Protection de la biodiversité/ SRCE / Légalité

CAA de NANCY

N° 16NC01198   
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
M. MESLAY, président
M. Philippe REES, rapporteur
M. FAVRET, rapporteur public
MOISSON, avocat

lecture du vendredi 30 juin 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :

La société des Remontées mécaniques du champ du feu (SOREMEC) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler l’arrêté du 22 décembre 2014 par lequel le préfet du Bas-Rhin a adopté le schéma régional de cohérence écologique (SRCE) d’Alsace.

Par un jugement no 1500815 du 13 avril 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 juin et 12 décembre 2016, ainsi que le 31 janvier 2017, la société des Remontées mécaniques du champ du feu, représentée par MeB…, demande à la cour d’annuler le jugement no 1500815 du 13 avril 2016 du tribunal administratif de Strasbourg, avec toutes conséquences de droit.

La société des Remontées mécaniques du champ du feu soutient que :

– le jugement est insuffisamment motivé ;
– le jugement est entaché d’erreur manifeste d’appréciation ;
– le jugement est entaché d’erreur de fait en ce que, d’une part, le tribunal a considéré que le schéma n’aurait pas de conséquence sur son activité, d’autre part il a relevé que son activité principale est le ski de fond, alors qu’il s’agit du ski alpin ;
– le schéma est entaché d’un vice de procédure dès lors que les organismes visés à l’article L. 371-3 du code de l’environnement n’ont pas été consultés ;
– le schéma est entaché d’un vice de procédure dès lors que tous les avis n’ont pas été joints au dossier d’enquête publique, contrairement à ce qu’exigent les articles L. 371-3 et R. 123-8 du code de l’environnement ;
– l’article L. 121-13 du code de l’environnement et l’article 7 de la Charte de l’environnement ont été méconnus dès lors que les modalités fixées pour le déroulement de l’enquête publique n’ont pas permis une participation suffisante du public ;
– le schéma n’a, contrairement à ce que prévoit l’article L. 371-3 du code de l’environnement, pas été établi sur le fondement de connaissances scientifiques mises à disposition des autorités pour son élaboration ;
– l’absence de mentions spécifiques relatives aux grands projets dans le SRCE constitue une illégalité ;
– le SRCE méconnaît l’article R. 371-26 du code de l’environnement en ce que son diagnostic ne comporte pas une analyse fiable et précise des interactions humaines sur la biodiversité ;
– le plan d’action stratégique ne comporte pas de volet relatif au développement touristique et des activités de grand air, en méconnaissance de l’article R. 371-28 du code de l’environnement ;
– le plan d’action stratégique ne prévoit aucune disposition pour garantir la compatibilité entre ces activités et les mesures qu’il fixe, en méconnaissance de l’article R. 371-28 du code de l’environnement ;
– le SRCE méconnaît l’article L. 371-1 en ce qu’il institue une protection supplémentaire et injustifiée sur le territoire du Champ du Feu alors que celui-ci comporte déjà trois périmètres de protection qui ne se recoupent pas, sans qu’aucun élément biologique et scientifique n’explique cette différence ; l’institution d’un réservoir de biodiversité, avec un périmètre distinct des trois autres, ne repose sur aucune justification scientifique ; elle porte une atteinte excessive aux activités humaines, en particulier celle de la SOREMEC qui est directement concernée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2017, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’aucun des moyens soulevés par la requérante n’est fondé.

Les 16 mars et 3 avril 2017 les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité des moyens de légalité externe, que la requérante n’a soulevés qu’après l’expiration du délai d’appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code de l’environnement,
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Rees, premier conseiller,
– les conclusions de M. Favret, rapporteur public,
– et les observations de MeA…, pour la société des Remontées mécaniques du champ du feu.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 22 décembre 2014, le préfet de la région Alsace a adopté le schéma régional de cohérence écologique d’Alsace.

2. La SOREMEC relève appel du jugement du 13 avril 2016 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

3. La SOREMEC soutient en premier lieu que le tribunal n’a pas suffisamment motivé sa réponse à son moyen tiré de ce que l’arrêté en cause est entaché d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 371-28 du code de l’environnement, dès lors que le plan d’action stratégique n’a pas pris en compte les acteurs de sa catégorie mais uniquement le domaine de l’agriculture qui n’est pourtant par le seul secteur à enjeu de la région. Selon la requérante, le tribunal ne justifie pas en quoi la mention des projets d’aménagement ou des milieux paysagers permettrait de prendre en considération les activités touristiques ou de grand air, ces activités étant différentes par nature.

4. Le tribunal, qui a analysé ce moyen à son point 12, a toutefois expressément indiqué, notamment, que le plan d’action stratégique énonce  » les mesures à prendre dans des domaines qui concernent la société requérante, que sont les projets d’aménagement ou encore la sylviculture et les milieux paysagers « , avant de conclure que,  » alors même que le plan d’action stratégique ne comporte pas de volet spécifique relatif aux activités touristiques ou de grand air, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation ne peut qu’être écarté « .

5. Il ressort ainsi des termes du jugement que le tribunal n’a pas estimé que la différence alléguée par la requérante entre les activités en cause justifiait un traitement particulier au sein du plan d’action stratégique. Le jugement répond ainsi de manière suffisamment précise au moyen soulevé.
6. La SOREMEC soutient en deuxième lieu que le tribunal a entaché son jugement d’erreurs de droit, de fait et d’appréciation. Toutefois, à les supposer établies, ces erreurs relèvent du bien-fondé du jugement et sont sans incidence sur sa régularité.

Sur la légalité de l’arrêté attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe :

7. Dans sa requête introductive d’appel, enregistrée le 14 juin 2016, la SOREMEC a contesté la régularité du jugement et soutenu que l’arrêté attaqué est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une erreur de droit et d’une erreur de fait. Elle y a également soutenu que  » la décision entreprise est entachée d’illégalité sur le plan externe « , mais en rattachant cette affirmation à la contestation de la régularité du jugement et non de l’arrêté attaqué. La requérante n’a ainsi, dans sa requête d’appel, soulevé que des moyens se rattachant à la régularité du jugement et à la légalité interne de l’arrêté litigieux.

8. Dans son mémoire enregistré le 12 décembre 2016, la SOREMEC a, en outre, soutenu que les personnes mentionnées à l’article L. 371-3 du code de l’environnement n’ont pas toutes été consultées, que le dossier soumis à l’enquête publique n’était pas complet, faute de comporter l’ensemble des avis émis sur le projet et que l’enquête publique s’est déroulée selon des modalités insuffisantes pour assurer correctement la participation du public, en violation de l’article L. 123-13 du code de l’environnement et de l’article 7 de la Charte de l’environnement.

9. Par ailleurs, dans ce même mémoire, ainsi que dans son mémoire enregistré le 31 janvier 2017, la SOREMEC a également soutenu que le SRCE a été adopté en méconnaissance de l’article R. 371-26 du code de l’environnement, dès lors que l’analyse des interactions humaines sur la biodiversité figurant dans le diagnostic n’est pas fiable et précise et qu’il a été adopté en méconnaissance de l’article R. 371-28 du code de l’environnement dès lors que le plan d’action stratégique ne comporte pas de volet relatif au développement du tourisme et des activités de grand air.

10. La première série de moyens, relevés au point 8, se rapporte à la régularité de la procédure préalable à l’adoption du SRCE. La seconde série de moyens, relevés au point 9, se rapporte à la présentation et au contenu formel du SRCE adopté. L’ensemble de ces moyens se rattachent ainsi à la légalité externe de l’acte attaqué.

11. Celle-ci constitue une cause juridique distincte de la légalité interne et de la régularité du jugement, auxquelles se rattachent les moyens soulevés dans la requête introductive d’appel. Or, aux dates auxquelles ces moyens de légalité externe ont été soulevés, le délai d’appel de deux mois, qui a commencé à courir à compter de la notification du jugement, le 14 avril 2016, était expiré.

12. Ces moyens de légalité externe ont donc été soulevés tardivement et doivent, par conséquent, être écartés comme irrecevables.
En ce qui concerne la légalité interne :

13. La SOREMEC soutient en premier lieu qu’alors que l’article L. 371-3 du code de l’environnement prévoit que le SRCE doit être  » fondé en particulier sur les connaissances scientifiques disponibles « , cette exigence a été méconnue puisqu’il ne résulte pas de l’arrêté attaqué que celui-ci soit fondé sur les connaissances scientifiques.

14. Toutefois, l’arrêté lui-même vise l’avis du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Alsace. La seule absence d’indication d’autres données scientifiques n’est pas de nature à démontrer que le SRCE n’a pas été établi sur le fondement des connaissances scientifiques disponibles. Par suite, le moyen ne peut qu’être écarté.

15. La SOREMEC soutient en deuxième lieu que l’absence de mentions spécifiques relatives aux grands projets dans le SRCE constitue une illégalité.

16. Mais cette affirmation n’est assortie d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé.
17. La SOREMEC soutient en troisième lieu que le plan d’action stratégique ne respecte pas les dispositions de l’article R. 371-28 du code de l’environnement en ce qu’il ne prévoit aucune disposition pour garantir la compatibilité entre les mesures qu’il fixe et les activités de développement touristique et de grand air.
18. Aux termes de l’article R. 371-28 du code de l’environnement :  » Le plan d’action stratégique présente : – les outils et moyens mobilisables compte tenu des objectifs de préservation et de remise en bon état des continuités écologiques de la trame verte et bleue régionale, selon les différents milieux ou acteurs concernés et en indiquant, le cas échéant, leurs conditions d’utilisation et leur combinaison ; – des actions prioritaires et hiérarchisées en faveur de la préservation et de la remise en bon état des continuités écologiques ; – les efforts de connaissance à mener, notamment en vue de l’évaluation de la mise en oeuvre du schéma. / Les moyens et mesures ainsi identifiés par le plan d’action sont décidés et mis en oeuvre, dans le respect des procédures qui leur sont applicables, par les acteurs concernés conformément à leurs compétences respectives « .

19. Il ressort des dispositions précitées, en particulier du dernier alinéa de l’article, que l’expression  » les acteurs concernés  » vise les personnes susceptibles de mettre en oeuvre les moyens et mesures identifiés par le plan d’action et non, comme le soutient la requérante, les personnes dont les activités, exercées dans les espaces en cause, sont susceptibles d’être affectées par cette mise en oeuvre. Par ailleurs, le SRCE a notamment mentionné les outils et moyens mobilisables pour la protection de la biodiversité, de manière globale, puis a exposé les actions prioritaires identifiées à mettre en oeuvre, cette fois-ci, par grands secteurs, dont notamment, mais non exclusivement, l’agriculture. Sont ainsi également énoncées les mesures à prendre dans des domaines tels que les projets d’aménagement ou la sylviculture et les milieux paysagers.

20. Ainsi, alors même que le plan d’action stratégique ne comporte pas de volet spécifique relatif aux activités touristiques ou de grand air, le préfet n’a, en adoptant le SRCE, commis ni une erreur de droit ni une erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions précitées.
21. La SOREMEC soutient en quatrième lieu que le SRCE méconnaît l’article L. 371-1 en ce qu’il institue une protection supplémentaire et injustifiée sur le territoire du Champ du Feu. Elle souligne que celui-ci comporte déjà trois périmètres de protection qui ne se recoupent pas. Selon elle, l’institution d’un réservoir de biodiversité, avec un périmètre distinct des trois autres, ne repose sur aucune justification scientifique et porte une atteinte excessive aux activités humaines, notamment la sienne, qui en est directement affectée.

22. Aux termes de l’article L. 371-1 du code de l’environnement :  » I – La trame verte et la trame bleue ont pour objectif d’enrayer la perte de biodiversité en participant à la préservation, à la gestion et à la remise en bon état des milieux nécessaires aux continuités écologiques, tout en prenant en compte les activités humaines, et notamment agricoles, en milieu rural (…) « .

23. Tout d’abord, s’il ressort des pièces du dossier que le territoire du Champ du Feu fait l’objet d’une zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, d’une zone Natura 2000 et d’une réserve biologique domaniale, dont les périmètres se chevauchent sans coïncider exactement, l’article L. 371-1 du code de l’environnement, ni aucune autre disposition régissant les SRCE ne font obstacle à ce que ce schéma identifie en outre un réservoir de biodiversité.

24. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’identification de ce réservoir de biodiversité ne soit pas justifiée.

25. Enfin, le 8ème alinéa de l’article L. 371-3 du code de l’environnement prévoit que :  » Les collectivités territoriales et leurs groupements compétents en matière d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme prennent en compte les schémas régionaux de cohérence écologique lors de l’élaboration ou de la révision de leurs documents d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme dans les conditions fixées à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme « . Par ailleurs, l’article R. 371-28 du même code prévoit, à son dernier alinéa, que :  » Les moyens et mesures ainsi identifiés par le plan d’action sont décidés et mis en oeuvre, dans le respect des procédures qui leur sont applicables, par les acteurs concernés conformément à leurs compétences respectives « .

26. Il résulte de ces dispositions que le SRCE n’est susceptible d’affecter les activités humaines se déroulant sur son territoire que de façon indirecte, du fait de sa prise en compte pour l’élaboration ou la révision des documents d’aménagement de l’espace ou d’urbanisme des collectivités territoriales ou de leurs groupements, ou à travers sa mise en oeuvre par les décisions mentionnées à l’article R. 731-28. Il ne peut ainsi pas être regardé comme portant, par lui-même, atteinte à la situation des tiers.
27. Par conséquent, la requérante n’est pas fondée à soutenir que l’identification, par le SRCE, d’un réservoir de biodiversité dans le secteur où elle exploite une station de ski alpin porte une atteinte excessive à son activité.
28. Il résulte de tout ce qui précède que la SOREMEC n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 22 décembre 2014 par lequel le préfet du Bas-Rhin a adopté le SRCE d’Alsace. Dès lors, ses conclusions à fin d’annulation ne peuvent qu’être rejetées.
Par ces motifs,
DECIDE :

Article 1er : La requête de la société des Remontées mécaniques du Champ du feu est rejetée.