CAA de MARSEILLE
N° 13MA03668
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
M. d’HERVE, président
Mme Jeanette FEMENIA, rapporteur
M. SALVAGE, rapporteur public
ROZIER, avocat
lecture du jeudi 29 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L’association les Amis du refuge de l’Aigle a demandé au tribunal administratif de Marseille l’annulation de l’arrêté en date du 19 juillet 2012 par lequel le maire de la commune de La Grave a délivré un permis de construire à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne (FFCAM).
Par un jugement n° 1206328 du 9 juillet 2013, le tribunal administratif de Marseille a
rejeté la demande présentée pour l’association les Amis du refuge de l’Aigle.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires enregistrées respectivement le 9 septembre et le 25 octobre 2013, l’association les Amis du refuge de l’Aigle, représentée par Me B…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du 9 juillet 2013 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d’annuler l’arrêté précité ;
3°) de mettre à la charge de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, une somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– en violation de l’arrêté du 19 mars 1943 qui interdit toute modification de la toiture, des façades et du niveau d’élévation du refuge de l’Aigle, le permis de construire attaqué ne prévoit pas la conservation du refuge puisque seulement douze piliers internes sont rallongés, et que les quatre façades de 1910 disparaissent dans la nouvelle architecture ;
– en méconnaissance des articles 621-34 du code du patrimoine, L. 430-8 du code de l’urbanisme et L. 341-1 du code de l’environnement, le projet de construction, objet de l’autorisation en litige, porte atteinte à l’harmonie du site protégé dont le bâti et l’environnement forment un paysage remarquable ; le projet d’étendre le refuge à cet endroit implique un détour des itinéraires et constitue un accès difficile ;
– le maire a entaché sa décision d’erreur manifeste d’appréciation en n’examinant que l’aspect du bâti et non l’ensemble du site de la Meije, en méconnaissant le caractère remarquable des lieux résultant de sa beauté et de son histoire et en invoquant des questions de sécurité qu’il était à même de résoudre autrement ;
– la décision attaquée qui consiste en réalité à démolir l’ancien refuge est entachée de détournement de pouvoir et de procédure dès lors qu’il s’agit de faire l’économie d’un permis de démolir dont l’obtention n’est pas certaine ;
– en violation des articles R. 123-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, le projet en litige n’est pas conforme aux règles de sécurité auxquelles sont assujettis les refuges de montagne, dès lors que les abords du refuge sont plus restreints, que les chutes de neige du toit comportent un risque mortel pour les alpinistes utilisant la coursive en façade est et que l’agencement intérieur des pièces présente un risque d’incendie.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 janvier 2014, la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne représentée par son président en exercice, par Me C… conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
– les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mars 2014, la commune de La Grave représentée par son maire en exercice, par Me A… conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la requérante à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
– à titre principal la requête est irrecevable faute de contestation du jugement dont il est demandé l’annulation ;
– à titre subsidiaire, les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Par une ordonnance en date du 4 août 2015, la clôture de l’instruction a été fixée au 20 août 2015 à 12h00.
Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience par un avis d’audience adressé le 23 septembre 2015.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Féménia, première conseillère,
– les conclusions de M. Salvage, rapporteur public.
1. Considérant que par arrêté en date du 19 juillet 2012, le maire de la commune de La Grave a délivré un permis de construire à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne pour le confortement et l’extension du refuge de l’Aigle, situé lieu-dit La Grave ; que l’association les Amis du refuge de l’Aigle interjette appel du jugement en date du 9 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté ;
Sur la légalité de la décision attaquée :
2. Considérant que par arrêté du 19 mars 1943, le ministre de l’éducation nationale a inscrit sur la liste des sites dont la conservation présente un intérêt général en application de la loi du 2 mai 1930, dont l’objet était de réorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, codifiée depuis le 21 septembre 2000 aux articles L. 341-1 et suivants du code de l’environnement, celui de la » Meije » composé par les sommets, cols et arêtes allant du sommet de la Lauze au Pic Oriental de la Meije, les arêtes secondaires descendant de ces sommets, les glaciers, le lac de Puy-Vachier ainsi que les refuges de l’Aigle, du Promontoire et Evariste Chancel ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 341-1 du code de l’environnement susmentionné : » Il est établi dans chaque département une liste des monuments naturels et des sites dont la conservation ou la préservation présente, au point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque, un intérêt général. Après l’enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre Ier, l’inscription sur la liste est prononcée par arrêté du ministre chargé des sites et, en Corse, par délibération de l’Assemblée de Corse après avis du représentant de l’Etat. L’inscription entraîne, sur les terrains compris dans les limites fixées par l’arrêté, l’obligation pour les intéressés de ne pas procéder à des travaux autres que ceux d’exploitation courante en ce qui concerne les fonds ruraux et d’entretien normal en ce qui concerne les constructions sans avoir avisé, quatre mois d’avance, l’administration de leur intention. » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’inscription d’un site n’a ni pour objet ni pour effet d’interdire toute réalisation d’équipement, construction ou activité économique dans le périmètre de conservation du site, mais seulement de soumettre à autorisation toute opération susceptible de modifier l’état des lieux ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que l’autorisation de construire en litige serait illégale compte tenu de l’inscription du site au titre des dispositions précitées du code de l’environnement ne peut qu’être écarté ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article R. 425-30 du code de l’urbanisme : » Lorsque le projet est situé dans un site inscrit, la demande de permis ou la déclaration préalable tient lieu de la déclaration exigée par l’article L. 341-1 du code de l’environnement. Les travaux ne peuvent être entrepris avant l’expiration d’un délai de quatre mois à compter du dépôt de la demande ou de la déclaration. La décision prise sur la demande de permis ou sur la déclaration préalable intervient après consultation de l »architecte des Bâtiments de France. » ;
5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le refuge de l’Aigle a été édifié dans le site inscrit de la Meije, et s’adosse depuis 1910 à un piton rocheux s’élevant à 3 441 mètres d’altitude, dans le parc national des Ecrins et représente de par son ancienneté, son architecture légère en bois de mélèze, sa situation au coeur des traversées alpines des glaciers de l’Homme et du Tabuchet, tant un témoignage historique qu’un un élément remarquable de ce haut lieu de l’alpinisme ; que cependant, la fédération française des clubs alpins, détentrice d’un bail emphytéotique consenti par la commune de La Grave, a fait le constat à l’appui de différentes études techniques, que la conservation du refuge de l’Aigle ne pouvait plus être assurée en raison de son état de vétusté et que sa conception d’origine n’était plus adaptée à sa mission d’accueillir les alpinistes et les services de secours, en raison notamment de son exiguïté et de l’absence de règles modernes d’hygiène alimentaire et sanitaire, et de la difficulté de respecter les règles de sécurité ; qu’elle a obtenu dans un premier temps une autorisation de démolir le refuge existant ; que la contestation de cette autorisation devant la juridiction administrative par l’association requérante a été définitivement rejetée ; que toutefois, il ressort également des pièces du dossier, que le projet de démolition du refuge légalement autorisé n’a pas été mis en oeuvre et qu’à l’issue d’une démarche de médiation avec les acteurs intéressés, après avoir recueilli l’avis conforme du directeur de l’établissement public du parc national des Ecrins ainsi que les avis favorables de l’architecte des bâtiments de France, de la sous-commission départementale pour la sécurité contre les risques d’incendie dans les établissements recevant du public et l’agence régionale de santé, le maire de la commune de La Grave a, par arrêté du 19 juillet 2012 et sur la demande de la fédération française des clubs alpins, autorisé la réalisation d’un nouveau projet consistant à conforter et étendre le refuge de l’Aigle en intégrant la structure d’origine en bois à un volume unique et surélevé permettant ainsi d’augmenter la capacité d’accueil de 18 à 30 couchages, d’assurer sa pérennité contre les conditions climatiques extrêmes en l’intégrant dans une coque de confortement réalisée en bois massif à l’intérieur et plaquée d’aluminium à l’extérieur, et d’aménager l’espace intérieur à la fois en conformité avec les normes de sécurité et dans le souci d’accueillir au mieux ses usagers; que, de par l’ensemble de ces considérations qui traduisent l’intérêt particulier porté à la valeur patrimoniale du refuge de l’Aigle et le respect de sa situation dans son environnement protégé, le projet en litige, qui consiste à conforter le refuge, ne porte pas atteinte à la protection ou à la mise en valeur du site de La Meije tel qu’il a été inscrit en 1943 ; que pour les mêmes motifs, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que le maire a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation ;
6. Considérant en troisième lieu, que si l’association requérante soutient en outre sans toutefois l’établir qu’un tel projet implique un détour des itinéraires habituels et présente un accès difficile pour les alpinistes, un tel moyen est inopérant au regard des dispositions précitées du code de l’urbanisme et du code de l’environnement ;
7. Considérant en quatrième lieu, que si l’association requérante soutient sans l’établir que la délivrance du permis de construire en litige révèle un détournement de pouvoir et de procédure dès lors qu’en réalité il permettrait de démolir le refuge de l’Aigle sans en requérir l’autorisation réglementaire, en tout état de cause, les éléments du dossier rappelés au point 5 contredisent cette allégation ;
8. Considérant en cinquième lieu, que les moyens tirés de la violation des articles R. 123-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, qui relèvent d’une législation indépendante, des dispositions de l’article L. 621-34 du code du patrimoine, relatives au permis de démolir et abrogées au 1er octobre 2007, et d’un prétendu article L. 430-8 du code de l’urbanisme, sont inopérants ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la requérante n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté en date du 19 juillet 2012 par lequel le maire de la commune de La Grave a délivré un permis de construire à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : » Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande l’association les Amis du refuge de l’Aigle au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche de mettre à la charge de l’association les Amis du refuge de l’Aigle, le versement à la commune de La Grave et à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne d’une somme globale de 1 000 euros au même titre ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l’association les Amis du refuge de l’Aigle est rejetée.
Article 2 : L’association les Amis du refuge de l’Aigle versera à la commune de La Grave et à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne une somme globale de 1 000 (mille) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association les Amis du refuge de l’Aigle, à la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne et à la commune de La Grave.
Délibéré après l’audience du 8 octobre 2015 à laquelle siégeaient :
– M. d’Hervé, président de chambre,
– Mme Josset, présidente assesseure,
– Mme Féménia, première conseillère.
Lu en audience publique, le 29 octobre 2015.
»
»
»
»
4
N° 13MA003668