Archives de catégorie : Jurisprudences

Effarouchement renforcé de l’ours brun – Illégalité (violation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement)

Conseil d’État

N° 434058
ECLI:FR:CECHR:2021:434058.20210204
Inédit au recueil Lebon
6ème – 5ème chambres réunies
Mme Cécile Vaullerin, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public

Lecture du jeudi 4 février 2021

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 29 août 2019 et le 5 janvier 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Ferus – Ours, Loup, Lynx, l’association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, l’association Pays de l’Ours – Adet, le comité écologique ariégeois, l’association Nature Comminges, l’association Nature en Occitanie, le fonds d’intervention écopastoral, l’association France nature environnement Hautes-Pyrénées, la société nationale de protection de la nature et d’acclimatation de France et l’association Animal Cross demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 27 juin 2019 du ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l’agriculture et de l’alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme A… B…, auditrice,

– les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. D’une part, l’article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive  » Habitats  » prévoit que :  » 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l’annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : (…) b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (…) « . L’ours brun (Ursus arctos) est au nombre des espèces figurant au point a) de l’annexe IV de la directive. L’article 16 de la même directive énonce toutefois que :  » 1. A condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) : (…) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété « .

2. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de la directive  » Habitats  » :  » Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (…) d’espèces animales non domestiques (…) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (…) la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces (…) « . Aux termes de l’article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l’article 16 de la même directive :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (…) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en oeuvre des interdictions prises en application du I de l’article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s’appliquent (…) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (…) b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage (…) et à d’autres formes de propriété « .

3. Enfin, pour l’application de ces dernières dispositions, l’article R. 411-1 du code de l’environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l’objet des interdictions définies à l’article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l’agriculture. L’article R. 411-6 du même code précise que :  » Les dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (…) « . Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l’agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature  » (…) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l’aire de répartition excède le territoire d’un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement « .

4. Pris sur le fondement de ces dernières dispositions, l’arrêté attaqué du 27 juin 2019 a pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu’au 1er novembre 2019, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques. Son article 2 autorise le recours à des moyens d’effarouchement selon deux modalités, l’effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l’effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux. L’article 3 de l’arrêté fixe les conditions de mise en oeuvre de l’effarouchement simple, justifiée par la survenance d’au moins une attaque sur l’estive lors de l’année précédente ou d’au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes. L’usage de la dérogation est conditionné à l’utilisation de moyens de protection du troupeau tels que définis par les plans de développement ruraux ou de mesures reconnues équivalentes, sauf si le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé. Les dispositions prévoient une information préalable par les agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et un compte-rendu annuel de réalisation adressé au préfet. L’article 4 de l’arrêté précise les modalités de mise en oeuvre de l’effarouchement renforcé, subordonné à la mise en place de l’effarouchement simple et à la survenance, malgré la mise en oeuvre effective de moyens d’effarouchement simple, d’une deuxième attaque en moins d’un mois ou, sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première attaque imputable à l’ours. L’article 5 de l’arrêté prévoit l’autorisation du directeur du parc national des Pyrénées pour toute mesure d’effarouchement dans le coeur du parc.

5. Il est constant que l’ours brun ne vit plus en France que dans le massif des Pyrénées. Alors que l’effectif de l’espèce en France comptait encore environ 150 individus au début du XXème siècle, la population ursine a connu un fort déclin au cours de ce siècle pour ne plus compter que 7 ou 8 individus dans les années 1980. En dépit du régime de protection institué en 1981 et des réintroductions effectuées à compter de 1996, l’état de conservation de l’espèce n’a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l’article 1er de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992. Il ressort ainsi des différentes études produites au dossier que les effectifs d’ours bruns dans la chaîne pyrénéenne s’élevaient à une cinquantaine d’individus en 2019. Il ressort, en outre, du rapport d’évaluation établi le 26 septembre 2013 par le Muséum national d’histoire naturelle à la demande du Gouvernement que, malgré l’évolution positive des effectifs et de l’aire de répartition et malgré la stabilité de l’habitat de l’espèce, les perspectives futures restent défavorables, dans la mesure où les effectifs sur l’aire de répartition demeurent inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l’espèce, estimée à une centaine d’individus.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de précaution :

6. Si les requérantes soutiennent que l’arrêté attaqué méconnaîtrait le principe de précaution tel que défini par l’article 5 de la Charte de l’environnement, les risques invoqués pour la viabilité de l’espèce, s’agissant d’une règlementation ayant pour objet d’organiser les conditions de mise en oeuvre de dérogations au principe de protection des espèces protégées et de leurs habitats posé par la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et les articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement, ne sont pas au nombre de ceux, présentant des incertitudes en l’état des connaissances scientifiques, visés à cet article. Dès lors, le moyen soulevé ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté.

Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l’article L. 411-2 du code de l’environnement :

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de la condition relative à l’existence de dommages importants à l’élevage :

7. Les dispositions de l’article 3 de l’arrêté attaqué conditionnent le recours à des mesures d’effarouchement simple au fait que le troupeau ait subi  » au moins une attaque sur l’estive au cours de l’année précédant la demande ou d’au moins quatre attaques cumulées sur l’estive au cours des deux années précédant la demande « . Les dispositions de l’article 4 de l’arrêté attaqué autorise la mise en oeuvre de mesures d’effarouchement renforcé  » dès la deuxième attaque intervenue dans un délai inférieur à un mois (…) ou, pour les estives ayant subi au moins quatre attaques cumulées sur les deux années précédentes, dès la première attaque imputable à l’ours (…).  » Une attaque est définie à l’article 3 de l’arrêté attaqué comme  » toute attaque pour laquelle la responsabilité de l’ours n’a pas pu être exclue et donnant lieu à au moins une victime indemnisable au titre de la prédation de l’ours « . Les dispositions de l’arrêté attaqué ne permettent ainsi le recours à des mesures d’effarouchement, simple ou renforcé, que dans le cas où le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés. Par suite, le moyen tiré de ce que l’arrêté attaqué méconnaîtrait la condition relative à l’existence de dommages importants à l’élevage posée à l’article L. 411-2 du code de l’environnement ne peut qu’être écarté.

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance de la condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l’espèce dans son aire de répartition naturelle et de la condition relative à l’absence d’autre solution satisfaisante :

8. Si la nécessité de protéger les élevages est au nombre des motifs qui peuvent justifier, aux termes des dispositions précitées de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992, une dérogation à l’interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d’une espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, dont l’état de conservation est défavorable, de telles mesures dérogatoires ne sauraient être légalement adoptées que si elles ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce.

9. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport réalisé par le conseil général de l’environnement et du développement durable et le conseil général de l’alimentation de l’agriculture et des espaces ruraux, publié en septembre 2018, qu’en l’état des connaissances disponibles, les mesures d’effarouchement simple par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, mises en oeuvre dans les conditions prévues par l’arrêté attaqué, ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d’ours ou à compromettre l’amélioration de l’état de conservation de l’espèce.

10. En revanche, l’article 4 de l’arrêté attaqué, sous réserve que soient remplies les conditions qu’il prévoit en termes d’attaques des troupeaux, permet à tout éleveur, groupement pastoral ou gestionnaire d’estive de déposer auprès du préfet une demande de dérogation permettant le recours à l’effarouchement par des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation et prévoit que les dérogations accordées sont délivrées pour deux mois et sont reconductibles deux fois. Il permet la mise en oeuvre de ces opérations d’effarouchement renforcé par l’éleveur ou le berger, titulaires du permis de chasser, ou par des lieutenants de louveterie ou par des chasseurs ou par des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, après une formation préalable par les agents de cet Office. En ouvrant ainsi ces possibilités de recourir à l’effarouchement renforcé, sans encadrer davantage ses conditions de mise en oeuvre, les dispositions de l’arrêté attaqué relatives à ce mode d’effarouchement ne permettent pas de s’assurer, eu égard aux effets d’un tel effarouchement sur l’espèce, que les dérogations susceptibles d’être accordées sur ce fondement par le préfet ne portent pas atteinte, en l’état des connaissances prévalant à la date de l’arrêté attaqué, au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l’amélioration de l’état de l’espèce. Par suite, les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’arrêté, en tant qu’il prévoit des mesures d’effarouchement renforcé, méconnaît les dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et est entaché d’illégalité.

Sur les conclusions relatives aux frais d’instance :

11. Il y a lieu dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros à verser à l’association Ferus – Ours, loup, lynx et autres au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Les termes  » deux  » et  » l’effarouchement renforcé, à l’aide de tirs non létaux  » de l’article 2 ainsi que l’article 4 de l’arrêté du 27 juin 2019 relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d’effarouchement de l’ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux sont annulés.
Article 2 : L’Etat versera à l’association Ferus – Ours, loup, lynx et autres une somme de 2 000 euros, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association Ferus – Ours, Loup, Lynx, première dénommée pour l’ensemble des requérantes, à la ministre de la transition écologique et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Covid- Fermeture de l’accès des remontées mécaniques au grand public – Suspension (non)

Conseil d’État, Juge des référés, 03/02/2021, 448939, Inédit au recueil Lebon
Conseil d’État – Juge des référés
• N° 448939
• ECLI:FR:CEORD:2021:448939.20210203
• Inédit au recueil Lebon
Lecture du mercredi 03 février 2021
Avocat(s)
SCP ZRIBI, TEXIER
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 janvier et 1er février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), la Fédération sportive et culturelle de France (FSCF), la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), l’Union française des oeuvre laïques d’éducation physique (UFOLEP), la Fédération nationale du sport en milieu rural (FNSMR) et le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution du 3° du I de l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 modifié par le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020, en ce qu’il limite l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 6 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– la condition d’urgence est satisfaite compte tenu de la période réduite de la saison de ski et du début des vacances scolaires qui sont des périodes de forte fréquentation à l’occasion desquelles des stages et activités sont proposés de manière soutenue, notamment aux pratiquants mineurs ;
– il existe un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées qui méconnaissent le principe d’égalité en limitant l’accès aux remontées mécaniques aux pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski alors que d’autres fédérations sportives proposent à leurs licenciés, parmi lesquels figurent des mineurs, la pratique du ski et des sports de neige et participent à la mise en oeuvre du service public du sport.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite, et que le moyen invoqué n’est pas de nature à faire naître un de doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code du sport ;
– le code du tourisme ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– l’arrêté du 29 décembre 2018 accordant la délégation prévue à l’article L. 131-14 du code du sport à la Fédération française de ski ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la FSGT et les autres requérants, et d’autre part, le ministre des solidarités et de la santé et le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 1er février 2021, à 11 heures :

– Me Texier, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la FSGT et des autres requérants ;

– la représentante de la FSGT et des autres requérants ;

– le représentant du ministre des solidarités et de la santé ;

– la représentante du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a clos l’instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision « .

2. La Fédération sportive et gymnique du travail et autres demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521- du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution du décret du 4 décembre 2020 qui a modifié l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire en tant qu’il limite l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés au sein d’une association sportive affiliée à la Fédération française de ski.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

3. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et qu' »il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.  »

4. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

5. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre 2020, sur le fondement des articles L. 313112 et L. 313113 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

Sur la demande en référé :

6. Les fédérations requérantes et le Comité national olympique et sportif français soutiennent que les dispositions litigieuses méconnaissent le principe d’égalité en limitant l’accès aux remontées mécaniques aux seuls pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et en n’autorisant pas cet accès à l’ensemble des pratiquants mineurs licenciés des fédérations sportives agréées. Ils font valoir que si la Fédération française de ski dispose d’une délégation prévue à l’article L. 131-14 du code du sport lui conférant des prérogatives dans le champ du sport de haut niveau et de la performance, l’ensemble des fédérations sportives agréées participent à la mise en oeuvre de missions de service public relatives au développement et à la démocratisation des activités physiques et sportives et que des fédérations agréées proposent, pour certaines d’entre elles, la pratique du ski en compétition pour leurs licenciés et disposent de licenciés mineurs résidant à proximité des stations de ski.

7. Le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

8. Il résulte de l’instruction que, pour faire face à la situation d’urgence sanitaire, marquée par un palier à un niveau élevé dans le nombre de nouvelles contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne notamment nombre des régions où se pratique le ski alpin, et par la nécessité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter un rebond épidémique, le Gouvernement a, par le décret contesté, interdit l’accès du public aux remontées mécaniques. Il a néanmoins entendu maintenir l’accès aux remontées mécaniques aux mineurs résidant à proximité des stations de ski et pratiquant le ski alpin de manière intensive, notamment en compétition. Une telle exception ne pouvait découler de celle prévue pour les sportifs professionnels et de haut niveau. En réservant cet accès aux pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski, fédération chargée de prérogatives particulières dans le domaine du haut niveau et de la performance pour les disciplines liées au ski en application de l’article L. 131-14 du code du sport, le pouvoir réglementaire a entendu restreindre le champ de cette dérogation pour limiter l’afflux de population dans les stations de ski pendant la période de vacances scolaires. S’il en résulte une différence de traitement entre les pratiquants mineurs licenciés dans une association sportive affiliée à la Fédération française de ski et les pratiquants mineurs licenciés dans d’autres fédérations sportives agréées, cette différence de traitement n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, et compte tenu du contexte très particulier lié à l’épidémie de covid-19 et de la nécessité de limiter le brassage d’une population importante dans les stations de ski, comme manifestement disproportionnée au regard de l’objet du décret du 4 décembre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses méconnaîtraient le principe d’égalité ne paraît pas, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que la requête ne peut qu’être rejetée, y compris les conclusions présentées en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :
——————

Article 1er : La requête de la Fédération gymnique et sportive du travail et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération gymnique et sportive du travail, premier requérant dénommé, au ministre des solidarités et de la santé et au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Chômage partiel – Extension aux régies directes de remontées mécaniques

CE, 28 janv. 2021, Syndicat mixte Savoie Grand Revard, n° 432340, Rec. T.

 

(…) 1. Le syndicat mixte Savoie Grand Revard, qui gère le domaine skiable du Grand Revard, a sollicité le 28 décembre 2015 l’autorisation de placer ses salariés en position d’activité partielle en raison d’un déficit d’enneigement. Le préfet de la Savoie lui a refusé cette autorisation le 8 janvier 2016 et le ministre du travail a rejeté le 16 mars 2016 son recours hiérarchique contre ce refus. Par un jugement du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces décisions. Le syndicat mixte Savoie Grand Revard se pourvoit en cassation contre l’arrêt par lequel la cour administrative d’appel de Lyon a, sur l’appel de la ministre du travail, annulé le jugement du tribunal administratif de Grenoble et rejeté sa demande de première instance.

2. D’une part, l’article L. 5122-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, prévoit que :  » I. – Les salariés sont placés en position d’activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l’autorité administrative, s’ils subissent une perte de rémunération imputable (…) à la fermeture temporaire de leur établissement ou partie d’établissement (…) / II. – Les salariés reçoivent une indemnité horaire, versée par leur employeur, correspondant à une part de leur rémunération antérieure dont le pourcentage est fixé par décret en Conseil d’Etat. L’employeur perçoit une allocation financée conjointement par l’Etat et l’organisme gestionnaire du régime d’assurance chômage. (…) « . L’article R. 5122-1 du même code précise que :  » L’employeur peut placer ses salariés en position d’activité partielle lorsque l’entreprise est contrainte de réduire ou de suspendre temporairement son activité pour l’un des motifs suivants : (…) / 3° Un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel (…) /5° Toute autre circonstance de caractère exceptionnel  » et le premier alinéa de l’article R. 5122-2 de ce code prévoit que :  » L’employeur adresse au préfet du département où est implanté l’établissement concerné une demande préalable d’autorisation d’activité partielle.  » Enfin, aux termes de l’article L. 5424-1 de ce code, dans sa rédaction alors applicable :  » Ont droit à une allocation d’assurance (…) : / 2° Les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs autres que ceux de l’Etat (…)  » et aux termes de l’article L. 5424-2 :  » (…) peuvent adhérer au régime d’assurance : / 1° Les employeurs mentionnés au 2° de l’article L. 5424-1 (…) « .

3. D’autre part, l’article L. 342-9 du code du tourisme dispose que :  » Le service des remontées mécaniques, le cas échéant étendu aux installations nécessaires à l’exploitation des pistes de ski, est organisé par les communes sur le territoire desquelles elles sont situées ou par leurs groupements ou par le département auquel elles peuvent confier par convention, dans les limites d’un périmètre géographique défini, l’organisation et la mise en oeuvre du service. / Les communes ou leurs groupements peuvent s’associer, à leur demande, au département pour organiser ce service « . Aux termes de l’article L. 342-13 du même code :  » L’exécution du service est assurée soit en régie directe, soit en régie par une personne publique sous forme d’un service public industriel et commercial, soit par une entreprise ayant passé à cet effet une convention à durée déterminée avec l’autorité compétente « . L’exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski, incluant notamment leur entretien et leur sécurité, constitue un service public industriel et commercial, même lorsque la station de ski est exploitée en régie directe par la commune ou par un groupement de communes, le cas échéant associés au département. Il en résulte qu’en l’absence de disposition législative contraire, les agents contractuels recrutés pour exercer dans un tel service public sont, à l’exception de l’agent chargé de la direction du service ainsi que du chef de la comptabilité ayant la qualité de comptable public, soumis à un régime de droit privé.

4. Il résulte des dispositions citées au point 2 que, dès lors que les agents contractuels recrutés pour exercer dans un service de remontées mécaniques ou de pistes de ski sont soumis à un régime de droit privé, ils peuvent être placés en position d’activité partielle dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier de la cinquième partie du code du travail par leur employeur, sous réserve de l’adhésion de ce dernier au régime d’assurance chômage, le cas échéant en application du 1° de l’article L. 5424-2 du code du travail. Est sans incidence à cet égard, contrairement à ce que soutient l’administration, la circonstance que, par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, le législateur ait, en raison des incertitudes qui demeuraient sur la possibilité pour les intéressés d’en bénéficier, instauré, pour une durée de trois ans, un dispositif expérimental permettant le placement en position d’activité partielle des salariés employés par les régies de communes ou de syndicats de communes dotées de la seule autonomie financière qui gèrent un service public à caractère industriel et commercial de remontées mécaniques ou de pistes de ski. Il revient à l’administration, saisie par un service de remontées mécaniques ou de pistes de ski d’une demande d’autorisation d’activité partielle motivée par un déficit d’enneigement le contraignant à réduire ou à suspendre temporairement son activité, d’apprécier, sous le contrôle du juge, si ce déficit peut être regardé, au regard du niveau d’enneigement habituel, comme présentant un caractère exceptionnel.

5. Par suite, le syndicat mixte Savoie Grand Revard est fondé à soutenir qu’en jugeant que jusqu’à l’intervention de la loi du 28 décembre 2016, les dispositions de l’article L. 5122-1 du code du travail ne s’appliquaient pas aux régies dotées de la seule autonomie financière qui gèrent un service public de remontées mécaniques ou de pistes de ski, la cour a commis une erreur de droit. Il en résulte qu’il est fondé à demander pour ce motif l’annulation de l’arrêt qu’il attaque. (…)

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 6 mai 2019 est annulé. (…)

Forêts de protection/ Décret du 6 avril 2018/ Illégalité partielle

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 18/12/2020, 424290, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – 5ème – 6ème chambres réunies

  • N° 424290
  • ECLI:FR:CECHR:2020:424290.20201218
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 18 décembre 2020

Rapporteur

Mme Louise Cadin

Rapporteur public

Mme Cécile Barrois de Sarigny

Avocat(s)

SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 septembre 2018, 17 décembre 2019 et 14 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Forestiers du monde demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le décret n° 2018-254 du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l’article L. 141-1 du code forestier, ainsi que les décisions rejetant leurs recours gracieux dirigés contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code forestier ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… A…, auditrice,

– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de l’association forestiers du Monde.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 141-1 du code forestier, relatif aux forêts de protection, dispose que :  » Peuvent être classés comme forêts de protection, pour cause d’utilité publique, après enquête publique réalisée conformément aux dispositions du chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement : / 1° Les bois et forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables ; / 2° Les bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations ; / 3° Les bois et forêts situés dans les zones où leur maintien s’impose soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population « . L’article L. 141-2 du même code dispose que :  » Le classement comme forêt de protection interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements « . Aux termes de l’article L. 141-3 :  » Dès la notification au propriétaire de l’intention de classer une forêt en forêt de protection, aucune modification ne peut être apportée à l’état des lieux, aucune coupe ne peut être effectuée ni aucun droit d’usage créé pendant quinze mois à compter de la date de notification, sauf autorisation de l’autorité administrative compétente de l’Etat « . Enfin, l’article L. 141-4 dispose que :  » Les forêts de protection sont soumises à un régime spécial, déterminé par décret en Conseil d’Etat, en ce qui concerne notamment (…) les fouilles et extractions de matériaux (…) « . Pour l’application de ces dernières dispositions, l’article R. 141-14 du même code dispose que :  » Aucun défrichement, aucune fouille, aucune extraction de matériaux, aucune emprise d’infrastructure publique ou privée, aucun exhaussement du sol ou dépôt ne peuvent être réalisés dans une forêt de protection. / Par exception, le propriétaire peut procéder à des travaux qui ont pour but de créer les équipements indispensables à la mise en valeur et à la protection de la forêt (…) « .

2. L’association Forestiers du monde demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l’article L. 141-4 du code forestier, qui modifie la partie réglementaire du code forestier relative à ce régime spécial pour autoriser dans les forêts de protection, sous réserve du respect des conditions qu’il définit, d’une part, la réalisation de fouilles et de sondages archéologiques et, d’autre part, la recherche et l’exploitation souterraine de gisements d’intérêt national de gypse.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, aucun texte ni aucun principe n’imposaient la consultation préalable de l’Office national des forêts. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que d’autres organismes auraient dû être consultés n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 141-2 du code forestier citées au point 1 que le législateur n’a pas entendu interdire tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol dans les forêts de protection, mais seulement ceux qui sont de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements. En outre, il résulte des termes de l’article L. 141-4 du code forestier, cités au point 1, que les fouilles et extractions de matériaux peuvent être autorisées dans le cadre d’un régime spécial déterminé par décret en Conseil d’Etat.

5. Par suite, en prévoyant, d’une part, par l’introduction au code forestier des articles R. 141-38-1 à R.141-38-4 pour les fouilles et les sondages archéologiques et, d’autre part, par l’introduction au même code des articles R. 141-38-5 à R.141-38-9 pour la recherche ou l’exploitation souterraine de gisements d’intérêt national de gypse, que de telles activités peuvent être autorisées par le préfet dans le périmètre d’une forêt de protection sous réserve, ainsi que le précisent respectivement les articles R.141-38-1 et R.141-38-5, qu’elles ne compromettent pas les exigences, fixées à l’article L. 141-2 du même code, de conservation et de protection des boisements et qu’elles ne  » modifient pas fondamentalement la destination forestière des terrains « , le décret attaqué ne méconnaît pas, contrairement à ce que soutient l’association requérante, l’article L. 141-2 du code forestier.

6. En deuxième lieu, le septième alinéa du II l’article R. 141-38-5 du code forestier, introduit par le décret attaqué et relatif à la recherche ou à l’exploitation souterraine des gisements d’intérêt national de gypse dispose que :  » Pour les équipements, constructions, aménagements et infrastructures indispensables à l’exploitation souterraine et à la sécurité de celle-ci, l’emprise correspondante ne peut pas dépasser six hectares de la surface de la forêt protégée (…) « .

7. L’autorisation ne pouvant être délivrée par le préfet que si les équipements, constructions, aménagements et infrastructures indispensables à l’exploitation souterraine et à la sécurité mentionnés ci-dessus respectent, outre cette limitation de surface, l’ensemble des autres conditions légales, notamment, conformément au 1° et 2° du II du même article, les exigences de conservation et de protection des boisements ainsi que celles de conservation de l’écosystème forestier et de stabilité des sols, la fixation d’une surface maximale de six hectares n’est pas, contrairement à ce que soutient l’association requérante, entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

8. En troisième lieu, le décret attaqué insère au code de l’environnement un article R. 181-33-1 qui dispose, pour l’exploitation souterraine d’une carrière de gypse située dans une forêt de protection, que la décision prise par le préfet sur la demande d’autorisation environnementale est soumise à un avis conforme du ministre chargé des forêts, dont le silence gardé pendant deux mois vaut avis favorable.

9. Ces dispositions ayant pour seul effet de créer une procédure d’avis conforme du ministre chargé des forêts, l’association requérante n’est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu’elles méconnaissent le principe de non-régression posé par les dispositions de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, la circonstance qu’elles prévoient un avis favorable en cas de silence gardé par le ministre chargé des forêts étant, à cet égard, sans incidence.

10. En quatrième lieu, si le premier alinéa de l’article R. 141-38-4 du code forestier, introduit par le décret attaqué, prévoit que les opérations de fouilles et de sondages archéologiques qui ont été autorisées dans une forêt avant son classement comme forêt de protection peuvent être poursuivies sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’autorisation préfectorale prévue par le nouvel article R.141-38-1, il impose néanmoins que ces opérations fassent l’objet d’une information du préfet de région et d’une appréciation, par le préfet compétent, du risque d’atteinte à la conservation et à la protection des boisements ainsi qu’à la conservation des écosystèmes forestiers et à la stabilité des sols dans le périmètre de protection. En cas de risque d’atteinte à ces intérêts, le deuxième alinéa du même article R.141-38-4 prévoit que le préfet peut imposer les prescriptions qu’il estime nécessaires pour limiter les incidences des travaux. Par suite, en dispensant les opérations de fouilles et de sondages archéologiques engagées préalablement à l’entrée en vigueur du classement en forêt de protection de l’autorisation requise en principe pour de tels travaux, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l’article L.141-2 du code forestier. Il ne porte pas non plus, sur ce point, atteinte au droit de propriété des propriétaires de parcelles classées comme forêt de protection et n’instaure aucune situation qui serait, à l’égard de ces propriétaires, contraire au principe d’égalité, alors même qu’en vertu de l’article L.141-3 du code cité ci-dessus, s’applique à ces derniers l’interdiction de toute modification de l’état des lieux dès que leur est notifiée une intention de classement.

11. Toutefois, ce même deuxième alinéa du nouvel article R. 141-38-4 du code forestier prévoit que les prescriptions que le préfet peut ainsi imposer à une opération de fouille ou de sondage autorisée avant le classement, lorsque ces prescriptions se révèlent nécessaires compte tenu de l’incidence de l’opération sur la stabilité des sols, la végétation forestière ou les écosystèmes forestiers, doivent être  » proportionnées afin de ne pas compromettre l’opération « . En imposant ainsi une exigence de proportionnalité au regard des seuls besoins de l’opération de fouille ou de sondage, le décret attaqué méconnaît la nécessité de veiller aussi à ne pas compromettre la conservation ou la protection des boisements qui résulte des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 141-2 du code forestier.

12. Par suite, l’association requérante est fondée à demander l’annulation des dispositions de la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article R. 141-38-4 du code forestier, introduit par le décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Forestiers du monde n’est fondée à demander l’annulation du décret attaqué et des décisions du 18 juillet 2018 par lesquelles le Premier ministre et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont rejeté ses recours gracieux que dans la mesure précisée au point 12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à l’association requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le décret du 6 avril 2018 est annulé en tant qu’il introduit au code forestier un article R. 141-38-4 dont le deuxième alinéa comporte la phrase :  » Ces prescriptions sont proportionnées afin de ne pas compromettre l’opération « .

Article 2 : Les décisions du 18 juillet 2018 par lesquelles le Premier ministre et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont implicitement refusé de retirer le même décret sont annulées dans la mesure dite à l’article 1er.

Article 3 : L’Etat versera à l’association Les Forestiers du monde une somme de 1 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’association Forestiers du monde, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et au Premier ministre.

Interdiction de skier à l’étranger/ Référé liberté/ Rejet

Conseil d’État, , 17/12/2020, 447431, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État –

  • N° 447431
  • ECLI:FR:CEORD:2020:447431.20201217
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 17 décembre 2020

Avocat(s)

SCP SPINOSI, SUREAU

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue des droits de l’homme demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du Premier ministre révélée par ses propos tenus publiquement le 2 décembre 2020 tendant à interdire aux français de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger pour pratiquer le ski et, corrélativement, à faire automatiquement subir à ceux qui le feraient une mesure de  » quarantaine de sept jours  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre d’indiquer publiquement, sous vingt-quatre heures et par un moyen de communication à large diffusion, que l’interdiction de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger est rapportée et n’a plus lieu d’être ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la gravité et à l’immédiateté de l’atteinte portée aux libertés fondamentales et, en second lieu, au caractère lourd des sanctions qui peuvent s’appliquer en cas de non-respect de la décision contestée ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la libre circulation, au principe d’égalité et au droit au respect de la vie privée et familiale ;
– la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle poursuit un objectif purement économique en limitant la concurrence avec les autres Etats européens qui autorisent les activités de sport d’hiver ;
– elle est inadaptée et injustifiée dès lors, en premier lieu, qu’elle instaure une interdiction générale et absolue sans distinguer selon que les zones fréquentées sont marquées par une circulation active du virus, en deuxième lieu, que les contrôles aux frontières ne peuvent être effectifs et, en dernier lieu, que la mesure de quarantaine ne s’applique qu’aux personnes qui auraient prétendument pratiqué le ski à l’étranger et non à celle qui se seraient rendues à l’étranger pour d’autres motifs ;
– elle est disproportionnée dès lors que le non-respect de cette interdiction entraîne une mesure d’isolement de sept jours.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la santé publique ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et  » qu’il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. « .

3. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

4. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

5. Il résulte des données scientifiques publiées qu’à la date du 15 décembre 2020, 2 391 447 cas ont été confirmés positifs au virus covid-19, en augmentation de 11 532 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 6,2% et 59 072 décès liés à l’épidémie sont à déplorer, en hausse de 314 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d’occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 56,8% mettant sous tension l’ensemble du système de santé. Cette dernière donnée analysée au niveau des régions atteint, respectivement, 64,1%, 87,8% et 93,9%, pour les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté.

Sur la demande en référé :

6. La Ligue des droits de l’homme soutient que la décision révélée par l’interview du Premier ministre méconnaît le principe de proportionnalité, qu’elle engendre une rupture d’égalité entre les personnes qui auraient pratiqué le ski à l’étranger et celles qui s’y seraient rendues pour d’autres motifs, et qu’elle est entachée d’un détournement de pouvoir.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée par un niveau élevé du nombre de contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne à titre d’exemple les régions françaises limitrophes de la Suisse, pays dans lequel le ski est au nombre des activités autorisées, et par la nécessité de mettre en oeuvre les mesures exigées pour éviter un rebond épidémique, la mesure révélée par l’interview du Premier ministre qui a pour objet d’éviter que la pratique du ski à l’étranger n’aboutisse à importer ce rebond épidémique, ne porte pas aux libertés invoquées une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir ne peut qu’être écarté d’autant qu’au surplus l’interview à l’origine du présent recours fait notamment mention de la volonté du Premier ministre de laisser une marge de manoeuvre aux préfets afin de tenir compte des situations locales et d’éviter une interdiction générale et absolue. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision révélée n’entraîne aucune discrimination constitutive, eu égard à ses motifs ou aux effets qu’elles seraient susceptibles de produire, d’une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la Ligue des droits de l’Homme est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’Homme.

Covid/ Fermeture des remontées mécaniques/ Référé liberté (rejet)

Conseil d’État, Juge des référés, 11/12/2020, 447208, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire additionnel et un mémoire en réponse, enregistrés les 4, 7 et 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions du décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et spécialement de l’article 1er du décret du 4 décembre 2020, en tant qu’il prévoit que  » les services mentionnés à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre de modifier les dispositions en vigueur et de prendre, dans un délai de trois jours à compter de l’ordonnance à intervenir, les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, afin de permettre l’ouverture immédiate des remontées mécaniques dans le strict respect des protocoles sanitaires établis ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils justifient d’un intérêt pour agir ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la date du 15 décembre initialement annoncée comme la date de fin du confinement, en deuxième lieu, au démarrage de la saison hivernale pour les stations de ski à compter du 18 décembre prochain, en troisième lieu, aux préparations importantes qu’impose la réouverture éventuelle des pistes au 18 décembre et, en dernier lieu, à l’impact économique de la fermeture des remontées mécaniques dès lors que la période des vacances de Noël représente traditionnellement 15 % du volume de fréquentation annuel des domaines skiables de France et concerne près de 120 000 emplois ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité ;
– l’interdiction générale et absolue d’ouverture des remontées mécaniques n’est pas nécessaire et excède manifestement l’objectif de sauvegarde de la santé publique dès lors, en premier lieu, qu’il n’est pas établi que le protocole sanitaire mis en place n’est pas suffisant pour prévenir le risque de propagation du virus, ni même que les remontées mécaniques, qui sont en plein air, sont un lieu privilégié de contamination, en deuxième lieu, qu’elle ne saurait être justifiée par les tensions des services hospitaliers car 95 % des blessés en montagne au cours de la saison 2019-2020 ont été pris en charge par les médecins des stations, en troisième lieu, que le risque de transmission du virus dans les remontées mécaniques est limité par rapport à d’autres situations ou activités autorisées, et, en dernier lieu, qu’il n’est tenu compte, pour l’édiction d’une telle mesure, ni des circonstances de lieu, ni des situations particulières de chaque station, ni de la possibilité de mesures moins restrictives grâce à la mise en place de protocoles sanitaires ;
– la mesure contestée est disproportionnée eu égard, d’une part, au caractère essentiel pour le milieu montagnard des remontées mécaniques et, d’autre part, à ses conséquences sociales et économiques ;
– la mesure contestée consacre une discrimination injustifiée dès lors que seuls les mineurs licenciés au sein d’un club affilié à la Fédération française de ski peuvent utiliser le service public de transport par remontées mécaniques ;
– la mesure contestée est inefficace dès lors qu’elle n’est pas de nature à prévenir les mouvements de population ;
– la mesure contestée comporte des risques pour la sécurisation des domaines skiables ;
– les dérogations prévues par le décret ne sont pas compréhensibles ;
– les mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » prévues par le gouvernement ne sont pas suffisantes.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, la communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office du tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et reprennent les moyens de cette requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne et le syndicat professionnel Union sport et cycle demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat Domaines skiables de France et autres. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 8 décembre 2020, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion et la société Teleski du Grand Valtin demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat domaines skiables de France et autres. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et que la mesure contestée porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’entreprendre, notamment en ce qu’elle ne prend pas en compte les spécificités du massif vosgien.

Par un mémoire en défense et des observations complémentaires, enregistrés les 8 et 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées et fait valoir que le gouvernement envisage des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne « .

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le syndicat Domaines skiables de France et les autres requérants, les intervenants, et, d’autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 9 décembre 2020 à 15 heures :

– Me Valdelievre, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Domaines skiables de France et des autres requérants ;

– les représentants du syndicat Domaines skiables de France ;

– le représentant de l’association des maires de stations de montagne ;

– Me Melka, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocate de la société La Bresse Labellemontagne et autres ;

– le représentant de la société La Bresse Labellemontagne ;

– les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a prolongé l’instruction jusqu’au 10 décembre à 10 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– le code de la santé publique ;
– le code du tourisme ;
– la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1.Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .

2. La requête visée ci-dessus, présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, est dirigée, dans le dernier état des écritures et ainsi qu’il a été dit à l’audience publique, contre le décret du 4 décembre 2020 qui a modifié l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire et qui prévoit, à la suite des déclarations du Premier ministre en date du 26 novembre 2020, que les remontées mécaniques mentionnées à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public, sauf exceptions que le décret énumère.

Sur les interventions :

3. La communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office de tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes, l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes, d’une part, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne, le syndicat professionnel Union sport et cycle, d’autre part, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion, la société Teleski du Grand Valtin, enfin, justifient d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Leurs trois interventions sont donc recevables.

Sur l’office du juge des référés :

4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

5. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et qu’  » il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.  »

6. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

7. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

8. Les requérants soutiennent que le décret qu’ils contestent porte à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité une atteinte grave et manifestement illégale. Cependant, si certaines discriminations peuvent constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu’elles produisent sur l’exercice d’une telle liberté, la méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature.

Sur la demande en référé :

9. Les requérants et intervenants font valoir que l’interdiction, sauf rares exceptions, de l’accès du public aux remontées mécaniques, qui a pour conséquence l’arrêt de l’activité du ski alpin sur l’ensemble du territoire national et qui emporte des conséquences économiques et sociales graves pour les stations de sport d’hiver et les collectivités locales concernées, n’est ni nécessaire, ni proportionnée. En effet, selon eux, si elle cible les remontées mécaniques, dont l’utilisation ne présente par elle-même aucune dangerosité avérée au regard du risque de contagion, qui plus est alors que des protocoles sanitaires stricts ont été élaborés, elle a en réalité pour objectif de limiter des déplacements de population qui auront lieu en toute hypothèse en raison de la réouverture de tous les commerces et des perspectives envisagées par le gouvernement d’autorisation sans limite des déplacements à l’occasion des fêtes de fin d’année. En outre, n’est pas documenté le risque de propagation de l’épidémie que ferait courir la fréquentation des stations de ski et d’autres moyens de transport, plus dangereux du point de vue des risques de contamination, restent en service. S’agissant de l’accroissement des flux de déplacements dans l’hypothèse d’une réouverture des remontées mécaniques, ils soutiennent que les comparaisons, quant à l’importance de ces flux, avec les années passées n’a pas de signification, puisqu’en tout état de cause la clientèle étrangère ferait largement défaut et que la clientèle nationale se situerait à des niveaux bien plus faibles. Par ailleurs, ils font valoir que des différenciations géographiques auraient dû être envisagées, notamment pour les régions où est pratiqué un ski à la journée sans hébergement et que la pression supplémentaire sur le système hospitalier que risquerait de provoquer le traitement des accidents de ski est marginale, 95 % de ces accidents étant traités au niveau des médecins des stations.

10. L’administration fait valoir, pour sa part, que l’interdiction contestée a pour objet d’éviter des flux supplémentaires de déplacements pendant la période des fêtes de fin d’année et de limiter les occasions de brassage de population à ce qui est indispensable à la vie de la Nation, que les protocoles sanitaires élaborés sont insuffisants à cet égard et que la pression sur le système de santé doit être mesurée en tenant compte de la médecine de ville. Elle indique qu’une différenciation dans la mise en oeuvre de la mesure contestée selon les régions serait source d’extrême complexité et risquerait en toute hypothèse de provoquer des reports de fréquentation vers les stations où les remontées mécaniques fonctionneraient. Elle relève que d’autres pays européens ont adopté le même type de mesure, et que certains pays envisagent de remettre en cause les dispositions plus souples qu’ils avaient adoptées dans un premier temps. Elle indique enfin que le gouvernement envisage de prendre à très brève échéance des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » pour limiter les effets économiques de la mesure contestée.

11. Il résulte de l’instruction que, dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée depuis quelques jours par un palier à un niveau élevé dans le nombre des nouvelles contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne notamment nombre des régions où se pratique le ski alpin, et par la nécessité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter un rebond épidémique, la mesure contestée, dont les effets économiques sont certes très importants pour les zones concernées mais qui a pour objectif de limiter les contaminations supplémentaires occasionnées par des flux importants de déplacements, ne porte pas aux libertés invoquées, malgré son caractère indifférencié selon les régions, une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs, et contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, il n’apparaît ni que les exceptions à l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques seraient difficilement compréhensibles, de sorte qu’il en résulterait une atteinte de la nature de celles que mentionne l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ni qu’elles entraîneraient des discriminations de la nature de celles mentionnées au point 8. Enfin, si les requérants font valoir que l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques risque d’entraîner des difficultés quant à la sécurisation des domaines skiables, le décret contesté prévoit expressément une dérogation à cette interdiction pour  » les professionnels dans l’exercice de leur activité « .

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension de l’exécution des dispositions contestées, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

O R D O N N E :
——————

Article 1er : L’intervention de la communauté de commune de l’Oisans, de la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, de l’office de tourisme de Courchevel, de l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et de l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes est admise.
Article 2 : L’intervention du département du Haut-Rhin, du syndicat mixte Haute-Garonne montagne et du syndicat professionnel Union sport et cycle est admise.
Article 3 : L’intervention de la société La Bresse Labellemontagne, de la société Lac Blanc Tonique, de la société Lispach Exploitation, du syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, de la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, de la société la Schlucht Labellemontagne, de la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, de la régie municipale Gerardmer Ski, de la société téléski du Solmont-Frentz, de la société Larcenaire, de la société MICLO, de la société Tanet Passion et de la société Teleski du Grand Valtin est admise.
Article 4 : La requête présentée par le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté est rejetée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Domaines skiables de France, premier requérant dénommé, à la communauté de commune de l’Oisans, au département du Haut-Rhin et à la société La Bresse Labellemontagne, premiers dénommés dans chacune des trois interventions, ainsi qu’au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.

ECLI:FR:CEORD:2020:447208.20201211