Covid- Fermeture de l’accès des remontées mécaniques au grand public – Suspension (non)

Conseil d’État, Juge des référés, 03/02/2021, 448939, Inédit au recueil Lebon
Conseil d’État – Juge des référés
• N° 448939
• ECLI:FR:CEORD:2021:448939.20210203
• Inédit au recueil Lebon
Lecture du mercredi 03 février 2021
Avocat(s)
SCP ZRIBI, TEXIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 janvier et 1er février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), la Fédération sportive et culturelle de France (FSCF), la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), l’Union française des oeuvre laïques d’éducation physique (UFOLEP), la Fédération nationale du sport en milieu rural (FNSMR) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution du 3° du I de l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020, en ce qu’il limite l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– la condition d’urgence est satisfaite compte tenu de la période réduite de la saison de ski et du début des vacances scolaires qui sont des périodes de forte fréquentation à l’occasion desquelles des stages et activités sont proposés de manière soutenue, notamment aux pratiquants mineurs ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées qui méconnaissent le principe d’égalité en limitant l’accès aux remontées mécaniques aux pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski alors que d’autres fédérations sportives proposent à leurs licenciés, parmi lesquels figurent des mineurs, la pratique du ski et des sports de neige et participent à la mise en oeuvre du service public du sport.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite, et que le moyen invoqué n’est pas de nature à faire naître un de doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du sport ;
– le code du tourisme ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– l’arrêté du 29 décembre 2018 accordant la délégation prévue à l’article L. 131-14 du code du sport à la Fédération française de ski ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la FSGT et les autres requérants, et d’autre part, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 1er février 2021, à 11 heures :

– Me Texier, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FSGT et des autres requérants ;

– la représentante de la FSGT et des autres requérants ;

– le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;

– la représentante du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « .

2. La Fédération sportive et gymnique du travail et autres demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521- du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution du décret du 4 décembre 2020 qui a modifié l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire en tant qu’il limite l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

3. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et qu' »il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.  »

4. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

5. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 313112 et L. 313113 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

Sur la demande en référé :

6. Les fédérations requérantes et le Comité national olympique et sportif français soutiennent que les dispositions litigieuses méconnaissent le principe d’égalité en limitant l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et en n’autorisant pas cet accès à l’ensemble des pratiquants mineurs licenciés des fédérations sportives agréées. Ils font valoir que si la Fédération française de ski dispose d’une délégation prévue à l’article L. 131-14 du code du sport lui conférant des prérogatives dans le champ du sport de haut niveau et de la performance, l’ensemble des fédérations sportives agréées participent à la mise en oeuvre de missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives et que des fédérations agréées proposent, pour certaines d’entre elles, la pratique du ski en compétition pour leurs licenciés et disposent de licenciés mineurs résidant à proximité des stations de ski.

7. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

8. Il résulte de l’instruction que, pour faire face à la situation d’urgence sanitaire, marquée par un palier à un niveau élevé dans le nombre de nouvelles contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne notamment nombre des régions où se pratique le ski alpin, et par la nécessité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter un rebond épidémique, le Gouvernement a, par le décret contesté, interdit l’accès du public aux remontées mécaniques. Il a néanmoins entendu maintenir l’accès aux remontées mécaniques aux mineurs résidant à proximité des stations de ski et pratiquant le ski alpin de manière intensive, notamment en compétition. Une telle exception ne pouvait découler de celle prévue pour les sportifs professionnels et de haut niveau. En réservant cet accès aux pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski, fédération chargée de prérogatives particulières dans le domaine du haut niveau et de la performance pour les disciplines liées au ski en application de l’article L. 131-14 du code du sport, le pouvoir réglementaire a entendu restreindre le champ de cette dérogation pour limiter l’afflux de population dans les stations de ski pendant la période de vacances scolaires. S’il en résulte une différence de traitement entre les pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et les pratiquants mineurs licenciés dans d’autres fédérations sportives agréées, cette différence de traitement n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, et compte tenu du contexte très particulier lié à l’épidémie de covid-19 et de la nécessité de limiter le brassage d’une population importante dans les stations de ski, comme manifestement disproportionnée au regard de l’objet du décret du 4 décembre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses méconnaîtraient le principe d’égalité ne paraît pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que la requête ne peut qu’être rejetée, y compris les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :
——————

Article 1er : La requête de la Fédération gymnique et sportive du travail et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération gymnique et sportive du travail, premier requérant dénommé, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.