Illégalité du « pacte intergénérationnel » de l’ESF/ Période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-529 du 26 mai 2014

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mardi 17 mars 2015
N° de pourvoi: 13-27142
Publié au bulletin Cassation

M. Frouin (président), président
SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Vu les articles 6, paragraphe 1, de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et L. 1133-2 du code du travail ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que nonobstant l’article 2, paragraphe 2, de la directive, les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, lors de son congrès du 24 novembre 2012, le Syndicat national des moniteurs du ski français a adopté un nouvel article 3.3 de ses statuts, dénommé « pacte intergénérationnel » destiné à être intégré dans les conventions type signées entre les écoles de ski français (ESF) locales et les moniteurs de ski, organisant la réduction d’activité des moniteurs de ski à partir de 62 ans ; que M. X… et dix-sept autres moniteurs de ski adhérents du syndicat ont saisi un tribunal de grande instance, pour obtenir la nullité de cette disposition en faisant valoir que le système ainsi arrêté, privait progressivement de la répartition des cours dans les ESF les moniteurs âgés de plus de 61 ans et constituait une mesure discriminatoire en raison de l’âge prohibée par le droit de l’Union européenne et la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;

Attendu que pour rejeter cette demande l’arrêt retient que l’intégration des jeunes nouveaux diplômés au sein des ESF est un objectif légitime, l’insuffisance du nombre de jeunes diplômés étant défavorable à la qualité de l’enseignement qui se doit d’être diversifié pour répondre à la demande d’une clientèle à la recherche de nouvelles techniques de glisse mais également pour assurer l’enseignement à de petits enfants, toutes contraintes qui nécessitent de nouveaux apprentissages et une forme physique adaptée ; que le Défenseur des droits a estimé dans un avis du 4 octobre 2012 que le projet de pacte cherchait à faciliter l’intégration des moniteurs les plus jeunes ; que les directeurs de plusieurs écoles de ski attestent que la réduction progressive d’activité mise en oeuvre depuis plusieurs années avant le pacte intergénérationnel avait précisément permis d’intégrer de jeunes moniteurs diplômés ; que le maintien comme permanents des moniteurs âgés de plus de 62 ans aurait pour conséquence la non titularisation, pendant plusieurs années, de jeunes moniteurs stagiaires ou saisonniers ; que l’exigence de proportionnalité est respectée dans la mesure où les désavantages causés par la diminution d’activité imposée aux moniteurs âgés de 62 ans à 67 ans étaient atténués par la validation a minima de deux trimestres d’assurance vieillesse au titre de chaque saison, et par le fait que les moniteurs âgés conservaient toute liberté d’exercice avec la clientèle personnelle qu’ils avaient pu se constituer grâce à l’ESF ;

Qu’en statuant ainsi, sans constater, d’une part, que la différence de traitement fondée sur l’âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime d’intérêt général, tenant notamment à la politique de l’emploi, au marché du travail ou à la formation professionnelle, la prise en compte d’un intérêt purement individuel et propre à la situation des écoles de ski désireuses de répondre à la demande de la clientèle, ne pouvant être considérée comme légitime au regard des articles 6 de la directive n° 2000/78 et L. 1133-2 du code du travail, et d’autre part, que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, alors que le pacte litigieux se contente de prévoir une garantie d’activité minimale pour les « moniteurs nouvellement intégrés » sans précision d’âge, de sorte qu’il n’est pas établi que la redistribution d’activité des moniteurs âgés de plus de 61 ans bénéficiera exclusivement aux jeunes moniteurs, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 septembre 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry ;

Condamne le Syndicat national des moniteurs du ski français aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne le Syndicat national des moniteurs du ski français à payer à M. X… et aux dix-sept autres demandeurs la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mars deux mille quinze.