Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 26 avril 2017
N° de pourvoi: 16-10482
Non publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi
Mme Batut (président), président
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que MM. X… et Y…, moniteurs de ski, exerçant leur activité en qualité de travailleurs indépendants, étaient adhérents du Syndicat local des moniteurs de l’école du ski français de Saint-Lary-Soulan (le syndicat local) et avaient adhéré à la convention établie entre les moniteurs de l’Ecole du ski français de Saint-Lary-Soulan (l’ESF) ; qu’alléguant une discrimination illicite fondée sur l’âge, ils ont assigné le syndicat local aux fins de voir ordonner le retrait de l’article 3 de cette convention, dans sa version mise à jour au 11 décembre 2010, fixant à 61 ans la limite d’âge pour l’exercice de la profession en qualité de moniteur permanent ou saisonnier ; qu’ils ont, en outre, sollicité la réparation de leurs préjudices moral et financier ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que le syndicat local fait grief à l’arrêt de déclarer recevables les demandes indemnitaires de MM. X… et Y… et de le condamner à leur payer diverses sommes, alors, selon le moyen :
1°/ qu’un contractant n’est responsable que des conséquences des manquements contractuels qui lui sont imputables et doit, comme tout tiers, respecter l’existence des contrats auxquels il n’est pas partie et se garder d’en compromettre l’exécution ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a considéré que le syndicat local avait engagé sa responsabilité à raison du fait qu’il aurait assuré le respect de la convention multipartite ESF passée entre les moniteurs de ski et qui aurait comporté une stipulation illicite ; qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que le syndicat local était tiers à la convention, dont MM. X… et Y… étaient les signataires, et que le syndicat local ne pouvait ni modifier le contenu de cette convention ni retirer cette dernière, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, ensemble l’article 1165 dudit code ;
2°/ que la responsabilité d’un contractant ne peut être engagée que si un manquement ayant causé le dommage dont réparation est demandée lui est imputable ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le syndicat local n’exerçait aucune activité commerciale et ne s’immisçait pas dans la répartition des cours de ski entre les moniteurs, ce dont il se déduisait nécessairement que la réduction de l’activité d’enseignement dans le cadre de l’ESF dont se plaignaient MM. X… et Y… ne résultait pas d’une décision du syndicat local, mais de la mise en oeuvre d’autres engagements souscrits par eux, de telle sorte que le préjudice allégué n’avait pas été causé par un manquement du syndical local et ne pouvait donc pas lui être imputé ; qu’en condamnant, néanmoins, le syndicat local à indemniser les défendeurs au pourvoi du préjudice résultant de la « réduction illégitime de l’activité d’enseignement », au motif inopérant que le non-respect de la convention signée entre les moniteurs de ski était susceptible de donner lieu, selon les statuts du syndicat, à une sanction disciplinaire interne audit syndicat, la cour d’appel a méconnu les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article 1147 du code civil ;
3°/ que la responsabilité d’une personne ne peut être engagée que si lui est imputable un manquement ayant causé le dommage dont réparation est demandée ; qu’en l’espèce, la cour d’appel s’est contentée d’une référence totalement abstraite aux prérogatives théoriques du syndicat local en matière de discipline interne pour retenir la responsabilité de ce dernier ; qu’en statuant ainsi, sans constater que celui-ci aurait usé desdites prérogatives, ou aurait menacé de le faire, pour contraindre MM. X… et Y… à appliquer la stipulation prétendument discriminatoire figurant dans la convention multipartite conclue entre les moniteurs de ski et se serait ainsi opposé à la poursuite de leur activité de moniteur saisonnier ou permanent dans le cadre de l’ESF, la cour d’appel, qui n’a fait état que d’un manquement hypothétique du syndicat local et d’un lien de causalité éventuel avec le préjudice allégué, a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil ;
4°/ que seul est réparable le préjudice causé directement par le manquement contractuel ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a indemnisé le préjudice résultant pour les demandeurs de la réduction, de respectivement 302 heures et 255 heures, de leur activité dans le cadre de l’ESF ; qu’en statuant ainsi, sans démontrer que la privation du label « ESF », à la supposer même imputable à une hypothétique décision du syndicat local, avait effectivement empêché les demandeurs d’exercer leur profession indépendante de moniteur de ski pendant ces heures et les avait privés de clients, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un préjudice direct et certain des demandeurs et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du code civil ;
5°/ que seul peut être réparé un préjudice certain et direct ; qu’en l’espèce, le syndicat local soutenait que la réduction d’activité de M. X… avait été en partie causée par le fait qu’il avait pris des congés en pleine saison de ski pendant les deux saisons litigieuses ; qu’en écartant ce moyen pourtant déterminant, aux motifs inopérants que M. X… se fondait sur les temps d’enseignement effectivement dispensés, sans exclure que son temps d’enseignement aurait pu être plus élevé, malgré le fait qu’il soit devenu moniteur occasionnel, s’il n’avait pas pris de congé en saison, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du code civil ;
6°/ que la différence de traitement entre deux personnes ne constitue pas une discrimination illicite lorsqu’elle est proportionnée à la poursuite d’un objectif légitime ; qu’en l’espèce, les stipulations litigieuses poursuivaient un but légitime, et plus précisément permettre l’accès de jeunes moniteurs à la profession, et étaient proportionnées puisqu’elles permettaient aux moniteurs de plus de 61 ans de poursuivre leur activité en indépendant ou en moniteur occasionnel ; qu’en jugeant que MM. X… et Y… avaient subi de ce fait une discrimination fautive, la cour d’appel a violé l’article 1147 du code civil, ensemble les articles 1er et 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
Mais attendu, d’abord, que l’arrêt relève que, selon la convention, le directeur de l’ESF est aussi président du syndicat local, que l’ESF fonctionne avec quatre comptes bancaires dont l’un est celui du syndicat local, et qu’en exécution des statuts du syndicat local, les membres de celui-ci doivent respecter la convention entre les moniteurs ; qu’après avoir constaté que les appels de cotisations syndicales, émis pas le directeur de l’ESF, rappelaient l’acceptation et le respect des statuts du syndicat local et de la convention, et que l’acceptation de cette dernière était une condition de l’adhésion au syndicat local, la cour d’appel a retenu qu’il résultait de la combinaison de ces documents que le syndicat local était institué gardien du respect, par ses propres membres, de la convention et était statutairement investi d’un pouvoir disciplinaire pour sanctionner d’éventuelles violations de celle-ci de leur part ; qu’elle a pu en déduire que la responsabilité contractuelle du syndicat local pouvait être invoquée, à l’égard de ses adhérents, dans le cas où il aurait imposé l’application de dispositions de la convention, qui s’avéreraient discriminatoires ;
Attendu, ensuite, que, sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale au regard des articles 1147 et 1151 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le moyen ne tend, en ses quatrième et cinquième branches, qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine du préjudice par les juges du fond ;
Et attendu, enfin, qu’ayant relevé que la convention ne précisait nullement l’objectif recherché par la limitation de l’activité d’enseignement imposée aux moniteurs âgés de plus de 61 ans, reclassés en moniteurs occasionnels, et qu’aucun élément objectivement vérifiable n’établissait qu’elle avait pour objectif et eu pour effet, pour la période considérée, en sus du renouvellement naturel des générations faisant valoir leurs droits à retraite, de permettre l’embauche de jeunes moniteurs, en sorte que le temps de travail dégagé par l’exclusion des moniteurs de plus de 61 ans du statut de moniteur permanent ou saisonnier aurait effectivement bénéficié à ceux-là, la cour d’appel en a justement déduit que la convention comportait une discrimination injustifiée à l’égard des moniteurs âgés de plus de 61 ans ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :
Vu l’article 32 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour rejeter la demande tendant au retrait de la clause litigieuse de la convention, l’arrêt énonce que le syndicat local ne peut être condamné à faire procéder au retrait des dispositions litigieuses :
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle retenait que le syndicat local, statutairement investi du pouvoir de faire respecter la convention entre les moniteurs, engageait sa responsabilité à l’égard de ses adhérents en imposant l’application des dispositions discriminatoires, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande tendant au retrait de l’article 3 de la convention entre les moniteurs de l’Ecole du ski français, dans sa version mise à jour au 11 décembre 2010, l’arrêt rendu le 13 novembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Ordonne le retrait de l’article 3 de la convention des moniteurs de l’Ecole du ski français de Saint-Lary-Soulan, dans sa version mise à jour au 11 décembre 2010 ;
Condamne le Syndicat local des moniteurs de l’école du ski français de Saint-Lary-Soulan aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à MM. X… et Y… la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six avril deux mille dix-sept.