CAA de LYON
N° 18LY03502
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. ARBARETAZ, président
Mme Vanessa REMY-NERIS, rapporteur
M. CHASSAGNE, rapporteur public
COMPOINT, avocat
lecture du jeudi 30 janvier 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
________________________________________
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C… A… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la décision du 27 avril 2016 par laquelle le recteur de l’académie de Grenoble a refusé de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle alors qu’il faisait l’objet de poursuites pénales, ensemble la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique.
Par jugement n° 1605894 lu le 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l’arrêté du 27 avril 2016 portant rejet de protection fonctionnelle et le rejet implicite de son recours gracieux.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 septembre 2018 et le 3 juillet 2019, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du 5 juillet 2018 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A… devant le tribunal administratif de Grenoble.
Il soutient que les manquements aux règles de sécurité commis par M. A… lors de la sortie du 28 janvier 2015, tels que présentés dans l’instance n° 18LY03501 pendante devant la cour, présentent le caractère d’une faute personnelle justifiant le refus de protection fonctionnelle opposé à l’intéressé.
Par un mémoire enregistré le 24 mai 2019, M. A…, représenté par Me B…, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l’État la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– les griefs qui lui sont reprochés ne constituent pas des fautes professionnelles ni des fautes personnelles détachables du service ;
– subsidiairement, par voie d’examen sur effet dévolutif, la décision du 27 avril 2016 prise par le recteur de l’académie est entachée d’incompétence par application de l’article 2 du décret n° 80-627 du 4 août 1980, et est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.
La clôture de l’instruction a été fixée au 14 octobre 2019 par une ordonnance du 18 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’éducation ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Rémy-Néris, premier conseiller,
– les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public ;
– les observations de Me B… pour M. A… ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 28 janvier 2015, M. A…, professeur d’éducation physique et sportive, breveté guide de haute montagne et affecté depuis 1995 au lycée de Die, a emmené un groupe de seize élèves de terminale de la section » sport et nature » pour une sortie en ski de randonnée dans le nord du massif du Vercors, assisté d’un aspirant guide. Au cours de cette sortie, un des élèves est décédé après avoir été emporté par une avalanche et M. A… a été mis en examen pour homicide involontaire et poursuivi de ce chef devant le tribunal correctionnel de Grenoble, qui l’a relaxé par un jugement lu le 7 décembre 2016. Le ministre de l’éducation nationale relève appel du jugement n° 1605894 lu le 5 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du 27 avril 2016 du recteur de l’académie de Grenoble ayant refusé à M. A… le bénéfice de la protection fonctionnelle ainsi que le rejet implicite de son recours gracieux.
2. Aux termes du 4ème alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version applicable en l’espèce, » La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire (…) dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle « . N’est constitutif d’une faute personnelle, au sens de ces dispositions, qu’un comportement ou agissement qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans lesquelles il a été commis, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par celui-ci, est d’une particulière gravité justifiant que la protection fonctionnelle soit refusée, alors même qu’il aurait été commis à l’occasion de l’exercice des fonctions.
3. Pour caractériser une faute personnelle détachable du service, les décisions annulées par le tribunal faisaient grief à M. A… d’avoir entièrement délégué à l’un des élèves la vérification du port individuel du DVA, dont n’était finalement pas équipée la victime, et d’avoir entraîné son groupe dans un itinéraire non recensé par l’établissement dans la liste des courses habituellement pratiquées, de surcroît non reconnu à l’avance. Toutefois, par un arrêt lu ce jour sous le n° 18LY03501, la cour a rejeté l’appel présenté par le ministre de l’éducation nationale contre le jugement ayant annulé la sanction disciplinaire infligée à M. A… au motif pris de ce que le comportement qui lui est imputé ne constituait pas des manquements à l’obligation de sécurité pesant sur lui en tant qu’enseignant. Ces griefs ne sauraient a fortiori revêtir le caractère d’une faute personnelle au sens de la définition du point 2. Dans ces conditions, en refusant d’accorder à M. A… la protection fonctionnelle à laquelle il avait droit, le recteur de l’académie de Grenoble a méconnu les dispositions précitées de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983.
4. Par suite, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le refus de protection fonctionnelle opposé par le recteur de l’académie de Grenoble ainsi que la décision implicite de rejet du recours gracieux. Son appel doit, dès lors, être rejeté.
Sur les frais liés au litige
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État la somme de 1 000 euros que M. A… sollicite au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : L’État versera à M. A… la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et à M. C… A….
Délibéré après l’audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Rémy-Néris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
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N° 18LY03502
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Références
CAA de LYON
N° 18LY03501
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. ARBARETAZ, président
Mme Vanessa REMY-NERIS, rapporteur
M. CHASSAGNE, rapporteur public
COMPOINT, avocat
lecture du jeudi 30 janvier 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
________________________________________
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. C… A… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 31 décembre 2015 par lequel le ministre de l’éducation nationale lui a infligé la sanction d’un an d’exclusion temporaire de fonction assortie d’un sursis de six mois, ensemble la décision du 18 mars 2016 rejetant son recours gracieux, les arrêtés du 6 juillet 2016 et du 15 novembre 2016 par lesquels le recteur de l’académie de Grenoble l’a successivement affecté, à compter du 5 juillet 2016, au collège Seignobos de Chabeuil et promu sans report d’ancienneté au 7ème échelon de la hors classe.
Par jugement n° 1602855 du 5 juillet 2018, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l’arrêté du 31 décembre 2015 par lequel le ministre de l’éducation nationale l’a exclu temporairement du service et le rejet de son recours gracieux.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 septembre 2018 et 3 juillet 2019, le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse demande à la cour :
1°) d’annuler du jugement du 5 juillet 2018 en ce qu’il fait droit à la demande dirigée contre la sanction ;
2°) de rejeter la demande à fin d’annulation de l’arrêté du 31 décembre 2015 et du rejet de recours gracieux.
Il soutient que :
– les faits commis par M A…, s’ils n’ont pas reçu de qualification pénale, constituent un manquement à l’obligation professionnelle de garantir la sécurité des élèves et sont de nature à justifier la sanction édictée ;
– il appartenait à M. A… de procéder lui-même au contrôle de l’activation effective du dispositif de détection des victimes d’avalanche (DVA) ;
– M. A… a, en outre, en méconnaissance des règles de sécurité et de prudence, conduit un groupe de dix-huit personnes dont seize adolescents dans un itinéraire non déclaré et qu’il n’avait jamais emprunté lui-même ;
– l’organisation de la sécurité et la prévention des risques fait partie de la mission pédagogique des professeurs d’éducation physique et sportive comme le rappelle la note de service ministérielle du 9 mars 1994 relative à la sécurité des élèves et à la pratique des activités physiques scolaires et la circulaire ministérielle du 13 juillet 2004 relative à l’enseignement de l’éducation physique et sportive.
Par un mémoire enregistré le 26 novembre 2018, M. A…, représenté par Me B…, demande à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l’État la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
La clôture de l’instruction a été fixée au 14 octobre 2019 par une ordonnance du 18 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de l’éducation ;
– la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
– la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l’État ;
– le décret n° 80-627 du 4 août 1980 relatif au statut particulier des professeurs d’éducation physique et sportive ;
– le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Rémy-Néris, premier conseiller,
– les conclusions de M. Chassagne, rapporteur public,
– les observations de Me B… pour M. A… ;
Considérant ce qui suit :
1. Le 28 janvier 2015, M. A…, professeur d’éducation physique et sportive, breveté guide de haute montagne et affecté depuis 1995 au lycée de Die, a emmené un groupe de seize élèves de terminale de la section » sport et nature » en ski de randonnée dans le nord du massif du Vercors, assisté d’un aspirant guide. Vers midi, M. A… et deux élèves ont été pris dans une avalanche. Si lui-même et l’un des élèves ont été dégagés indemnes, l’autre élève, âgé de dix-sept ans, qui n’était pas porteur d’un DVA, a été découvert mort par le chien des secours. Alors que par jugement lu le 7 décembre 2016, le tribunal correctionnel de Grenoble a relaxé M. A… du chef de maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité ayant involontairement causé la mort, le ministre de l’éducation nationale a, par arrêté du 31 décembre 2015, infligé à l’intéressé la sanction d’exclusion temporaire de fonctions pour une durée d’un an assortie d’un sursis de six mois pour manquement à l’obligation professionnelle de prendre toutes dispositions utiles à la sécurité des élèves. Le ministre de l’éducation nationale relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté ainsi que le rejet du recours gracieux formé par M. A….
Sur les conclusions de la requête :
2. Aux termes de l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : » Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale « .
3. Si, en vertu de cette disposition, pèse sur tout enseignant l’obligation d’assurer la sécurité des élèves qui lui sont confiés, la manière dont il s’en acquitte s’apprécie en fonction de la nature de son enseignement, de l’objectif pédagogique qui lui est assigné et du niveau du public concerné. A cet égard, la note de service n° 94-116 du 9 mars 1994 concernant la sécurité des élèves dans le cadre des activités physiques scolaires et la circulaire n° 2004-138 du 13 juillet 2004 portant sur les risques particuliers liés à l’enseignement de l’éducation physique et sportive et au sport scolaire, invoquées par le ministre, ne contiennent que des recommandations et ne visent d’ailleurs pas les activités sportives pratiquées en pleine nature par des élèves sélectionnés en fonction de leur niveau sportif, de leur connaissance du milieu et de leurs aptitudes physiques.
4. La sanction annulée par le tribunal faisait grief à M. A… d’avoir entièrement délégué à l’un des élèves la vérification du port individuel du DVA, dont n’était finalement pas équipée la victime, et d’avoir entraîné son groupe dans un itinéraire non recensé par l’établissement dans la liste des courses habituellement pratiquées, de surcroît non reconnu à l’avance.
5. Or, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que le contrôle du port de DVA confié à tour de rôle à l’un des membres du groupe – à charge de rendre compte à l’enseignant de la bonne exécution de la mission – figurait parmi les objectifs pédagogiques de la section » sport nature » afin de développer chez ces élèves de classe terminale ayant atteint un niveau technique confirmé et proches de l’âge adulte le sens de l’autonomie et de la sécurité. Une contre-vérification par l’enseignant n’aurait d’ailleurs pas été à même de dissuader la victime ou tout autre élève résolu à s’affranchir des consignes de désactiver ultérieurement son équipement ou de s’en séparer. Eu égard à la formation déjà dispensée aux jeunes concernés, cette pratique ne peut être qualifiée de manquement à l’obligation de sécurité qui pesait sur M. A….
6. D’autre part, le choix de la course était tributaire du manque de neige dans le Diois. Les conditions météorologiques et nivologiques, vérifiées par M. A…, étaient satisfaisantes. L’itinéraire, coté peu difficile, était à la portée d’élèves entraînés. Connu de l’aspirant guide qui assistait M. A…, il était emprunté régulièrement par les élèves de la section ski étude du lycée de Villard-de-Lans et moins éloigné d’un centre de secours que ne le sont les courses du Diois. Enfin, M. A… a observé toutes les mesures de prudence et de vigilance sur le parcours. Le choix de la course ne saurait, dans ces circonstances, constituer un manquement de la part de M. A… à son obligation de sécurité.
7. Il s’ensuit que le ministre de l’éducation nationale n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la sanction disciplinaire qu’il a infligée à M. A… ainsi que le rejet du recours gracieux. Sa requête doit, en conséquence, être rejetée.
Sur les frais liés au litige
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse est rejetée.
Article 2 : L’État versera à M. A… la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et à M. C… A….
Copie en sera adressée au recteur de l’académie de Grenoble.
Délibéré après l’audience du 9 janvier 2020 à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président de chambre,
M. Seillet, président assesseur,
Mme Rémy-Néris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
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Analyse
Abstrats : 36-09 Fonctionnaires et agents publics. Discipline.