Secours en montagne/ Médecin du SMUR/ Insuffisance professionnelle/ Légalité du changement d’affectation

CAA de LYON

N° 14LY00108
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre – formation à 3
M. MARTIN, président
Mme Pascale DECHE, rapporteur
M. CLEMENT, rapporteur public
ALDEGUER, avocat

lecture du mardi 23 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B…C…a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

– d’annuler la décision par laquelle le chef de service du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne l’a suspendu de toute participation à la structure mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) héliportée de Modane ;
– d’enjoindre audit centre hospitalier de le rétablir dans la plénitude de ses fonctions au sein du SMUR héliporté de Modane ;
– de condamner ledit centre hospitalier à lui verser la somme de 11 914 euros et l’indemnité mensuelle globale de 611 euros à liquider en fonction de la date de lecture du jugement, outre intérêts légaux et capitalisation.

Par un jugement n° 1202700 du 26 novembre 2013, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir annulé la décision du 13 septembre 2010, confirmée le 20 octobre 2010 portant exclusion de M. C…des permanences de l’unité de secours en montagne du SMUR héliporté de Modane, a condamné le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne à payer à M. C… la somme de 17 719 euros.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 14LY00108, les 16 janvier, 30 juillet 2014, et 10 février 2015, le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, représenté par MeD…, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1202700 du 26 novembre 2013 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. C…devant le tribunal administratif de Grenoble ;

3°) de mettre à la charge de M. C…une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– la décision de ne pas intégrer M. C…au planning des interventions du SMUR héliporté ne concerne que l’une des attributions de l’intéressé ; ce dernier pouvant être affecté aux fonctions que nécessitait l’intérêt du service, elle n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ;
– les insuffisances techniques et physiques qui ont conduit le docteur Albasini, chef du service, à ne plus intégrer M. C…dans le planning d’intervention du SMUR héliporté sont matériellement établies ; la seule possession du diplôme de médecine en montagne n’est pas suffisante et en l’espèce, l’inaptitude de M. C…aux activités de secours en montagne a été confirmée à plusieurs reprises ;
– l’intéressé a lui-même choisi d’effectuer moins de périodes de travail sur les plages de permanence de soins et moins de travail additionnel ; il est, lui-même, à l’origine de sa perte de rémunération ; de plus, il ne peut prétendre à une quelconque rémunération des astreintes alors qu’il était placé en position d’arrêt de travail sans interruption du 28 février 2012 au 27 février 2013 et ensuite en congés annuels et compte épargne-temps jusqu’au mois de juin 2013, date de son départ au centre hospitalier de Privas.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 avril et 25 juin 2014 et les 12 janvier et 26 mai 2015, M.C…, représenté par MeE…, conclut :
– au rejet de la requête ;
– à ce que le montant de la condamnation prononcée par le Tribunal à l’encontre du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne soit porté à la somme de 48 057 euros ;
– à ce qu’une somme de 3 600 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– la décision de le radier des plannings de l’unité fonctionnelle du SMUR routier et héliporté de Modane a nécessairement réduit ses attributions : lui faisant grief, elle est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ;
– elle a été prise par une autorité incompétente ;
– elle n’a pas été précédée de la communication préalable de son dossier ;
– elle repose sur des faits matériellement inexacts ;

– elle n’est pas justifiée par l’intérêt du service ;
– cette décision peut également s’analyser comme une sanction déguisée qui n’a pas respecté la procédure disciplinaire et qui est entachée de détournement de pouvoir ;
– cette éviction illégale lui a causé un préjudice financier lié à la baisse du nombre des permanences effectuées et qui s’élève, à la date du 2 février 2014, à la somme de 48 057 euros.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 14LY00109, les 28 janvier, 14 mai et 30 juillet 2014 et 10 février 2015, le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, représenté par MeD…, demande à la Cour d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution du jugement n° 1202700 du 26 novembre 2013, par lequel le tribunal administratif de Grenoble, après avoir annulé la décision du 13 septembre 2010, confirmée le 20 octobre 2010, portant exclusion de M. C…des permanences de l’unité de secours en montagne du SMUR héliporté de Modane, a condamné le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne à payer à M. C… la somme de 17 719 euros.

Il justifie de moyens sérieux de nature à entraîner, outre l’annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation et celui des conclusions indemnitaires.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 avril et 25 juin 2014 et les 12 janvier et 26 mai 2015, M. B…C…, représenté par MeE…, conclut :
– au rejet de la requête ;
– à ce que le montant de la condamnation prononcée par le Tribunal à l’encontre du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne soit porté à la somme de 48 057 euros ;
– à ce qu’une somme de 3 600 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens invoqués par le requérant doivent être écartés pour les mêmes raisons que celles exposées sous le n°14LY00108.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Dèche, premier conseiller,
– les conclusions de M. Clément, rapporteur public,
– et les observations de MeA…, représentant le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, et de MeE…, représentant M.C….

1. Considérant que le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne relève appel du jugement en date du 26 novembre 2013, par lequel le tribunal administratif de Grenoble après avoir annulé la décision du 20 octobre 2010 portant exclusion du M. B…C…, praticien hospitalier, des permanences de l’unité de secours en montagne du SMUR héliporté de Modane, l’a condamné à verser à l’intéressé, la somme de 17 719 euros en réparation des préjudices subis ; que le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne demande également qu’il soit sursis à l’exécution dudit jugement ;
Sur la requête n° 14LY00108 :

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment de la décision litigieuse en date du 20 octobre 2010 que la suspension de la participation de M. C…aux permanences de l’unité de secours en montagne du SMUR héliporté de Modane est motivée par les insuffisances physique et techniques de l’intéressé aux activités de secours en montagne ; que ces insuffisances ressortent notamment d’une attestation en date du 10 janvier 2014, produite en appel, établie par un gendarme du peloton de gendarmerie de haute montagne de Modane qui a été chargé de l’instruction en montagne des médecins du SMUR héliporté de Modane, à compter de 2008 ; que cette attestation indique que lors de l’encadrement de ces formations en montagne, il a été constaté  » le faible niveau physique et technique du docteur Hubert C…entre 2008 et 2010 (…), puis en 2011 « , qu’aucune progression physique n’a pu être notée au cours de ces quatre années, qu' » il était toujours le dernier, en montée comme en descente « , qu’il a été vu en situation de panique lors des manoeuvres de treuillage en hélicoptère et que  » son matériel n’était pas adapté, pas préparé, ou pas réglé, voire absent  » ; que M. C…produit de nombreuses attestations de proches et de sportifs professionnels concernant sa pratique régulière du ski, de la course à pied, du vélo et de la natation, la copie d’un livret de suivi de formation pour le ski de randonnée et les techniques de survie en conditions hivernales mentionnant son autonomie physique et technique, plusieurs attestations relatives aux bonnes relations entretenues avec les sapeurs-pompiers intervenant régulièrement avec le SMUR, ainsi que plusieurs factures attestant qu’il achète régulièrement des vêtements et du matériel adaptés aux activités de montagne ; que toutefois, ces documents ne permettent pas d’établir qu’il justifierait du niveau physique et technique qu’exigent les opérations spécifiques de secours en montagne ; que, par suite, c’est à tort que, pour annuler la décision en litige, les premiers juges se sont fondés sur le motif tiré de ce qu’elle reposerait sur des faits qui ne seraient pas matériellement établis ;

3. Considérant, toutefois, qu’il appartient à la Cour, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. C…tant devant le tribunal administratif de Grenoble que devant la Cour ;

4. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que par une décision en date du 1er septembre 2010, le docteur Perrot, chef de pôle Urgences et Plateaux techniques du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne a délégué au docteur Albasini, responsable de l’unité médicale Urgences/SMUR,  » l’élaboration des tableaux de service et permanence de soins à transmettre chaque mois avant le 20 du mois à la Direction pour validation  » ; qu’il ne résulte d’aucune disposition législative ou réglementaire qu’une telle délégation devait faire l’objet d’une publication ou d’un affichage particulier ; que, par suite, M. C…n’est pas fondé à soutenir que la décision litigieuse aurait été prise par une autorité incompétente ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que les insuffisances physiques et techniques qui ont justifié, ainsi qu’il a été dit précédemment, l’exclusion de M. C…de la participation aux opérations de secours en montagne étaient de nature à créer une situation préjudiciable à la sécurité de l’intéressé et au bon fonctionnement du service ; que dans ces conditions, l’administration n’a pas, contrairement à ce qui est soutenu, fait une inexacte appréciation des circonstances de l’espèce en estimant que l’intérêt du service exigeait son changement d’affectation ; qu’ainsi, la mesure dont M. C…a été l’objet ne présentait pas, dans les conditions où elle est intervenue le caractère d’une sanction disciplinaire, mais constituait une mesure prononcée dans l’intérêt du service ; que les moyens dirigés contre cette décision en tant qu’elle constituerait une sanction disciplinaire déguisée, et tirés de l’irrégularité de la procédure, et du détournement de pouvoir sont, par suite, inopérants ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 qu’un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier ; que la décision attaquée fondée notamment sur les insuffisances physiques et techniques de M. C…pour participer aux opérations de secours en montagne doit être regardée comme ayant été prise en considération de la personne de l’intéressé et ce dernier devait être mis à même de demander la communication de son dossier en temps utile ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. C…a été informé verbalement, le 13 septembre 2010 de l’intention de l’administration de l’exclure des opérations de secours en montagne ; qu’avant l’intervention de la décision litigieuse en date du 20 octobre 2010, il a disposé d’un délai suffisant pour demander la communication de son dossier ; qu’ainsi, et alors même qu’il n’aurait pas été informé de la possibilité d’une telle communication, M. C…a été mis à même de présenter une demande en ce sens ; que ce moyen doit donc être écarté ;

7. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non recevoir opposées en défense, que M. C…n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du 20 octobre 2010 l’excluant des permanences de l’unité de secours en montagne du SMUR héliporté de Modane ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à ce qu’il soit indemnisé des dommages qui résulteraient pour lui de la prétendue illégalité de cette décision ne peuvent qu’être rejetées ; que le présent arrêt qui rejette les conclusions du requérant n’appelle aucune mesure d’exécution ; que ses conclusions à fin d’injonction doivent, dès lors, être rejetées ;

Sur la requête n° 14LY00109 :

8. Considérant que, dès lors qu’il est statué au fond sur les conclusions à fin d’annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce que la Cour prononce le sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. C…la somme que le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par M. C…soient mises à la charge du centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne, qui n’est pas la partie perdante ;
DECIDE
Article 1er : Il n’y a plus lieu de statuer sur la requête n° 14LY00109.
Article 2 : Le jugement n° 1202700 rendu le 26 novembre 2013 par le tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : La demande présentée par M. C…devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne et par M. C…sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Saint-Jean-de-Maurienne et à M. B… C….
Délibéré après l’audience du 2 juin 2015 à laquelle siégeaient :
M. Martin, président de chambre,
Mme Courret, président-assesseur,
Mme Dèche, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 juin 2015.

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Nos 14LY00108, 14LY00109