Agriculture de montagne/ Réduction de l’aide découplée à la surface

CAA de LYON

N° 13LY01935   
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre – formation à 3
M. MARTIN, président
Mme Pascale DECHE, rapporteur
M. CLEMENT, rapporteur public
SCP MOINS, avocat

lecture du mardi 26 mai 2015

REPUBLIQUE FRANCAISEAU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 


 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D…C…a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’annuler la décision du 5 mars 2012 par laquelle le préfet du Cantal l’a informé de la réduction de 9 365,02 euros de l’aide découplée à la surface dont il bénéficiait au titre de l’année 2011 ainsi que celle du 12 avril 2012 par laquelle ledit préfet a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1200916 du 16 mai 2013, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 22 juillet 2013 et le 3 février 2014, M.C…, représenté par MeA…, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 1200916 du 16 mai 2013 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand ;

2°) d’annuler les décisions des 5 mars et 12 avril 2012 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– le contrôle de l’exploitation des terres litigieuses aurait dû être réalisé sur place et en sa présence, ce qui lui aurait permis de présenter directement au contrôleur des explications concernant l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé d’exploiter lesdits terrains ;
– l’occupation illégale de l’îlot litigieux par un tiers constitue une circonstance exceptionnelle ou un cas de force majeure de nature à l’exonérer de son erreur de déclaration de surface pour le versement des aides environnementales en application des dispositions des articles 14 et 75 du règlement (CE) n° 1122/2009 et de l’article 31 du règlement (CE) n° 73/2009 ; en mai 2008, lorsqu’il s’est engagé dans les contrats MAE et PHAE, il était en situation de pouvoir légitimement penser qu’il exploiterait les parcelles litigieuses ; enfin, pour l’année 2012, il a pu effectivement exploiter les surfaces de l’îlot n° 1.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2013, le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
– le contrôle sur place de l’exploitation de M.B…, conduit le 4 octobre 2011, a permis de constater que ce dernier exploitait effectivement la parcelle litigieuse ; le contrôle sur place de l’exploitation de M.C…, réalisé le 5 octobre 2011 en sa présence, a donné lieu à un compte-rendu indiquant qu’il n’a pas exploité l’îlot n° 1 en 2009, 2010 et 2011, ce qu’il n’a pas contesté ; dans ces conditions, le contrôleur n’était pas tenu d’inspecter physiquement cette parcelle ;
– la question de l’autorisation d’exploiter dont aurait bénéficié à tort M.B…, relève d’une législation indépendante ; elle est sans incidence sur le régime des aides qui s’applique aux parcelles litigieuses ;
– en application des dispositions combinées des articles 35 du règlement (CE) n° 73/2009 et de l’article D. 615-64 du code rural et de la pêche maritime, l’octroi des aides directes est subordonné à une exploitation effective des terres qui doivent également être à la disposition de l’agriculteur ; l’îlot n° 1 n’étant ni exploité par M.C…, ni à sa disposition en 2009, 2010 et 2011, il ne pouvait bénéficier de l’aide découplée au titre de ces surfaces ; l’écart constaté entre la surface déclarée et la surface réellement exploitée entraînait l’application de la pénalité financière prévue par l’article 59 du règlement (CE) n° 1122/2009 ;
– M. C…ne peut justifier d’un cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles ;
– M. C…ne peut se prévaloir des dispositions du premier alinéa du 3. de l’article 3 du règlement (CE) n° 65/2011, dès lors qu’il se trouvait dans la situation prévue au deuxième alinéa dudit 3. de ce même article ;
– sa demande d’aide ne pouvait être rectifiée à tout moment dès lors que sa demande pour la campagne 2011 ne comporte pas d’erreur manifeste au sens du 4. de l’article 3 du règlement (CE) n° 65/2011, mais constitue bien une déclaration volontairement erronée de sa situation qui perdure depuis plusieurs années, et dont il avait parfaitement connaissance au moment du dépôt de sa demande.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le traité instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, modifié par l’Acte unique européen signé les 17 et 28 février 1986 et le traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992 ;
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– le règlement (CE) n° 73/2009 du 19 janvier 2009, du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, ensemble le règlement (CE) n° 1122/2009 du 30 novembre 2009, de la Commission fixant les modalités d’application de ce règlement (CE) n° 73/2009 du 19 janvier 2009, du Conseil ;
– le règlement (CE) n° 1122/2009 du 30 novembre 2009, de la Commission fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité, la modulation et le système intégré de gestion et de contrôle dans le cadre des régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs prévus par ce règlement ainsi que les modalités d’application du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité dans le cadre du régime d’aide prévu pour le secteur vitivinicole ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’ordonnance n° 2009-325 du 25 mars 2009 relative à la création de l’Agence de services et de paiement et de l’Etablissement national des produits de l’agriculture et de la mer ;
– le décret n° 2007-1334 du 11 septembre 2007 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées et modifiant le code rural ;
– l’arrêté du 11 septembre 2007 pris en application du décret n° 2007-1334 du 11 septembre 2007 fixant les conditions d’attribution des indemnités compensatoires de handicaps naturels permanents dans le cadre de l’agriculture de montagne et des autres zones défavorisées et modifiant le code rural ;
– l’arrêté du 30 mars 2009 portant agrément de l’Agence de services et de paiement comme organisme payeur de dépenses financées par les fonds de financement des dépenses agricoles et comme organisme de coordination en matière de financement de la politique agricole commune ;
– l’arrêté n° 2011-1038 du 7 juillet 2011 du préfet du Cantal fixant le montant des indemnités compensatoires de handicaps naturels au titre de la campagne 2011 dans le département du Cantal ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Dèche,
– et les conclusions de M. Clément, rapporteur public.

1. Considérant que M. C…relève appel du jugement du 16 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 5 mars 2012 par laquelle le préfet du Cantal l’a informé de la réduction de 9 365,02 euros de l’aide découplée à la surface dont il bénéficiait au titre de l’année 2011 ainsi qu’à celle du 12 avril 2012 par laquelle ledit préfet a rejeté son recours gracieux ;

2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 20 du règlement CE n° 73/2009 du 19 janvier 2009 susvisé :  » 1. Les Etats membres procèdent au contrôle administratif des demandes d’aide, afin de vérifier le respect des conditions d’admissibilité au bénéfice de l’aide. / 2. Les contrôles administratifs sont complétés par un système de vérifications sur place visant à vérifier l’admissibilité au bénéfice de l’aide. A cet effet, les Etats membres établissent un plan d’échantillonnage des exploitations agricoles. (…).  » ;

3. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le 16 mai 2011, M. C…a déposé une demande d’aides communautaires agricoles, pour une superficie de terre de 73 hectares 94 ares, située sur la commune de Mandailles-Saint-Julien, au titre de l’année 2011 ; que l’instruction de ce dossier a révélé qu’une même parcelle de 5 hectares avait également été déclarée par un autre exploitant de la commune de Mandailles-Saint-Julien, M. B…; que l’Agence de services et de paiement a diligenté deux contrôles sur place, le 4 octobre 2011, chez M. B…et le lendemain chez M.C…, afin de déterminer lequel de ces deux agriculteurs exploitait réellement la parcelle litigieuse ; que ces contrôles ont mis en évidence que les 5 hectares de terre litigieux étaient en réalité exploités par M.B… ; que si M. C… fait valoir que n’étant pas présent lors du contrôle sur place de la parcelle en litige, il n’a pu émettre des observations au contrôleur lui permettant d’expliquer à ce dernier les raisons pour lesquelles il n’a pu effectivement exploiter ces terres, il ressort des pièces du dossier qu’il a signé sans observation particulière le compte-rendu de la visite sur place de son exploitation qui indiquait qu’il n’avait pas exploité au cours des années 2009, 2010 et 2011, l’îlot n° 1 comprenant les hectares litigieux ; qu’également, M. C…n’a pas contesté le fait qu’il n’exploitait pas ces terres dans son courrier en réponse au contrôle sur place du 5 octobre 2011, ni dans son courrier du 16 mars 2012 répondant à la lettre contradictoire de fin d’instruction constatant un écart entre les surfaces déclarées et celles réellement exploitées au titre de la campagne 2011 ; que, par suite, M. C…n’est pas fondé à soutenir que les décisions en litige seraient intervenues au terme d’une procédure irrégulière ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 34 du règlement n° 1122/2009 du 30 novembre 2009 susvisé :  » 1. La détermination des superficies des parcelles agricoles se fait par tout moyen dont il est démontré qu’il garantit une mesure de qualité au A…équivalente à celle requise par la norme technique applicable élaborée au niveau communautaire. / Une tolérance de mesure est définie par une zone tampon d’un maximum de 1,5 mètre appliquée au périmètre de la parcelle agricole. Pour chacune des parcelles agricoles la tolérance maximale n’excède pas 1,0 hectare, en valeur absolue. // 2. La superficie totale d’une parcelle agricole peut être prise en compte à condition qu’elle soit entièrement utilisée selon les normes usuelles de l’État membre ou de la région concernée. Dans les autres cas, c’est la superficie réellement utilisée qui est prise en compte. (…) 4. Sans préjudice de l’article 34, paragraphe 2, du règlement(CE) n° 73/2009, une parcelle agricole boisée est considérée comme une superficie admissible aux fins des régimes d’aide  » surfaces », sous réserve que des activités agricoles ou, le cas échéant, que la production envisagée puissent se dérouler comme elles se dérouleraient sur des parcelles non boisées situées dans la même zone (…) 6. L’admissibilité des parcelles agricoles est vérifiée par tout moyen approprié. A cet effet, il est demandé, si nécessaire, des preuves supplémentaires.  » ;

5. Considérant qu’il ressort de ces dispositions que l’octroi des aides agricoles est soumis à la condition de l’exploitation effective des parcelles concernées ; que M.C…, qui ne conteste pas qu’il n’a pas exploité les parcelles litigieuses au cours des années 2009, 2010 et 2011, ne peut utilement faire valoir qu’un autre exploitant occupait les terrains concernés en y faisant pacager son cheptel, sous couvert d’une autorisation d’exploiter illégale ; que pour demander l’annulation des décisions litigieuses, le requérant ne peut pas plus se prévaloir de ce qu’en mai 2008, date à laquelle il s’est engagé dans les contrats agroenvironnementaux, il était l’exploitant en place des parcelles litigieuses et qu’il ne pouvait pas savoir que la commune de Mandailles-Saint-Julien allait attribuer ces terrains, appartenant à la section de commune de La Boudie, à un autre exploitant ; qu’enfin, la circonstance que M. C…aurait exploité les surfaces litigieuses en 2012, postérieure à la date des décisions attaquées, est, en tout état de cause, sans incidence sur leur légalité ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article 14 du règlement (CE) n° 1122/2009 du 30 novembre 2009 susvisé relatif aux modifications apportées à la demande unique :  » 1. Après l’expiration du délai de présentation de la demande unique, des parcelles agricoles individuelles ou des droits au paiement individuels peuvent être ajoutés à la demande unique, pour autant que les exigences prévues par les régimes d’aide concernés soient respectées. / Des modifications relatives à l’utilisation ou au régime d’aide concernant des parcelles agricoles, ou aux droits au paiement déjà déclarés dans la demande unique peuvent être apportées selon les mêmes conditions. / Lorsque les modifications visées au premier et au deuxième alinéa ont une incidence sur des documents justificatifs ou sur des contrats à présenter, les modifications afférentes à ces documents ou à ces contrats sont également autorisées. (…). 3. Lorsque l’autorité compétente a déjà informé l’agriculteur des irrégularités que comporte la demande unique ou lorsqu’elle l’a averti de son intention de procéder à un contrôle sur place et que ce contrôle révèle des irrégularités, les modifications visées au paragraphe 1 ne sont pas autorisées pour les parcelles agricoles concernées par ces irrégularités.  » ;

7. Considérant que M. C…fait valoir que les précisions qu’il a apportées concernant l’impossibilité pour lui d’exploiter les parcelles litigieuses lors des observations aux contrôle du 5 octobre 2011 dont il a fait l’objet devaient être prises en compte par l’administration au titre des modifications pouvant être légalement apportées à sa déclaration ; que toutefois, il résulte des dispositions précitées que de telles modifications ne peuvent être autorisées si, comme en l’espèce, elles concernent des irrégularités révélées à la suite d’un contrôle diligenté par l’autorité compétente ;

8. Considérant, en dernier lieu, qu’aux termes de l’article 75 du règlement (CE) n° 1122/2009 du 30 novembre 2009 susvisé relatif à la  » force majeure et circonstances exceptionnelles  » :  » 1. Lorsqu’un agriculteur n’a pas été en mesure de respecter ses engagements en raison d’un cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles visées à l’article 31 du règlement (CE) no 73/2009, le droit à l’aide lui reste acquis pour la surface ou les animaux admissibles au moment où le cas de force majeure ou les circonstances exceptionnelles sont intervenus. En outre, lorsque la non-conformité résultant de ces cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles concerne la conditionnalité, la réduction correspondante n’est pas appliquée.2. Les cas de force majeure et les circonstances exceptionnelles au sens de l’article 31 du règlement (CE) no 73/2009 sont notifiés par écrit à l’autorité compétente et les preuves y afférentes sont apportées à la satisfaction de celle-ci dans un délai de dix jours ouvrables à partir du jour où l’agriculteur est en mesure de le faire. « , et qu’aux termes de l’article 31 du règlement n° 73/2009 du 19 janvier 2009 susvisé relatif à la force majeure et aux circonstances exceptionnelles :  » Aux fins du présent règlement, sont notamment reconnus comme cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles par l’autorité compétente les cas suivants: a) le décès de l’agriculteur ; b) l’incapacité professionnelle de longue durée de l’agriculteur; c) une catastrophe naturelle grave qui affecte de façon importante la surface agricole de l’exploitation; d) la destruction accidentelle des bâtiments de l’exploitation destinés à l’élevage; e) une épizootie affectant tout ou partie du cheptel de l’agriculteur.  » ;

9. Considérant que la Cour de justice des Communautés européennes a jugé, notamment dans ses arrêts du 13 octobre 1993, An Bord Bainne Co-operative Ltd, aff. C-124/92, et du 7 décembre 1993, Edmond Huygen, aff. C-12/92, que, dans le domaine des aides à l’agriculture, la notion de force majeure n’est pas limitée à celle d’impossibilité absolue, mais doit être entendue dans le sens de circonstances étrangères à l’opérateur concerné, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pu être évitées qu’au prix de sacrifices excessifs, malgré toutes les diligences déployées ;

10. Considérant que la circonstance que M. C…n’aurait pu exploiter les terrains litigieux du fait de l’occupation illégale de la partie de ces parcelles comprenant la seule source pérenne en période estivale par un autre exploitant ne constitue pas une circonstance exceptionnelle ou un cas de force majeure ni au sens et pour l’application des articles 75 du règlement n° 1122/2009 et 31 du règlement n° 73/2009, ni au sens de la jurisprudence précitée qui aurait permis, le cas échéant, de lui permettre de conserver le bénéfice des aides communautaires s’y rapportant ;

11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. C…n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. C…la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C…est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. C…tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D…C…et au ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Délibéré après l’audience du 5 mai 2015 à laquelle siégeaient :
M. Martin, président de chambre,
Mme Dèche, premier conseiller,
Mme Peuvrel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 mai 2015.