Exploitants de domaines skiables/ Aides publiques/ Remboursement/ Prescription

CAA de MARSEILLE

N° 13MA05111
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre – formation à 3
M. GUERRIVE, président
Mme Florence HERY, rapporteur
Mme FELMY, rapporteur public
CABINET CHRISTIAN BOITEL, avocat

lecture du lundi 18 mai 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 24 décembre 2013 au greffe de la cour administrative d’appel de Marseille, sous le n° 13MA05111 présentée pour la société d’aménagement du Cheiron, dont le siège est route de Draguignan au Tignet (06530), par MeB… ;

La société d’aménagement du Cheiron demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n°s 1102983 et 1102984 du 25 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à l’annulation des titres exécutoires du 17 juin 2011 par lesquels le département des Alpes-Maritimes a mis à sa charge les sommes respectives de 198 183,72 euros et 9 914,62 euros ;

2°) d’annuler les titres exécutoires du 17 juin 2011 ;

3°) de condamner le département des Alpes-Maritimes à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

– le titre exécutoire n° 8490 est insuffisamment motivé en tant qu’il ne précise pas le mode de calcul des intérêts ;

– la créance présente un caractère contestable, dès lors que la commune de Gréolières est substituée à la société d’aménagement du Cheiron dans les contrats conclus par celle-ci du fait de la résiliation de la convention de concession le 8 novembre 2002 ; aux termes de ces statuts, le syndicat mixte des stations de Gréolières et de l’Audibergue est lui-même substitué aux obligations de la commune ;

– la créance est prescrite ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 février 2014 présenté par le payeur départemental des Alpes-Maritimes qui conclut à sa mise hors de cause ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2015, présenté pour le département des Alpes-Maritimes par MeC… ;

Le département des Alpes-Maritimes conclut au rejet de la requête et demande à la cour de condamner la société d’aménagement du Cheiron à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il fait valoir que :

– le titre exécutoire comporte l’indication précise de la nature de la créance et des bases de sa liquidation ;

– la société d’aménagement du Cheiron, qui a été bénéficiaire de l’aide versée par le département, s’est engagée par convention à rembourser cette aide ; elle ne peut exciper de l’existence d’autres contentieux administratifs pour contester le caractère exigible de cette créance ; la commune de Gréolières et le SMGA ne sauraient être redevables de cette créance ;

– aucun comportement fautif ou déloyal ne peut lui être reproché ;

– la créance n’est pas prescrite ;

Vu, enregistré le 19 avril 2015, le mémoire en réplique présenté pour la société d’aménagement du Cheiron qui persiste dans ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 avril 2015 :

– le rapport de Mme Héry, rapporteur,

– les conclusions de Mme Felmy, rapporteur public,

– et les observations de Me A…pour la société d’aménagement du Cheiron et de Me C…pour le département des Alpes-Maritimes ;

Après avoir pris connaissance des notes en délibéré produites le 24 avril 2015 pour le département des Alpes-Maritimes par Me C…et le 29 avril 2015 pour la société d’aménagement du Cheiron par Me A…;

1. Considérant que par une convention de délégation de service public conclue le 30 mai 1986, la commune de Gréolières a concédé à la société d’aménagement du Cheiron la réalisation et l’exploitation d’équipements de sports d’hiver ; que, suite au manque d’enneigement dans le massif des Alpes du Sud, la société d’aménagement du Cheiron a bénéficié en 2001 d’une aide exceptionnelle de 2 600 000 francs versée pour moitié par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et pour l’autre moitié par le département des Alpes-Maritimes ; que la convention tripartite signée à cette fin le 5 janvier 2001 prévoit que cette aide est remboursable moyennant un taux d’intérêt annuel de 1 %, la société d’aménagement du Cheiron s’engageant à effectuer ce remboursement dans un délai de cinq ans à compter de son versement ; que la société d’aménagement du Cheiron relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes tendant à l’annulation des titres exécutoires du 17 juin 2011 émis par le département des Alpes-Maritimes pour paiement des sommes respectives de 198 183,72 euros et 9 914,62 euros correspondant, pour le premier, au remboursement de l’aide ainsi versée et, pour le second, aux intérêts ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Considérant, en premier lieu, que la société d’aménagement du Cheiron soutient que le titre exécutoire n° 8490 est insuffisamment motivé, comme ne comportant pas le mode de calcul des intérêts ; que ce titre exécutoire mentionne  » remboursement intérêts avance 1 300 000 F – convention du 05/01/2001 art.4  » ; que la convention précitée dispose que la somme remboursable sera assortie d’intérêts au taux annuel de 1 % ; que le mode de calcul de ces intérêts ne pose pas de difficultés d’appréciation sur la date de départ desdits intérêts et sur le taux applicable ; que, par suite, ce titre exécutoire est suffisamment motivé ;
3. Considérant, en deuxième lieu, que la société d’aménagement du Cheiron soutient qu’elle ne saurait être tenue pour débitrice de la créance du département des Alpes-Maritimes du fait de la résiliation le 8 novembre 2002 de la convention la liant avec la commune de Gréolières ;

4. Considérant, sans préjudice des dispositions législatives applicables notamment en matière de transfert de contrat de travail, qu’en cas de résiliation d’un contrat portant exécution d’un service public, quel qu’en soit le motif, la personne publique, à laquelle il appartient de garantir la continuité du service public et son bon fonctionnement, se substitue de plein droit à son ancien cocontractant pour l’exécution des contrats conclus avec les usagers ou avec d’autres tiers pour l’exécution même du service ; qu’il n’en va toutefois ainsi que si les contrats en cause ne comportent pas d’engagements anormalement pris, c’est-à-dire des engagements qu’une interprétation raisonnable du contrat relatif à l’exécution d’un service public ne permettait pas de prendre au regard notamment de leur objet, de leurs conditions d’exécution ou de leur durée, à moins que, dans ce cas, la personne publique n’ait donné, dans le respect de la réglementation applicable, son accord à leur conclusion ; que, pour l’application de ces règles, la substitution de la personne publique n’emporte pas le transfert des dettes et créances nées de l’exécution antérieure des contrats conclus par l’ancien cocontractant de la personne publique, qu’il s’agisse des contrats conclus avec les usagers du service public ou de ceux conclus avec les autres tiers ;

5. Considérant qu’il ressort des termes de la convention précitée du 5 janvier 2001 que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et le département des Alpes-Maritimes ont décidé, par délibérations respectives des 27 mars et 30 mai 2000 pour ce qui concerne la région et des 13 avril et 30 juin 2000 pour le département, d’instituer un dispositif d’aide financière aux entreprises en difficulté et aux exploitants des remontées mécaniques des stations de ski des Alpes du Sud en raison d’un manque d’enneigement exceptionnel durant la saison hivernale 1999-2000 préjudiciable à l’activité des stations de ski ; qu’ainsi, cette aide visait à assurer l’équilibre financier du délégataire et ne relevait pas de l’exécution du service ; que, par suite, ni la commune de Gréolières ni a fortiori le syndicat mixte des stations de Gréolières et de l’Audibergue ne sauraient être regardés comme s’étant substitués à la société d’aménagement du Cheiron dans l’engagement contracté par ce dernier le 5 janvier 2001 ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile :  » Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer  » ; que l’article 4 de la convention du 5 janvier 2001 dispose que la société d’aménagement du Cheiron s’engage à rembourser l’avance majorée des intérêts  » au plus tard dans un délai de 5 ans à partir de son versement  » ; que cette avance ayant été versée le 28 mars 2001, son remboursement était exigible le 29 mars 2006 ; qu’à cette date, qui constitue le fait générateur, la loi du 17 juin 2008 n’était pas applicable ; que, par conséquent, la prescription quinquennale ne doit être calculée qu’à compter du 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu’il en résulte que les titres exécutoires, émis le 17 juin 2011, n’étant pas prescrits, la société requérante n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription en se fondant sur les recours formés antérieurement par cette dernière contre de précédents titres exécutoires ;

7. Considérant, en dernier lieu, qu’aux termes de l’article 2277 du code civil, dans sa rédaction applicable au présent litige :  » Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : Des salaires ;/ Des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires ;/ Des loyers, des fermages et des charges locatives ;/ Des intérêts des sommes prêtées / et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts (…)  » ; que la société d’aménagement du Cheiron soutient sur le fondement de ces dispositions que l’action du département des Alpes-Maritimes est prescrite, pour ce qui concerne le titre exécutoire n° 8490, qui porte sur les intérêts ; que, toutefois, les intérêts dont il s’agit ne sont pas payables périodiquement mais uniquement au bout d’un délai de cinq ans ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la société d’aménagement du Cheiron n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions de la société d’aménagement du Cheiron, partie perdante dans la présente instance ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le département des Alpes-Maritimes ;

D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société d’aménagement du Cheiron est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du département des Alpes-Maritimes tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d’aménagement du Cheiron, au département des Alpes-Maritimes et au payeur départemental des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l’audience du 23 avril 2015, où siégeaient :

– M. Guerrive, président,
– M. Marcovici, président assesseur,
– Mme Héry, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 18 mai 2015.