Droit coutumier provençal/ Rétablissement des « carraires » (servitudes d’utilité publique pour le passage des troupeaux transhumants)

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 14MA01877
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre – formation à 3
M. LASCAR, président
Mme Anne MENASSEYRE, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
KULBASTIAN, avocat

lecture du mardi 13 octobre 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A… Duc a demandé au tribunal administratif de Toulon d’annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Gonfaron a refusé de déposer un panneau signalétique portant la mention  » Chemin de Plan Cavalier  » aux droits de la carraire n° 6 et d’annuler la délibération du 19 février 2007 par laquelle le conseil municipal de la commune de Gonfaron a rejeté sa demande de rétablissement des carraires utiles à l’exercice de son activité professionnelle.

Par un jugement n° 0703822, 0703460, du 11 juin 2009, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à sa demande.

Mme Duc a alors saisi le tribunal d’une demande qui a été regardée comme tendant à l’exécution de ce jugement. Une procédure juridictionnelle a été ouverte par ordonnance du 13 octobre 2010.

Par un jugement n° 1002610 du 4 février 2011 le tribunal administratif de Toulon a enjoint à la commune de Gonfaron de déposer le panneau signalétique portant la mention  » Chemin de Plan Cavalier  » aux droits de la carraire n° 6 et de rétablir les carraires utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de Mme Duc dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement en assortissant cette injonction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Par un nouveau jugement n° 1002610 du 17 février 2012, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon, estimant que le jugement du 11 juin 2009 avait été entièrement exécuté, a refusé de liquider l’astreinte prononcée par le jugement du 4 février 2011.

Sur appel de Mme Duc, la cour administrative d’appel de Marseille a, par un arrêt 12MA01469 du 30 juillet 2013 annulé le jugement du tribunal administratif de Toulon du 17 février 2012 et renvoyé l’affaire devant le tribunal pour qu’il y soit statué.

Par un jugement n° 1002610 du 24 janvier 2014, le tribunal administratif de Toulon, estimant que la commune de Gonfaron s’était acquittée des obligations mises à sa charge, a rejeté la requête de Mme Duc, analysée comme tendant à la liquidation provisoire de l’astreinte décidée par le jugement du 4 février 2011.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 23 avril 2014, Mme Duc, représentée par Me C…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 24 janvier 2014 ;
2°) de condamner la commune de Gonfaron au paiement d’une astreinte de 584 000 euros au titre de l’astreinte imposée par le jugement du 4 février 2011 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Gonfaron la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à son avocat qui renoncera dans cette hypothèse au bénéfice de la part contributive de l’Etat à la mission d’aide juridictionnelle.

Elle soutient que le jugement du 11 juin 2009 n’a pas été exécuté, les carraires riveraines n’étant pas libres d’accès et le panneau litigieux ayant simplement été remplacé par un panneau où le mot traverse a remplacé le mot chemin.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 août 2015, la commune de Gonfaron a conclu au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Mme Duc au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Mme Duc a été admise au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d’aide juridictionnelle du 19 mars 2014.

Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– l’arrêt de règlement du parlement de Provence du 21 juillet 1783 concernant les carraires à l’usage des troupeaux ;
– l’arrêté relatif au rétablissement des carraires des communes du préfet du Var du 15 octobre 1807 ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de MmeD…, première conseillère,
– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,
– et les observations de Me B…pour la commune de Gonfaron.

1. Considérant que Mme Duc exploite un élevage de chèvres sur le territoire de la commune de Gonfaron ; que, par jugement du 11 juin 2009, le tribunal administratif de Toulon a, sur sa demande, annulé la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Gonfaron a refusé de déposer un panneau signalétique portant la mention  » Chemin de Plan Cavalier  » aux droits de la carraire n° 6 ainsi que la délibération du 19 février 2007 par laquelle le conseil municipal de la commune de Gonfaron a rejeté sa demande de rétablissement des carraires utiles à l’exercice de son activité professionnelle ; que, s’estimant saisi d’une demande d’exécution de ce jugement, ce tribunal a, par jugement du 4 février 2011, enjoint à la commune de Gonfaron de déposer le panneau signalétique portant la mention  » Chemin de Plan Cavalier  » aux droits de la carraire n° 6 et de rétablir les carraires utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement en assortissant cette injonction d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ; que Mme Duc a demandé, en août 2011, qu’il soit procédé à la liquidation de l’astreinte ; qu’elle relève appel du jugement du 24 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de Toulon, estimant que la commune de Gonfaron s’était acquittée des obligations mises à sa charge, n’a pas fait droit à cette dernière demande ;

Sur l’exécution du jugement en tant qu’il a annulé la décision implicite refusant de déposer un panneau signalétique :

2. Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal de gendarmerie établi le 11 mai 2010, que la commune a déposé le panneau  » Chemin de Plan Cavalier  » qui était situé au droit de la carraire n° 6 ; que si Mme Duc fait valoir que ce panneau aurait été remplacé par un autre panneau revêtu de la mention  » traverse des cavaliers « , elle ne l’établit pas ; que le constat d’huissier réalisé le 11 septembre 2013 dont elle se prévaut à cette fin indique en effet simplement :  » nous constatons sur la D 39 la présence d’un panneau indiquant  » traversée de cavaliers  » « , ce qui ne corrobore pas les affirmations de Mme Duc ; que si l’intéressée estimait que la pose d’un tel panneau préjudiciait à ses droits, il s’agirait là d’un litige distinct, sans incidence sur la demande d’astreinte relative à l’exécution de la première décision d’annulation ; qu’il n’y avait dès lors pas lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte prononcée le 4 février 2011, au titre de l’exécution de cette partie du jugement du 11 juin 2009 ;

Sur l’exécution du jugement en tant qu’il a annulé la délibération du 19 février 2007 par laquelle le conseil municipal de la commune de Gonfaron a rejeté la demande de rétablissement des carraires utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de Mme Duc :

3. Considérant qu’il appartient au juge de l’exécution et à la juridiction chargée de procéder à la liquidation d’une astreinte prononcée de tenir compte des circonstances de droit ou de fait existant à la date de sa décision ;

4. Considérant, en premier lieu, que le jugement du 11 juin 2009, en vue de l’exécution duquel la liquidation d’une astreinte a été demandée par Mme Duc, qui annule le rejet d’une demande de rétablissement de carraires utiles à l’activité professionnelle de l’intéressée rappelle que les carraires, initialement consacrées par le droit coutumier de Provence, sont des servitudes d’utilité publique destinées au passage des troupeaux transhumants ; que l’arrêt de règlement du parlement de Provence du 21 juillet 1783 indique qu’il s’agit de chemins  » servant de passage aux troupeaux qui vont, en été, dépaître dans la haute Provence  » ; que l’arrêté relatif au rétablissement des carraires pris par le préfet du Var le 15 octobre 1807, produit par Mme Duc à l’appui de sa demande d’exécution mentionne  » qu’il est de l’intérêt public que les troupeaux transmigrant puissent se rendre dans les montagnes des Hautes et Basses-Alpes  » ; qu’il suit de là que les carraires et leur éventuel rétablissement ne peuvent être envisagées en dehors des nécessités liées à l’exercice effectif de la transhumance ; que, devant les premiers juges, la commune de Gonfaron a fait valoir pour la première fois dans un mémoire du 5 janvier 2011, sans être contestée, que Mme Duc n’exerçait pas, en réalité, d’activité pastorale, se contentant de faire paître ses chèvres sur des propriétés communales ou privées ; qu’il y a lieu de tenir compte de cette circonstance de fait avant de se prononcer sur la liquidation de l’astreinte prononcée ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que pour refuser de donner suite à la demande de liquidation d’astreinte demandée par Mme Duc, le tribunal a relevé qu’il résultait notamment du constat d’huissier établi à la demande de la commune le 17 mai 2010 que les carraires riveraines de la propriété de Mme Duc étaient libres d’accès et de circulation et que la commune de Gonfaron avait ainsi exécuté son obligation de rétablissement des carraires utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de la requérante ; que, pour contester cette appréciation, Mme Duc se borne à invoquer deux phrases d’un constat d’huissier, dressé le 11 septembre 2013, qu’elle a versé aux débats ; que la présence d’un grand portail ouvert et l’utilisation d’un chemin comme chemin d’exploitation mentionnée dans la première phrase invoquée par Mme Duc n’est nullement incompatible avec le passage de troupeaux au moment de la transhumance et ne permet pas de considérer que les carraires en cause ne seraient pas libres d’accès ; que, de même, la circonstance relevée dans ce constat que la parcelle cadastrée n° 194 soit clôturée et protège ainsi l’accès des troupeaux à la voie publique, ne permet pas davantage d’infirmer l’appréciation des premiers juges qui ont, à juste titre, relevé qu’une carraire n’était pas un droit de pâturage dans les parcelles qui bordent le chemin, mais un droit de traverser, au moment de la transhumance, certaines zones qui peuvent être des propriétés privées ou publiques ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Gonfaron devant être regardée comme s’étant conformée à son obligation de rétablissement des carraires utiles à l’activité professionnelle de Mme Duc, il n’y avait pas davantage lieu de procéder à la liquidation provisoire de l’astreinte prononcée le 4 février 2011, au titre de l’exécution de cette partie du jugement du 11 juin 2009 ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme Duc n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon n’a pas fait droit à sa demande tendant à la liquidation de l’astreinte prononcée par le jugement du 4 février 2011, qu’il n’y avait pas lieu de liquider ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions tendant au versement de frais irrépétibles ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu de la situation économique de la partie perdante, de rejeter également les conclusions présentées par la commune de Gonfaron au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme Duc est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Gonfaron au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A… Duc, à Me C…et à la commune de Gonfaron.

Délibéré après l’audience du 22 septembre 2015, où siégeaient :

– M. Lascar, président de chambre,
– M. Guidal, président assesseur,
– MmeD…, première conseillère.

Lu en audience publique, le 13 octobre 2015.