Cour de cassation
chambre civile 2
Audience publique du jeudi 14 juin 2018
N° de pourvoi: 17-14781
Publié au bulletin Rejet
Mme Flise (président), président
SCP Alain Bénabent , SCP Delvolvé et Trichet, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à M. C… X…, devenu majeur en cours de procédure, de sa reprise d’instance en son nom personnel ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 2 février 2017) et les productions, que M. Florian X…, alors âgé de 17 ans, a été victime le 15 juin 2010, dans la forêt de […] , d’une grave chute de vélo à la suite de laquelle il est demeuré tétraplégique ; que la victime et ses parents, M. Hervé X… et Mme Isabelle X…, agissant tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants, alors mineurs, B… et C… X…, ont assigné l’Office national des forêts (l’ONF) afin de le voir déclaré responsable de cet accident ; que la RATP, la Caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP et la Mutuelle du personnel de la RATP ont été appelées en la cause ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Florian X…, M. Hervé X…, Mme Isabelle X…, M. C… X… et Mme B… X… (les consorts X…) font grief à l’arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir dire l’ONF responsable de l’accident litigieux et ordonner une expertise, avant dire droit sur les préjudices, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en vertu de l’article L. 380-1, devenu L. 122-10, du code forestier, dans les forêts gérées par l’ONF, l’ouverture des forêts au public implique la mise en oeuvre des mesures nécessaires à la sécurité de ce public ; que l’ouverture au public en l’absence des mesures de sécurité nécessaires constitue par conséquent un manquement générateur de responsabilité, et ce sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les espaces ouverts au public comportent, ou non, des équipements ou aménagements particuliers ; qu’en retenant pourtant que l’ONF, qui « aménage des sentiers, pistes cavalières, aires de jeux ou de pique-nique, etc. », ne serait « débiteur d’une obligation de sécurité [qu’]en ce qui concerne ces équipements » et «ne saurait répondre des éventuels dangers présents dans les espaces qui ne sont pas spécialement aménagés en vue de l’accueil du public », tâche ne correspondant pas « à sa mission », la cour d’appel, distinguant là où la loi ne distingue pas, a violé l’article L. 380-1 du code forestier dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-1369 du 6 novembre 2009 applicable en la cause ;
2°/ qu’en retenant encore que l’ONF « ne saurait répondre des éventuels dangers présents dans les espaces qui ne sont pas spécialement aménagés en vue de l’accueil du public » eu égard « à ses moyens, puisqu’il n’est pas contesté qu’il ne dispose que d’une quinzaine d’agents de terrain », la cour d’appel a statué par un motif inopérant, en violation de l’article L. 380-1 du code forestier dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-1369 du 6 novembre 2009 applicable en la cause ;
3°/ que constitue une faute génératrice de responsabilité le manquement à un devoir général de prudence et de diligence ; qu’un tel manquement est caractérisé lorsque l’établissement en charge de l’accueil du public en forêt, bien qu’informé de la pratique courante de sports dangereux au sein d’espaces qu’il laisse ouverts au public, ne met en oeuvre ni mesures de sécurité, ni mesures de prévention et de mise en garde du public qu’il accueille ; qu’en l’espèce, l’ONF reconnaissait lui-même avoir sciemment décidé de ne prendre aucune mesure de prévention des dangers encourus par les cyclistes venant s’adonner, dans des espaces forestiers laissés ouverts au public, à la pratique du ‘’free-ride » ; qu’il exposait ainsi notamment que «l’absence d’apposition de panneaux qui est reprochée à l’ONF par les demandeurs, loin de constituer une faute, s’explique aisément puisque (…) implanter des panneaux pour de tels circuits constituerait une forme d’officialisation d’un circuit non autorisé et d’une pratique sportive illégale » ; que pour écarter pourtant toute faute de l’ONF, la cour d’appel a retenu que sa connaissance du circuit ayant causé l’accident de M. Florian X… n’étant pas suffisamment établie, il ne pouvait « être retenu contre l’ONF une faute pour ne pas avoir détruit un tel aménagement » ; qu’en limitant ainsi les devoirs de l’ONF à la seule destruction des circuits connus de lui, la cour d’appel a violé les articles 1382, devenu 1240, et 1383, devenu 1241, du code civil ;
Mais attendu que les dispositions de l’article L. 380-1 du code forestier dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-1369 du 6 novembre 2009, applicable en la cause, n’instituent pas une présomption de responsabilité pour faute de l’ONF pour les dommages survenus au public dans les forêts visées par ce texte ; qu’ayant relevé qu’il est constant que l’accident a eu lieu sur un circuit « sauvage », non signalisé, aménagé illégalement dans la forêt par des tiers pour leur activité dite de « free ride » consistant à franchir avec un VTT des bosses en effectuant des sauts, voire des figures sur un terrain préalablement modelé par leurs soins, et souverainement estimé qu’il n’est pas établi que l’ONF avait connaissance de l’existence de ce circuit qui était situé à l’écart de toute zone aménagée et n’était accessible qu’après plusieurs minutes de marche sur un chemin, la cour d’appel a pu retenir que l’ONF n’était pas responsable de l’accident litigieux sur le fondement de la responsabilité pour faute ;
D’où il suit que le moyen, inopérant en sa deuxième branche qui s’attaque à des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen, pris en ses quatre premières branches :
Attendu que les consorts X… font encore grief à l’arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir dire l’ONF responsable de l’accident litigieux et ordonner une expertise, avant-dire droit sur les préjudices, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu’en l’espèce, pour débouter les consorts X… de leurs demandes au titre de la responsabilité de l’ONF fondée sur la garde du circuit, la cour d’appel a retenu que « le circuit, qui n’a ainsi joué qu’un rôle passif dans la survenance du dommage, ne peut donc être considéré comme en ayant été l’instrument » ; qu’en statuant ainsi, sans provoquer les observations des parties dont aucune ne prétendait que le circuit n’aurait pas été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé l’article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que la responsabilité du gardien est subordonnée à la condition que la victime ait rapporté la preuve que la chose a été, en quelque manière et ne fût-ce que pour partie, l’instrument du dommage ; que tel est le cas lorsque la chose inerte intervenue dans la réalisation du dommage présente un caractère dangereux ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a elle-même constaté que M. Florian X… avait « chuté en franchissant une bosse dans un circuit, et est resté tétraplégique » et qu’ « il est incontestable que le circuit était en lui-même potentiellement dangereux, à raison de l’absence de sécurisation de ses abords et de l’importance des obstacles créés » ; qu’il en résultait que le circuit avait joué un rôle actif dans la survenance du dommage et en avait ainsi été l’instrument ; qu’en retenant pourtant que le circuit n’aurait « joué qu’un rôle passif dans la survenance du dommage » et « ne peut donc être considéré comme en ayant été l’instrument », la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article 1384, alinéa 1, devenu 1242, du code civil ;
3°/ qu’il suffit à la victime, pour engager la responsabilité du gardien, d’établir que la chose a été, en quelque manière et ne fût-ce que pour partie, l’instrument du dommage ; qu’en l’espèce, pour exclure que le circuit ait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a retenu que M. Florian X… et son ami « s’apprêtaient à quitter le circuit, après y avoir évolué », outre « la démarche volontaire de la victime qui s’y est rendue et y a évolué, en parfaite connaissance de sa configuration », son « imprudence fautive », « l’allure inadaptée du cycliste, ou même sa fatigue à la fin de ses évolutions », et qu’« une chute aux conséquences aussi graves aurait parfaitement pu se produire en dehors d’un circuit » ; qu’en statuant par de tels motifs impropres à exclure que le circuit ait été, fût-ce au moins pour partie, l’instrument du dommage de la victime, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 1, devenu 1242, du code civil ;
4°/ que la victime d’un dommage peut invoquer la responsabilité du gardien de la chose sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques ; qu’en retenant pourtant que « s’il est incontestable que le circuit était en lui-même potentiellement dangereux (…) c’est bien cette dernière caractéristique qui a été recherchée par la victime, qui s’y est rendue et y a évolué en toute connaissance de son caractère ‘’sauvage », et en y recherchant précisément des sensations liées à l’importance de son relief, et peut-être aussi à la totale liberté avec laquelle elle pouvait l’utiliser », cependant que, même à l’envisager, la victime ne pouvait se voir opposer son acceptation des risques, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 1, devenu 1242, du code civil ;
Mais attendu que, tout en considérant que le circuit était en lui-même potentiellement dangereux, la cour d’appel a relevé que l’accident était dû à un manque de vitesse du vélo lorsque la victime avait tenté de franchir l’ultime bosse du parcours et donc à une allure inadaptée du cycliste et non à l’obstacle lui-même ; que, tenue de vérifier les conditions d’application de l’article 1384, alinéa 1, devenu l’article 1242, alinéa 1, du code civil qui était invoqué, elle n’a pas violé le principe de la contradiction en retenant que le circuit n’avait joué qu’un rôle passif dans l’accident pour en déduire, à bon droit, que celui-ci ne pouvait être considéré comme ayant été l’instrument du dommage, l’accident étant exclusivement imputable à l’imprudence fautive de la victime, de sorte que la responsabilité de l’ONF n’était pas engagée ;
D’où il suit que le moyen, qui critique en sa quatrième branche des motifs surabondants, n’est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, pris en ses trois dernières branches, annexé, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;