« Piste de fait ». Partage de responsabilité commune/ victime

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON

N° 13LY03383
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre – formation à 3
M. WYSS, président
Mme Aline SAMSON DYE, rapporteur
M. DURSAPT, rapporteur public
SCP LACHAT MOURONVALLE GOUROUNIAN, avocat

lecture du jeudi 13 novembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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(…)

1. Considérant que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a condamné la commune d’Huez à verser au père, à la mère et à la soeur de MarieE…, décédée le 22 février 2009 à la suite d’un accident de ski, la somme de 10 000 euros chacun, après avoir relevé que la commune avait commis une faute dans l’exercice de son pouvoir de police en s’abstenant de signaler le talweg au fond duquel la victime a chuté, mais que cette dernière avait également commis une faute, responsable pour moitié des conséquences dommageables de l’accident ; que, par deux requêtes distinctes, M. et Mme E…et leur fille et la commune d’Huez relèvent appel de ce jugement ; que, ces requêtes ayant fait l’objet d’une instruction commune et présentant à juger des questions communes, il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la faute de la commune :

2. Considérant qu’en vertu des dispositions de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, la police municipale a pour objet, notamment, de prévenir par des précautions convenables les accidents et qu’il appartient au maire de signaler spécialement les dangers excédant ceux contre lesquels les intéressés doivent personnellement, par leur prudence, se prémunir ;

3. Considérant qu’il n’est pas contesté, et qu’il résulte d’ailleurs de l’instruction, que si le lieu où est survenu l’accident dont a été victime Marie E…n’est pas une piste du domaine skiable, il est situé sur un itinéraire habituellement emprunté des skieurs, non loin d’une aire de pique-nique aménagée ;

4. Considérant qu’il résulte de l’instruction que la victime est décédée d’une chute sur un rocher situé au fond du talweg du Rif Brillant ; que le talus présentait, au lieu de l’accident, une profondeur de trois mètres et une largeur de deux mètres ; qu’il était, en raison de la différence d’altitude entre ses deux rives et de l’épaisseur du manteau neigeux, difficilement décelable depuis la table de pique-nique d’où provenait la victime ; qu’alors même que ce talweg était précédé d’une pente douce, le danger présenté par cet obstacle excédait, compte tenu de sa nature et de sa faible visibilité, les dangers contre lesquels les intéressés doivent personnellement, par leur prudence, se prémunir ; que, par suite, la commune d’Huez n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont estimé qu’elle avait commis une faute, eu égard au danger exceptionnel créé par ce talweg, en s’abstenant de prendre les dispositions convenables pour assurer la sécurité des skieurs, notamment par une signalisation appropriée ;

Sur la faute de la victime :

5. Considérant que la circonstance que la commune avait commis une carence dans l’exercice de son pouvoir de police n’était pas de nature à dispenser les skieurs de l’obligation d’évoluer avec prudence, avec les précautions rendues nécessaires par l’évolution en dehors des limites des pistes, et de s’adapter notamment aux conditions météorologiques ; qu’il résulte de l’instruction, et en particulier des déclarations effectuées par les personnes qui accompagnaient la victime, que ces derniers avaient choisi, en quittant l’aire de pique-nique, de regagner la piste, en raison de la faible expérience qu’ils avaient chacun de leur matériel de ski respectif, alors que la victime a choisi d’adopter un autre itinéraire ; qu’il ressort également de ces déclarations que la neige n’était pas damée sur l’itinéraire emprunté par l’intéressée ; que, dans ces conditions, il ne peut être sérieusement contesté que la victime a nécessairement dû avoir conscience qu’elle empruntait un passage hors piste, nonobstant les lacunes alléguées du balisage des pistes ; que, par ailleurs, les conditions météorologiques, caractérisées par une mauvaise visibilité due à un phénomène dit de  » jour blanc « , appelaient à une prudence renforcée pour emprunter ce type d’itinéraire, alors même que ni la commune, ni son concessionnaire n’avaient émis de recommandations particulières ; que, dès lors, et sans qu’ils puissent utilement se prévaloir de ce que le rapport d’accident réalisé par les services de secours ne faisait état d’aucune faute caractérisée, M. et Mme E…ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont retenu l’existence d’une faute de la victime ;

6. Considérant que si la commune fait par ailleurs état d’une vitesse inappropriée de la part de la victime, l’existence d’une vitesse excessive ne résulte pas de l’instruction ; qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction que les conditions dans lesquelles a chuté Marie E… révèleraient une faute de sa part dans le positionnement adopté ; qu’enfin, la circonstance qu’elle ne portait pas de casque n’est pas de nature à justifier, dans les circonstances de l’espèce, que la part de responsabilité de la commune soit jugée inférieure aux 50 % fixés, par une exacte appréciation, par les premiers juges ;

Sur l’évaluation du préjudice :

7. Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que les premiers juges auraient accordé une indemnisation excessive, en accordant à chacun des père, mère et soeur de la victime une somme de 10 000 euros, en réparation du préjudice moral causé par le décès de la victime ; qu’ainsi, la commune, qui se borne à soutenir que l’indemnisation accordée excède les montants octroyés au regard de la jurisprudence, n’est pas fondée à contester le montant de la condamnation prononcée par le Tribunal ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant, en premier lieu, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la Cour fasse bénéficier la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais exposés à l’occasion du litige soumis au juge et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune d’Huez doivent, dès lors, être rejetées ;

9. Considérant, en second lieu, qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par M. et MmeE… ;
DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B…E…et de Mlle C…E…est rejetée.
Article 2 : La requête de la commune d’Huez est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B…E…, à Mlle C…E…et à la commune d’Huez.
Délibéré après l’audience du 23 octobre 2014, où siégeaient :
– M. Wyss, président de chambre,
– M. Mesmin d’Estienne, président-assesseur,
– Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 novembre 2014.
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N° 13LY03383 – 13LY03384
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