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Elargissement du tunnel du Fréjus/ Déclaration franco-italienne/ Acte de gouvernement

Conseil d’État

N° 463543
ECLI:FR:CECHR:2023:463543.20230224
Mentionné aux tables du recueil Lebon
2ème – 7ème chambres réunies
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public

Lecture du vendredi 24 février 2023

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 27 avril et 6 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, MM. Daniel B…, Raymond Avrillier, André Duplan, Jacques Bertoli, Mmes C… D… et Fabienne Grebert, et les associations  » vivre et agir en Maurienne  » et  » France nature environnement Savoie  » demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre de la transition écologique sur leur demande, reçue le 30 décembre 2021, de retirer la déclaration conjointe du 3 décembre 2012 sur la modification du tunnel routier du Fréjus ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cette déclaration conjointe ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la convention du 23 février 1972 entre la République française et la République italienne concernant le tunnel routier du Fréjus ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 février 2023, présentée par M. B… et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. La convention entre la République française et la République italienne concernant le tunnel routier du Fréjus, signée à Paris le 23 février 1972, prévoit que les questions de toute nature soulevées par la construction et par l’exploitation de ce tunnel, y compris les mesures nécessaires à la sécurité de la circulation, feront l’objet d’accords particuliers entre les gouvernements. Cette convention met en place une commission intergouvernementale, qui peut constituer le cadre pour la conclusion d’arrangements ou d’accords entre les gouvernements pris pour son application, dans la limite des pouvoirs accordés à chaque délégation. Pour l’application des actes de concession de la construction et de l’exploitation de ce tunnel, la commission intergouvernementale est notamment chargée de prendre toute décision en application des pouvoirs qui lui seraient délégués d’un commun accord par les deux gouvernements.

2. Par une déclaration conjointe  » sur la modification du tunnel routier du Fréjus  » du 3 décembre 2012, le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche de la République française et le vice-ministre des infrastructures et des transports de la République italienne ont décidé qu’à l’issue des travaux pour doter ce tunnel d’une galerie de sécurité, cet ouvrage serait ouvert à la circulation sur une seule voie dans le sens de l’Italie vers la France et la circulation dans le tunnel existant serait réduite à une seule voie dans le sens inverse. Afin de garantir la limitation de la capacité de l’ouvrage, ils ont décidé que la commission intergouvernementale serait chargée de vérifier que la circulation ne dépasse pas les seuils énoncés par la déclaration. Ils ont donné mandat à leurs administrations respectives et aux sociétés exploitantes pour procéder aux études et aménagements nécessaires à la mise en oeuvre de ces décisions. Par une lettre, reçue le 30 décembre 2021, MM. B… et Avrillier ont demandé à la ministre de la transition écologique de rapporter cette déclaration conjointe. M. B… et autres demandent l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la ministre de la transition écologique sur cette demande, d’autre part, de la déclaration conjointe.

3. La déclaration conjointe du 3 décembre 2012, prise en application de la convention du 23 février 1972 entre la République française et la République italienne concernant le tunnel routier du Fréjus, ainsi que le refus implicite opposé par la ministre, ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France et échappent, dès lors, à la compétence de la juridiction administrative. Par suite, la requête de M. B… et autres ne peut qu’être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

D E C I D E :
————–

Article 1er : La requête de M. B… et autres est rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A… B…, premier requérant dénommé, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Exploitant de domaine skiable/ Responsabilité pénale/ Nécessité d’identifier l’organe ou le représentant

 

Cour de cassation – Chambre criminelle

  • N° de pourvoi : 22-81.901
  • ECLI:FR:CCASS:2023:CR00175
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation

Audience publique du mardi 14 février 2023

Décision attaquée : Cour d’appel de Chambéry, du 09 mars 2022

Président

  1. Bonnal (président)

Avocat(s)

SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l’arrêt suivant :

N° C 22-81.901 F-D

N° 00175

ECF
14 FÉVRIER 2023

CASSATION

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 FÉVRIER 2023

La [2] a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 9 mars 2022, qui, pour contravention de blessures involontaires, l’a condamnée à 1 500 euros d’amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la [2], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l’audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. [P] [D], âgé de 14 ans, qui pratiquait le ski à la station de La Plagne, a été blessé en heurtant le boîtier métallique d’un canon à neige situé en bord de piste et a subi une incapacité totale de travail de trois mois.

3. La [2] ([1]) a été poursuivie devant le tribunal de police, du chef de blessures involontaires.

4. Le juge du premier degré l’a déclarée coupable du chef susmentionné, l’a condamnée à 1 500 euros d’amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

5. La [1] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

6. Le grief n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré la [1] coupable de blessures involontaires, alors :

« 1°/ que lorsqu’ils constatent la matérialité d’une infraction non-intentionnelle susceptible d’être imputée à une personne morale, il appartient aux juges d’identifier, au besoin en ordonnant un supplément d’information, celui des organes ou représentants de cette personne dont la faute, commise dans les conditions prévues au deuxième ou au troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal, est à l’origine du dommage ; qu’en l’espèce, pour déclarer la [1] coupable des faits de blessures involontaires avec incapacité inférieure ou égale à trois mois sur le fondement des articles 121-2 et 121-3 du code pénal, la cour d’appel s’est bornée à juger qu’« il appartenait à l’exploitant des pistes de ski de mettre en oeuvre des moyens d’éviter que les chutes aient des conséquences graves sur les usagers », que « le service des pistes aurait dû mettre en place des « dispositifs de protection pour limiter les dommages corporels consécutifs à un éventuel accident », que « la [1] aurait dû en effet, en donnant les consignes à ses salariés qui agissent dans le cadre de la mission dévolue à la personne morale, vérifier l’absence de danger et mettre en oeuvre des mesures de protection de cet obstacle adéquates » et qu’« il appartenait à la personne morale (et à ses représentants) et pour elle, à ses salariés en charge de la sécurisation des pistes, de vérifier que toutes les protections de sécurité avaient été mises en place, les responsables de la sécurité des pistes et pisteurs agissant pour le compte de cette société d’exploitation des pistes » ; qu’en s’abstenant de rechercher par l’intermédiaire de quelle personne physique, organe ou représentant ayant le pouvoir de direction de la [1] l’infraction reprochée à cette société avait été commise pour son compte, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes ci-dessus. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l’exception de l’Etat, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

9. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour déclarer la [1] coupable de blessures involontaires, l’arrêt attaqué se borne à imputer la contravention à la personne morale et à son représentant légal, sans autre précision.

11. En prononçant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas identifié l’organe ou le représentant de la personne morale auquel étaient imputables les manquements constatés, n’a pas justifié sa décision.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Chambéry, en date du 9 mars 2022, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Chambéry, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille vingt-trois.

Destruction d’espèces protégées (bouquetins – RIP…)/ Juge des référés/ Contrôle poussé/ Possibilité de mesures moins radicales

CAA de LYON, 3ème chambre, 15/02/2023, 21LY02822, Inédit au recueil Lebon

CAA de LYON – 3ème chambre

  • N° 21LY02822
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 15 février 2023

Président

  1. TALLEC

Rapporteur

Mme Sophie CORVELLEC

Rapporteur public

  1. DELIANCOURT

Avocat(s)

MOREAU -NASSAR – HAN-KWAN

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L’association One Voice a demandé au tribunal administratif de Grenoble :
1°) d’annuler l’arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a autorisé la capture et l’euthanasie de bouquetins séropositifs et a ordonné l’abattage de vingt bouquetins présents dans le massif du Bargy ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1904554 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 18 août 2021 et un mémoire enregistré le 15 novembre 2022, l’association One Voice, représentée par Me Moreau (SCP Moreau Nassar Han Kwan), avocate, puis par Me Thouy et Me Vidal, avocats, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 8 juillet 2021 ;
2°) d’annuler l’arrêté du 3 mai 2019 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a autorisé la capture et l’euthanasie de bouquetins séropositifs et a ordonné l’abattage de vingt bouquetins présents dans le massif du Bargy ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, elle justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, dès lors qu’elle dispose d’un agrément au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement et que l’arrêté litigieux soulève des questions excédant les seules circonstances locales ;
– aucune urgence ne justifie la décision litigieuse ;
– cette décision a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière, le conseil national de la protection de la nature n’ayant pas été régulièrement consulté, en méconnaissance de l’article 3 de l’arrêté interministériel du 19 février 2007 ;
– cette décision a été adoptée au terme d’une procédure irrégulière, le préfet n’ayant pu tenir compte de la synthèse de la consultation du public préalablement réalisée ;
– cette décision méconnaît le 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, les trois conditions qu’il fixe n’étant pas réunies ;
– elle est contraire aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l’environnement et à l’article 6 de la charte de l’environnement, à défaut de concilier les intérêts environnementaux et économiques en cause et en méconnaissant le principe de non-régression.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 octobre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 17 novembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée, en dernier lieu, au 6 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
– le décret n° 2014-1272 du 23 octobre 2014 ;
– l’arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d’instruction des dérogations définies au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :

– le rapport de Mme Sophie Corvellec, première conseillère,
– les conclusions de M. Samuel Deliancourt, rapporteur public,
– et les observations de Me Vidal, avocat, représentant l’association One Voice ;

Considérant ce qui suit :

1. L’association One Voice relève appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté, comme irrecevable, sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 mai 2019 autorisant, d’une part, la capture et l’euthanasie de bouquetins atteints de brucellose et ordonnant, d’autre part, l’abattage indifférencié de vingt bouquetins présents dans le massif du Bargy.

Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 141-1 du code de l’environnement :  » Lorsqu’elles exercent leurs activités depuis au moins trois ans, les associations régulièrement déclarées et exerçant leurs activités statutaires dans le domaine de la protection de la nature et de la gestion de la faune sauvage, de l’amélioration du cadre de vie, de la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, de l’urbanisme, ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances et, d’une manière générale, œuvrant principalement pour la protection de l’environnement, peuvent faire l’objet d’un agrément motivé de l’autorité administrative. (…) Ces associations sont dites « associations agréées de protection de l’environnement » « . Selon l’article L. 142-1 du même code :  » Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. Toute association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 (…) justifient d’un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément « .
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration, reprenant, pour partie, le I de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 :  » Le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut décision d’acceptation « . L’article L. 231-6 du même code, reprenant pour partie le II de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000, prévoit que :  » Lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie, un délai différent de ceux prévus aux articles L. 231-1 et L. 231-4 peut être fixé par décret en Conseil d’Etat « . L’article 1er du décret du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du délai de deux mois de naissance des décisions implicites d’acceptation sur le fondement du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie) dispose que :  » En application du II de l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 susvisée, et par exception à l’application du délai de deux mois prévu au premier alinéa de cet article, les délais à l’expiration desquels le silence gardé par l’administration sur une demande dont la liste figure à l’annexe du présent décret vaut décision d’acceptation sont mentionnés à la même annexe « . Les agréments des associations de protection de l’environnement prévus par l’article L. 141-1 du code de l’environnement figurent en annexe de ce décret, parmi les décisions acquises à l’expiration d’un délai de six mois.

4. Il ressort des pièces du dossier qu’en application de ces dispositions, un agrément a été implicitement accordé à l’association One Voice au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement, au terme d’un silence de six mois conservé sur sa demande, soit à compter du 5 janvier 2019. Ayant notamment pour objet de  » protéger et de défendre les animaux quelle que soit l’espèce à laquelle ils appartiennent  » et de  » lutter contre (…) toute forme de violence (…) physique  » à leur encontre, l’association One Voice justifie dès lors, en vertu de cet agrément, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté litigieux, qui autorise l’abattage de bouquetins des Alpes. Contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, sa demande était ainsi recevable.
5. Il résulte de ce qui précède que l’association One Voice est fondée à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et qu’il doit être annulé.
6. Il y a lieu pour la cour de statuer, par la voie de l’évocation, sur les conclusions de l’association One Voice dirigées contre l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 mai 2019.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Haute-Savoie :

7. Contrairement à ce que prétend le préfet de la Haute-Savoie, l’association One Voice établit, par l’extrait conforme qu’elle fournit, être inscrite depuis le 7 août 1997 au registre des associations du tribunal d’instance de Strasbourg. La fin de non-recevoir ainsi opposée manque en fait et ne peut qu’être écartée.

Sur les conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 mai 2019 :

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le Conseil national de protection de la nature a été consulté, par courrier du 15 septembre 2017, sur une demande de dérogation tendant à la destruction d’environ trois cents bouquetins des Alpes, dans le massif du Bargy, pour des opérations se déroulant jusqu’à la fin de l’année 2019. Le conseil a rendu un avis favorable sur cette demande, le 21 septembre 2017. L’arrêté litigieux mettant en œuvre les opérations ainsi examinées, l’association One Voice n’est pas fondée à soutenir que le Conseil national de protection de la nature n’a pas été préalablement consulté.
9. En deuxième lieu, aux termes du quatrième alinéa du III de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement :  » Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l’expiration d’un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d’une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d’absence d’observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation (…) « .
10. Si l’arrêté litigieux a été adopté le même jour que la synthèse des observations du public, il ressort toutefois des pièces du dossier que cet arrêté a été adopté plus de quatre jours après la clôture de la consultation, en tenant compte de la synthèse des observations, qu’il vise et qui a justifié des modifications du projet d’arrêté. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit donc être écarté.
11. En troisième lieu, aux termes de l’article 6 de la Charte de l’environnement :  » Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social « . Il résulte de ces dispositions qu’il appartient aux autorités compétentes de veiller à concilier, dans la conception des politiques publiques, la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. A cet égard, le cadre de la politique de protection des espèces protégées a été défini par le législateur aux articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement. La légalité des décisions administratives prises dans ce cadre doit être appréciée au regard de ces dispositions. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de conciliation consacré par l’article 6 de la Charte de l’environnement est inopérant.
12. En quatrième lieu, en adoptant les dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement précédemment rappelées, le législateur a entendu déroger à l’interdiction de destruction de certaines espèces protégées et de leurs habitats, posée par l’article L. 411-1 du même code, en précisant les conditions préalables à la délivrance d’une dérogation selon le motif invoqué. Ainsi, comme indiqué aux points 13 et 14 du présent arrêt, une dérogation ne peut être accordée que si elle répond à l’un des motifs limitativement énumérés à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et qu’elle ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Par ailleurs, cet article renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer les conditions, notamment procédurales, de l’octroi d’une telle dérogation ainsi que les modalités de contrôle et d’évaluation de leurs effets. Ce faisant, le législateur a établi un cadre législatif et réglementaire ayant précisément pour objet de permettre, au regard des données scientifiques les plus récentes et dans le respect des conditions strictes qu’il pose, qu’il soit porté atteinte à une espèce protégée sans que son état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle soit mise en cause. L’arrêté litigieux a été adopté en application de ces dispositions législatives et réglementaires. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par l’arrêté litigieux, des dispositions générales du 9° du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement posant le principe de non-régression de la protection de l’environnement doit, en tout état de cause, être écarté.

13. En cinquième lieu, aux termes de l’article L. 411-1 du code de l’environnement :  » I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat (…) « . L’article L. 411-2 du même code prévoit que :  » I. – Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (…) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (…) b) Pour prévenir des dommages importants notamment (…) à l’élevage, (…) ; c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement (…) « .
14. Il résulte de l’article L. 411-1 et du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l’autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des cinq motifs limitativement énumérés.
15. A supposer même qu’ainsi que le soutient l’association One Voice, le préfet de la Haute-Savoie ait, à tort, qualifié les opérations ainsi autorisées d’urgentes, la légalité de la dérogation litigieuse n’est toutefois nullement subordonnée à une telle urgence. Par suite, ce motif étant surabondant, l’erreur d’appréciation invoquée n’est pas de nature à entacher d’illégalité l’arrêté litigieux.
16. En sixième lieu, par l’arrêté litigieux, le préfet de la Haute-Savoie a ordonné, d’une part, la capture de bouquetins des Alpes, espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, présents dans le massif du Bargy et l’euthanasie de ceux, parmi eux, testés positivement à la brucellose et, d’autre part, l’abattage sans dépistage préalable de bouquetins présents en cœur de zone, où le taux de prévalence de l’infection est le plus élevé, dans la limite de vingt individus indiscriminés et de cinquante individus au total. Il ressort des pièces du dossier que cette opération s’inscrit dans la continuité d’une série de mesures, engagées à compter de 2012, ayant pour objectif d’endiguer une épidémie de brucellose constatée parmi la population de bouquetins du massif du Bargy. Il est constant que cette maladie, classée dans le groupe III de risque biologique pour l’homme et l’animal, est susceptible d’être transmise à l’homme, par l’intermédiaire de cheptels domestiques, entrainant des lésions graves et invalidantes, parfois irréversibles et justifiant l’abattage complet du troupeau contaminé. Bien que ce risque de transmission ait été considéré comme  » quasi-nul à minime « , la préservation de la santé publique et la nécessité de protéger les élevages de dommages importants peuvent justifier une dérogation à la protection des bouquetins des Alpes. Par ailleurs, eu égard à la population totale de bouquetins des Alpes recensée, dont l’aire de répartition naturelle ne se limite pas au seul massif du Bargy, il n’est pas établi que les prélèvements ainsi autorisés aient pour effet de remettre en cause le maintien de l’espèce dans son aire de répartition naturelle dans un état de conservation favorable.
17. En revanche, il ressort des pièces du dossier qu’à défaut de pouvoir envisager une éradication de l’épidémie à court terme, les mesures ordonnées tendent à diminuer le nombre d’animaux infectés, afin de limiter la probabilité de contact entre un individu infecté et des animaux domestiques et d’atteindre un niveau d’infection suffisamment bas pour permettre une extinction naturelle de l’épidémie. Dès lors, si une mesure d’élimination sélective, consistant à euthanasier les individus testés séropositifs, apparaît comme la plus à même de parvenir à l’objectif poursuivi, tel n’est pas le cas de l’abattage indiscriminé de bouquetins, sans dépistage préalable. Ainsi, comparant un premier scénario d' » abattage indiscriminé en cœur de zone et [d]’élimination sélective en zone périphérique  » et un second d’  » élimination sélective dans le cœur de zone et de surveillance seule en périphérie « , l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a, dans son avis du 14 septembre 2017, estimé que ce second scénario permettait d’attendre des résultats identiques au premier, tout en préservant un plus grand nombre d’individus. Contrairement à ce que soutient le ministre en charge de l’environnement, ce constat n’est pas remis en cause par l’avis rendu par cette même instance le 30 novembre 2021, dont les conclusions sont reprises dans son bulletin épidémiologique n° 92 de 2021, aucun scénario comparable, reposant sur un nombre important de captures et d’éliminations sélectives en cœur de zone, ne figurant parmi les six scenarii que ce nouvel avis a pour objet de comparer. Enfin, si l’ANSES a précisé que le succès de ce second scénario suppose la mise en œuvre de moyens importants pour capturer un maximum d’animaux, le ministre en charge de l’environnement ne prétend pas que celui-ci ne serait pas raisonnablement réalisable. Dans ces conditions, et nonobstant l’avis favorable préalablement émis par le Conseil national de la protection de la nature, l’arrêté litigieux, en autorisant l’abattage indiscriminé de bouquetins sans dépistage préalable de leur infection par la brucellose, ne retient pas la solution la plus satisfaisante pour atteindre les objectifs qu’il poursuit tout en préservant cette espèce protégée.

18. Il résulte de ce qui précède que l’association One Voice est seulement fondée à demander l’annulation de l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 mai 2019 en ce qu’il autorise, en son article 3, l’abattage indiscriminé de bouquetins des Alpes sans dépistage préalable de leur infection par la brucellose.

Sur les frais liés au litige :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 1 500 euros à l’association One Voice, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 8 juillet 2021 est annulé.
Article 2 : L’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 mai 2019 est annulé en ce qu’il autorise, en son article 3, l’abattage indiscriminé de bouquetins des Alpes sans dépistage préalable de leur infection par la brucellose.
Article 3 : L’Etat versera à l’association One Voice la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l’association One Voice et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

ICHN – Modulation – Corse

CAA de MARSEILLE – 5ème chambre

  • N° 21MA03195 et 21MA03196
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 23 janvier 2023

Président

  1. BOCQUET

Rapporteur

Mme Claire BALARESQUE

Rapporteur public

  1. PECCHIOLI

Avocat(s)

D4 AVOCATS ASSOCIÉS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A… a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l’Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC) à lui verser la somme de 27 711,30 euros au titre du solde de l’indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN) pour les campagnes de 2015 à 2017.

Par un jugement n° 1900405 du 10 juin 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juillet 2021 et 19 avril 2022, M. B… A…, représenté par Me Laurent, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du 10 juin 2021 ;

2°) de condamner l’ODARC à lui verser la somme de 27 711, 30 euros au titre du solde de l’ICHN pour les campagnes de 2015 à 2017 ;

3°) de mettre à la charge de l’ODARC une somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
– le tribunal n’a pas répondu au moyen tiré de l’inapplicabilité des textes sur lesquels l’ODARC s’est fondé pour lui refuser le versement à 100% de l’ICHN au titre des années 2015 et 2016 ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
– la modulation appliquée à l’ICHN au titre des années 2015 et 2016 repose sur le seul critère de l’âge, ce qui constitue une discrimination illégale ; l’annexe M 13 produite par l’ODARC n’était pas applicable avant 2017 ;
– la modulation appliquée à l’ICHN au titre de l’année 2017 est entachée d’erreur d’appréciation ; son système d’exploitation ne remplit pas les conditions précisées à l’annexe M 13 en vigueur depuis 2017 pour l’application de cette modulation ; les chiffres avancés par l’ODARC sont erronés.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 5 octobre 2021 et le 27 juin 2022, l’Office du développement agricole et rural de la Corse (ODARC), représenté par la SELARL D4 Avocats Associés, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce qu’il soit sursis à statuer afin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle relative à la compatibilité du programme de développement rural de la Corse avec le droit de l’Union et à ce que soit mis à la charge du requérant une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête n’est pas fondée dans les moyens qu’elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du
17 décembre 2013 ;
– le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du
17 décembre 2013 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de Mme C…,
– les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :
1. M. A… relève appel du jugement du 10 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’ODARC à lui verser la somme de 27 711, 30 euros au titre du solde de l’ICHN pour les campagnes de 2015 à 2017.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le requérant soutient que le tribunal administratif n’a pas répondu au moyen tiré de l’inapplicabilité des textes sur lesquels l’ODARC s’est fondée pour lui refuser le versement de l’ICHN à 100 % au titre des années 2015 et 2016. Toutefois, le tribunal, qui a cité, au point 3 du jugement attaqué, les dispositions du programme de développement rural de la Corse qui prévoient des modulations de l’ICHN, dans leur rédaction applicable concernant les années 2015 et 2016, avant d’écarter le moyen tiré du caractère discriminatoire de ces dispositions, a implicitement mais nécessairement répondu à cette argumentation. Dans ces conditions, le moyen tiré de l’insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la modulation du taux d’ICHN au titre des années 2015 et 2016 :

3. D’une part, aux termes du 1 de l’article 31 du règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 :  » Les paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne et d’autres zones soumises à des contraintes naturelles ou autres contraintes spécifiques sont accordés annuellement par hectare de surface agricole, afin d’indemniser les agriculteurs pour tout ou partie des coûts supplémentaires et de la perte de revenu résultant de ces contraintes pour la production agricole dans la zone concernée. / (…) Lorsqu’ils calculent les coûts supplémentaires et les pertes de revenus, les Etats membres peuvent, quand cela est dûment justifié, les moduler afin de tenir compte : / – de la gravité des handicaps permanents affectant l’activité agricole, / – du système agricole « .

4. Le programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020, adopté par la collectivité territoriale de Corse et approuvé par la commission européenne le 6 octobre 2015, définit notamment une mesure M13 portant sur les paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d’autres contraintes spécifiques. Aux termes de son point 8.2.11.3.1.8, relatif aux montants et taux d’aide, dans sa rédaction applicable au titre des années 2015 et 2016 :  » Le taux d’aide publique est de 100 %. Les montants unitaires sont compris dans la fourchette précisée à l’annexe II du règlement (UE) n° 1305/2013 soit entre 25 et 450 euros/ha / (…) L’aide est dégressive au-delà des 25 premiers hectares de surface primables (…). / Par ailleurs, les paiements sont modulés en fonction des systèmes agricoles conformément à l’article 31.1. Ces modulations se basent sur les différences de coûts supplémentaires et de pertes de revenu entre les systèmes agricoles calculés avec les données du Réseau d’Information Comptable ainsi que sur les données de l’organisme payeur ODARC. / 4 – Modulations de l’ICHN afin d’adapter les paiements aux exploitations ayant presque totalement surmonté le handicap en raison de l’évolution de leur système de production, au moment de pouvoir prétendre à la retraite. / Conformément aux prévisions figurant à l’annexe M13, il apparaît que les exploitations agricoles dont les membres peuvent prétendre à la retraite, ont par la configuration différenciée de leur système de conduite technique et économique de l’exploitation presque totalement surmonté les handicaps. Aussi, afin d’éviter une surcompensation du revenu de ces exploitants par l’ICHN, le niveau de l’aide pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein, est ramené à 13 % des montants unitaires « .

5. Aux termes de l’article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 :  » (…) les personnes ou groupements de personnes relevant du champ d’application du premier ou du deuxième alinéa sont considérés comme des agriculteurs actifs s’ils produisent des éléments de preuve vérifiables, selon les prescriptions des Etats membres, qui démontrent que l’une des conditions suivantes est remplie : / (…) c) leur activité principale ou leur objet social est l’exercice d’une activité agricole (…) « .
6. Il résulte des termes mêmes du programme de développement rural de la Corse cités au point 4 que la modulation à 13 % du taux de l’ICHN s’appliquant aux exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein repose non sur l’âge des agriculteurs mais sur la circonstance que les exploitations dont ils sont membres ont presque totalement surmonté les handicaps naturels eu égard à l’évolution de leur système de production. En outre et en tout état de cause, contrairement à ce que soutient M. A…, il ressort d’un procès-verbal d’huissier produit par l’ODARC que l’annexe M13 intitulée  » justification des montants de l’ICHN  » annexée au programme de développement rural de la Corse 2014-2020, a bien été transmise à la Commission européenne le 8 septembre 2015, soit avant que ce programme ne soit approuvé par la Commission le 6 octobre 2015. Par suite, et sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, le moyen tiré du caractère discriminatoire de la modulation appliquée à l’ICHN versée au titre des années 2015 et 2016 à M. A…, dont il est constant qu’il avait dépassé l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein, doit être écarté.
En ce qui concerne la modulation du taux d’ICHN au titre de l’année 2017 :

7. Aux termes du point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020, dans sa rédaction applicable à compter de l’année 2017, à la suite de sa modification approuvée par une décision de la Commission du 1er février 2017 :  » (…) 4 – Modulation de l’ICHN afin d’adapter les paiements aux exploitations ayant presque totalement surmonté le handicap en raison de l’évolution de leur système de production, au moment de pouvoir prétendre à la retraite. / Conformément aux précisions figurant à l’annexe M13, il apparaît que les exploitations agricoles dont les membres peuvent prétendre à la retraite, ont par la configuration différenciée de leur système de conduite technique et économique de l’exploitation presque totalement surmonté les handicaps. Aussi, afin d’éviter une surcompensation du revenu de ces exploitants par l’ICHN, le niveau de l’aide pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépassent l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein et dont le système d’exploitation répond aux conditions précisées par à l’annexe M13, est ramené à 13 % des montants unitaires. / Ces conditions sont vérifiées sur la base de l’un des critères technicoéconomiques suivants : / le nombre et le montant moyen des investissements de l’exploitation est inférieur à la moyenne des autres exploitations / la part de leur surface agricole en herbe en contrepartie des surfaces en parcours ligneux, est augmentée d’au moins 1/3 pour cette catégorie / le degré d’autonomie alimentaire, (mesuré par le ratio Nombre d’ha en herbe mis en valeur par unité de cheptel), de ces exploitations est au moins 3 fois supérieur pour cette catégorie d’exploitations, par rapport à l’ensemble des exploitations en zones défavorisées « .

8. Le requérant soutient qu’il ne remplit aucun des critères technicoéconomiques énumérés par les dispositions précitées permettant de moduler le taux d’ICHN. Il résulte toutefois de l’instruction que M. A… a déclaré en 2016 auprès des services de la direction départementale des territoires une surface fourragère productive de 39,01 hectares et une surface agricole utile de 69,25 hectares, soit un ratio de surface fourragère utile sur la surface agricole utile de 56,33 %. Le requérant ne saurait se prévaloir d’un tableau établi par ses soins pour contester utilement ces chiffres et soutenir que la part de surface fourragère utile de son exploitation serait inférieure au tiers de la surface agricole utile de son exploitation. Dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, l’un des critères technicoéconomiques prévus au point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse étant rempli, l’ODARC n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que le système d’exploitation de son exploitation répondait aux conditions précisées par l’annexe M13. Par suite, l’ODARC était fondé à lui appliquer la modulation du taux d’ICHN prévue par les dispositions précitées du point 8.2.11.3.1.8 du programme de développement rural de la Corse relatif à la période 2014-2020 pour les exploitations dont la majorité des agriculteurs dépasse l’âge minimum légal d’accès à la retraite à taux plein.

9. Il résulte de l’ensemble ce qui précède que M. A… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’ODARC à lui verser une somme de 27 711,30 euros au titre du solde de l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) pour les campagnes 2015 à 2017.
10. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’ODARC, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A… demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de mettre à la charge de M. A… la somme demandée par l’ODARC en application des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par M. A… est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par l’ODARC en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… A… et à l’Office du développement agricole et rural de Corse (ODARC).

DSP de remontées mécaniques/ Candidat irrégulièrement évincé/ Indemnisation (frais de présentation de l’offre)

 

CAA de LYON – 4ème chambre

  • N° 21LY00192
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mardi 10 janvier 2023

Président

Mme EVRARD

Rapporteur

Mme Agathe DUGUIT-LARCHER

Rapporteur public

  1. SAVOURE

Avocat(s)

CARNOT AVOCATS

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société Chapelle d’Abondance Loisirs Développement (CALD) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de la Chapelle d’Abondance au versement d’une somme de 864 012 euros en réparation du préjudice subi dans la procédure d’attribution de la délégation de service public des remontées mécaniques, ou à défaut la somme de 22 558 euros au titre des frais de présentation de l’offre, avec les intérêts légaux.

Par un jugement n° 1702695 du 19 novembre 2020, le tribunal a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la commune à lui verser la somme de 22 558 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 janvier 2021, le 26 septembre 2022 et le 25 octobre 2022, la société CALD, représentée par Me Deygas, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement en tant qu’il a limité la condamnation de la commune à la somme de 22 588 euros ;

2°) de condamner la commune de la Chapelle d’Abondance à lui verser la somme de 864 012 euros assortie des intérêts légaux à compter du 11 janvier 2017 et de leur capitalisation à compter du 20 janvier 2021 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de la Chapelle d’Abondance la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– sa demande devant le tribunal n’était pas irrecevable car le contentieux avait été lié et qu’elle pouvait majorer le montant de l’indemnité réclamée en cours d’instance ; en tout état de cause, en répondant au fond devant le tribunal sur ces conclusions, la commune a lié le contentieux ;
– c’est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la procédure de passation de la délégation de service public était viciée par l’adjonction de nouveaux critères lors de l’analyse des offres ; contrairement à sa concurrente, elle n’a pas été informée de l’existence de ces sous-critères ;
– la procédure était également viciée car la commune n’a pas défini son offre avec précision, elle a apporté une modification ni limitée, ni justifiée dans l’intérêt du service de la charge des gros entretiens et travaux et a retenu une offre irrégulière ;
– c’est à tort que le tribunal a estimé qu’elle ne disposait pas d’une chance sérieuse de remporter le contrat dans la mesure où son offre était la plus avantageuse ;
– son offre était conforme ;
– son manque à gagner, qui doit s’apprécier sur toute la durée du contrat tel qu’il était initialement prévu, s’élève à la somme de 864 012 euros qu’elle justifie par les pièces qu’elle produit.
Par mémoires enregistrés le 17 juin 2022 et le 12 octobre 2022, la commune de la Chapelle d’Abondance, représentée par la SELARL Paillat Conti et Bory, avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) de réformer le jugement en tant qu’il l’a condamnée à verser une indemnité à la société CALD correspondant aux frais de présentation de son offre et de rejeter la demande indemnitaire de la société CALD ;

2°) à titre subsidiaire, dans le cas où la cour la condamnerait à indemniser la société CALD au titre de la perte de chance sérieuse, de limiter le montant de sa condamnation à la somme de 5 943,72 euros ;

3°) de mettre à la charge de la société CALD la somme de 5 000 euros à lui verser en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la requête est irrecevable à défaut pour la société requérante de justifier de sa qualité pour relever appel du jugement ;
– c’est à tort que le tribunal a estimé qu’elle avait commis une faute en ne donnant pas une information suffisamment précise des critères de sélection des offres ;
– les autres moyens repris en appel par la société requérante relatifs à l’irrégularité de la procédure d’attribution de la délégation de service public ne sont pas fondés ;
– la société CALD n’était pas recevable devant le tribunal à demander le versement d’une somme de 864 012 euros, le contentieux n’ayant été lié qu’à hauteur de 578 888,02 euros ;
– elle n’avait pas de chance sérieuse de remporter la délégation dans la mesure où son offre était irrégulière et que l’offre de la société attributaire était plus avantageuse ;
– elle ne justifie pas du montant de son préjudice, tant en ce qui concerne la marge nette, qu’au titre des frais d’établissement de son offre ;
– si elle devait être indemnisée du manque à gagner, ce manque à gagner devrait être calculé sur la durée d’exécution du contrat signé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code civil ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
– les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
– et les observations de Me Deygas pour la société CALD et de Me Magana pour la commune de la Chapelle d’Abondance ;

Considérant ce qui suit :

1. La commune de la Chapelle d’Abondance a, par un avis d’appel public à la concurrence publié les 30 et 31 mars 2016, lancé une procédure aux fins d’attribution d’une délégation de service public pour l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin situées sur son territoire. Après négociation avec les trois entreprises soumissionnaires, l’offre de la société d’exploitation de la Chapelle d’Abondance (SELCA) a été retenue. Le contrat a été signé le 10 novembre 2016. La société Chapelle d’Abondance Loisirs Développement (CALD), candidate évincée et ancienne exploitante du domaine skiable dans le cadre d’une régie intéressée, a alors demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune à l’indemniser de son manque à gagner ou à défaut des frais de présentation de son offre. Par un jugement du 19 novembre 2020, le tribunal a partiellement fait droit à sa demande en condamnant la commune de la Chapelle d’Abondance à lui verser 22 558 euros, correspondant aux frais de présentation de son offre, assortis des intérêts au taux légal à compter du 11 janvier 2017. La société CALD relève appel du jugement en tant qu’il n’a pas fait entièrement droit à sa demande. La commune demande, par la voie de l’appel incident, de réformer le jugement en tant qu’il a partiellement fait droit à la demande de la société CALD.
Sur la recevabilité de l’appel de la société CALD :
2. Il résulte de l’instruction, et notamment des différents extraits Kbis produits, que la société CALD a été immatriculée pour la première fois le 10 décembre 2009 au registre du commerce et des sociétés de Thonon-les-Bains, son activité ayant commencé le 17 novembre 2009. Son adresse se situait alors à la Chapelle d’Abondance. A la suite du déménagement de son siège social à Barberaz, son immatriculation a été transférée le 6 mars 2017 au registre du commerce et des sociétés de Chambéry. Le 31 mai 2021, son siège social a été transféré à la Motte Servolex. Ainsi, contrairement à ce qui est allégué, la société requérante, qui a rectifié l’erreur matérielle figurant sur sa requête portant sur l’adresse de son siège, est la même société que celle qui a présenté une offre dans le cadre de la procédure d’attribution de la délégation de service public litigieuse et que celle qui était demandeuse en première instance. Sa demande ayant été partiellement rejetée, elle a qualité pour faire appel du jugement litigieux. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de la Chapelle d’Abondance tirée du défaut de qualité à agir de la requérante, doit être écartée.
Sur la responsabilité de la commune de la Chapelle d’Abondance :
3. Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général.
En ce qui concerne la régularité de l’attribution de la délégation de service public :
4. Aux termes de l’article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction applicable :  » Les délégations de service public (…) sont soumises par l’autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes (…) / La commission mentionnée à l’article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières (…) / La collectivité adresse à chacun des candidats un document définissant les caractéristiques quantitatives et qualitatives des prestations (…) / Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l’autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire « .
5. Le règlement de la consultation prévu par une autorité délégante pour la passation d’une délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. L’autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d’une erreur purement matérielle d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.
6. En l’espèce, le règlement de consultation a prévu que les offres devraient répondre aux caractéristiques du service et conditions de fonctionnement définies au cahier des charges ainsi qu’à l’ensemble des demandes formulées par ce cahier des charges et qu’en particulier les documents demandés dans le corps du cahier des charges devaient obligatoirement être produits. Si l’article 3/3 du règlement précise que  » l’ensemble des autres clauses du document de consultation pourront faire l’objet d’observations ou de propositions alternatives motivées de la part du candidat, qui seront intégrées dans leur proposition « , ces dispositions ne pouvaient permettre d’exonérer un candidat de l’obligation de produire l’un des documents demandés, et notamment l’échéancier prévisionnel des travaux d’investissement à envisager en terme de remplacement ou de renouvellement des biens prévu à l’article 23 du cahier des charges.
7. Il résulte de l’instruction que l’offre de la SELCA ne comprenait pas cet échéancier prévisionnel. La SELCA n’a pas plus produit, en cours de négociation, cet échéancier, de sorte que la convention de délégation de service public signée prévoyait :  » Les parties décident de définir dans la première année d’exploitation de la délégation un plan de renouvellement, de développement des installations du domaine skiable. A la date anniversaire de ce contrat, un avenant sera validé entre les parties et composera l’annexe 7 « . La production d’un tel échéancier prévisionnel des travaux, qui permettait d’éclairer la commune sur la nature de l’offre proposée par la société et les coûts correspondants, n’était pas dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures. Par suite, et contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, qui a toutefois jugé la procédure d’attribution de la délégation irrégulière pour un autre motif, la société CALD est fondée à soutenir que la délégation de service public a été attribuée à un candidat qui ne respectait pas une des exigences imposées par le règlement de consultation et que la délégation de service public ne pouvait, pour ce motif, être attribuée à la SELCA. Compte tenu de l’incidence de cette irrégularité sur l’attribution de la délégation de service public, il y a lieu de substituer ce motif d’irrégularité à celui retenu par le tribunal.
En ce qui concerne le lien de causalité entre le préjudice et l’irrégularité ainsi commise :
8. En premier lieu, le cahier des charges mis à disposition des candidats à l’attribution de la délégation de service public comprenait un article 22, relatif aux  » Travaux d’entretien courant et spécifique, réparations  » ainsi qu’un article 23, relatif au  » Gros entretien, réparation, renouvellement « . Si chacun de ces deux articles prévoyait, dans leur formulation soumise aux candidats, que ces différents travaux seraient pris en charge par le délégataire, les encadrés suivant chacun de ces articles invitaient les candidats à proposer librement une répartition différente de la charge et de la responsabilité de ces travaux. Par suite, la commune de la Chapelle d’Abondance n’est pas fondée à soutenir que la proposition de la société CALD, qui comme la proposition de la SELCA, prévoyait une répartition des charges de ces travaux entre le délégant et le délégataire, n’aurait pas été régulière et que la société CALD ne pouvait, de ce seul fait, être regardée comme ayant été privée d’une chance sérieuse d’obtenir la délégation.
9. En deuxième lieu, l’offre de la société CALD a été classée deuxième, après celle de la SELCA. L’offre de la SELCA ne pouvant être retenue pour le motif exposé au point 7, la société CALD, ancienne exploitante, avec laquelle des négociations avaient été engagées et dont la qualité des propositions avait été soulignée, disposait d’une chance sérieuse d’obtenir la délégation. La société CALD doit être indemnisée de l’intégralité du manque à gagner dont elle a été privée.
En ce qui concerne le montant du préjudice :
10. La circonstance que la délégation de service public initialement signée ait été par la suite résiliée est sans incidence sur le droit du candidat évincé à indemnisation sur la durée prévue par son offre.
11. A l’appui de son offre, la société CALD a produit deux comptes d’exploitation prévisionnels. Le premier compte d’exploitation prévisionnel,  » Evasion « , a été établi sur la base d’une offre commerciale de forfaits dans la continuité de l’offre jusque-là proposée par la société CALD dans le cadre de la régie intéressée. La marge nette est de 493 853 euros sur les douze ans du contrat. Le second compte d’exploitation, qui fait apparaître une marge nette de 864 012 euros, se fonde sur la création d’un forfait plus rentable, le forfait  » Liberté « , qui nécessite des accords avec les stations voisines. La mise en œuvre de ce second forfait présentant un caractère incertain, les données figurant dans ce second compte d’exploitation ne peuvent servir de base à la détermination du préjudice subi par la société. Lors de l’examen des offres, la commune, qui a jugé que l’offre de la société CALD était sérieuse, a néanmoins noté que les données de la société CALD reposaient sur une approche optimiste de croissance du chiffre d’affaires de la station. Dans ces conditions, et par comparaison avec les prévisions de croissance du chiffre d’affaires des autres concurrents, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société CALD en le fixant à la somme de 450 000 euros, cette somme incluant ainsi qu’il a été dit au point 3 les frais de présentation de l’offre.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
12. La société CALD a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 450 000 euros à compter du 11 janvier 2017, date de réception de sa demande préalable par la commune. Elle a demandé le 20 janvier 2021 la capitalisation de ces intérêts. A cette date, il était dû au moins une année d’intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande et d’ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 20 janvier 2021.
13. Il résulte de ce qui précède que la société CALD, qui n’était en l’espèce pas recevable à augmenter le quantum de son préjudice en cours d’instance devant le tribunal au-delà du délai de recours contentieux, est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité la condamnation de la commune de la Chapelle d’Abondance à la somme de 22 558 euros. Il convient de porter cette somme à 450 000 euros, ce qui reste dans la limite des sommes demandées au tribunal dans le délai de recours.
Sur les frais liés au litige :

14. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de la Chapelle d’Abondance une somme au titre des frais exposés par la société CALD et non compris dans les dépens. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la société CALD qui n’a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la commune de la Chapelle d’Abondance la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 22 558 euros que la commune de la Chapelle d’Abondance a été condamnée à verser à la société CALD par le jugement du 19 novembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble est portée à 450 000 euros.
Article 2 : La somme mentionnée à l’article 1er portera intérêt au taux légal à compter du 11 janvier 2017. Les intérêts seront capitalisés à compter du 20 janvier 2021 et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : Le jugement n° 1702695 du tribunal administratif de Grenoble en date du 19 novembre 2020 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société CALD et à la commune de la Chapelle d’Abondance.

Délibéré après l’audience du 15 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente de la formation de jugement,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère ;
Mme Psilakis, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.

La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLa présidente,
A. Evrard
Le greffier,
J. Billot

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Vente de volumes au-dessus d’un garage utilisé pour l’exploitation de remontées mécaniques/ Accessoire du domaine public (non)/ Nécessité d’un déclassement (non

CAA de LYON – 4ème chambre

  • N° 21LY04155
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 03 novembre 2022

Président

  1. ARBARETAZ

Rapporteur

Mme Aline EVRARD

Rapporteur public

  1. SAVOURE

Avocat(s)

SELARL COOK-QUENARD

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure

M. C… A… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir, d’une part, la délibération du 23 juillet 2018 par laquelle le conseil municipal de Val d’Isère (Savoie) a autorisé le maire à procéder à la vente du lot en volume n° 2 défini dans un état descriptif de division des volumes joint à la délibération et aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017, ainsi que les décisions implicite et expresse de rejet de son recours gracieux nées respectivement les 24 novembre 2018 et 7 décembre 2018 et, d’autre part, la délibération du 4 février 2019 par laquelle le conseil municipal a approuvé la modification de l’état descriptif de division ainsi que le plan de division en résultant et autorisé le maire à procéder à la vente des lots en volume n° 4 et 6 aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017.

Par jugement nos 1900352-1902466 du 19 octobre 2021, le tribunal a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé par M. A… et a enjoint au maire de Val d’Isère de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations des 23 juillet 2018 et 4 février 2019, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Procédures devant la cour

I. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 décembre 2021 et le 2 septembre 2022, ce dernier non communiqué, sous n° 21LY04155, la société Holdispan et la société Chalet Izia, venant aux droits de la société Holdispan, représentées par Me Quenard, demandent à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de M. A… ;

3°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
– dans la mesure où la délibération du 23 juillet 2018 prévoit la cession à la société Holdispan ou à toute société se substituant à elle, elle a intérêt à contester le jugement ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– la cession par la copropriété Les Turios d’un terrain ne peut être utilisée comme terme de comparaison pour évaluer la valeur vénale des biens en litige, dès lors que ces derniers ont vocation à être utilisés au sein d’un hôtel ;
– les volumes n°4 et 6 sont des volumes techniques créés afin de conforter la construction sur le garage de la société STVI mais ne sont pas à l’origine d’une surface de plancher supplémentaire ;
– le prix a été fixé d’un commun accord, sans que la commune ne leur ait imposé une quelconque charge particulière ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2000 habitants.
Par mémoire enregistré le 8 avril 2022, M. A…, représenté par Me Ledoux, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– la requête de la société Holdispan est irrecevable dès lors que cette société, qui n’est pas la bénéficiaire de la vente, n’a pas intérêt à agir ;
– le maire de Val d’Isère n’est pas habilité pour représenter la commune et la requête qu’il a présentée est irrecevable ;
– les délibérations contestées méconnaissent les articles L. 2121-10 et L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales dès lors qu’il n’est pas démontré qu’elles ont été prises après envoi d’une convocation écrite au domicile des conseillers municipaux, accompagnée d’une note explicative de synthèse ;
– les convocations ne comportent pas d’information suffisante, dès lors que l’identité de l’acquéreur n’est pas mentionnée et que les motifs justifiant l’ajout d’une nouvelle parcelle ne sont pas précisés ;
– les dispositions de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales ont été méconnues, dès lors que l’avis de l’autorité compétente de l’Etat en vue de l’évaluation des biens immobiliers en cause n’a pas été sollicité ;
– les biens immobiliers ont été cédés à un prix inférieur à leur valeur vénale, dès lors que les lots en volumes n° 2, 4 et 6, issus de la division des parcelles cadastrées section AI n°1 et AH n°288 ont été cédés sans contrepartie financière ;
– la commune de Val d’Isère ne démontre pas l’existence d’un motif d’intérêt général justifiant la cession à un prix inférieur à la valeur vénale, dès lors notamment que cette cession n’est pas rendue nécessaire par la construction des garages de la STVI ;
– en tout état de cause, le prix total de cession, soit en moyenne 4 273,50 euros par m2, est inférieur de plus de 50% au prix auquel une parcelle similaire a été cédée en 2017 ;
– les biens cédés situés sur la parcelle cadastrée AH n°200, qui était exploitée comme gare de téléphérique, et les lots en volume situés au-dessus de la parcelle cadastrée section AI n°1 constituent des dépendances du domaine public qui présentent un caractère inaliénable ;
– la cession n’a pas été effectuée dans des conditions régulières dès lors qu’elle aurait dû être précédée des mesures de publicité ainsi que d’un appel d’offre.
Par mémoire enregistré le 20 septembre 2022, non communiqué, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de M. A… ;

3°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– la demande tendant à l’annulation de la délibération du 19 décembre 2017 est tardive et, par suite, irrecevable ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n°2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6 ;
– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.

II. Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 décembre 2021 et le 20 septembre 2022, ce dernier non communiqué, sous le n° 21LY04255, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement nos 1900352-1902466 du 19 octobre 2021 ;

2°) de rejeter les demandes de M. A… ;

3°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– dès lors que le principe de la cession des volumes à la société Holdispan et son prix avaient été décidés par une délibération du 19 décembre 2017, devenue définitive, les conclusions de M. A… tendant à l’annulation de ces décisions sont tardives et, par suite, irrecevables ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n°4 et 6 ;
– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.
Par mémoire enregistré le 8 avril 2022, M. A…, représenté par Me Ledoux, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il reprend les moyens soulevés dans la requête n° 21LY04155.

III. Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 décembre 2021 et le 20 septembre 2022, ce dernier non communiqué, sous le n°21LY04256, la commune de Val d’Isère, représentée par Me Petit, demande à la cour :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 1900352-1902466 du 19 octobre 2021 ;

2°) de mettre à la charge de M. A… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– le maire a été habilité pour représenter la commune à l’instance ;
– dès lors que le principe de la cession des volumes à la société Holdispan et son prix avaient été décidés par une délibération du 19 décembre 2017, devenue définitive, les conclusions de M. A… tendant à l’annulation de ces décisions sont tardives et, par suite, irrecevables ;
– les ventes autorisées par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’ont pas été consenties à vil prix, dès lors qu’un prix supplémentaire de 277 730 euros a été versé le 17 décembre 2020 pour tenir compte de la surface supplémentaire créée ;
– par une délibération du 7 mars 2022 faisant suite au jugement, elle a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6 ;
– la convocation des conseillers municipaux était régulière et ces derniers ont bénéficié d’une information suffisante ;
– l’avis du service des domaines n’était pas requis dès lors que la commune compte moins de 2 000 habitants ;
– les principes de la commande publique ne sont pas applicables aux délibérations attaquées.

Par mémoire enregistré le 11 mars 2022, M. A…, représenté par Me Ledoux, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il reprend les moyens soulevés dans la requête n° 21LY04155.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code du tourisme ;
– le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Evrard, présidente assesseure,
– les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,
– et les observations de Me Corbalan pour la commune de Val d’Isère.

Considérant ce qui suit :

1. La société Holdispan, aux droits de laquelle est venue la société Chalet Izia, a déposé, le 3 novembre 2017, une demande de permis de construire sur une parcelle cadastrée … à Val d’Isère (Savoie) appartenant à la commune de Val d’Isère, en vue de la construction, au-dessus du garage exploité par la société des téléphériques de Val d’Isère (STVI), de bâtiments destinés à être exploités en tant qu’hôtel et à usage d’habitation. Le conseil municipal de Val d’Isère a décidé, par une délibération du 19 décembre 2017, d’autoriser le maire à procéder à la vente de ce bien aux prix et conditions fixés dans le compromis de vente qui y était annexé. Le permis de construire a été délivré à la société Holdispan le 14 février 2018. La construction des bâtiments entraînant un porte-à-faux empiétant sur la parcelle contiguë, cadastrée …, le conseil municipal a, par une délibération du 23 juillet 2018, autorisé le maire à procéder à la vente du lot en volume n° 2 défini dans un état descriptif de division des volumes joint à la délibération et aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017. Puis par une délibération du 4 février 2019, le conseil municipal a approuvé la modification de l’état descriptif de divisions ainsi que le plan de division en résultant et autorisé le maire à procéder à la vente des lots en volume n° 4 et 6 aux conditions définies dans la délibération du 19 décembre 2017. Le 15 mars 2019, la commune de Val d’Isère a cédé à la société Chalet Izia les lots en volume n° 2, 4 et 6 situés sur les parcelles cadastrées … issues de l’ancienne parcelle …. Par jugement du 19 octobre 2021, le tribunal administratif de Grenoble a, à la demande de M. A…, annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé à l’encontre de ces délibérations, et a enjoint au maire de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement. La commune de Val d’Isère, d’une part, et les sociétés Holdispan et Chalet Izia, d’autre part, relèvent appel de ce jugement. La commune de Val d’Isère demande en outre qu’il soit sursis à son exécution en application de l’article R. 811-15 du code de justice administrative.
2. Il y a lieu de joindre, pour qu’il y soit statué par un même arrêt, les requêtes nos 21LY04155, 21LY04255 et 21LY04256 qui sont relatives à une même cession et sont dirigées contre le même jugement.
Sur les requêtes nos 21LY04155 et 21LY04255 :
3. Par la délibération du 19 décembre 2017 qui renvoie sur ce point au compromis de vente conclu entre la commune de Val d’Isère et la société Holdispan, le conseil municipal de Val d’Isère a décidé de conserver la propriété des ouvrages techniques situés sur la parcelle cadastrée section AI n° 1 et de céder à la société Holdispan, après division en volumes, les lots en volumes situés en surplomb de la parcelle. Le conseil municipal, qui n’a pas sollicité l’avis des services de l’évaluation domaniale, a décidé de fixer le prix de la cession à 600 euros par m2, s’agissant des surfaces d’hôtel, et à 2500 euros par m2 pour les surfaces à usage d’habitation. Compte tenu des prévisions du projet initial, qui comportait la création de surfaces de plancher de 3 829 m2 à usage d’hôtel et de 1152 m2 à usage d’habitation, le prix de la cession a été fixé à 5 177 400 euros. La délibération précisait que ce montant constituait un prix minimum et que le prix définitif serait déterminé compte tenu de la surface réellement construite. L’ensemble constitué des lots en volumes n° 2, 4 et 6, situés sur les parcelles cadastrées … issues de l’ancienne parcelle …, a été cédé au prix de 5 177 400 euros. Par un acte du 17 décembre 2020 portant constatation de la variabilité à la hausse du prix de vente et quittance, la société Chalet Izia a versé à la commune de Val d’Isère une somme de 277 730 euros à raison de la cession d’une surface de plancher supplémentaire de 197,20 m2. Enfin, par une délibération du 7 mars 2022, le conseil musical de Val d’Isère a pris acte de ce complément de prix de 277 730 euros, s’agissant du lot n° 2, et d’un prix de 15 400 euros pour les lots n° 4 et 6.
4. La circonstance que la vente des volumes n° 4 et 6 puis celle des volumes n° 2, 4 et 6 aient été approuvées au prix inchangé de 5 177 400 euros par les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 n’est pas, à elle seule, de nature à démontrer que l’ensemble des biens réels immobiliers cédés par la commune l’a été à un prix inférieur à leur valeur vénale, le lot n° 2 n’ayant qu’une incidence marginale et les droits ouverts par les trois lots devant être appréciés dans leur globalité. En outre, les transactions de 2017 dont se prévaut M. A… portant sur les parcelles AI n°144 et AD n° 90 à Val d’Isère, ainsi que celle approuvée par délibération du 7 octobre 2018 pour un terrain communal, se rapportent à des ventes de terrains constructibles. Elles ne peuvent être regardées comme des termes de comparaison pertinents pour évaluer le prix de vente de lots en volume situés au-dessus d’une construction utilitaire, n’ouvrant aucune possibilité d’aménagement de stationnement et soumis à des sujétions inhérentes à l’usage du volume inférieur. Il en résulte que la société Chalet Izia et la commune de Val d’Isère sont fondées à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 et la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux de M. A…, au motif que les cessions étaient intervenues à vil prix.

5. Toutefois, il appartient à la cour administrative d’appel, saisie de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. A… devant le tribunal administratif et la cour.
6. En premier lieu, aux termes de l’article L. 2241-1 du code général des collectivités territoriales :  » Toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’Etat « . En vertu de l’article R. 2151-2 du même code, le chiffre de la population qui sert de référence pour l’application de l’article L. 2241-1 est celui de la population totale, obtenu par addition au chiffre de la population municipale de celui de la population comptée à part. Aux termes de l’article 2 du décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 :  » Les chiffres de la population municipale et de la population totale des communes, des cantons et des arrondissements sont arrêtés aux valeurs figurant dans les tableaux consultables sur le site internet de l’Institut national de la statistique et des études économiques (http://www.insee.fr) « .
7. Il est constant que la population de la commune de Val d’Isère, recensée en application des dispositions précitées, est inférieure à 2 000 habitants. L’avis des services spécialisés de l’Etat en matière domaniale n’avait donc pas à être recueilli, sans égard au surclassement démographique de la commune qui en ce qu’il a été prononcé en application de l’article L. 133-19 du code du tourisme, n’a pas d’incidence sur les conditions d’application de l’article L. 2241-1 précité du code général des collectivités territoriales.
8. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales, dans sa version alors applicable :  » Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l’ordre du jour (…) Elle est adressée par écrit, au domicile des conseillers municipaux (…) « . Aux termes de l’article L. 2121-12 du même code :  » Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal « . Aux termes de l’article L. 2121-13 du même code :  » Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération « .
9. Il résulte de ces dispositions que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l’ordre du jour. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux conseillers municipaux de connaître le contexte et de comprendre les motifs de fait et de droit ainsi que les implications des mesures envisagées. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
10. Il ressort des pièces du dossier que les conseillers municipaux ont été convoqués le 18 juillet 2018 et le 28 janvier 2019 par le maire de Val d’Isère, par courriers adressés à leur domicile, aux réunions du conseil municipal du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019, et que ces convocations indiquaient que figuraient à l’ordre du jour la vente de la parcelle …. La circonstance que les convocations mentionnaient que le cessionnaire était M. B…, alors que les cessions ont été effectuées au bénéfice de la société dont ce dernier est le gérant, la société Holdispan, n’est pas de nature à avoir induit en erreur les conseillers municipaux sur la portée de ce point figurant à l’ordre du jour. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu’un membre du conseil municipal ait, à la réception de ces convocations, fait valoir son droit à être informé plus précisément des sujets qui y figuraient. Si M. A… soutient que ces convocations n’étaient pas accompagnées d’une note explicative de synthèse portant sur les points portés à l’ordre du jour, la commune de Val d’Isère comptant moins de 3500 habitants, les dispositions de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ne lui sont pas applicables pour les motifs exposés au point 7. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 8, pris en toutes ses branches, ne peut qu’être écarté.
11. En troisième lieu, avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était subordonnée à la condition que de l’affectation ou de l’aménagement spécial du bien pour son affectation au service public ou un usage direct du public, si nécessaire, après aménagement.
12. Il ressort des pièces du dossier que si les lots en volume n° 2, 4 et 6 sont situés au-dessus d’un garage utilisé par la STVI, concessionnaire de l’exploitation des remontées mécaniques, et en surplomb d’un chemin d’accès à la gare de départ du téléphérique de Solaise, ils ne sont pas, par eux-mêmes, affectés à l’usage direct du public ou à une activité de service public. Par ailleurs, si le garage constitue un ouvrage affecté au service public de l’exploitation des pistes de ski et spécialement aménagé à cet effet, il ne ressort pas des pièces du dossier que les lots en volume comprendraient des aménagements présentant une utilité directe pour cet ouvrage, notamment pour sa solidité ou son étanchéité, et qu’ils en constitueraient par suite l’accessoire. Par ailleurs, si la commune de Val d’Isère a été regardée comme possédant la parcelle cadastrée AH n° 200 par un acte de reconnaissance acquisitive du 15 décembre 2018 dès lors qu’elle en avait, depuis au moins trente ans, assuré l’entretien et l’exploitation en y implantant la gare de téléphérique, il ne ressort pas des pièces du dossier que le cheminement piétonnier permettant l’accès à cette gare, et au-dessus duquel se trouvent les lots en volumes n° 4 et 6, aient fait l’objet d’un aménagement spécial. Il en résulte qu’à la date des délibérations contestées, les lots en volumes n° 2, 4 et 6 appartenaient au domaine privé de la commune. Par suite, M. A… n’est pas fondé à soutenir que ces lots en volume ne pouvaient faire l’objet d’une cession en raison de leur appartenance au domaine public communal.
13. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que les délibérations contestées ont pour objet d’autoriser la cession par la commune de droits réels immobiliers, en vue pour le cessionnaire de la construction d’un hôtel et d’une résidence à usage d’habitation. Ainsi qu’il a été dit précédemment, il n’est pas établi que le prix auquel la commune a cédé les droits réels immobiliers en cause ait été inférieur à leur valeur vénale, ni que ces biens seraient constitutifs de dépendances du domaine public communal. Il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que la commune deviendrait propriétaire de ces ouvrages à l’issue des travaux, ni qu’elle disposerait d’un titre juridique quelconque lui en assurant la disponibilité, ni encore qu’elle pourrait tirer des avantages de leur utilisation ou de leur cession future ou qu’elle aurait participé financièrement à leur réalisation. En outre, il ressort des pièces du dossier qu’elle n’a exercé aucune influence sur l’architecture du bâtiment et qu’elle s’est bornée à reporter sur l’acquéreur les exigences de l’article L. 342-1 du code du tourisme pour la répartition des superficies hôtelière et résidentielle. De telles contraintes lui étant extérieures et susceptibles de s’appliquer de plein droit, elles ne sont pas de nature à démontrer que la cession en litige aurait été conclue pour répondre aux besoins de la collectivité en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix. Il suit de là que le moyen tiré de l’absence de publicité et de mise en concurrence propre à la commande publique doit être écarté.
14. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les délibérations du 23 juillet 2018 et du 4 février 2019 ainsi que la décision du 7 décembre 2018 rejetant le recours gracieux formé par M. A… et a enjoint à la commune de procéder à la résolution des contrats de cession ou, à défaut d’accord des parties, de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation des délibérations des 23 juillet 2018 et 4 février 2019, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. Les demandes à fins d’annulation et d’injonction présentées au tribunal par M. A… doivent, en conséquence, être rejetées.
Sur la requête 21LY04256 :
15. Dès lors que le présent arrêt statue au fond sur les conclusions de la requête 21LY04255 de la commune de Val d’Isère tendant à l’annulation du jugement en litige, les conclusions de la requête n° 21LY04256 tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Par suite, il n’y a pas lieu d’y statuer.
Sur les frais du litige :
16. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge de la commune de Val d’Isère qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de M. A… une quelconque somme sur ce même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21LY04256.
Article 2 : Le jugement nos 1900352, 1902466 du 19 octobre 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 3 : La demande de M. A… et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Val d’Isère, à la société Holdispan, à la société Chalet Izia et à M. A….

Délibéré après l’audience du 13 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 3 novembre 2022.

La rapporteure,
A. Evrard
Le président,
Ph.Arbarétaz
Le greffier,
J. Billot

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,

2
Nos 21LY04155, 21LY04255, 21LY04256

 

Articulation UTN/ Directives Habitats et Oiseaux – Conventionnalité

Conseil d’État, 6ème – 5ème chambres réunies, 23/11/2022, 452173, Inédit au recueil Lebon

 

Rapporteur

Mme Airelle Niepce

Rapporteur public

  1. Stéphane Hoynck

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 3 mai 2021 et 5 janvier et 17 mai 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association France nature environnement et l’association France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur leur demande, reçue le 3 mars 2021, tendant à ce que soient prises les mesures utiles nécessaires à assurer l’articulation entre les régimes de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations de travaux propres aux activités touristiques en montagne aux fins d’application des dispositions des articles L. 425-15 du code de l’urbanisme et L. 411-1 du code de l’environnement et de correcte transposition de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, et de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

2°) d’enjoindre à la ministre de prendre, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision à intervenir, lesdites mesures, en assortissant cette injonction d’une astreinte de 30 000 euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle portant sur l’interprétation combinée des dispositions des directives 92/43/CEE et 2009/147/CE et l’application du principe de prévention qui les sous-tend pour déterminer si elles imposent une évaluation des incidences et la démonstration d’une raison impérative d’intérêt public majeur préalablement à la décision de l’autorité chargée d’approuver ou d’autoriser un dispositif programmatique lorsque les projets et opérations qu’il décrit sont susceptibles de porter atteinte à l’interdiction de procéder à la perturbation intentionnelle d’espèces animales protégées et à la destruction, l’altération et la dégradation de leurs milieux particuliers ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à verser à chacune d’elles au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
– la directive 2001/42/ CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
– la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;
– le code de l’environnement ;
– le code de l’urbanisme ;
– le décret n° 2021-1345 du 13 octobre 2021 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par une lettre reçue le 3 mars 2021, les associations France nature environnement et France nature environnement Auvergne-Rhône-Alpes ont demandé à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales de prendre toutes mesures utiles pour que l’articulation entre le régime de protection des espèces protégées et de leurs habitats et celui des planifications et autorisations des travaux propres aux activités touristiques en montagne soit effectivement assurée conformément au droit de l’Union européenne. Cette demande doit être interprétée comme tendant à ce que soit prise toute mesure nécessaire à la complète mise en œuvre des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement ainsi que de l’article L. 425-15 du code de l’urbanisme s’agissant, en zone de montagne, d’une part, des projets de remontées mécaniques et d’aménagements de domaine skiable, d’autre part, des projets d’unité touristique nouvelle, en conformité avec les objectifs de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Les deux associations demandent l’annulation pour excès de pouvoir du refus implicite qui leur a été opposé, résultant du silence gardé pendant plus de deux mois sur leur demande.

2. L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande des requérantes de prendre toute mesure utile permettant la complète application de dispositions législatives aux fins de correcte transposition des dispositions d’une directive réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire de prendre ces mesures. Il s’ensuit que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation d’un tel refus, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

3. Les dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, prises notamment pour la transposition des dispositions de l’article 12 de la directive du 21 mai 1992 précitée, prévoient, lorsque les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation d’espèces animales non domestiques, l’interdiction de  » 1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; / 3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces (…). « . Toutefois, les dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l’article 16 de la même directive du 21 mai 1992, permettent de déroger à ces interdictions dans les strictes conditions qu’elles précisent, parmi lesquelles figurent dans tous les cas celles qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Sur les remontées mécaniques et les aménagements de domaine skiable :

4. Aux termes de l’article L. 472-1 du code de l’urbanisme :  » Les travaux de construction ou de modification substantielle des remontées mécaniques définies à l’article L. 342-7 du code du tourisme sont soumis à autorisation, d’une part, avant l’exécution des travaux et, d’autre part, avant la mise en exploitation. / L’autorisation d’exécution des travaux portant sur la réalisation des remontées mécaniques tient lieu du permis de construire prévu à l’article L. 421-1 en ce qui concerne les travaux soumis à ce permis  » et aux termes de l’article L. 473-1 du même code :  » L’aménagement de pistes de ski alpin est soumis à l’autorisation délivrée par l’autorité compétente en matière de permis de construire « .

5. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 425-15 du code de l’urbanisme :  » Lorsque le projet porte sur des travaux devant faire l’objet d’une dérogation au titre du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, le permis ou la décision de non-opposition à déclaration préalable ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de cette dérogation  » et aux termes de l’article R. 424-6 du même code :  » Lorsque la réalisation des travaux est différée dans l’attente de formalité prévues par une autre législation, la décision en fait expressément la réserve « .

6. Les associations requérantes soutiennent que les dispositions du code de l’urbanisme applicables aux projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable méconnaissent les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, en ce qu’elles ne prévoient ni que ces autorisations de travaux en zone de montagne ne peuvent être délivrées et mises en œuvre avant l’éventuelle délivrance d’une dérogation au titre du 4° du I de cet article L. 411-2, ni que le dossier de demande doit préciser, s’il y a lieu, que les travaux doivent faire l’objet d’une telle dérogation.

7. Toutefois, dès lors, d’une part, qu’il n’est pas contesté que les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement assurent une correcte transposition de la directive du 21 mai 1992 précitée, en particulier de son article 16 qui encadre les modalités selon lesquelles il peut le cas échéant être dérogé au principe général d’interdiction des destructions et perturbations des espèces protégées et de leurs habitats que la directive pose par ailleurs, d’autre part, qu’aucune des dispositions du code de l’urbanisme applicable aux projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable n’a pour objet ou pour effet de dispenser un projet relevant de ces dispositions de l’obligation d’obtenir le cas échéant une dérogation au titre du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement en cas d’incidences sur des espèces protégées ou leurs habitats, aucune méconnaissance des exigences de la directive ne saurait être tirée de l’absence d’articulation explicite entre ces deux législations indépendantes. Au demeurant, il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 472-1 et L. 473-1 du code de l’urbanisme, d’une part, et des articles L. 425-15 et R. 424-6 du même code, d’autre part, que les projets de remontées mécaniques ou d’aménagements de domaine skiable ayant fait l’objet d’une autorisation au titre du code de l’urbanisme ne peuvent être mises en œuvre avant la délivrance de la dérogation prévue au 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement et que l’autorisation délivrée doit expressément faire état de cette réserve.

8. Il suit de là que les dispositions réglementaires du code de l’urbanisme applicables aux autorisations de travaux mentionnées aux articles L. 472-1 et L. 473-1 du code de l’urbanisme ne méconnaissent ni les objectifs et exigences de la directive du 21 mai 1992 précitée, ni les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement prises pour leur transposition.

Sur les unités touristiques nouvelles :

9. Aux termes de l’article L. 122-16 du code de l’urbanisme, constitue une unité touristique nouvelle :  » Toute opération de développement touristique effectuée en zone de montagne et contribuant aux performances socio-économiques de l’espace montagnard « . Les articles L. 122-17 et L. 122-18 du même code distinguent les unités touristiques dites  » structurantes  » et  » locales « , dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’Etat. L’article L. 122-19 du même code prévoit que les unités touristiques nouvelles ne sont pas soumises au principe de l’extension de l’urbanisation en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants, prévu aux articles L. 122-5 à L. 122-7 du même code. En vertu des articles L. 122-20 et L. 122-21 du même code, la création et l’extension d’unités touristiques nouvelles structurantes et locales sont prévues, respectivement, par le schéma de cohérence territoriale et par le plan local d’urbanisme dans les communes qui sont couvertes par ces documents, et pour celles qui ne le sont pas, par l’autorité administrative selon des modalités définies par décret en Conseil d’Etat.

10. En premier lieu, en vertu des dispositions de l’article L. 104-1 du code de l’urbanisme, les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme font systématiquement l’objet d’une évaluation environnementale, dans les conditions prévues par la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement ainsi que ses annexes et par les dispositions pertinentes du code de l’urbanisme. Par ailleurs, en vertu des dispositions de l’article L. 104-2 du même code, font également l’objet d’une évaluation environnementale dans les mêmes conditions :  » La création et l’extension d’unités touristiques nouvelles locales soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-21 qui sont susceptibles d’avoir des effets notables sur l’environnement au sens de l’annexe II à la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001  » et aux termes des dispositions de l’article L. 104-2-1 du même code :  » Un décret en Conseil d’Etat détermine les critères en fonction desquels les unités touristiques nouvelles structurantes soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-20 font l’objet d’une évaluation environnementale systématique ou après un examen au cas par cas. « .

11. Pour l’application de ces dispositions, en vertu de l’article R. 104-17-1 du même code, dans sa rédaction issue du décret du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l’évaluation environnementale des documents d’urbanisme et des unités touristiques nouvelles :  » Les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa des articles L. 122-20 et L. 122-21 font l’objet d’une évaluation environnementale à l’occasion de leur création et de leur extension lorsqu’elles permettent la réalisation de travaux, aménagements, ouvrages ou installations susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000 « . En dehors de ce cas, en vertu de l’article R. 104-17-2 du même code, dans sa rédaction issue du même décret du 13 octobre 2021, les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-20 sont soumises à une évaluation environnementale de façon systématique ou à un examen au cas par cas, et les unités touristiques nouvelles soumises à autorisation en application du second alinéa de l’article L. 122-21 sont soumises à un examen au cas par cas.

12. Il résulte de ces dispositions que les UTN structurantes prévues par un schéma de cohérence territoriale et les UTN locales prévues par un plan local d’urbanisme font systématiquement l’objet d’une évaluation de leurs incidences sur l’environnement, notamment, le cas échéant, sur les espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées et leurs habitats, à travers l’évaluation à laquelle sont soumis ces documents d’urbanisme. Par ailleurs, les UTN soumises à autorisation en vertu du second alinéa de l’article L. 122-20 ou de l’article L. 122-21 font l’objet soit systématiquement d’une telle évaluation environnementale préalable, soit d’un examen au cas par cas destiné à déterminer si elles sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, au regard des critères de l’annexe II de la directive du 27 juin 2001 précitée. A cet égard, le moyen tiré de ce que les dispositions du décret du 13 octobre 2021, qui précisent le champ d’application de l’examen au cas par cas ainsi que ses modalités, seraient illégales n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, l’existence d’incidences éventuelles d’un projet d’UTN sur les espèces protégées ou leurs habitats au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées est systématiquement appréciée, y compris s’agissant des UTN qui ne seraient pas susceptibles d’affecter une zone Natura 2000.

13. En second lieu, si les UTN constituent un dispositif d’aménagement spécifique aux zones de montagne qui vise à assurer une conciliation entre le développement des activités touristiques et la protection des milieux naturels et sont, à ce titre, susceptibles d’encadrer les conditions de délivrance des autorisations d’urbanisme, elles n’ont ni pour objet, ni pour effet d’autoriser directement la réalisation de projets ou d’équipements susceptibles de porter atteinte à la conservation des espèces protégées au titre des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 précitées, projets qui devront être ultérieurement autorisés et mis en œuvre conformément aux dispositions des différentes législations potentiellement concernées, parmi lesquelles, le cas échéant, les dispositions du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Par suite, le moyen tiré de ce qu’en ne prévoyant pas que la création d’une UTN soit préalablement soumise à la délivrance d’une dérogation au titre de ces dispositions, le pouvoir réglementaire aurait méconnu les objectifs et exigences des directives du 21 mai 1992 et du 30 novembre 2009 ainsi que les articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement doit être écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de la décision implicite qu’elles attaquent. Par suite, leurs conclusions aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées.

15. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l’association France nature environnement et autre est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association France nature environnement, première requérante dénommée et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.