Conseil d’État
N° 383791
ECLI:FR:CESSR:2015:383791.20151109
Inédit au recueil Lebon
2ème / 7ème SSR
M. Camille Pascal, rapporteur
M. Xavier Domino, rapporteur public
SCP DE NERVO, POUPET ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats
lecture du lundi 9 novembre 2015
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu 1°, sous le n° 383791, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 19 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme D…A…, demeurant … ; Mme A…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12MA03847 du 19 juin 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement n° 1104054 du 16 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que soit désigné un expert pour procéder à l’évaluation de ses préjudices et à la condamnation solidaire de l’Office national des forêts et de la commune d’Allos à réparer les préjudices résultant de l’accident dont elle a été victime le 25 avril 2008, d’autre part, à ce qu’il soit fait droit à ses conclusions de première instance et à ce qu’il soit dit que l’indemnité portera intérêts à compter du 18 mars 2011, date de réception de la première demande, ceux-ci étant capitalisés annuellement pour produire eux-mêmes intérêts ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Office national des forêts et de la commune d’Allos le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°, sous le numéro 383792, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 19 août et 19 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme B…C…, demeurant … ; Mme C…demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 12MA03846 du 19 juin 2014 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement n° 1104053 du 16 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que soit désigné un expert pour procéder à l’évaluation de ses préjudices et à la condamnation solidaire de l’Office national des forêts et de la commune d’Allos à réparer les préjudices résultant de l’accident dont elle a été victime le 25 avril 2008, d’autre part, à ce qu’il soit fait droit à ses conclusions de première instance et à ce qu’il soit dit que l’indemnité portera intérêts à compter du 18 mars 2011, date de réception de la première demande, ceux-ci étant capitalisés annuellement pour produire eux-mêmes intérêts ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l’Office national des forêts et de la commune d’Allos le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 octobre 2015, présentée pour l’Office national des forêts ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code forestier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Camille Pascal, conseiller d’Etat,
– les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de Mme A…et de MmeC…, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de l’Office national des forêts et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la commune d’Allos ;
1. Considérant que les pourvois visés ci-dessus présentent à juger des questions semblables ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A…et sa fille mineure B…C…, qui faisaient partie d’un groupe de randonneurs, ont été victimes d’un accident le 25 avril 2008 alors qu’elles se trouvaient sur le territoire de la commune d’Allos (04) à proximité du chemin de grande randonnée 56 B qui traverse la forêt domaniale du Haut Verdon dans le Parc national du Mercantour ; que le groupe s’est écarté du chemin de randonnée pour gravir une pente sur laquelle se trouvaient des grumes, résidus d’une opération d’abattage réalisée dix mois plus tôt par un entrepreneur privé à la demande de l’Office national des forêts (ONF) et financée par la commune d’Allos ; que Mme A… et M.C…, agissant au nom de leur filleB…, estimant que cet accident était imputable aux conditions dans lesquelles les arbres avaient été abattus et laissés sur place après la coupe ont saisi le tribunal administratif de Marseille de demandes d’indemnisation dirigées contre l’ONF et la commune d’Allos ; que, par deux jugements du 16 juillet 2012, le tribunal a rejeté ces demandes ; que Mme A…et Mme B…C…ont relevé appel de ces jugements devant la cour administrative d’appel de Marseille, qui, par un arrêt du 19 juin 2014, a rejeté leurs appels ; que Mme A…et Mme C…se pourvoient en cassation contre cet arrêt ;
Sur la régularité de l’arrêt attaqué :
3. Considérant qu’aux termes de l’article R. 741-2 du code de justice administrative, » la décision (…) contient (…) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application » ; qu’en se bornant à mentionner le caractère d’établissement public industriel et commercial de l’ONF, qui ne faisait l’objet d’aucune contestation devant elle, la cour n’a pas, pour la solution du litige dont elle était saisie, fait application des textes qui confèrent à l’ONF ce statut ; que, par suite elle n’était pas tenue, en tout état de cause, de les mentionner dans les visas de son arrêt ;
Sur le bien-fondé de l’arrêt attaqué :
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la forêt domaniale du Haut Verdon appartient au domaine privé forestier de l’Etat et que sa gestion a été confiée à l’ONF ; qu’elle a fait l’objet, conformément aux dispositions des articles L. 133-1 et suivants du code forestier, d’un arrêté d’aménagement forestier en date du 8 novembre 1971, modifié par un arrêté du 12 janvier 1988, auquel était annexé un plan domanial de gestion ; que, dans son paragraphe 4-3, ce plan domanial prévoit que l’exploitation du domaine doit poursuivre simultanément comme objectifs » la protection du milieu naturel, la production de bois d’oeuvre et d’herbage, l’accueil du public et les activités cynégétiques » ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article R. 121-2 du code forestier alors applicable, devenu l’article D. 221-2 de ce même code : » L’office national des forêts applique les arrêtés d’aménagement et assure la gestion et l’équipement des forêts et terrains qui lui sont confiés (…) L’office peut, sur ces forêts et terrains, avec ou sans l’aide de l’État et des collectivités publiques, exécuter ou faire exécuter tous travaux d’entretien, d’équipement et de restauration. » ;
En ce qui concerne la responsabilité de l’ONF :
6. Considérant que, lorsqu’un établissement public tient de la loi la qualité d’établissement public industriel et commercial, les litiges nés de ses activités relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, à l’exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique et ne peuvent donc être exercées que par un service public administratif ; que la cour a relevé que l’ONF avait, dans le cadre de sa mission d’entretien de la forêt domaniale du Haut Verdon, décidé d’abattre trois arbres, dont celui qui s’est trouvé à l’origine du dommage, pour améliorer l’accueil du public en ouvrant depuis le chemin de randonnée n° 56 qui traverse cette forêt une perspective sur une cascade remarquable ; qu’en déduisant de ces constatations souveraines, exemptes de dénaturation, que la juridiction administrative était incompétente pour connaître des conséquences dommageables de l’accident en cause, dès lors que l’ONF tient de la loi la qualité d’établissement public à caractère industriel et commercial, la cour administrative d’appel n’a commis ni erreur de qualification juridique ni erreur de droit ;
En ce qui concerne la responsabilité de la commune d’Allos pour dommage de travaux publics :
7. Considérant que, lorsque l’ONF fait réaliser, dans le cadre de sa mission de gestion d’une forêt domaniale, l’abattage d’arbres, la circonstance que la commune dont le territoire est concerné donne son accord et que, comme les dispositions précitées de l’article R. 121-2 du code forestier en prévoient la possibilité, elle apporte son aide financière à l’ONF ne saurait conduire à regarder les travaux d’abattage comme des travaux publics réalisés pour le compte de la commune dans un but d’intérêt général ; que ce motif de pur droit, qui suffit à justifier le rejet, par la cour, des conclusions des requérantes tendant à ce que la commune soit condamnée à indemniser leur préjudice sur le fondement du régime des dommages de travaux public, doit être substitué au motif qu’elle a retenu ;
En ce qui concerne la responsabilité de la commune d’Allos pour faute du maire dans l’exercice de ses pouvoirs de police :
8. Considérant que l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales dispose que » la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment (…) / 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure » et qu’à cet égard il appartient notamment au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent normalement, par prudence, se prémunir ;
9. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de la commune d’Allos avait fait placer à l’entrée du sentier, dans le courant du mois de novembre, un panneau avertissant les randonneurs du fait qu’ils s’engageaient sur un itinéraire de haute montagne non sécurisé et des risques d’avalanches auxquels ils s’exposaient ; que l’accident s’est produit avant le début de la saison touristique, dans un lieu situé un peu à l’écart du chemin et présentant une forte déclivité ; qu’en jugeant qu’il n’incombait pas au maire de la commune d’Allos de prendre des mesures particulières afin d’attirer l’attention des randonneurs sur les risques qu’ils couraient en quittant le chemin de grande randonnée et que, compte tenu de la présence du panneau au départ du sentier, aucune faute dans l’exercice de ses pouvoirs de police ne pouvait être reprochée au maire, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique ;
10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme A…et Mme C… ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
11. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la commune d’Allos et de l’ONF les sommes que demandent Mme A…et Mme C…; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par l’ONF et la commune d’Allos ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de Mme A…et Mme C…sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’Office national des forêts et la commune d’Allos au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme D…A…, Mme B…C…, à l’Office national des forêts et à la commune d’Allos.