Conseil d’État
N° 421332
ECLI:FR:CECHR:2020:421332.20200127
Inédit au recueil Lebon
4ème – 1ère chambres réunies
M. Olivier Fuchs, rapporteur
lecture du lundi 27 janvier 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 4 juin 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Syndicat interprofessionnel de la montagne demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 29 mars 2018 de la ministre des sports modifiant l’arrêté du 11 mars 2015 relatif au contenu et aux modalités d’organisation du recyclage des titulaires des diplômes de guide de haute montagne.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code du sport ;
– l’arrêté du 10 mai 1993 relatif au brevet d’Etat d’alpinisme ;
– l’arrêté du 16 juin 2014 relatif à la formation spécifique du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne ;
– l’arrêté du 11 mars 2015 relatif au contenu et aux modalités d’organisation du recyclage des titulaires des diplômes de guide de haute montagne ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Olivier Fuchs, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l’article L. 212-1 du code du sport : » I. – Seuls peuvent, contre rémunération, enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive ou entraîner ses pratiquants (…) les titulaires d’un diplôme, titre à finalité professionnelle ou certificat de qualification : / 1° Garantissant la compétence de son titulaire en matière de sécurité des pratiquants et des tiers dans l’activité considérée (…) « . L’article L. 212-2 du même code prévoit que, lorsque ces activités d’enseignement, d’animation ou d’encadrement s’exercent dans un environnement impliquant le respect de mesures de sécurité particulières, le diplôme permettant son exercice » est délivré par l’autorité administrative dans le cadre d’une formation coordonnée par les services du ministre chargé des sports et assurée par des établissements relevant de son contrôle pour les activités considérées « . A ce titre, l’article R. 212-7 du même code mentionne, au nombre des activités impliquant le respect de mesures de sécurité particulières, » le ski, l’alpinisme et leurs activités assimilées « . Enfin, l’article R. 212-1 dispose qu’afin d’assurer le maintien des compétences professionnelles en matière de sécurité des pratiquants et des tiers, le règlement du diplôme mentionné à l’article L. 212-2 peut prévoir des formations de mise à niveau, dont les contenus et les modalités d’organisation sont fixés par arrêté du ministre chargé des sports. L’article 1er de l’arrêté du 16 juin 2014 de la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports relatif à la formation spécifique du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne et l’article 2 de l’arrêté du ministre des sports et de la jeunesse du 10 mai 1993 relatif au brevet d’Etat d’alpinisme soumettent les titulaires du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne et du diplôme de guide de haute montagne du brevet d’Etat d’alpinisme à un stage de formation continue, dit de » recyclage « , tous les six ans.
2. Pour l’application des dispositions de l’article R. 212-1 mentionnées au point 1, l’arrêté de la ministre des sports du 11 mars 2015, tel que modifié par l’arrêté attaqué du 29 mars 2018, détermine les modalités d’organisation de la formation de mise à niveau dite de » recyclage » et précise que cette formation conditionne l’exercice de la profession. L’article 2 de cet arrêté, dans sa rédaction issue de l’arrêté attaqué, dispose que le » recyclage » est organisé par l’Ecole nationale des sports de montagne. Ce même article prévoit que l’organisation de cette formation de mise à niveau » peut faire l’objet, en tout ou partie, d’un marché passé avec un ou plusieurs organismes de formation, conformément à un cahier des charges établi par l’Ecole nationale des sports de montagne « . L’article 3 de cet arrêté, dans sa rédaction issue de l’arrêté attaqué, prévoit notamment que les formateurs sont titulaires du diplôme de guide de haute montagne relevant du brevet d’Etat d’alpinisme ou du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne depuis au moins six ans et en possession d’une carte professionnelle d’éducateur sportif en cours de validité , et que, dans le cas où l’organisation du » recyclage » fait l’objet d’un marché, les formateurs sont désignés par le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne, sur proposition de l’organisme ou des organismes de formation.
Sur le moyen tiré de l’incompétence :
3. Il résulte des dispositions de l’article R. 212-1 du code du sport mentionné au point 1 que la ministre des sports est seule compétente pour fixer par arrêté les contenus et les modalités d’organisation de la formation de mise à niveau prévue par l’article 1er de l’arrêté du 11 mars 2015 et l’article 2 de l’arrêté du 10 mai 1993. Dès lors, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué est entaché d’incompétence ne peut qu’être écarté.
Sur les moyens tirés de la méconnaissance du principe de liberté du commerce et de l’industrie, des règles de la concurrence et des principes généraux du droit de la commande publique :
En ce qu’ils concernent l’organisation de la formation par l’Ecole nationale des sports de montagne :
4. Il ressort des termes de l’article L. 212-2 du code du sport cité au point 1 que, lorsque les activités d’enseignement, d’animation ou d’encadrement d’une activité physique ou sportive contre rémunération s’exercent dans un environnement impliquant le respect de mesures de sécurité particulières, le diplôme permettant son exercice » est délivré par l’autorité administrative dans le cadre d’une formation coordonnée par les services du ministre chargé des sports et assurée par des établissements relevant de son contrôle pour les activités considérées « . Aux termes de l’article D. 211-53-1 du même code, l’Ecole nationale des sports de montagne a notamment pour mission » 3° La formation, le contrôle de la formation et le perfectionnement des professionnels des métiers sportifs de la montagne et la préparation aux diplômes conduisant à ces professions ainsi qu’aux activités professionnelles en relation avec son domaine de compétence « . En vertu de l’article 4 de l’arrêté du 11 mars 2015 relatif au contenu et aux modalités d’organisation du recyclage des titulaires des diplômes de guide de haute montagne, le » recyclage » des guides de haute montagne a pour objet d' » actualiser leurs compétences professionnelles, en particulier dans les domaines de la gestion de la sécurité, de l’obligation de moyens et de la réglementation « .
5. Il résulte de ces dispositions que, eu égard à l’objet du » recyclage « , qui vise à maintenir et développer les compétences des guides de haute montagne afin de leur permettre d’assurer la sécurité des pratiquants et des tiers dans l’activité considérée, et au fait que le suivi de cette formation conditionne l’exercice de la profession, ce » recyclage » doit être regardé comme relevant, au même titre que la délivrance du diplôme, du champ d’application de l’article L. 212-2 du code des sports. Il en résulte que cette formation ne peut être assurée que par des établissements relevant du contrôle du ministre chargé des sports. Il s’ensuit qu’en confiant à l’Ecole nationale des sports de montagne, établissement public administratif placé sous la tutelle du ministre chargé des sports, la mission d’assurer cette formation dite de » recyclage « , le ministre n’a fait que mettre en oeuvre les dispositions de l’article L. 212-2 du code du sport. Dès lors, les moyens tirés de ce que l’arrêté attaqué, en ce qu’il confie à l’Ecole nationale des sports de montagne l’organisation de la formation continue des guides de haute montagne, porterait atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et aux règles de la concurrence ne peuvent qu’être écartés.
En ce qu’ils concernent le recours à un marché passé avec un organisme ou plusieurs organismes de formation :
6. En premier lieu, compte tenu de l’objet même de la formation en cause, tel qu’il a été rappelé au point 5, l’arrêté attaqué a pu légalement prévoir, d’une part, un contenu identique, validé par l’Ecole nationale des sports de montagne, pour la formation délivrée à l’ensemble des professionnels soumis à l’obligation de » recyclage « , et, d’autre part, que ne pouvaient être désignés formateurs, y compris pour les organismes de formation co-contractants, que les titulaires du diplôme de guide de haute montagne relevant du brevet d’Etat d’alpinisme ou du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne depuis au moins six ans en possession d’une carte professionnelle d’éducateur sportif en cours de validité. Contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, ces conditions, qui sont proportionnées à l’objectif de sécurité poursuivi, n’ont ni pour objet ni pour effet d’empêcher l’Ecole nationale des sports de montagne de recourir, comme le prévoit d’ailleurs l’arrêté attaqué, à un ou des prestataires extérieurs.
7. En deuxième lieu, eu égard aux dispositions législatives et réglementaires et à l’objet de la formation cités au point 5, l’arrêté contesté a pu légalement confier à l’Ecole nationale des sports de montagne la compétence pour établir un cahier des charges, dans le cas où l’organisation du » recyclage » fait l’objet d’un marché, lui-même soumis, par principe, aux règles de la commande publique. Par suite, le Syndicat interprofessionnel de la montagne n’est pas fondé à soutenir que l’absence de fixation par l’arrêté attaqué du prix des formations en cause et de critères présidant au choix, le cas échéant, d’un organisme de formation méconnaîtrait les principes du droit de la commande publique.
8. En troisième lieu, lorsque l’organisation du » recyclage » fait l’objet d’un marché, les dispositions de l’article 5 de l’arrêté attaqué prévoient que les formateurs sont désignés par le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne sur proposition de l’organisme ou des organismes de formation co-contractants. Ces dispositions, qui doivent être regardées comme ayant pour objet de permettre à l’Ecole nationale des sports de montagne, dans l’exercice de ses missions rappelées aux points 4 et 5, de vérifier que les formateurs disposent des compétences nécessaires pour garantir la qualité de cette formation, sont nécessaires et proportionnées à l’objectif de sécurité poursuivi et ne méconnaissent pas, contrairement à ce qui est soutenu, le principe de liberté du commerce et de l’industrie et les règles de la concurrence.
9. En revanche, ces mêmes dispositions, en ce qu’elles prévoient que le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne peut mettre fin à la mission des formateurs sans encadrer cette possibilité, notamment en précisant les motifs et conditions dans lesquelles le directeur général peut y recourir, alors même que, comme indiqué au point 5, en vertu de l’arrêté attaqué, ces formateurs doivent être titulaires du diplôme de guide de haute montagne relevant du brevet d’Etat d’alpinisme ou du diplôme d’Etat d’alpinisme-guide de haute montagne depuis au moins six ans et en possession d’une carte professionnelle d’éducateur sportif en cours de validité, ne sont pas proportionnées à l’objectif poursuivi. Par suite, les syndicats requérants sont fondés à soutenir que les dispositions de l’article 5 de l’arrêté contesté, en tant qu’il prévoit que le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne peut mettre fin à la mission des formateurs intervenant pour le compte des organismes de formation co-contractants, sont illégales et doivent, dans cette mesure, être annulées.
Sur les autres moyens de la requête :
10. En premier lieu, l’harmonisation des pratiques de sécurité recherchée par l’uniformisation de la formation de mise à niveau des professionnels des métiers sportifs de la montagne ne saurait avoir pour effet de nuire à leur sécurité. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté contesté méconnaîtrait le » droit à la sécurité » des pratiquants ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.
11. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté fondamentale que constituerait le » droit individuel à la formation » n’est, en tout état de cause, pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.
12. En troisième lieu, compte tenu des risques inhérents à la pratique de l’alpinisme et activités assimilés, les guides de haute montagne sont placés dans une situation différente de celle des membres des professions réglementées citées par le requérant et des moniteurs de ski. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d’égalité, faute pour l’arrêté de permettre aux professionnels concernés de choisir librement un prestataire de formation ainsi que le contenu de ladite formation, ne peut qu’être écarté.
13. En quatrième lieu, l’arrêté contesté n’est relatif ni à l’enseignement ni à la scolarité. Ainsi, les moyens tirés de ce qu’il porterait atteinte aux principes de gratuité et de neutralité de l’enseignement ne sauraient être utilement invoqués.
14. Enfin, le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi.
15. Il résulte de tout ce qui précède que le Syndicat interprofessionnel de la montagne n’est fondé qu’à demander l’annulation des dispositions de l’article 5 de l’arrêté contesté en tant qu’il prévoit que, lorsque l’organisation du recyclage fait l’objet d’un marché, le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne peut mettre fin à la mission des formateurs intervenant pour le compte des organismes de formation co-contractants. En revanche, le surplus des conclusions de sa requête ne peut qu’être rejeté.
D E C I D E :
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Article 1er : L’article 5 de l’arrêté du 29 mars 2018 de la ministre des sports modifiant l’arrêté du 11 mars 2015 relatif au contenu et aux modalités d’organisation du recyclage des titulaires des diplômes de guide de haute montagne est annulé en tant qu’il prévoit que, lorsque l’organisation du recyclage fait l’objet d’un marché, le directeur général de l’Ecole nationale des sports de montagne peut mettre fin à la mission des formateurs intervenant pour le compte des organismes de formation co-contractants.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête du Syndicat interprofessionnel de la montagne est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat interprofessionnel de la montagne et à la ministre des sports.