Zone de montagne – Documents et décisions relatifs à l’occupation des sols – Obligation de prévenir les atteintes aux espèces animales qui la caractérisent (non)

 

Conseil d’État

N° 462638
ECLI:FR:CECHR:2024:462638.20240117
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème – 5ème chambres réunies
M. Christophe Chantepy, président
M. David Gaudillère, rapporteur
Mme Maïlys Lange, rapporteur public
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats

Lecture du mercredi 17 janvier 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

L’association Bien vivre en pays d’Urfé a demandé au tribunal administratif de Lyon d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, l’arrêté du 31 mai 2016 par lequel le préfet de la Loire a délivré un permis de construire à la société Monts de la Madeleine Energie pour l’implantation de quatre éoliennes, un poste de livraison et un mât de mesure sur le terrain situé sur le territoire de la commune de Cherier (Loire), d’autre part, l’arrêté du 31 mai 2016 par lequel le préfet de la Loire a délivré un permis de construire à cette même société pour l’implantation de cinq éoliennes et d’un poste de livraison sur un terrain situé sur le territoire de la commune de La Tuilière (Loire), enfin, la décision par laquelle le préfet de la Loire a rejeté son recours gracieux contre ces arrêtés. Par un jugement nos 1608379-1608380 du 21 mai 2019, ce tribunal a rejeté leur demande.

Par un arrêt avant-dire droit n° 19LY02840 du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Lyon a, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, sursis à statuer sur les conclusions à fin d’annulation présentées par l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois.

Par un arrêt n° 19LY02840 du 26 janvier 2022, la cour administrative d’appel de Lyon a rejeté la requête de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 25 mars et 23 juin 2022 et les 3 juillet et 11 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Bien vivre en pays d’Urfé demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler ces deux arrêts ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat et de la société Monts de la Madeleine Energie la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,

– les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Monts de la Madeleine Energie ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 décembre 2023, présentée par l’association Bien vivre en pays d’Urfé ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 décembre 2023, présentée par la société Monts de la Madeleine Energie ;

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêtés du 31 mai 2016, le préfet de la Loire a délivré deux permis de construire à la société Monts de la Madeleine Energie en vue de l’implantation de neuf éoliennes sur les territoires des communes de Cherier et de La Tuilière (Loire). Par un jugement du 21 mai 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté la demande de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ces arrêtés. Par un premier arrêt du 3 juin 2021, la cour administrative d’appel de Lyon, par application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, a sursis à statuer sur l’appel de l’association Bien vivre en pays d’Urfé et autres et enjoint à la société Monts de la Madeleine Energie de justifier, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l’arrêt, de l’intervention d’une mesure de régularisation des permis de construire litigieux, tendant à l’examen par le préfet du respect, par les projets de parcs éoliens en cause, des dispositions générales du code de l’urbanisme relatives à l’aménagement et à la protection de la montagne. Par arrêtés du 8 juillet 2021, le préfet de la Loire a délivré les permis de construire modificatifs. Par un second arrêt, du 26 janvier 2022, la cour a jugé que ces permis modificatifs avaient régularisé le vice entachant les permis initiaux et a rejeté la requête d’appel. L’association Bien vivre en pays d’Urfé se pourvoit en cassation contre ces deux arrêts.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt avant-dire droit du 3 juin 2021 :

2. Aux termes de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme :  » Les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard « . Il résulte, par ailleurs, des dispositions de l’article L. 122-2 du même code que les dispositions de l’article L. 122-9 sont applicables  » à toute personne publique ou privée pour l’exécution de tous travaux, constructions, défrichements, plantations, aménagements, installations et travaux divers, la création de lotissements, l’ouverture de terrains de camping ou de stationnement de caravanes, l’établissement de clôtures, la réalisation de remontées mécaniques et l’aménagement de pistes, l’ouverture des carrières, la recherche et l’exploitation des minerais et les installations classées pour la protection de l’environnement « .

3. Sans préjudice des autres règles relatives à la protection des espaces montagnards, les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme prévoient que dans les espaces, milieux et paysages caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols doivent être compatibles avec les exigences de préservation de ces espaces. Pour satisfaire à cette exigence de compatibilité, ces documents et décisions doivent comporter des dispositions de nature à concilier l’occupation du sol projetée et les aménagements s’y rapportant avec l’exigence de préservation de l’environnement montagnard prévue par la loi. Si ces dispositions permettent, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir contre les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols en zone de montagne, de contester utilement l’atteinte que causerait l’un des projets énumérés à l’article L. 122-2 précité du code de l’urbanisme aux milieux montagnards et, par suite, aux habitats naturels qui s’y trouvent situés, il résulte de leurs termes mêmes qu’elles n’ont en revanche pas pour objet de prévenir les risques que le projet faisant l’objet de la décision relative à l’occupation des sols serait susceptible de causer à une espèce animale caractéristique de la montagne.

4. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour juger que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir des risques que comporterait le projet litigieux pour les chouettes chevêchettes d’Europe et les chouettes de Tengmalm, dont il était allégué par les requérants qu’elles constituaient une avifaune nicheuse caractéristique des espaces boisés de montagne, la cour s’est fondée sur le motif tiré de ce que les dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme n’ont pas pour objet de protéger les espèces d’oiseaux nicheurs. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la cour, en statuant ainsi, n’a pas commis d’erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 3 juin 2021.

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêt du 26 janvier 2022 :

En ce qui concerne la régularité de l’arrêt :

6. Il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général du droit que la composition d’une formation de jugement statuant définitivement sur un litige doive être distincte de celle ayant décidé, dans le cadre de ce même litige, de surseoir à statuer par une décision avant-dire droit dans l’attente d’une mesure de régularisation en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêt attaqué aurait méconnu le principe d’impartialité pour avoir été rendu par la même formation de jugement que celle qui avait rendu l’arrêt avant-dire droit du 3 juin 2021 et serait, pour ce motif, entaché d’irrégularité ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé de l’arrêt :

7. En premier lieu, la cour, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur d’appréciation dans l’application des dispositions de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, a jugé, d’une part, que les atteintes que comporterait le projet pour les milieux forestiers n’étaient pas caractérisées et, d’autre part, que le boisement du secteur en cause ainsi que le parti d’implantation retenu favoriseraient son insertion paysagère et son impact visuel, y compris depuis le site des Cornes d’Urfé, en raison notamment de l’éloignement entre le parc et ce site. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment de l’étude d’impact ainsi que des avis de l’autorité environnementale de 2014 et de 2015, que la cour, en statuant ainsi, a porté sur les faits de l’espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

8. En second lieu, la cour, pour écarter le moyen tiré de ce que le projet litigieux porterait atteinte à la chouette chevêchette d’Europe, a jugé que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir, à l’encontre des permis de construire modificatifs litigieux et sur le fondement des dispositions précitées de l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, des risques que représenterait pour l’avifaune le fonctionnement des éoliennes. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 que la cour, en statuant ainsi, n’a pas commis d’erreur de droit.

9. Il résulte de tout ce qui précède que l’association requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon le 26 janvier 2022.

10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat et de la société Monts de la Madeleine Energie, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association Bien vivre en pays d’Urfé la somme de 2 000 euros à verser à la société Monts de la Madeleine Energie, au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l’association Bien vivre en pays d’Urfé est rejeté.
Article 2 : L’association Bien vivre en pays d’Urfé versera à la société Monts de la Madeleine Energie une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association Bien vivre en pays d’Urfé, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Monts de la Madeleine Energie.
Délibéré à l’issue de la séance du 13 décembre 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, conseillers d’Etat ; M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur