Sentier de randonnée (accident-Mercantour)/ Défaut d’entretien normal (non)/ Ouvrage public exceptionnellement dangereux (non)/ Carence de l’autorité de police (non)

CAA Marseille, 24/06/2021, n° 20MA01076 et n° 20MA01077

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :
Mme H… I… a demandé au tribunal administratif de Nice de désigner, avant dire droit, un expert afin d’évaluer ses préjudices consécutifs à l’accident dont elle a été victime le 8 juin 2014 dans le Parc national du Mercantour, outre la condamnation du département des Alpes-Maritimes, ou à titre subsidiaire du Parc National du Mercantour et de la commune de Tende, à lui verser une indemnité provisionnelle de 30 000 euros.
Par un jugement n° 1701312 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 mars 2020 et le 1er avril 2021, Mme I…, représentée par Me C…, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice en tant qu’il a rejeté ses demandes dirigées contre le département des Alpes-Maritimes et le Parc National du Mercantour ;

2°) de désigner, avant dire droit, un expert afin qu’il se prononce sur l’origine et l’étendue de ses préjudices ;

3°) de condamner le département des Alpes-Maritimes et le Parc national du Mercantour à lui verser la somme provisionnelle de 30 000 euros ;

4°) de mettre à la charge du département des Alpes-Maritimes et du Parc national du Mercantour la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– ses conclusions indemnitaires sont recevables, compte tenu de la naissance en cours d’instance devant le tribunal administratif de la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire préalable ;
– ses séquelles n’étant pas consolidées, son action en réparation des préjudices qui en découlent n’est pas prescrite ;
– il est établi que son accident survenu le 8 juin 2014 résulte de la chute d’un bloc de pierre sur le sentier qu’elle parcourait ;
– la responsabilité du département des Alpes-Maritimes et du Parc National du Mercantour est engagée sur le fondement du défaut d’entretien normal de l’ouvrage, notamment en l’absence de dispositifs propres à prévenir la chute de pierres ou de signalisation informant les usagers de ce danger, de la carence du directeur dans l’exercice de ses pouvoirs de police et du risque exceptionnel que présente l’ouvrage ;
– il y a lieu de désigner un expert afin d’évaluer les préjudices qu’elle conserve de son accident et de lui allouer, dans l’attente de l’indemnisation définitive de ces préjudices, une indemnité provisionnelle d’un montant de 30 000 euros.

Par un mémoire enregistré le 12 mars 2021, la commune de Tende, représentée par Me G…, conclut au rejet de toute demande présentée à son encontre et à ce que soit mise à la charge de tout succombant le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– Mme I… n’a pas présenté de conclusions d’appel à son encontre, et n’est plus recevable à le faire ;
– à titre subsidiaire, sa responsabilité ne saurait être engagée, au titre d’une carence dans l’exercice des pouvoirs de police municipale ou de l’entretien normal, à l’égard de la victime d’un accident survenu sur un ouvrage public dont la gestion et l’entretien incombent au département des Alpes-Maritimes et au Parc National du Mercantour ;
– à titre très subsidiaire, si le sentier de randonnée sur lequel Mme I… a été victime de sa chute devait être regardé comme relevant de sa gestion et de son entretien, il fait partie du domaine privé communal et ne peut, par suite engager sa responsabilité sur le fondement du défaut d’entretien normal, lequel n’est au demeurant nullement établi ;
– à titre infiniment subsidiaire, l’imprudence de la victime est de nature à exonérer la personne publique de toute responsabilité.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 mars 2021, le Parc National du Mercantour, représenté par Me D…, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme I… la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :
– à défaut pour Mme I… d’avoir lié le contentieux, ses conclusions indemnitaires sont irrecevables ;
– la requérante n’apporte aucune preuve des carences alléguées dans l’entretien normal du sentier de randonnée qu’elle empruntait au moment de son accident et dans l’exercice de ses pouvoirs de police de la circulation ;
– à titre subsidiaire, il revient au département des Alpes-Maritimes d’assurer l’entretien normal des sentiers de randonnée, y compris lorsqu’ils traversent les limites du parc.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mars 2021, le département des Alpes-Maritimes, représenté par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et F…, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme I… la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– l’entretien courant du sentier emprunté par Mme I… lors de son accident n’entre pas dans le champ de ses compétences, mais dans celui de celles dévolues au Parc National du Mercantour en vertu du décret n° 2009-486 du 29 avril 2009 ;
– à titre subsidiaire, une signalétique appropriée au risque encouru a été installée ;
– si la charge de réaliser les travaux de grande ampleur lui incombe, il n’est pas établi que l’entretien normal des sentiers de randonnée du parc nécessiterait de tels travaux, notamment l’installation de filets métalliques le long des parois ;
– à titre subsidiaire, faute d’aménagement et alors qu’elle n’est la dépendance d’aucun ouvrage public, la paroi dont s’est détachée le rocher à l’origine de l’accident de la requérante ne peut être elle-même regardée comme un ouvrage public ;
– à titre très subsidiaire, la victime, à qui il revenait de s’informer sur les zones présentant des risques d’éboulement, a fait preuve d’imprudence.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la société Generali Iard, qui n’ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

La présidente de la cour a désigné Mme Jorda-Lecroq, présidente-assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. E…,
– les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
– et les observations de Me J…, représentant Mme I…, de Me B… substituant la Selarl Vincent-D…-Medina, représentant le Parc National du Mercantour, de Me F… substituant la SCP Garreau Bauer-Violas, représentant le département des Alpes-Maritimes, et de Me A…, substituant la Selarl G…, représentant la commune de Tende.

Considérant ce qui suit :

1. Mme I… relève appel du jugement du 31 décembre 2019 en tant que par celui-ci le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant, outre la désignation d’un expert, à la condamnation du département des Alpes-Maritimes et du Parc National du Mercantour à l’indemniser des préjudices résultant de l’accident dont elle a été victime le 8 juin 2014 alors qu’elle randonnait au sein du parc.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l’existence d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage :

2. Pour obtenir réparation, par le maître de l’ouvrage, des dommages qu’ils ont subis à l’occasion de l’utilisation d’un ouvrage public, les usagers doivent démontrer l’existence d’un lien de causalité direct entre l’ouvrage et le dommage. La collectivité en charge de l’ouvrage public doit alors, pour s’exonérer de sa responsabilité, soit établir qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage, soit démontrer que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

3. Il résulte de l’instruction que l’accident de Mme I… a été causé par la chute d’un rocher depuis un couloir enneigé surplombant le sentier balisé dit  » des Merveilles  » sur lequel elle circulait. Il résulte également de l’instruction, ainsi que le fait valoir le Parc National du Mercantour sans être contesté, que la falaise depuis laquelle ce rocher s’est détaché ne présentait aucune fragilité particulière et qu’à la date de l’accident, aucun phénomène d’éboulement n’avait été récemment relevé dans ce secteur du parc. En outre, des panneaux étaient alors installés au niveau des principaux points de passage du parc, informant les usagers qu’ils circulaient en moyenne et haute montagne et les invitant en conséquence à la prudence et au respect des règles de sécurité. Eu égard au faible risque d’éboulement ou de chute de pierre, cette signalisation n’appelait pas d’information spécifique sur ce danger. Dans ces conditions, en tout état de cause, ni l’absence de dispositif de nature à prévenir la chute de pierre, ni la signalisation en place ne caractérise l’existence d’un défaut d’entretien normal de l’ouvrage.

En ce qui concerne le caractère exceptionnellement dangereux de l’ouvrage public :

4. La responsabilité du gestionnaire d’un ouvrage public ne peut être engagée à l’égard des usagers, même en l’absence de tout défaut d’aménagement ou d’entretien normal, que lorsque cet ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d’un ouvrage exceptionnellement dangereux.

5. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 3, le risque de chute de pierre auquel sont exposés les usagers du chemin qu’empruntait Mme I… lors de son accident ne peut être regardé comme présentant un caractère exceptionnel de gravité. Par suite, et en tout état de cause, ce chemin ne constitue pas un ouvrage exceptionnellement dangereux.

En ce qui concerne l’existence d’une carence dans l’exercice des pouvoirs de police générale :

6. En vertu des dispositions du 5° de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, il appartient au maire, au titre de ses pouvoirs de police générale, de prévenir et de faire cesser les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les éboulements de terre ou de rochers.

7. En tout état de cause, ainsi qu’il a été exposé au point 3, il ne résulte pas de l’instruction qu’il existait un risque de chute de pierres excédant celui auquel un randonneur pouvait s’attendre et de nature à justifier d’autres mesures que celles mises en place au titre de l’entretien des chemins et sentiers de randonnée du parc.

8. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de désigner un expert, Mme I… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre le département et le Parc national. En outre, ses conclusions indemnitaires réitérées en appel doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l’article L. 7611 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département des Alpes-Maritimes ou du Parc national du Mercantour, qui ne sont pas les parties perdantes, tout ou partie de la somme dont Mme I… demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Tende, le Parc National du Mercantour et le département des Alpes-Maritimes sur ce même fondement.

D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme I… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le département des Alpes-Maritimes, la commune de Tende et le Parc National du Mercantour sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H… I…, au département des Alpes-Maritimes, à la commune de Tende, au Parc National du Mercantour, à la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la société Generali Iard.