Servitude montagne (Allos)/ Légalité/ Proportionnalité

CAA de MARSEILLE – 5ème chambre

  • N° 21MA04519
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du mercredi 03 mai 2023

Président

Mme VINCENT

Rapporteur

  1. Sylvain MERENNE

Rapporteur public

  1. PECCHIOLI

Avocat(s)

BOURREL

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B… C… a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler l’arrêté du 5 juillet 2019 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 au lieu-dit les Guinands, à Allos.

Par un jugement n° 1907732 du 30 septembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 25 novembre 2021, 4 juillet et 6 septembre 2022, M. C…, représenté par Me Bourrel, demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement du 30 septembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d’ordonner une expertise portant sur la distance entre l’entraxe du téléporté des Guinands 2 et son habitation ;

3°) d’annuler l’arrêté du 5 juillet 2019 du préfet des Alpes-de-Haute-Provence en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 au lieu-dit les Guinands ;

4°) de mettre la somme de 3 000 euros à la charge de l’État en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés tant en première instance et en appel.

Il soutient que :
– le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal administratif a écarté un moyen comme inopérant sans en informer préalablement les parties conformément à l’article R. 611-7 du code de justice administrative ;
– l’article L. 342-20 du code de tourisme ne permet pas de régulariser les installations existantes ;
– il méconnaît le code de l’expropriation ;
– une étude technique portant sur la probabilité de glissements de terrain aurait dû être réalisée ;
– la remontée mécanique ne respecte pas les conditions posées par le plan de prévention des risques naturels prévisibles ;
– elle ne respecte pas non plus les valeurs limites relatives aux bruits de voisinage ;
– les nuisances sonores de l’installation méconnaissent le règlement 2016/424 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, l’article L. 342-8 du code tourisme, et les articles L. 572-3 et L. 572-6 du code de l’environnement ;
– le plan joint à l’arrêté contesté ne représente pas fidèlement le tracé de la télécabine actuelle, et méconnaît ainsi l’article L. 342-22 du code de tourisme ;
– la surface survolée n’est pas de 208 mètres carrés, mais de 270 mètres carrés ;
– l’interdiction de clôturer la parcelle est injustifiée.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 8 juin et 25 août 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont pas fondés.

Par des observations en défense, enregistrées le 18 mai 2022, le syndicat mixte du Val d’Allos, représenté par Me Fages, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. C… ;

2°) de mettre à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C… ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l’article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Vu :
– le code du tourisme ;
– le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :
– le rapport de M. A…,
– les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
– et les observations de Me Bourrel, représentant M. C…, et de Me Seisson, substituant Me Fages, avocat du syndicat mixte du Val d’Allos.

Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 5 juillet 2019, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a institué plusieurs servitudes en application des articles L. 342-20 et L. 342-26-1 du code de tourisme en vue de l’exploitation des stations de ski du Seignus et de la Foux d’Allos sur le territoire de la commune d’Allos.

2. M. C… fait appel du jugement du 30 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de cet arrêté en tant qu’il institue une servitude de survol sur la parcelle cadastrée section E235 dont il est propriétaire au lieu-dit les Guinands.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. En écartant l’un des moyens de M. C… comme inopérant, le tribunal administratif de Marseille s’est borné à exercer son office en répondant aux moyens invoqués devant lui, sans relever lui-même un moyen dont il aurait été tenu d’informer les parties sur le fondement de l’article R. 611-7 du code de justice administrative.

Sur le bien-fondé du jugement :
4. Le premier alinéa de l’article L. 342-20 du code du tourisme prévoit que :  » Les propriétés privées ou faisant partie du domaine privé d’une collectivité publique peuvent être grevées, au profit de la commune, du groupement de communes, du département ou du syndicat mixte concerné, d’une servitude destinée à assurer le passage, l’aménagement et l’équipement des pistes de ski alpin et des sites nordiques destinés à accueillir des loisirs de neige non motorisés organisés, le survol des terrains où doivent être implantées des remontées mécaniques, l’implantation des supports de lignes dont l’emprise au sol est inférieure à quatre mètres carrés, le passage des pistes de montée, les accès nécessaires à l’implantation, l’entretien et la protection des pistes et des installations de remontée mécanique.  »

5. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. C…, les dispositions de l’article L. 342-20 du code de tourisme citées au point 4 n’excluent pas la régularisation d’une infrastructure existante. En outre, la servitude de survol destinée à régulariser une infrastructure existante n’est pas illégale du fait de l’irrégularité de cette dernière, à laquelle elle vise à remédier.

6. En deuxième lieu, M. C… invoque à plusieurs reprises le code de l’expropriation sans indiquer les dispositions auxquelles il se réfère ni les raisons pour lesquelles il estime qu’elles ont été méconnues. Ce moyen n’est pas assorti de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé.

7. En troisième lieu, la parcelle voisine cadastrée E233 supporte un des pylônes de la télécabine, dont il est constant qu’il a été édifié en 1986. La légalité de cette construction, au demeurant antérieure à l’adoption du plan de prévention des risques naturels de la commune d’Allos en 1998, est étrangère au litige dont M. C… a saisi le tribunal administratif, qui porte uniquement sur la légalité de la servitude de survol grevant la parcelle cadastrée E235.

8. En quatrième lieu, les nuisances de toutes natures susceptibles d’être générées par le projet sont susceptibles d’être prises en compte pour apprécier son utilité publique. En revanche, les servitudes édictées sur le fondement de l’article L. 342-20 du code du tourisme ne portent pas sur le respect des normes relatives aux émissions de bruit, qui relèvent d’une législation distincte et indépendante. Le moyen de légalité tiré de la méconnaissance de cette législation est donc inopérant et doit être écarté.

9. En cinquième lieu, M. C… fait valoir que la distance entre son chalet et la localisation réelle de l’entraxe de la télécabine est de 6,40 mètres alors qu’elle serait de 8 mètres sur le plan à l’échelle 1/2000e joint à l’arrêté contesté. La différence sur ce plan représenterait 0,8 millimètre. Cette distance a été mesurée par l’huissier mandaté par M. C… à partir de la limite de la terrasse du chalet, alors que le plan cadastral représente ses murs pignons. A supposer même que la distance par rapport à une installation antérieure ait une incidence sur la légalité de la servitude, il n’en ressort en tout état de cause aucune erreur.

10. En sixième lieu, dans l’état parcellaire n° 26 joint à l’arrêté contesté, le préfet a prévu une servitude de survol de 18 mètres de large pour une longueur de 15 mètres, ainsi qu’une surface survolée de 208 mètres carrés pour la parcelle E235. M. C… fait valoir que cette surface survolée aurait dû correspondre au produit entre la longueur et la largeur de la servitude, soit 270 mètres carrés. Toutefois, la surface de la servitude ainsi instituée par l’arrêté ne couvre pas uniquement la parcelle E235 compte tenu des divisions cadastrales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la détermination d’une surface survolée de 208 mètres carrés pour la parcelle E235 soit erronée.

11. En septième lieu, M. C… fait valoir que la télécabine est installée dans une zone rouge du plan de prévention des risques naturels de la commune d’Allos du fait d’un risque de glissement de terrain. Toutefois, ce plan prévoit une exception à l’interdiction d’occupation et d’utilisation des sols pour l’aménagement et l’entretien des remontées mécaniques et des installations liées à la pratique du ski. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la télécabine en question, qui a fonctionné pendant près de quarante ans sans subir d’incident rapporté par les parties, soit à l’origine de risques particuliers pour la sécurité des usagers et les riverains. Par ailleurs, le fonctionnement de la télécabine provoque, selon l’étude acoustique produite par le requérant, des émergences sonores de 13,8 dB(A) en extérieur et de 17,2 dB(A) à l’intérieur fenêtres fermées. La fréquence du passage des cabines varie entre 10 et 30 minutes selon l’affluence. Il est constant que le chalet de M. C… n’est occupé que pendant les vacances scolaires. Si ce dernier soutient que le bruit provoquerait de graves troubles de santé pour lui-même et sa famille, il ne l’établit pas. La télécabine des Guinands, qui permet, en deux tronçons, de relier le village d’Allos au bas des pistes de la station de ski de Seignus, joue un rôle essentiel dans le développement touristique et économique de la station. Il suit de là que les inconvénients de toute nature présentés par le projet ne sont pas excessifs par rapport aux avantages qu’il comporte.
12. En dernier lieu, contrairement à ce que soutient M. C…, l’arrêté du préfet des Alpes-de-Haute-Provence ne comporte pas d’interdiction de clôturer pour la servitude de survol le concernant. L’article 4 de cet arrêté prévoit la possibilité pour le bénéficiaire de la servitude, en dehors de la saison d’hiver, d’accéder aux terrains de servitudes pour effectuer des travaux d’entretien, de modification ou d’adaptation des remontées mécaniques ou pistes. M. C… fait valoir que la configuration du terrain ne permet pas d’accéder au pylône situé sur la parcelle E233 depuis la parcelle E235. Les interventions effectives du bénéficiaire sur la parcelle E235 sont donc susceptibles d’être peu fréquentes, ce qui minore les inconvénients résultant de cette obligation pour M. C…. Dans le cas exceptionnel où les opérations de maintenance le requerraient, il incombera à M. C… de permettre l’accès à la parcelle au bénéficiaire et à ses préposés, que celle-ci soit clôturée ou non. Une telle obligation, qui trouve son fondement légal à l’article L. 342-22 du code de tourisme, est destinée à permettre des travaux garantissant la sécurité des ouvrages et la continuité de leur fonctionnement. Compte tenu de sa faible fréquence attendue, selon les déclarations de M. C… lui-même, elle n’est pas disproportionnée.

13. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’ordonner une expertise, que M. C… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. C… le versement de la somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Val d’Allos au titre des frais qu’il a exposés et non compris dans les dépens.

15. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées par M. C… sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C… est rejetée.

Article 2 : M. C… versera la somme de 1 500 euros au syndicat mixte du Val d’Allos en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B… C…, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au syndicat mixte du Val d’Allos.