Servitude Montagne/ Conditions d’institution

CAA de LYON

N° 18LY00832
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. POMMIER, président
M. Hervé DROUET, rapporteur
Mme VIGIER-CARRIERE, rapporteur public
LLC ET ASSOCIES – BUREAU DE PARIS, avocat

lecture du jeudi 12 mars 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

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Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… A… a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 6 février 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a, en application des articles L. 342-18 à L. 342-23 du code du tourisme, institué une servitude pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches sur le territoire de la commune d’Arâches-la-Frasse et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Haute-Savoie sur son recours gracieux du 17 avril 2015 dirigé contre cet arrêté et de mettre à la charge de l’État les entiers dépens ainsi qu’une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1505043 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 février 2018 et le 18 septembre 2018, M. B… A…, représenté par la SELARL Arnaud Bastid, avocat, demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1505043 du 19 décembre 2017 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 6 février 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a, en application des articles L. 342-18 à L. 342-23 du code du tourisme, institué une servitude pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches sur le territoire de la commune d’Arâches-la-Frasse et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Haute-Savoie sur son recours gracieux du 17 avril 2015 dirigé contre cet arrêté;
3°) de mettre à la charge de l’État les entiers dépens ainsi qu’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– sa requête n’est pas tardive, dès lors qu’il n’a été destinataire du jugement attaqué que le 22 décembre 2017 ;
– sa requête est suffisamment motivée ;
– l’arrêté en litige méconnaît les articles L. 342-18 et L. 342-19 du code du tourisme, dès lors qu’à la date de son édiction, la commune d’Arâches-la-Frasse n’était pas classée en station de sports d’hiver et d’alpinisme ni en commune touristique ;
– il méconnaît l’article L. 342-22 du même code, dès lors que le plan parcellaire annexé ne fait pas apparaître la longueur à partir de laquelle les largeurs sont mentionnées, que les largeurs indiquées n’ont pas fait l’objet d’un mesurage in situ par un géomètre-expert après l’annulation des premiers arrêtés préfectoraux portant servitude de novembre 2009 par arrêt n° 13LY01213 du 13 février 2014 de la cour et sont particulièrement aléatoires, la simple reprise sur un plan de données anciennes ne pouvant valoir mise en place de servitude de piste de ski au sens des dispositions de cet article, et que les caractéristiques des servitudes ne sont pas précisées ;
– il emporte dépossession de sa propriété et non servitude seulement, dès lors qu’il s’applique tout au long de l’année et qu’il prévoit notamment la mise en place à demeure de matériels – filets, canons à neige et canalisation d’alimentation – disgracieux et contraignants aboutissant concrètement à lui interdire d’utiliser son terrain ;
– est inexact sur le plan parcellaire annexé le tracé de la canalisation du canon à neige sur la parcelle cadastrée section B n° 2440 ;
– l’arrêté contesté méconnaît le principe d’égalité devant les charges publiques, dès lors que d’autres propriétaires ont été invités à conclure, pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches, des conventions de servitude moins restrictives et pénalisantes que la servitude instaurée par l’arrêté attaqué et dont les conditions d’indemnisation sont plus favorables, alors qu’il n’a pas été destinataire d’une proposition de convention de même nature et contenu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2018, la commune d’Arâches-la-Frasse, représentée par la SELARL LLC et Associés, avocat, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :
– la requête est irrecevable car tardive ;
– elle est irrecevable car dépourvue de motivation, en l’absence de critique du jugement attaqué ;
– les moyens présentés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 avril 2019, le ministre de l’économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’il s’en remet aux observations produites en défense par le préfet de la Haute-Savoie devant le tribunal administratif de Grenoble.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code du tourisme ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Drouet, président assesseur,
– les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,
– et les observations de Me Bracq, avocat (SELARL LLC et Associés), avocat, pour la commune d’Arâches-la-Frasse.

Considérant ce qui suit :

1. M. A…, propriétaire des parcelles cadastrées section B n°s 2351, 2432, 2440, 2851, 2852, 2854 et 5376 situées sur le domaine skiable des Carroz d’Arâches de la commune d’Arâches-la-Frasse, relève appel du jugement n° 1505043 du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 6 février 2015 par lequel le préfet de la Haute-Savoie a, en application des articles L. 342-18 à L. 342-23 du code du tourisme, institué sur les parcelles précitées une servitude pour l’aménagement dudit domaine skiable et de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Haute-Savoie sur son recours gracieux du 17 avril 2015 dirigé contre cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 342-18 du code du tourisme dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté en litige :  » La servitude prévue aux articles L. 342-20 à L. 342-23 ne peut être établie qu’à l’intérieur des zones et des secteurs délimités dans les plans locaux d’urbanisme ou dans les plans d’occupation des sols en application du 1° du III de l’article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme. Cette disposition n’est pas applicable aux servitudes instituées en vue de faciliter la pratique du ski de fond ou l’accès aux sites d’alpinisme, d’escalade en zone de montagne et de sports de nature au sens de l’article 50-1 de la loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ainsi que l’accès aux refuges de montagne. « . Selon l’article L. 342-19 du même code :  » Dans les communes classées comme stations de sports d’hiver et d’alpinisme et pourvues d’un plan d’occupation des sols opposable au 10 janvier 1985 ou d’un plan local d’urbanisme, les dispositions de l’article L. 342-18 s’appliquent à partir de l’approbation de la modification ou de la révision de ce plan. « .

3. Il est constant qu’à la date de l’arrêté contesté, le plan local d’urbanisme de la commune d’Arâches-la-Frasse comportait notamment une zone Nt intitulée  » secteur à vocation sportive et de loisir  » dans laquelle est situé le domaine skiable des Carroz d’Arâches. Dans ces conditions et en application des dispositions précitées de l’article L. 342-18 du code du tourisme, le préfet de la Haute-Savoie a pu légalement, par son arrêté en litige, instituer une servitude pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches, alors même que ladite commune, à la date de cette décision, n’était pas classée en station de sports d’hiver et d’alpinisme ni en commune touristique.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 342-22 du code du tourisme :  » Cette décision définit le tracé, la largeur et les caractéristiques de la servitude, ainsi que les conditions auxquelles la réalisation des travaux est subordonnée. Elle définit, le cas échéant, les conditions et, éventuellement, les aménagements de protection auxquels la création de la servitude est subordonnée et les obligations auxquelles le bénéficiaire est tenu du fait de l’établissement de la servitude. Elle définit également les périodes de l’année pendant lesquelles, compte tenu de l’enneigement et du cours des travaux agricoles, la servitude s’applique partiellement ou totalement. « .

5. Si M. A… soutient que le géomètre-expert aurait fixé les largeurs de la servitude dans les documents annexés à l’arrêté litigieux du 6 février 2015 en travaillant uniquement sur plans issus d’archives, les dispositions précitées de l’article L. 342-22 du code du tourisme n’imposent pas de se déplacer sur le terrain au géomètre-expert chargé de la fixation des largeurs de la servitude. Le requérant ne saurait utilement faire valoir que les largeurs de la servitude de pistes de ski n’ont pas fait l’objet d’un mesurage sur le terrain après l’annulation des premiers arrêtés préfectoraux portant servitude de novembre 2009 par arrêt n° 13LY01213 du 13 février 2014 de la cour, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces des dossiers de première instance et d’appel que les caractéristiques topographiques du terrain concerné aient été modifiées par rapport aux données utilisées par le géomètre-expert pour fixer les largeurs de la servitude. Par suite, doit être écarté le moyen tiré de ce que la fixation des largeurs de la servitude dans les documents annexés à l’arrêté litigieux du 6 février 2015 serait entachée d’erreur de droit.

6. En troisième lieu, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que le plan parcellaire annexé à l’arrêté contesté ne fait pas apparaître la longueur à partir de laquelle les largeurs sont mentionnées, dès lors que les dispositions précitées de l’article L. 342-22 du code du tourisme ne prescrivent pas de mentionner la longueur de la servitude.

7. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient M. A…, l’arrêté en litige comporte, en son article 4, la définition des caractéristiques de la servitude qu’il instaure.

8. En cinquième lieu, le requérant soutient que l’arrêté litigieux emporte dépossession de son terrain en ce qu’il lui impose les mêmes contraintes tout au long de l’année. Toutefois, si le B de l’article 4 de cet arrêté dispose que les obligations des propriétaires en dehors de la période d’enneigement sont les mêmes qu’en période d’enneigement, le A de ce même article, relatif à la période d’enneigement ne contient que des interdictions ou obligations liées à la pratique du ski, sauf une seule obligation de portée générale tenant au respect de l’emprise par les propriétaires en limite d’assiette de la servitude. Le B de cet article 4 précise, en outre, que le propriétaire peut clore sa parcelle pour les nécessités de la pâture à la condition qu’il y ait une partie mobile d’une largeur minimale de 5 mètres pour le passage des engins. Ainsi, les dispositions contestées, qui se bornent à permettre l’institution de servitudes sur le domaine skiable, n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser une quelconque dépossession du terrain de l’intéressé, contrairement à ce que celui-ci fait valoir.

9. En sixième lieu, M. A… n’établit pas, par les pièces qu’il produit tant en première instance qu’en appel, que serait inexact sur le plan parcellaire annexé à l’arrêté en litige le tracé de la canalisation du canon à neige sur la parcelle cadastrée section B n° 2440.

10. En dernier lieu, le requérant soutient que l’arrêté contesté méconnaît le principe d’égalité devant les charges publiques, dès lors que d’autres propriétaires ont été invités à conclure, pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches, des conventions de servitude moins restrictives et pénalisantes que la servitude instaurée par l’arrêté attaqué et dont les conditions d’indemnisation sont plus favorables, alors qu’il n’a pas été destinataire d’une proposition de convention de même nature et contenu. Toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général du droit ne prévoit l’obligation de proposer aux propriétaires concernés la signature de conventions instituant une servitude de piste de ski avant d’édicter cette servitude par acte unilatéral. En outre, M. A… n’établit pas que les conventions de servitude pour l’aménagement du domaine skiable des Carroz d’Arâches, conclues par d’autres propriétaires que l’appelant, seraient moins restrictives et pénalisantes que la servitude instaurée par l’arrêté contesté et comporteraient des conditions d’indemnisation plus favorables. Par suite, le moyen susmentionné doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune d’Arâches-la-Frasse à la requête de M. A…, que ce dernier n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. A… une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune d’Arâches-la-Frasse et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A… est rejetée.

Article 2 : M. A… versera à la commune d’Arâches-la-Frasse une somme de 1 500 (mille cinq cent) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… A…, au ministre de l’économie et des finances et à la commune d’Arâches-la-Frasse.