Conseil d’État
N° 404348
ECLI:FR:CECHR:2016:404348.20161230
Inédit au recueil Lebon
2ème – 7ème chambres réunies
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur
Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public
lecture du vendredi 30 décembre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Mme A…B…, à l’appui de sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 24 mars 2014 du préfet de la Haute-Savoie portant institution d’une servitude au titre du code du tourisme pour le domaine skiable Les Houches-Saint-Gervais, a produit un mémoire, enregistré le 14 septembre 2016 au greffe du tribunal administratif, en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 342-18 à L. 342-26 du code du tourisme.
Par une ordonnance n° 1407377 du 7 octobre 2016, enregistrée le 11 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Grenoble, avant qu’il soit statué sur la demande de MmeB…, a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;
– le code du tourisme, notamment ses articles L. 342-18 à L. 342-26 ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Cécile Barrois de Sarigny, maître des requêtes,
– les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 décembre 2016, présentée par Mme B… ;
1. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu’une juridiction relevant du Conseil d’Etat a transmis à ce dernier, en application de l’article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que, sur le fondement de ces dispositions, Mme B…demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 342-18 à L. 342-26 du code du tourisme permettant l’institution de servitudes sur les propriétés privées ou faisant partie du domaine privé d’une collectivité publique, au profit de la commune, du groupement de communes, du département ou du syndicat mixte concerné, afin d’assurer, selon les termes de l’article L. 342-20, » le passage, l’aménagement et l’équipement des pistes de ski et des sites nordiques destinés à accueillir des loisirs de neige non motorisés organisés, le survol des terrains où doivent être implantées des remontées mécaniques, l’implantation des supports de lignes dont l’emprise au sol est inférieure à quatre mètres carrés, le passage des pistes de montée, les accès nécessaires à l’implantation, l’entretien et la protection des pistes et des installations de remontée mécanique, et, lorsque la situation géographique le nécessite, les accès aux sites d’alpinisme, d’escalade en zone de montagne et de sports de nature (…) ainsi que les accès aux refuges de montagne » ; qu’elle soutient que ces dispositions législatives porteraient une atteinte inconstitutionnelle au droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et méconnaîtraient le droit au respect de la vie privée, en particulier l’inviolabilité du domicile, protégé par l’article 2 de la Déclaration, le principe constitutionnel d’égalité et l’article 7 de la Charte de l’environnement ;
3. Considérant toutefois, en premier lieu, que les dispositions contestées, qui se bornent à permettre l’institution de servitudes, n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser une quelconque dépossession ; qu’elles n’entrent pas, dès lors, dans le champ de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées sont justifiées par un motif d’intérêt général tenant à l’exercice et au développement des sports de nature et de montagne énumérés à l’article L. 342-20 du code du tourisme ; que l’objet des servitudes dont ces dispositions permettent l’institution est défini avec précision par la loi ; que l’article L. 342-22 de ce code impose que la décision instituant la servitude détermine sa consistance et notamment son tracé, sa largeur, les périodes de l’année pendant lesquelles, compte tenu de l’enneigement et du cours des travaux agricoles, la servitude s’applique partiellement ou totalement ; que l’article L. 342-18 subordonne l’établissement de la servitude, pour ce qui concerne la pratique des sports autres que le ski de fond ou l’accès aux sites d’alpinisme, d’escalade ou de sports de nature, à la délimitation préalable des secteurs visés par les plans locaux d’urbanisme ; que les dispositions contestées prévoient que la servitude est créée par une décision motivée de l’autorité administrative sur proposition de la commune, de l’établissement de coopération intercommunale ou du département, après une enquête parcellaire, effectuée comme en matière d’expropriation, dans le cadre de laquelle le dossier de la servitude est tenu à disposition du public pendant un mois, ainsi que, le cas échéant, lorsque la servitude ne peut être établie qu’à l’intérieur des zones et secteurs délimités dans les plans locaux d’urbanisme, après la procédure préalable à l’adoption, à la révision ou à la modification de ces plans ; qu’en cas d’opposition du conseil municipal d’une commune, la loi précise que la servitude ne peut être établie que par décret en Conseil d’Etat ; que les dispositions du code du tourisme interdisent aux servitudes de grever les terrains situés à moins de vingt mètres des bâtiments à usage d’habitation, sauf exceptions dûment justifiées par la configuration des lieux ; qu’enfin, selon l’article L. 342-24, la servitude ouvre droit à indemnité s’il en résulte pour le propriétaire du terrain ou l’exploitant un préjudice direct, matériel et certain ; qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles L. 342-18 à L. 342-26 du code du tourisme, qui répondent à un motif d’intérêt général, sont assorties de garanties suffisantes et ne portent pas d’atteinte disproportionnée au droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le droit au respect de la vie privée, et en particulier de l’inviolabilité du domicile, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne s’oppose pas à l’institution des servitudes prévues par les articles L. 342-18 à L. 342-26 du code du tourisme, lesquelles n’ont ni pour objet ni pour effet de permettre de mettre en cause l’inviolabilité du domicile ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’au regard de l’objet des dispositions contestées, le législateur a pu, tenant compte des différences de situation, permettre que la règle interdisant qu’une servitude grève un terrain situé à moins de vingt mètres des bâtiments à usage d’habitation ne trouve pas à s’appliquer dans les situations mentionnées aux alinéas 2 à 4 de l’article L. 342-23 du code du tourisme, lorsque l’existence des bâtiments en cause est postérieure à l’existence effective de la piste ou des équipements, lorsque l’existence effective de la piste ou des équipements est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux et lorsque l’institution de la servitude est le seul moyen d’assurer la réalisation des pistes, des équipements ou des accès visés à l’article L. 342-20 ; que le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité ne peut, par suite, qu’être écarté ;
7. Considérant, en cinquième lieu, qu’aux termes de l’article 7 de la Charte de l’environnement : » Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » ; que les décisions établissant des servitudes en application des dispositions contestées sont prises, ainsi qu’il a été dit, après enquête parcellaire effectuée comme en matière d’utilité publique, c’est-à-dire, ainsi que le prévoient les articles R. 131-4 et R.131-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, après le recueil des observations du public et après notification individuelle aux propriétaires concernés du dépôt du dossier en mairie ; que les décisions prises en application des dispositions contestées sont en outre précédées des procédures préalables à l’établissement, la révision ou la modification des plan locaux d’urbanisme prévoyant les zones et secteurs dans lesquels les servitudes peuvent être établies, à chaque fois que l’institution de la servitude requiert au préalable la délimitation des secteurs correspondants au plan local d’urbanisme ; que ces procédures garantissent la participation du public à l’élaboration des décisions concernées ; qu’il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement doit être écarté ;
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité à la Constitution des articles L. 342-18 à L. 342-26 du code du tourisme, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu’il n’y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le tribunal administratif de Grenoble.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A…B…, au syndicat intercommunal unique du domaine skiable Les Houches-Saint-Gervais et au ministre de l’intérieur.