ICHN – Modulation – Corse

CAA de MARSEILLE – 5ème chambre

  • N° 21MA03195 et 21MA03196
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 23 janvier 2023

Président

  1. BOCQUET

Rapporteur

Mme Claire BALARESQUE

Rapporteur public

  1. PECCHIOLI

Avocat(s)

D4 AVOCATS ASSOCIÉS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l’Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC) à lui verser la somme de 27 711,30 euros au titre du solde de l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN) pour les campagnes de 2015 à 2017.

Par un jugement n° 1900405 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juillet 2021 et 19 avril 2022, M. B… A…, représenté par Me Laurent, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du 10 juin 2021 ;

2°) de condamner l’ODARC à lui verser la somme de 27 711, 30 euros au titre du solde de l’ICHN pour les campagnes de 2015 à 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l’ODARC une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
– le tribunal n’a pas répondu au moyen tiré de l’inapplicabilité des textes sur lesquels l’ODARC s’est fondé pour lui refuser le versement à 100% de l’ICHN au titre des années 2015 et 2016 ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
– la modulation appliquée à l’ICHN au titre des années 2015 et 2016 repose sur le seul critère de l’âge, ce qui constitue une discrimination illégale ; l’annexe M 13 produite par l’ODARC n’était pas applicable avant 2017 ;
– la modulation appliquée à l’ICHN au titre de l’année 2017 est entachée d’erreur d’appréciation ; son système d’exploitation ne remplit pas les conditions précisées à l’annexe M 13 en vigueur depuis 2017 pour l’application de cette modulation ; les chiffres avancés par l’ODARC sont erronés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 octobre 2021 et le 27 juin 2022, l’Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC), représenté par la SELARL D4 Avocats Associés, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu’il soit sursis à statuer afin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à la compatibilité du programme de développement rural de la Corse avec le droit de l’Union et à ce que soit mis à la charge du requérant une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête n’est pas fondée dans les moyens qu’elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du
17 décembre 2013 ;
– le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du
17 décembre 2013 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme C…,
– les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :
1. M. A… relève appel du jugement du 10 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’ODARC à lui verser la somme de 27 711, 30 euros au titre du solde de l’ICHN pour les campagnes de 2015 à 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le requérant soutient que le tribunal administratif n’a pas répondu au moyen tiré de l’inapplicabilité des textes sur lesquels l’ODARC s’est fondée pour lui refuser le versement de l’ICHN à 100 % au titre des années 2015 et 2016. Toutefois, le tribunal, qui a cité, au point 3 du jugement attaqué, les dispositions du programme de développement rural de la Corse qui prévoient des modulations de l’ICHN, dans leur rédaction applicable concernant les années 2015 et 2016, avant d’écarter le moyen tiré du caractère discriminatoire de ces dispositions, a implicitement mais nécessairement répondu à cette argumentation. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la modulation du taux d’ICHN au titre des années 2015 et 2016 :

3. D’une part, aux termes du 1 de l’article 31 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 :  » Les paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d’autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d’indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée. / (…) Lorsqu’ils calculent les coûts supplémentaires et les pertes de revenus, les Etats membres peuvent, quand cela est dûment justifié, les moduler afin de tenir compte : / – de la gravité des handicaps permanents affectant l’activité agricole, / – du système agricole « .

4. Le programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020, adopté par la collectivité territoriale de Corse et approuvé par la commission européenne le 6 octobre 2015, définit notamment une mesure M13 portant sur les paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d’autres contraintes spécifiques. Aux termes de son point 8.2.11.3.1.8, relatif aux montants et taux d’aide, dans sa rédaction applicable au titre des années 2015 et 2016 :  » Le taux d’aide publique est de 100 %. Les montants unitaires sont compris dans la fourchette précisée à l’annexe II du règlement (UE) n° 1305/2013 soit entre 25 et 450 euros/ha / (…) L’aide est dégressive au-delà des 25 premiers hectares de surface primables (…). / Par ailleurs, les paiements sont modulés en fonction des systèmes agricoles conformément à l’article 31.1. Ces modulations se basent sur les différences de coûts supplémentaires et de pertes de revenu entre les systèmes agricoles calculés avec les données du Réseau d’Information Comptable ainsi que sur les données de l’organisme payeur ODARC. / 4 – Modulations de l’ICHN afin d’adapter les paiements aux exploitations ayant presque totalement surmonté le handicap en raison de l’évolution de leur système de production, au moment de pouvoir prétendre à la retraite. / Conformément aux prévisions figurant à l’annexe M13, il apparaît que les exploitations agricoles dont les membres peuvent prétendre à la retraite, ont par la configuration différenciée de leur système de conduite technique et économique de l’exploitation presque totalement surmonté les handicaps. Aussi, afin d’éviter une surcompensation du revenu de ces exploitants par l’ICHN, le niveau de l’aide pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein, est ramené à 13 % des montants unitaires « .

5. Aux termes de l’article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 :  » (…) les personnes ou groupements de personnes relevant du champ d’application du premier ou du deuxième alinéa sont considérés comme des agriculteurs actifs s’ils produisent des éléments de preuve vérifiables, selon les prescriptions des Etats membres, qui démontrent que l’une des conditions suivantes est remplie : / (…) c) leur activité principale ou leur objet social est l’exercice d’une activité agricole (…) « .
6. Il résulte des termes mêmes du programme de développement rural de la Corse cités au point 4 que la modulation à 13 % du taux de l’ICHN s’appliquant aux exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein repose non sur l’âge des agriculteurs mais sur la circonstance que les exploitations dont ils sont membres ont presque totalement surmonté les handicaps naturels eu égard à l’évolution de leur système de production. En outre et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient M. A…, il ressort d’un procès-verbal d’huissier produit par l’ODARC que l’annexe M13 intitulée  » justification des montants de l’ICHN  » annexée au programme de développement rural de la Corse 2014-2020, a bien été transmise à la Commission européenne le 8 septembre 2015, soit avant que ce programme ne soit approuvé par la Commission le 6 octobre 2015. Par suite, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, le moyen tiré du caractère discriminatoire de la modulation appliquée à l’ICHN versée au titre des années 2015 et 2016 à M. A…, dont il est constant qu’il avait dépassé l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein, doit être écarté.
En ce qui concerne la modulation du taux d’ICHN au titre de l’année 2017 :

7. Aux termes du point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020, dans sa rédaction applicable à compter de l’année 2017, à la suite de sa modification approuvée par une décision de la Commission du 1er février 2017 :  » (…) 4 – Modulation de l’ICHN afin d’adapter les paiements aux exploitations ayant presque totalement surmonté le handicap en raison de l’évolution de leur système de production, au moment de pouvoir prétendre à la retraite. / Conformément aux précisions figurant à l’annexe M13, il apparaît que les exploitations agricoles dont les membres peuvent prétendre à la retraite, ont par la configuration différenciée de leur système de conduite technique et économique de l’exploitation presque totalement surmonté les handicaps. Aussi, afin d’éviter une surcompensation du revenu de ces exploitants par l’ICHN, le niveau de l’aide pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépassent l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein et dont le système d’exploitation répond aux conditions précisées par à l’annexe M13, est ramené à 13 % des montants unitaires. / Ces conditions sont vérifiées sur la base de l’un des critères technicoéconomiques suivants : / le nombre et le montant moyen des investissements de l’exploitation est inférieur à la moyenne des autres exploitations / la part de leur surface agricole en herbe en contrepartie des surfaces en parcours ligneux, est augmentée d’au moins 1/3 pour cette catégorie / le degré d’autonomie alimentaire, (mesuré par le ratio Nombre d’ha en herbe mis en valeur par unité de cheptel), de ces exploitations est au moins 3 fois supérieur pour cette catégorie d’exploitations, par rapport à l’ensemble des exploitations en zones défavorisées « .

8. Le requérant soutient qu’il ne remplit aucun des critères technicoéconomiques énumérés par les dispositions précitées permettant de moduler le taux d’ICHN. Il résulte toutefois de l’instruction que M. A… a déclaré en 2016 auprès des services de la direction départementale des territoires une surface fourragère productive de 39,01 hectares et une surface agricole utile de 69,25 hectares, soit un ratio de surface fourragère utile sur la surface agricole utile de 56,33 %. Le requérant ne saurait se prévaloir d’un tableau établi par ses soins pour contester utilement ces chiffres et soutenir que la part de surface fourragère utile de son exploitation serait inférieure au tiers de la surface agricole utile de son exploitation. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, l’un des critères technicoéconomiques prévus au point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse étant rempli, l’ODARC n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le système d’exploitation de son exploitation répondait aux conditions précisées par l’annexe M13. Par suite, l’ODARC était fondé à lui appliquer la modulation du taux d’ICHN prévue par les dispositions précitées du point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020 pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein.

9. Il résulte de l’ensemble ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’ODARC à lui verser une somme de 27 711,30 euros au titre du solde de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) pour les campagnes 2015 à 2017.
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’ODARC, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A… demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. A… la somme demandée par l’ODARC en application des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. A… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’ODARC en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… A… et à l’Office du développement agricole et rural de Corse (ODARC).