Expulsion du commerçant occupant une ancienne gare de téléphérique non déclassée. Compétence du juge administratif

Conseil d’État

N° 366276
ECLI:FR:CESSR:2014:366276.20141119
Inédit au recueil Lebon
8ème et 3ème sous-sections réunies
Mme Esther de Moustier, rapporteur
M. Benoît Bohnert, rapporteur public
SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX ; SCP BOULLEZ, avocats

lecture du mercredi 19 novembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Texte intégral

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 21 février et 21 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la régie municipale « Espaces Cauterets », dont le siège est Place Foch, à Cauterets (65110) ; elle demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’article 3 de l’arrêt n° 11BX03303 du 20 décembre 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux, statuant sur sa requête tendant à l’annulation du jugement n° 0901585 du 11 octobre 2011 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande d’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane des locaux qu’elle occupe dans le bâtiment accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys sur le territoire de la commune de Cauterets et de condamnation de cette société à démonter la cabane aménagée sur la terrasse de ce bâtiment, après avoir enjoint à la société de libérer la terrasse sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt, a rejeté le surplus de ses conclusions ;

2°) de mettre à la charge de la société Hôtelière Bigourdane une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général de la propriété des personnes publiques ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Esther de Moustier, auditeur,

– les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de la société Hôtelière Bigourdane ;

1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’en vertu de conventions renouvelées de 1965 à 2005, la société Hôtelière Bigourdane a exploité un bar-restaurant à l’intérieur du bâtiment de la gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys, désormais désaffectée, sur le territoire de la commune de Cauterets ; qu’à l’expiration de la dernière convention signée le 16 mai 2001, la société, estimant être titulaire d’un bail commercial, a refusé de signer la convention d’occupation du domaine public qui lui était proposée ; qu’en décembre 2007, la commune de Cauterets a mis la société en demeure de libérer les lieux et qu’en décembre 2008, la régie municipale  » Espaces Cauterets « , à laquelle la commune avait confié la gestion et l’exploitation de l’ensemble des équipements du domaine skiable du Lys, l’a également mise en demeure de supprimer la cabane de restauration rapide aménagée sur la terrasse devant le restaurant ; que, par un arrêt du 20 décembre 2012, la cour administrative d’appel de Bordeaux a, d’une part, confirmant sur ce point le jugement du 11 octobre 2011 du tribunal administratif de Pau, rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître la demande de la régie municipale  » Espaces Cauterets  » tendant à ce que l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane du bar-restaurant qu’elle exploite soit ordonnée, d’autre part, fait droit à sa demande tendant à ce que cette société soit condamnée à démonter la cabane qu’elle avait aménagée sur la terrasse de la gare ; que la régie municipale  » Espaces Cauterets  » se pourvoit en cassation contre l’article 3 de cet arrêt qui a rejeté ses conclusions tendant à ce que l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane du bar-restaurant qu’elle exploite soit ordonnée ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2141-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui réitère en le codifiant l’état du droit antérieurement applicable :  » Un bien d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement  » ; qu’ainsi, lorsqu’un bien appartenant à une personne publique a été incorporé dans son domaine public, il ne cesse d’appartenir à ce domaine que du fait d’une décision expresse de déclassement ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les locaux exploités par la société Hôtelière Bigourdane se situent dans l’enceinte d’un ensemble immobilier accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys ainsi que les locaux des services techniques et des services de secours ; que cet ensemble immobilier a été affecté au service public des remontées mécaniques et spécialement aménagé à cet effet ; que, dans ces conditions, la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a relevé que  » l’acte de classement dans le domaine public de l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique n’a pas été rapporté  » ne pouvait, sans erreur de droit, juger que les locaux exploités par la société Hôtelière Bigourdane dans l’enceinte de cet ensemble immobilier ne faisaient pas partie du domaine public géré par la régie municipale  » Espaces Cauterets  » ; que son arrêt doit par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, être annulé en tant qu’il rejette la demande de la régie municipale  » Espaces Cauterets  » tendant à ce que soit ordonnée l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane du bar-restaurant qu’elle exploite dans l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

4. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

5. Considérant, d’une part, qu’il résulte de l’instruction que, par une délibération du 14 novembre 2011, confirmée par une délibération du 13 novembre 2012, le conseil d’administration de la régie municipale  » Espace Cauterets  » a, conformément à l’article 21 des statuts, autorisé son directeur à faire appel du jugement du 11 octobre 2011 du tribunal administratif de Pau ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Hôtelière Bigourdane, tirée de ce que la demande d’appel de la régie n’aurait pas été présentée par une personne légalement habilitée à le faire, ne peut qu’être rejetée ;

6. Considérant, d’autre part, que, ainsi qu’il a été dit, l’ensemble immobilier accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys a été affecté au service public des remontées mécaniques et a fait l’objet d’un aménagement spécial ; que tous les locaux compris dans l’enceinte de cet ensemble immobilier, éléments d’une organisation d’ensemble contribuant à l’utilité générale de cet équipement, ont été incorporés dans le domaine public dont la régie municipale  » Espace Cauterets  » est le gestionnaire ; qu’en l’absence de tout acte de déclassement, il en est encore ainsi à la date de la présente décision ; qu’ainsi, il appartient à la juridiction administrative de connaître de la demande tendant à l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane des locaux qu’elle occupe sans droit ni titre au sein du bâtiment abritant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys ; que la régie municipale  » Espaces Cauterets  » est dès lors fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau s’est déclaré incompétent pour statuer sur sa demande tendant à ce que soit ordonnée l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane de ces locaux ; que, par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu’il statue sur ces conclusions ;

7. Considérant qu’il y a lieu d’évoquer dans cette limite et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la régie municipale  » Espaces Cauterets  » devant le tribunal administratif de Pau ;

8. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, par une délibération du 18 juin 2009, le conseil d’administration de la régie municipale  » Espaces Cauterets  » a donné pouvoir à son directeur pour poursuivre l’expulsion de la société Hôtelière Bigourdane devant la juridiction administrative ; que, dès lors, la fin de non-recevoir, tirée de ce que la demande la régie municipale  » Espaces Cauterets  » n’aurait pas été présentée par une personne légalement habilitée à le faire, doit être rejetée ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine ; que la régie municipale  » Espaces Cauterets  » a qualité pour demander à la juridiction administrative d’ordonner l’expulsion des occupants sans titre du domaine public dont elle est le gestionnaire ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu’il est constant que la société Hôtelière Bigourdane occupe les locaux du bar-restaurant qu’elle exploite, qui, ainsi qu’il a été dit, appartiennent au domaine public de la commune, sans droit ni titre depuis le 5 août 2005 ; que, dans ces conditions, il y a lieu de faire droit à la demande de la régie municipale et d’enjoindre à la société Hôtelière Bigourdane de libérer sans délai les lieux qu’elle occupe sans droit ni titre et d’assortir cette injonction d’une astreinte de 100 euros par jour de retard si l’injonction n’a pas été exécutée dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ;

11. Considérant, en quatrième lieu, que les conclusions présentées par la société Hôtelière Bigourdane tendant à l’indemnisation du préjudice résultant pour elle de l’impossibilité de poursuivre l’exploitation de son bar-restaurant sont en tout état de cause irrecevables, faute d’avoir fait l’objet d’une demande préalable auprès de l’autorité gestionnaire du domaine public ;

12. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Hôtelière Bigourdane la somme de 3 000 euros à verser à la régie municipale  » Espaces Cauterets « , au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la régie municipale  » Espace Cauterets  » qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :
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Article 1er : L’article 3 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 20 décembre 2012 et le jugement du tribunal administratif de Pau du 11 octobre 2011, en tant qu’il rejette la demande de la régie municipale  » Espace Cauterets  » tendant à ce que l’expulsion de la Société Hôtelière Bigourdane des locaux qu’elle occupe dans le bâtiment accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du Domaine du Lys soit ordonnée, sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint à la société Hôtelière Bigourdane de libérer les locaux qu’elle exploite dans l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La société Hôtelière Bigourdane versera à la régie municipale  » Espaces Cauterets  » une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions indemnitaires présentées par la société Hôtelière Bigourdane et les conclusions qu’elle présente au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la régie municipale  » Espaces Cauterets  » et à la société Hôtelière Bigourdane.