Route de montagne/Entretien/ Police municipale/ Responsabilité administrative (fondement)

CAA de LYON

N° 16LY01297   
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre – formation à 3
M. d’HERVE, président
Mme Genevieve GONDOUIN, rapporteur
M. DURSAPT, rapporteur public
SCP DEYGAS-PERRACHON & ASSOCIES, avocat

lecture du jeudi 5 octobre 2017

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

 

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L’association Jeunesse et Loisirs a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune d’Arâches-la-Frasse à lui verser la somme de 244 783 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 4 août 2011, date de réception de sa demande préalable, avec capitalisation des intérêts.

Par le jugement n° 1201578 du 12 mai 2015, le tribunal administratif de Grenoble a ordonné une expertise et réservé jusqu’à la fin de l’instance tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n’est pas statué.

Par le jugement n° 1201578 du 9 février 2016, le tribunal administratif a rejeté la requête de l’association Jeunesse et Loisirs et mis à sa charge les frais d’expertise liquidés et taxés à la somme de 4 594,61 euros.

Procédure devant la cour

Par une requête et deux mémoires enregistrés respectivement les 8 avril et 30 août 2016, et le 5 avril 2017, l’association Jeunesse et Loisirs représentée par Me A… demande à la cour :

1°) d’annuler ces jugements du tribunal administratif de Grenoble des 12 mai 2015 et 9 février 2016 ;
2°) de condamner la commune d’Arâches-la-Frasse à lui verser les sommes de 90 000 euros au titre de son préjudice financier et de 50 000 euros au titre du préjudice subi dans ses conditions d’exploitation, soit la somme globale de 140 000 euros à parfaire, outre les intérêts de droit à compter de la demande préalable du 27 juin 2011 dont il a été accusé réception le 4 août 2011 ;

3°) de condamner la commune d’Arâches-la-Frasse à lui verser la somme correspondant aux frais de l’expertise taxés et liquidés à 4 594,61 euros au titre de l’article R. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de la commune d’Arâches-la-Frasse la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’association soutient que :
– c’est à tort que le tribunal administratif a jugé que la commune n’avait pas été défaillante dans l’entretien de la route du Pontet qui dessert son centre de loisirs ; les travaux réalisés par la commune sont de trop faible ampleur par rapport à ce qui est nécessaire à l’usage normal de la voie ;
– l’arrêté du 28 juin 2005 interdisant de façon permanente aux véhicules de plus de 10 tonnes l’accès à la route à partir du km 300 est illégal en ce que la mesure d’interdiction est disproportionnée ; la commune aurait pu limiter l’interdiction aux seuls véhicules de plus de 15 tonnes ;
– le jugement avant-dire droit rendu le 12 mai 2015 a retenu que cette situation lui avait causé un préjudice revêtant un caractère spécial ; elle a, en effet, été la seule à devoir s’adapter aux interdictions édictées ;
– son préjudice est caractérisé, puisqu’elle a dû s’organiser pour acheminer les groupes ;
– elle a informé la commune, bien avant le 27 juin 2011, de l’existence d’un préjudice causé par l’arrêté litigieux du 28 juin 2005 ; ce n’est qu’à l’issue de nombreux échanges infructueux et de coûts supportés, qu’elle a engagé une action en réparation.

Par deux mémoires en défense enregistrés le 26 juillet et le 7 novembre 2016, la commune d’Arâches-la-Frasse représentée par Me B…, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de l’association Jeunesse et Loisirs ;

2°) de mettre à la charge de l’association requérante la somme de 4 000 euros à lui verser en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir que :
– l’obligation d’entretien de la voirie ne correspond en aucun cas à la rénovation intégrale d’une route ; des travaux de plusieurs milliers d’euros ont été effectués sur la route du Pontet jusqu’en 2015 ; l’association requérante ne peut discuter des choix budgétaires de la commune, surtout lorsque ses demandes sont injustifiées ;
– un défaut d’entretien normal ne peut engager la responsabilité de la commune que s’il existe un lien direct entre l’ouvrage et le dommage ; l’association requérante ne peut rechercher sa responsabilité pour le dommage subi en fondant celle-ci sur le défaut d’entretien normal de l’ouvrage puisqu’il n’y a qu’un lien de causalité indirect entre l’ouvrage et le dommage ;

– si le refus d’exécuter des travaux sur une voie communale peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, le présent contentieux porte sur la responsabilité de la commune du fait d’une carence supposée dans l’entretien de la voie ; en l’espèce, le maire pouvait prendre une mesure de police pour limiter les risques liés à l’état de la voie, sans que puisse lui être reprochée l’absence de travaux permettant la levée de cette mesure ;
– c’est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l’arrêté municipal du 28 juin 2005, qui répond aux exigences de la sécurité publique, n’était ni disproportionné, ni injustifié ; en particulier les seuls véhicules de plus de 10 tonnes empruntant la voie sont ceux qui transportent des enfants, leur sécurité doit être assurée ;
– le préjudice subi par l’association requérante n’est ni grave, ni anormal ;
– d’ailleurs l’association n’établit pas sérieusement le préjudice qu’elle allègue ;
– si la cour décidait toutefois de retenir certaines des sommes demandées par l’association requérante, il conviendrait de faire application de la prescription quadriennale ; le recours a été introduit devant le tribunal administratif le 16 mars 2012, sont donc prescrits l’ensemble des frais allégués générés jusqu’au 31 décembre 2007.

La commune a également produit deux mémoires qui ont été enregistrés le 18 juillet et le 8 septembre 2017 et n’ont pas été communiqués.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
– le code de la voirie routière ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Gondouin,
– les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
– et les observations de Me A… représentant l’association Jeunesse et Loisirs et de Me B… représentant la commune d’Arâches-la-Frasse ;

1. Considérant que, par un arrêté du 28 juin 2005, le maire d’Arâches-la-Frasse a interdit de façon permanente aux véhicules de plus de 10 tonnes de circuler sur la route du Pontet, à compter du point kilométrique 300 ; que cette interdiction ne s’applique ni aux véhicules transportant des denrées alimentaires, du carburant, du gaz, du sel de déneigement, ni aux véhicules assurant une mission de service public ; que l’association Jeunesse et Loisirs qui exploite toute l’année le centre  » Les Chamois « , où elle accueille des groupes d’enfants et des stages de formation à l’encadrement, a été affectée par cet arrêté en ce qu’il interdit aux cars de circuler sur la portion de la route menant au centre ; qu’après avoir, en vain, demandé réparation à la commune d’Arâches-la-Frasse pour le préjudice subi, elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble ; que, par un jugement du 12 mai 2015, le tribunal administratif a rejeté les conclusions de l’association tendant à ce que soit retenue la responsabilité pour faute de la commune, a jugé, sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, que l’interdiction de circulation aux véhicules de plus de 10 tonnes avait causé à l’association un préjudice spécial et ordonné une mesure d’expertise pour déterminer la gravité de celui-ci ; qu’après le dépôt du rapport d’expertise le 27 novembre 2015, le tribunal administratif a rejeté la demande de l’association requérante par un jugement du 9 février 2016 ; que l’association Jeunesse et Loisirs relève appel de ces deux jugements ;
Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune :

2. Considérant, en premier lieu, que l’obligation d’entretien des voies communales imposée aux communes par le 20° de l’article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales et l’article L. 141-8 du code de la voirie routière ne s’étend pas aux travaux d’amélioration et d’élargissement de ces voies ;
3. Considérant que l’association requérante soutient que la route du Pontet qui dessert le centre  » Les Chamois « , lui appartenant et ouvert à l’année, est soumise à des problèmes de drainage et d’évacuation des eaux de ruissellement et qu’elle n’est pas entretenue correctement, ce qui la rend difficilement praticable par endroits, voire dangereuse ; qu’il résulte de l’instruction que cette voie communale située à plus de 1 000 mètres d’altitude, d’une longueur de 2,6 kilomètres et très sinueuse, a fait l’objet au moins depuis 1989 de plusieurs arrêtés municipaux limitant la circulation des véhicules les plus lourds, notamment en raison des risques d’instabilité de la voie ; que la commune d’Arâches-la-Frasse justifie de la réalisation de travaux sur cette route, avant comme après l’arrêté litigieux du 28 juin 2005, pour plusieurs centaines de milliers d’euros ; que les dégradations relevées par l’association requérante, qui n’engage pas la responsabilité de la commune du fait d’un accident dû au défaut d’entretien normal de la route du Pontet, ne sont pas suffisantes pour établir en l’espèce que la commune a manqué à son obligation d’entretien de cette voie ; que, dès lors, l’association Jeunesse et Loisirs n’est pas fondée à demander réparation pour la faute que la commune d’Arâches-la-Frasse aurait commise du fait de sa carence dans l’entretien de la voie communale du Pontet ;
4. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (…)  » ; que l’article R. 141-3 du code de la voirie routière prévoit que :  » Le maire peut interdire d’une manière temporaire ou permanente l’usage de tout ou partie du réseau des voies communales aux catégories de véhicules dont les caractéristiques sont incompatibles avec la constitution de ces voies, et notamment avec la résistance et la largeur de la chaussée ou des ouvrages d’art  » ;
5. Considérant qu’à la suite du rapport du bureau d’études géologiques Géo Arve concluant  » qu’il est souhaitable de limiter l’accès de la route du Pontet aux véhicules de moins de 15 tonnes  » (2002), le maire de la commune d’Arâches-la-Frasse a pris le 25 février 2003 un arrêté interdisant sur la route du Pontet menant au centre  » Les Chamois « , et lors des périodes de dégel, la circulation des véhicules, dont les autobus, d’un poids total autorisé en charge de plus de 10 tonnes ; qu’il n’est pas contesté que l’étude de stabilité de la route du Pontet réalisée par le bureau Géo Arve et les études postérieures ont confirmé une instabilité potentielle générale de la route au regard du contexte géologique et géotechnique, notamment en cas de fortes pluies ou de dégel prolongé sur la dernière partie de la route communale menant jusqu’au centre des Chamois ; que, par l’arrêté contesté du 28 juin 2005, le maire a interdit la circulation à partir du point kilométrique 300 durant toute l’année des véhicules d’un tonnage supérieur à 10 tonnes ; que l’étude réalisée en 2015 par le bureau Géolithe préconise le maintien de l’interdiction pour les véhicules de plus de 10 tonnes, compte tenu du risque de glissement et d’effondrement du bord de chaussée ; que, comme l’ont relevé à bon droit les premiers juges, une telle restriction de circulation sur une route de montagne afin de garantir la préservation de l’ouvrage et la sécurité des usagers n’apparaît pas disproportionnée ; que la circonstance que des véhicules de plus de 10 tonnes, en particulier des engins de chantier, aient pu emprunter la route du Pontet ou que d’autres voies équivalentes à celle du Pontet ne soient pas frappées de telles interdictions de circulation reste sans incidence sur la légalité de l’arrêté litigieux ; que, par suite, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté du 28 juin 2005 est entaché d’une illégalité fautive de nature à lui ouvrir droit à indemnité ;
En ce qui concerne la responsabilité de la commune sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques :
6. Considérant que les mesures légalement prises, dans l’intérêt général, par les autorités de police peuvent ouvrir droit à réparation sur le fondement du principe de l’égalité devant les charges publiques au profit des personnes qui, du fait de leur application, subissent un préjudice anormal, grave et spécial ;

7. Considérant que, comme l’ont relevé à bon droit les premiers juges, l’arrêté du maire de la commune d’Arâches-la-Frasse du 28 juin 2005 qui a interdit durant toute l’année la circulation aux véhicules de plus de 10 tonnes sur la route du Pontet, à partir du point kilométrique 300, qui constitue la seule voie de desserte de l’ensemble immobilier appartenant à l’association Jeunesse et Loisirs, a causé à cette dernière un préjudice spécial ; que, pour contester le jugement qui a retenu que son préjudice ne revêtait pas un caractère anormal, l’association requérante soutient essentiellement que c’est à tort que l’expert puis le tribunal administratif, n’ont pas retenu, dans l’évaluation de son préjudice, une quote-part du salaire du directeur qui a fait fonction de conducteur dès l’année 2005 ; que, toutefois, l’association Jeunesse et Loisirs n’a justifié d’aucune charge supplémentaire de personnel pour la conduite du bus jusqu’en 2007, ni d’ailleurs pour toute autre tâche que le directeur n’aurait pu accomplir du fait de la contrainte d’assurer lui-même des trajets du bus ; que ce n’est qu’à compter du 1er janvier 2008 qu’un conducteur à temps partiel a été embauché, ce dont l’expert et le tribunal ont tenu compte ; que si l’association évoque des problèmes de réorganisation du fait de l’arrêté litigieux, elle n’établit pas que l’expert et le tribunal n’auraient pas pris en compte ces différents aspects pour l’évaluation de son préjudice ; que, par suite, elle n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le jugement attaqué du 9 février 2016 a rejeté sa demande au motif que le préjudice subi, évalué à un montant annuel de 705 euros, ne revêtait pas un caractère anormal, excédant une charge de fonctionnement lui incombant normalement ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de prescription quadriennale opposée par la commune, que l’association Jeunesse et Loisirs n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions présentées au titre des articles R. 761-1 et L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative :  » Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’Etat./ Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties./ L’Etat peut être condamné aux dépens  » ; que l’association Jeunesse et Loisirs étant en l’espèce partie perdante, ses conclusions tendant à ce que la commune d’Arâches-la-Frasse soit condamnée à lui verser la somme des frais de l’expertise taxés et liquidés à 4 594,61 euros au titre de ces dispositions du code de justice administrative doivent être rejetées ;
10. Considérant, en second lieu, que la commune n’étant pas partie perdante, les conclusions présentées par l’association Jeunesse et Loisirs sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’association requérante une somme à verser à la commune d’Arâches-la-Frasse au titre de ces dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de l’association Jeunesse et Loisirs est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association Jeunesse et Loisirs et à la commune d’Arâches-la-Frasse.
Délibéré après l’audience du 14 septembre 2017 où siégeaient :
M. d’Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 octobre 2017.
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N° 16LY01297