publique peuvent être grevées, au profit de la commune, du groupement de communes, du département ou du syndicat mixte concerné, d’une servitude destinée à assurer le passage, l’aménagement et l’équipement des pistes de ski alpin et des sites nordiques destinés à accueillir des loisirs de neige non motorisés organisés, le survol des terrains où doivent être implantées des remontées mécaniques, l’implantation des supports de lignes dont l’emprise au sol est inférieure à quatre mètres carrés, le passage des pistes de montée, les accès nécessaires à l’implantation, l’entretien et la protection des pistes et des installations de remontée mécanique.  »

5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. C…, les dispositions de l’article L. 342-20 du code de tourisme citées au point 4 n’excluent pas la régularisation d’une infrastructure existante. En outre, la servitude de survol destinée à régulariser une infrastructure existante n’est pas illégale du fait de l’irrégularité de cette dernière, à laquelle elle vise à remédier.

6. En deuxième lieu, M. C… invoque à plusieurs reprises le code de l’expropriation sans indiquer les dispositions auxquelles il se réfère ni les raisons pour lesquelles il estime qu’elles ont été méconnues. Ce moyen n’est pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.

7. En troisième lieu, la parcelle voisine cadastrée E233 supporte un des pylônes de la télécabine, dont il est constant qu’il a été édifié en 1986. La légalité de cette construction, au demeurant antérieure à l’adoption du plan de prévention des risques naturels de la commune d’Allos en 1998, est étrangère au litige dont M. C… a saisi le tribunal administratif, qui porte uniquement sur la légalité de la servitude de survol grevant la parcelle cadastrée E235.

8. En quatrième lieu, les nuisances de toutes natures susceptibles d’être générées par le projet sont susceptibles d’être prises en compte pour apprécier son utilité publique. En revanche, les servitudes édictées sur le fondement de l’article L. 342-20 du code du tourisme ne portent pas sur le respect des normes relatives aux émissions de bruit, qui relèvent d’une législation distincte et indépendante. Le moyen de légalité tiré de la méconnaissance de cette législation est donc inopérant et doit être écarté.

9. En cinquième lieu, M. C… fait valoir que la distance entre son chalet et la localisation réelle de l’entraxe de la télécabine est de 6,40 mètres alors qu’elle serait de 8 mètres sur le plan à l’échelle 1/2000e joint à l’arrêté contesté. La différence sur ce plan représenterait 0,8 millimètre. Cette distance a été mesurée par l’huissier mandaté par M. C… à partir de la limite de la terrasse du chalet, alors que le plan cadastral représente ses murs pignons. A supposer même que la distance par rapport à une installation antérieure ait une incidence sur la légalité de la servitude, il n’en ressort en tout état de cause aucune erreur.

10. En sixième lieu, dans l’état parcellaire n° 26 joint à l’arrêté contesté, le préfet a prévu une servitude de survol de 18 mètres de large pour une longueur de 15 mètres, ainsi qu’une surface survolée de 208 mètres carrés pour la parcelle E235. M. C… fait valoir que cette surface survolée aurait dû correspondre au produit entre la longueur et la largeur de la servitude, soit 270 mètres carrés. Toutefois, la surface de la servitude ainsi instituée par l’arrêté ne couvre pas uniquement la parcelle E235 compte tenu des divisions cadastrales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la détermination d’une surface survolée de 208 mètres carrés pour la parcelle E235 soit erronée.

11. En septième lieu, M. C… fait valoir que la télécabine est installée dans une zone rouge du plan de prévention des risques naturels de la commune d’Allos du fait d’un risque de glissement de terrain. Toutefois, ce plan prévoit une exception à l’interdiction d’occupation et d’utilisation des sols pour l’aménagement et l’entretien des remontées mécaniques et des installations liées à la pratique du ski. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la télécabine en question, qui a fonctionné pendant près de quarante ans sans subir d’incident rapporté par les parties, soit à l’origine de risques particuliers pour la sécurité des usagers et les riverains. Par ailleurs, le fonctionnement de la télécabine provoque, selon l’étude acoustique produite par le requérant, des émergences sonores de 13,8 dB(A) en extérieur et de 17,2 dB(A) à l’intérieur fenêtres fermées. La fréquence du passage des cabines varie entre 10 et 30 minutes selon l’affluence. Il est constant que le chalet de M. C… n’est occupé que pendant les vacances scolaires. Si ce dernier soutient que le bruit provoquerait de graves troubles de santé pour lui-même et sa famille, il ne l’établit pas. La télécabine des Guinands, qui permet, en deux tronçons, de relier le village d’Allos au bas des pistes de la station de ski de Seignus, joue un rôle essentiel dans le développement touristique et économique de la station. Il suit de là que les inconvénients de toute nature présentés par le projet ne sont pas excessifs par rapport aux avantages qu’il comporte.
12. En dernier lieu, contrairement à ce que soutient M. C…, l’arrêté du préfet des Alpes-de-Haute-Provence ne comporte pas d’interdiction de clôturer pour la servitude de survol le concernant. L’article 4 de cet arrêté prévoit la possibilité pour le bénéficiaire de la servitude, en dehors de la saison d’hiver, d’accéder aux terrains de servitudes pour effectuer des travaux d’entretien, de modification ou d’adaptation des remontées mécaniques ou pistes. M. C… fait valoir que la configuration du terrain ne permet pas d’accéder au pylône situé sur la parcelle E233 depuis la parcelle E235. Les interventions effectives du bénéficiaire sur la parcelle E235 sont donc susceptibles d’être peu fréquentes, ce qui minore les inconvénients résultant de cette obligation pour M. C…. Dans le cas exceptionnel où les opérations de maintenance le requerraient, il incombera à M. C… de permettre l’accès à la parcelle au bénéficiaire et à ses préposés, que celle-ci soit clôturée ou non. Une telle obligation, qui trouve son fondement légal à l’article L. 342-22 du code de tourisme, est destinée à permettre des travaux garantissant la sécurité des ouvrages et la continuité de leur fonctionnement. Compte tenu de sa faible fréquence attendue, selon les déclarations de M. C… lui-même, elle n’est pas disproportionnée.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise, que M. C… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. C… le versement de la somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Val d’Allos au titre des frais qu’il a exposés et non compris dans les dépens.

15. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par M. C… sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C… est rejetée.

Article 2 : M. C… versera la somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Val d’Allos en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… C…, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au syndicat mixte du Val d’Allos.