Conseil d’État
N° 387529
ECLI:FR:CECHR:2017:387529.20170331
Inédit au recueil Lebon
5ème – 4ème chambres réunies
M. Jean-Dominique Langlais, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
lecture du vendredi 31 mars 2017
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance n° 1431993 du 15 janvier 2015, enregistrée le 30 janvier 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la présidente du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée à ce tribunal par l’association Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), l’association UCPA Sport Vacances, l’association En passant par la montagne et l’Association des gardiens de refuges des Hautes-Alpes.
Par cette requête, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Paris le 27 septembre 2014, et par un mémoire en réplique, enregistré le 19 mai 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association FFCAM et autres demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 20 octobre 2014 du ministre de l’intérieur portant modification du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros à verser à chacune d’elles au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
L’association FFCAM et autres soutiennent que :
– le ministre de l’intérieur n’était pas compétent pour prendre seul l’arrêté en litige qui, eu égard à son objet, devait être cosigné par le ministre de la ville, le ministre de la jeunesse et des sports, le ministre de l’éducation nationale et le ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes ;
– l’arrêté attaqué méconnaît l’objectif à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la norme en ce qu’il prévoit des critères d’application imprécis ;
– le ministre ne pouvait pas légalement, sur le fondement de l’article R*. 123-12 du code de la construction et de l’habitation, régir l’hébergement dans les refuges de groupes de mineurs non accompagnés de leurs parents ;
– l’arrêté attaqué pose des conditions d’une rigueur excessive, en particulier en ce qui concerne l’exigence d’accessibilité du refuge aux secours en situation d’enneigement et en ce qu’il ne fait pas de distinction selon l’âge des mineurs ;
– l’arrêté attaqué méconnaît la liberté d’aller et de venir des mineurs ;
– l’arrêté attaqué méconnaît le principe de sécurité juridique en ce qu’il ajoute à un ensemble de normes déjà nombreuses et peu cohérentes et risque d’entraîner l’annulation de nombreux projets.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code du tourisme ;
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,
– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
1. Considérant qu’aux termes de l’article R*. 123-3 du code de la construction et de l’habitation : » Les constructeurs, propriétaires et exploitants des établissements recevant du public sont tenus, tant au moment de la construction qu’au cours de l’exploitation, de respecter les mesures de prévention et de sauvegarde propres à assurer la sécurité des personnes ; ces mesures sont déterminées compte tenu de la nature de l’exploitation, des dimensions des locaux, de leur mode de construction, du nombre de personnes pouvant y être admises et de leur aptitude à se soustraire aux effets d’un incendie » ; qu’aux termes de l’article R*. 123-12 du même code : » Le ministre de l’intérieur précise dans un règlement de sécurité pris après avis de la commission centrale de sécurité prévue à l’article R. 123-29 les conditions d’application des règles définies au présent chapitre. (…) / Le règlement de sécurité comprend des prescriptions générales communes à tous les établissements et d’autres particulières à chaque type d’établissement. (…) / La modification du règlement de sécurité est décidée dans les formes définies au premier alinéa du présent article. Le ministre détermine dans quelles limites et sous quelles conditions les prescriptions nouvelles sont appliquées aux établissements en cours d’exploitation » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article D. 326-1 du code du tourisme : » Un refuge est un établissement d’hébergement recevant du public gardé ou non, situé en altitude dans un site isolé… » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article D. 326-2 du même code : » Le refuge offre un hébergement à caractère collectif à des personnes de passage. (…) Les mineurs peuvent y être hébergés » ;
2. Considérant que, dans leur rédaction antérieure au 1er janvier 2015, les dispositions du § 1 de l’article REF 7 de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, pris en application des dispositions précitées de l’article R*. 123-12 du code de la construction et de l’habitation, interdisaient l’hébergement nocturne des colonies de vacances, classes de neige ou de découverte et activités assimilées dans les refuges, les dispositions du § 2 de cet article autorisant seulement l’hébergement des » camps itinérants » sous réserve que leur organisation réponde aux spécifications réglementaires édictées par le ministre de la jeunesse et des sports ; que, par un arrêté du 20 octobre 2014, le ministre de l’intérieur a modifié cet article REF 7 pour prévoir qu’à compter du 1er janvier 2015 : » § 1. L’hébergement des mineurs, en dehors de leur famille, est autorisé dans les établissements qui respectent simultanément les caractéristiques suivantes :/ – refuge gardé ;/ – refuge disposant d’un système d’alarme conforme à l’article REF 38 et d’un système d’alerte conforme à l’article REF 39 ;/ – refuge sous avis favorable d’exploitation de la commission de sécurité ;/ – refuge à jour de ses visites périodiques./ Dans ces établissements :/ – l’hébergement des mineurs est limité au rez-de-chaussée. Dans le cas où l’établissement dispose d’un escalier encloisonné ou si le niveau supérieur dispose d’une sortie donnant directement sur l’extérieur, il peut s’effectuer en étage ;/ – la durée du séjour dans un même refuge ne peut dépasser deux nuitées consécutives./ § 2. En situation d’enneigement et en aggravation du paragraphe 1, les refuges doivent, en outre, répondre à une des exigences complémentaires suivantes :/ – le refuge dispose d’un espace clos dans les conditions fixées par l’article REF 21 : dans ce cas, une colonne de secours doit atteindre le refuge en moins de deux heures ;/ – le refuge ne dispose pas d’un espace clos dans les conditions fixées par l’article REF 21 : dans ce cas, il doit être accessible par une colonne de secours en moins de trente minutes à partir d’une voie carrossable en permanence. Durant cette situation d’enneigement, les mineurs de moins de 11 ans ne peuvent y être hébergés./ § 3. Le maire recense les refuges qui remplissent l’ensemble des conditions ci-dessus. Sur la base de cette déclaration, le préfet établit une liste départementale des refuges accessibles aux mineurs en précisant ceux qui le sont en situation d’enneigement. Cette liste est régulièrement tenue à jour./ § 4. En atténuation du paragraphe 1, pour les séjours spécifiques mentionnés à l’article R. 227-1 du code de l’action sociale et des familles organisés par une fédération sportive titulaire de l’agrément prévu à l’article L. 131-8 du code du sport dont l’objet est la pratique de l’alpinisme, de l’escalade, de la randonnée pédestre, des raquettes à neige ou du ski, la durée du séjour peut être portée à un maximum de cinq nuitées » ; que l’association Fédération française des clubs alpins et de montagne, l’association UCPA Sport vacances, l’association En passant par la montagne et l’Association des gardiens de refuges des Hautes-Alpes demandent l’annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;
Sur la requête en tant qu’elle émane de l’Association des gardiens de refuge des Hautes-Alpes :
3. Considérant que l’Association des gardiens de refuge des Hautes-Alpes déclare se désister des conclusions de la requête ; que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte ;
Sur la requête en tant qu’elle émane des autres associations :
En ce qui concerne la légalité externe :
4. Considérant que l’arrêté attaqué a pour objet de fixer des règles particulières de prévention des risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, applicables aux refuges de montagne lorsqu’ils accueillent des groupes de mineurs qui y séjournent en dehors d’un cadre familial ; que le ministre de l’intérieur était habilité par les dispositions combinées des articles R*. 123-3 et R*. 123-12 du code de la construction et de l’habitation à édicter seul de telles dispositions ; que le moyen tiré de ce que l’arrêté devait être co-signé par d’autres ministres doit, par suite, être écarté ;
En ce qui concerne la légalité interne :
5. Considérant, en premier lieu, que l’arrêté attaqué énonce en des termes suffisamment clairs et précis les règles de sécurité applicables à l’accueil dans les refuges des groupes de mineurs non accompagnés de leurs parents ; qu’en particulier, contrairement à ce que soutiennent les associations, il a pu se référer sans en donner une définition aux notions de » situation d’enneigement » et de » colonne de secours » ; que le moyen tiré d’une méconnaissance de l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme ne saurait, par suite, être accueilli ;
6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions de l’article R*. 123-12 du code de la construction et de l’habitation permettent au ministre de l’intérieur de fixer des règles de sécurité relatives non seulement à la construction et à l’équipement des établissements recevant du public mais aussi aux conditions d’exploitation de ces établissements ; que, compte tenu de la spécificité des refuges de montagne au regard tant des risques d’incendie que de l’exposition et de la vulnérabilité particulières à ces risques des groupes de mineurs susceptibles d’y séjourner en dehors d’un cadre familial, le ministre a pu légalement fixer des règles particulières relatives aux conditions auxquelles les refuges doivent satisfaire pour accueillir de tels groupes ainsi qu’aux modalités de cet accueil ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les prescriptions de l’arrêté, notamment celles qui subordonnent l’hébergement des groupes de mineurs, en situation d’enneigement, à une exigence d’accessibilité par les secours qui varie selon que le refuge est ou non doté d’un espace clos pouvant servir d’abri en cas d’incendie, présenteraient un caractère excessif ; que le ministre a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, poser des règles uniformes quel que soit l’âge des mineurs ; que la circonstance que les règles fixées par l’arrêté, qui sont justifiées au regard de cet objectif, sont susceptibles d’avoir une incidence sur la liberté de circuler en zone de montagne n’est pas de nature à les entacher d’illégalité ;
8. Considérant, en quatrième lieu, que le moyen tiré de ce que l’arrêté méconnaîtrait l’objectif de sécurité juridique, faute notamment de comporter des dispositions transitoires, n’est pas assorti de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;
9. Mais considérant, en dernier lieu, que le ministre ne justifie pas, au regard de l’objectif de prévention des risques d’incendie poursuivi par l’arrêté litigieux, de la nécessité de limiter la durée de l’hébergement dans les refuges des groupes de mineurs y séjournant hors d’un cadre familial ;
10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède qu’il y a seulement lieu d’annuler l’arrêté attaqué en tant qu’il limite l’hébergement dans les refuges des groupes de mineurs y séjournant hors d’un cadre familial à deux nuitées consécutives, pouvant être portées à cinq pour certains séjours sportifs ;
Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, mettre à la charge de l’Etat, en application de ces dispositions, le versement de la somme de 1 500 euros chacune à l’association Fédération française des clubs alpins et de montagne, à l’association UCPA Sport Vacances et à l’association En passant par la montagne ;
D E C I D E :
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Article 1er : Il est donné acte du désistement de l’Association des gardiens de refuge des Hautes-Alpes.
Article 2 : L’arrêté du 20 octobre 2014 du ministre de l’intérieur portant modification du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public est annulé en tant que son article 1 introduit au §1 de l’article REF 7 de l’arrêté du 25 juin 1980 modifié portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public les mots » – la durée du séjour dans un même refuge ne peut dépasser deux nuitées consécutives » et en tant qu’il introduit au même article un §4.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 1 500 euros chacune à l’association Fédération française des clubs alpins et de montagne, à l’association UCPA Sport Vacances et à l’association En passant par la montagne au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’association Fédération française des clubs alpins et de montagne, à l’association UCPA Sport Vacances, à l’association En passant par la montagne, à l’Association des gardiens de refuges des Hautes-Alpes et au ministre de l’intérieur.