Arrêté préfectoral autorisant la chasse au grand tétras et au lagopède – (Enième) illégalité…

 

CAA de BORDEAUX – 4ème chambre

  • N° 22BX01429
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 21 mai 2024

Président

Mme BALZAMO

Rapporteur

Mme Bénédicte MARTIN

Rapporteur public

Mme GAY

Avocat(s)

LAGIER

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie ont demandé au tribunal administratif de Pau d’annuler l’arrêté du 27 septembre 2019 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020.

Par un jugement n° 1902158 du 17 mars 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 mai 2022, et un mémoire complémentaire enregistré le 15 septembre 2023, France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées, France Nature Environnement (FNE) Hautes-Pyrénées et Nature En Occitanie (NEO), représentées par Me Galinon, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d’annuler le jugement n° 1902158 du 17 mars 2022 du tribunal administratif de Pau ;

2°) d’annuler l’arrêté du 27 septembre 2019, par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
– le public n’a pas été consulté en méconnaissance des articles L. 120-1 et suivants du code de l’environnement alors que le schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) qui contient des informations anciennes n’a pas permis d’apprécier les incidences sur l’environnement de l’arrêté litigieux ; les indices de reproduction n’ont pas été portés à la connaissance du public ; ce dernier n’a pu prendre connaissance des propositions de la direction régionale de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), sur les quotas de chasse 2019-2020, ni des recommandations de l’office français pour la biodiversité, seul organisme compétent sur cette espèce ;
– la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009 a été méconnue ; la baisse des effectifs, déjà constatée de 1960 à 2005, se poursuit de manière inquiétante ; les indices de reproduction des trois dernières années, seules données accessibles au moment de la délivrance de l’arrêté litigieux, laissent présager une diminution des effectifs pendant la période 2018-2019 ; l’espèce est en déclin ;
– l’objectif de conservation posé par la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 a été méconnu ; à la seule lecture des indices de reproduction contenus dans les bilans démographiques 2017 à 2019, le préfet était tenu de refuser les tirs de coqs du grand tétras pour ne pas aggraver son mauvais état de conservation ; les effets de l’arrêté de chasse s’apprécient à l’échelle de l’aire de distribution/répartition de l’espèce concernée ;
– l’article 7 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009, ainsi que le principe de précaution énoncé à l’article L. 110-1 du code de l’environnement ont été méconnus.

Par un mémoire enregistré le 24 février 2023, la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, représentée par Me Lagier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de chacune des requérantes la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– elle a intérêt à agir ;
– la requête est irrecevable ; l’association FNE Midi-Pyrénées n’est pas recevable à agir dès lors que deux de ses adhérents, l’association FNE Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie sont parties au contentieux et ont un intérêt direct à l’application ou non de l’arrêté préfectoral ; la délibération du conseil d’administration de Nature en Occitanie est irrégulière ; Nature en Occitanie doit établir qu’elle a obtenu un arrêté modificatif pour tenir compte de son changement d’identité juridique et qu’elle a accompli toutes les formalités utiles à ce sujet dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901 ; l’arrêté d’agrément de Nature en Occitanie a expiré le 18 décembre 2022 et celui de FNE Midi-Pyrénées le 9 janvier 2023 ;
– la décision préfectorale ne fait pas grief s’agissant du lagopède alpin ;
– à titre subsidiaire, les moyens soulevés au fond par l’association requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée le 1er juin 2022 au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Par ordonnance du 18 septembre 2023, la clôture d’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 20 octobre 2023 à 12 h 00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– la charte de l’environnement ;
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bénédicte Martin,
– et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Les associations France Nature Environnement (FNE) Midi-Pyrénées, France Nature Environnement (FNE) Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie relèvent appel du jugement du 17 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 qui a autorisé la chasse au grand tétras et au lagopède alpin, et fixé les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne cynégétique 2019/2020.

Sur l’intervention :

2. La fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, dont l’objet est, conformément à l’article L. 421-5 du code de l’environnement, de participer à la mise en valeur du patrimoine cynégétique départemental, à la protection et à la gestion de la faune sauvage ainsi que de ses habitats, justifie d’un intérêt au maintien de l’arrêté préfectoral en litige. Par suite, son intervention est recevable.

Sur la recevabilité de la requête :

3. Aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’environnement :  » Lorsqu’elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l’amélioration du cadre de vie, de la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, de l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d’une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l’environnement, peuvent faire l’objet d’un agrément motivé de l’autorité administrative. (…) « . Aux termes de l’article L. 142-1 de ce code :  » Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 (…) justifient d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément « .

4. Aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’association FNE Hautes-Pyrénées, dont l’agrément régional a été renouvelé pour une durée de cinq ans par arrêté de la préfète des Hautes-Pyrénées du 10 octobre 2018, régulièrement publié, a pour objet  » la protection de la nature, de l’environnement et du cadre de vie du département des Hautes-Pyrénées, mais non exclusivement dans le département des Hautes-Pyrénées (…); elle fédère des personnes morales et physiques ayant donc pour objectifs :/- de conserver et de restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, terrestres et marins, les espèces animales et végétales ; (…) « . Dès lors et par application des dispositions précitées de l’article L. 142-1 du code de l’environnement, l’association FNE Hautes-Pyrénées justifie d’une qualité lui donnant intérêt à intérêt à agir contre l’arrêté du 27 septembre 2019 relatif à la chasse à tir du grand tétras et du lagopède pour la campagne 2019/2020. Par délibération du 26 septembre 2019, le conseil d’administration a décidé, conformément aux statuts de l’association, de déposer un recours en annulation à l’encontre de l’arrêté préfectoral en litige et de mandater sa présidente à cette fin. Dans ces conditions, alors que la recevabilité d’une requête collective est assurée lorsque l’un au moins des requérants est recevable à agir, la fin de non-recevoir opposée par la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

5. Aux termes de l’article 1er de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages :  » 1. La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l’exploitation. / 2. La présente directive s’applique aux oiseaux ainsi qu’à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats. « . Aux termes de l’article 2 de la même directive :  » Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. « . Selon l’article 7 de cette directive :  » 1. En raison de leur niveau de population, de leur distribution géographique et de leur taux de reproductivité dans l’ensemble de la Communauté, les espèces énumérées à l’annexe II peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre de la législation nationale. Les États membres veillent à ce que la chasse de ces espèces ne compromette pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution (…) / 4. Les États membres s’assurent que la pratique de la chasse (…) telle qu’elle découle de l’application des mesures nationales en vigueur, respecte les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées, et que cette pratique soit compatible, en ce qui concerne la population de ces espèces, notamment des espèces migratrices, avec les dispositions découlant de l’article 2. / Ils veillent en particulier à ce que les espèces auxquelles s’applique la législation sur la chasse ne soient pas chassées pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance (…) « .

6. D’autre part, aux termes de l’article L. 420-1 du code de l’environnement :  » La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d’intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l’équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique. / Le principe de prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables s’impose aux activités d’usage et d’exploitation de ces ressources. Par leurs actions de gestion et de régulation des espèces dont la chasse est autorisée ainsi que par leurs réalisations en faveur des biotopes, les chasseurs contribuent au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Ils participent de ce fait au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural « . Aux termes de l’article L. 425-6 du même code :  » Le plan de chasse détermine le nombre minimum et maximum d’animaux à prélever sur les territoires de chasse. Il tend à assurer le développement durable des populations de gibier et à préserver leurs habitats, en conciliant les intérêts agricoles, sylvicoles et cynégétiques (…) « .

7. Il résulte de ces dispositions, éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général de protection des espèces d’oiseaux sauvages qui doit être concilié, en vertu de l’article 2 de la directive, avec des exigences économiques et récréationnelles. En vertu de l’article 7 de la directive, les espèces concernées, telle que le grand tétras, peuvent en principe faire l’objet d’actes de chasse, dès lors qu’ils ne compromettent pas les efforts de conservation entrepris dans leur aire de distribution et qu’ils respectent les principes d’une utilisation raisonnée et d’une régulation équilibrée du point de vue écologique des espèces d’oiseaux concernées.

8. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du document intitulé  » Stratégie nationale d’action en faveur du grand tétras 2012-2021  » établi par le ministère de l’écologie, que l’effectif de grands tétras mâles, seuls chassés, a connu, au plan national et sur l’ensemble de la chaîne des Pyrénées, qui accueille la population la plus importante de grands tétras en France, une réduction importante, de l’ordre de 60 % entre 1960 et 1994 et d’environ 25 % entre 1995 et 2003. Si l’on a pu observer une stabilisation des effectifs entre 2003 et 2006, la période de 2007 à 2009 a été marquée par une nouvelle tendance à la baisse, de même que la période de 2010-2011 à 2016-2017 passant d’un effectif de 2947 à 2923. Il ressort également des bilans démographiques réalisés par l’observatoire des galliformes de montagne, auquel appartient d’ailleurs la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, que, dans les deux zones bio-géographiques concernées par l’arrêté en litige, le taux de variation des effectifs entre 2010-2011 et 2016-2017 est de +1 et +5. Il est de 0 à l’échelle des Pyrénées. Dans l’unité naturelle du bassin du gave de Pau, alors que l’arrêté en litige prévoit le prélèvement de 8 grands tétras, le taux de variation est de +3. De la même façon, alors que l’arrêté en litige prévoit le prélèvement de 3 grands tétras dans l’unité naturelle de Bigorre, le taux de variation y est de – 2, alors que les effectifs sont restés constants entre les périodes 2010-2011 et 2016-2017. S’agissant plus particulièrement de l’année 2019 au titre de laquelle l’arrêté contesté a été pris, l’étude conduite le 10 janvier 2020 remise à l’office national de la chasse et de la faune sauvage conclut à un taux de variation négatif de 8 % par rapport à l’année 2018, révélant une baisse notable de l’effectif de coqs, affectant notamment le piémont central. Dans ces conditions, les prélèvements autorisés par l’arrêté en litige, même limités, sont de nature à compromettre les efforts de conservation de l’espèce des grands tétras dans les zones concernées.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête que les associations requérantes sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 en tant qu’il autorise le prélèvement de 17 grands tétras au cours de la campagne de chasse 2019-2020.

Sur les frais liés à l’instance :

10. Il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme globale de 1 500 euros à verser aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu de faire droit, en tout état de cause, aux conclusions présentées sur le même fondement par la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées.

DECIDE :
Article 1er : L’intervention de la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées est admise.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Pau du 17 mars 2022 et l’arrêté du préfet des Hautes-Pyrénées du 27 septembre 2019 en tant qu’il fixe les quotas de prélèvement du grand tétras au titre de la campagne de chasse 2019-2020 sont annulés.

Article 3 : L’Etat versera aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie une somme globale de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées et Nature en Occitanie, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées.
Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Pyrénées.

Délibéré après l’audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.

La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01429