Refuge du Goûter / accès au Mont Blanc
Test du marché du 7 mai 2015
L’Autorité de la concurrence dispose de la faculté, en application du I de l’article L. 464-2 du code de commerce, d’« accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 », selon les modalités fixées par l’article R. 464-2 du même code.
L’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office le 8 avril 2014 de pratiques mises en œuvre dans le secteur des guides de haute montagne et relatives aux conditions de réservation de places d’hébergement au refuge du Goûter. Ces pratiques ont été exposées dans un rapport d’enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), établi à la suite d’une plainte d’un guide de haute montagne indépendant, dénonçant l’avantage résultant de la rémunération en nature accordée aux compagnies des guides de Chamonix et de Saint Gervais pour la mise en œuvre de prestations de sécurisation du refuge.
La fédération française des clubs alpins et de montagne (la FFCAM), la compagnie des guides de Chamonix Mont Blanc (la GC), la compagnie des guides de Chamonix Voyages (la GCV), le bureau des guides Saint Gervais Mont Blanc (le SG), la compagnie des guides de Saint Gervais organisation (la SGO) se sont rapprochés des services d’instruction pour explorer le traitement de cette affaire par la voie d’une procédure d’engagements.
Le contexte du secteur
Avec une altitude de 4810 mètres, le Mont Blanc est le plus haut sommet d’Europe occidentale. S’il existe un grand nombre de voies pour accéder à son sommet, la voie normale ou voie royale est la voie la plus facile techniquement. Il en résulte que cette voie est la plus fréquentée par les alpinistes et qu’elle impose à ces derniers de passer une nuit dans le refuge du Goûter, plus haut refuge de France (3385 mètres). Dans le nouveau refuge du Goûter ouvert depuis fin 2012, les alpinistes professionnels (guides et leurs clients) bénéficient d’un quota de 71 places d’hébergement réservables (59%) contre 49 pour les alpinistes amateurs (41%).
Les pratiques constatées
Au regard de la localisation exceptionnelle du refuge du Goûter, le préfet de Haute Savoie a imposé au propriétaire du refuge, la FFCAM, le respect de plusieurs mesures afin de garantir la sécurité du public au sein du refuge du Goûter. La FFCAM a demandé à la GC et au SG de mettre en œuvre ces mesures dans le cadre de la convention de sécurisation du refuge du Goûter (ci-après dénommée « la convention ») conclue le 13 mai 2013. En contrepartie de la mise en œuvre de mesures de sécurisation du refuge du Goûter, la GC et du SG sont rémunérées, en nature, par 24 places d’hébergement (sur un total de 71 dédiées aux professionnels soit 34 % environ) réservables par nuitée, sur le site internet de réservation du refuge, pendant toute la saison d’ouverture du refuge.
Les préoccupations de concurrence
Les services d’instruction ont procédé à une évaluation préliminaire qui a été envoyée à la GC, la GCV, le SG et la SGO, ainsi qu’au commissaire du Gouvernement, le 2 avril 2015.
Selon les services d’instruction, deux marchés sont susceptibles d’être retenus dans la présente affaire : d’une part, le marché de la réservation de places d’hébergement pour les professionnels (et leurs clients) ; d’autre part, le marché de la sécurisation du refuge du Goûter.
Sur le marché de la réservation de places d’hébergement pour les professionnels (et leurs clients), il résulte de l’application de la convention que :
– la GC, de la GCV, et de la SGO bénéficient de 34 % du total des places d’hébergement réservables dédiées aux professionnels par nuitée sur toute la saison ; en pratique, ce sont principalement les structures commerciales assimilables à des agences de voyage (GCV et SGO), non signataires de la convention, qui bénéficient de ces places réservables pour les stages tout compris « Mont Blanc » incluant une nuitée au refuge du Goûter ;
– les coûts des prestations de sécurisation pris effectivement en charge par la GC et le SG sont très inférieurs à ceux qui ont été initialement estimés et sont, en valeur, d’un montant très faible sur 2013 et 2014 ;
– la rémunération, en nature, des structures bénéficiaires par l’octroi de 24 places réservables est largement supérieure au coût des prestations de sécurisation puisqu’elle permet aux différentes structures concernées de générer un chiffre d’affaires de plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros sur chaque année grâce à la commercialisation des stages Mont Blanc pour lesquels une place d’hébergement au refuge du Goûter est garantie ;
– aucune des parties à la convention de sécurisation du refuge n’est en mesure de justifier le fait que la mise en œuvre des prestations de sécurisation nécessitait en contrepartie l’octroi de places réservables plutôt qu’une rémunération financière ;
– les modalités de réservation dont bénéficient les structures concernées sont beaucoup plus favorables que celles applicables aux autres guides ou structures de guides (les places d’hébergement utilisées par la GCV, la SGO ou la GC sont réservables jusqu’à deux jours avant la date choisie ; les places d’hébergement utilisées par la GCV et la SGO sont réservées aux noms de ces dernières et non aux noms des guides ; lors de la réservation, les arrhes sont versées par la GCV ou la SGO et non par le guide qui va encadrer le stage).
Il semble que la convention précitée constitue un avantage commercial injustifié pour les structures concernées susceptible de limiter l’accès au marché de la réservation des places d’hébergement de tous les guides n’appartenant pas à l’une des structures bénéficiaires de la convention.
Sur le marché de la sécurisation du refuge du Goûter, les modalités de désignation des signataires de la convention sont susceptibles d’avoir empêché, toute autre structure de guides que la GC et le SG, de proposer ses services pour mettre en œuvre les mesures de sécurisation du refuge puisqu’aucune mise en concurrence n’a été effectuée par la FFCAM alors que d’autres structures de guides étaient susceptibles de proposer leurs services et que la rémunération en nature offerte – l’obtention de places réservables dans le refuge situé sur la voie la plus fréquentée du Mont Blanc – était susceptible d’intéresser toute structure de guides située à proximité du Mont Blanc.
Ainsi, la convention est susceptible de constituer une entente entre la FFCAM et la GC, la GCV, le SG et la SGO ayant pour objet et pour effet de limiter, d’une part, l’accès au marché de la réservation de places d’hébergement au refuge du Goûter des guides (et leurs clients) n’appartenant pas aux structures effectivement bénéficiaires de l’accord, d’autre part, l’accès au marché de la sécurisation du refuge du Goûter.
Les engagements proposés
Ils ont pour objet de permettre, d’une part, l’égalité d’accès de tous les professionnels aux réservations du refuge du Goûter grâce à la suppression du quota des 24 places réservées et à la résiliation de la convention de sécurisation (engagement n° 1 proposé par la FFCAM, la GC et le SG ; engagement n° 2 proposé par la FFCAM et la GC, la GCV, le SG et la SGO, engagement n° 4 proposé par la FFCAM), d’autre part, l’attribution du marché de la sécurisation du refuge à l’issue d’une procédure de mise en concurrence transparente et non discriminatoire et pour une durée qui ne soit pas disproportionnée (engagement n° 3 proposé par la FFCAM).
Suite de la procédure
Si les engagements proposés par la FFCAM, la GC, la GCV, le SG et la SGO, éventuellement complétés et amendés, sont de nature à répondre aux préoccupations de concurrence exprimées dans le cadre de la procédure, l’Autorité de la concurrence constatant qu’il n’y a plus de raison d’agir, procédera à la clôture de l’affaire, en prenant acte des engagements qui prendront alors un caractère obligatoire.
Les tiers intéressés sont invités à présenter leurs observations sur cette proposition d’engagements en faisant référence au numéro de dossier 14/0032 F, au plus tard le 8 juin 2015 17h00 par Mel ou à l’adresse suivante :
Autorité de la concurrence
11 rue de l’Echelle
75001 Paris