Mieussy/ UTN du plateau du Sommand/ Légalité

CAA de LYON

N° 13LY02045
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre – formation à 3
M. RIQUIN, président
M. Jean-Pascal CHENEVEY, rapporteur
M. VALLECCHIA, rapporteur public
AZOUAGH, avocat

lecture du jeudi 18 juin 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler l’arrêté du 14 octobre 2009 par lequel le préfet de la région Provence – Alpes – Côte d’azur a autorisé la commune de Mieussy à créer une unité touristique nouvelle sur le plateau de Sommand.

Par un jugement n° 1001253 du 30 mai 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 juillet 2013 et 17 décembre 2014, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 30 mai 2013 ;

2°) d’annuler cet arrêté du 14 octobre 2009 ;

3°) de condamner l’Etat et la commune de Mieussy à lui verser chacun une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– son président a été régulièrement habilité par l’assemblée générale à agir en justice, aussi bien en première instance qu’en appel ;

– contrairement à ce qu’impose l’article R. 145-6 du code de l’urbanisme, le dossier ne procède pas à une analyse suffisante du milieu naturel, des caractéristiques du projet, de ses effets sur l’environnement et de son insertion ;

– le projet autorisé par l’arrêté litigieux méconnaît les dispositions du IV de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme, dès lors qu’il porte atteinte aux grands équilibres naturels du plateau de Sommand et ne respecte pas la qualité des sites ;

– le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation en autorisant le projet, compte tenu de l’insuffisance de l’approvisionnement en eau.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 novembre 2014 et 20 janvier 2015, la commune de Mieussy conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie à lui verser une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

– le président de l’association n’a pas été régulièrement habilité à agir en justice par l’assemblée générale, en première instance mais aussi en appel, la requête d’appel étant en outre irrecevable en raison de l’irrecevabilité de la demande devant le tribunal ;

– les moyens invoqués par Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2015, le ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu’en l’absence de tout élément nouveau, il s’en remet aux écritures produites en première instance par le préfet de la région Provence – Alpes – Côte d’azur, ainsi qu’aux écritures en défense de la commune de Mieussy, auxquelles il souscrit.

Par une ordonnance du 22 janvier 2015, la clôture de l’instruction a été fixée au
5 mars 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’urbanisme ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Chenevey,
– les conclusions de M. Vallecchia, rapporteur public,
– les observations de MeB…, représentant Me Azouagh, avocat de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie, et de MeA…, représentant le Cabinet Philippe Petit et associés, avocat de la commune de Mieussy ;

1. Considérant que, par un jugement du 30 mai 2013, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie tendant à l’annulation de l’arrêté du 14 octobre 2009, par lequel le préfet de la région Provence – Alpes – Côte d’azur a autorisé la commune de Mieussy à créer une unité touristique nouvelle sur le plateau de Sommand, en vue de la création de 1 170 lits touristiques, pour une surface hors oeuvre nette de 15 100 m², outre 2 400 m² de surface hors oeuvre nette pour des commerces et des équipements de loisirs ; que cette fédération relève appel de ce jugement ;

2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 145-9 code de l’urbanisme :  » Est considérée comme unité touristique nouvelle toute opération de développement touristique, en zone de montagne, ayant pour objet ou pour effet, en une ou plusieurs tranches : / 1° (…) de construire des surfaces destinées à l’hébergement touristique ou de créer un équipement touristique comprenant des surfaces de plancher ; / (…)  » ;
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 145-6 du code de l’urbanisme :  » La demande est accompagnée d’un dossier comportant un rapport et des documents graphiques précisant : / 1° L’état des milieux naturels, des paysages, du site et de son environnement, comprenant le cas échéant l’historique de l’enneigement local, l’état du bâti, des infrastructures et des équipements touristiques existants avec leurs conditions de fréquentation, ainsi que les principales caractéristiques de l’économie locale ; / 2° Les caractéristiques principales du projet et, notamment, de la demande à satisfaire, des modes d’exploitation et de promotion des hébergements et des équipements, ainsi que, lorsque le projet porte sur la création ou l’extension de remontées mécaniques, les caractéristiques du domaine skiable, faisant apparaître les pistes nouvelles susceptibles d’être créées ; / 3° Les risques naturels auxquels le projet peut être exposé ainsi que les mesures nécessaires pour les prévenir ; / 4° Les effets prévisibles du projet sur le trafic et la circulation locale, l’économie agricole, les peuplements forestiers, les terres agricoles, pastorales et forestières, les milieux naturels, les paysages et l’environnement, notamment la ressource en eau et la qualité des eaux, ainsi que les mesures de suppression, compensation et réhabilitation à prévoir, et l’estimation de leur coût ; / 5° Les conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet.  » ;

4. Considérant que le dossier de création de l’unité touristique nouvelle en litige comporte en particulier une description des milieux naturels, du site et de son environnement, et notamment de la tourbière de Sommand, qui fait l’objet d’un arrêté préfectoral de protection de biotope, et du site Natura 2000 du Roc d’Enfer, dont fait partie cette tourbière, analyse les incidences prévisibles du projet sur ces milieux et le site et expose les mesures de réduction et de compensation prévues ; que si la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie fait néanmoins valoir que le dossier ne comporte aucune cartographie des habitats communautaires et aucune esquisse des réseaux écologiques et que l’analyse des modalités de fonctionnement écologiques et des objectifs de conservation est insuffisante, de même que l’évaluation globale de l’évolution des habitats et espèces communautaires du site sans intervention particulière, elle n’indique pas quel manquement précis le dossier comporterait sur ces différents points, qui serait susceptible d’avoir eu pour effet de nuire à l’information complète du public ou de nature à avoir exercé une influence sur la décision de l’autorité administrative ; que si la fédération requérante fait également valoir que le torrent de Sommand est seulement cité dans le dossier, ce dernier fait apparaître que le versant du plateau de Sommand est en réalité sillonné par un ensemble de torrents et cette fédération n’apporte aucun élément pour expliquer en quoi il aurait été nécessaire d’apporter plus de précisions sur ces derniers ; que, contrairement à ce que soutient enfin la requérante, le dossier comporte des développements sur la question du renforcement du dispositif de production de neige artificielle ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l’article R. 145-6 du code de l’urbanisme doit être écarté ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce que soutient la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie, la commune de Mieussy s’est engagée, à titre de mesure compensatoire, à déplacer la gare existante de départ du téléski des Platières, qui est située dans le périmètre défini par l’arrêté précité de protection de biotope ; qu’en outre, cette mesure constitue, aux termes de l’article 2 de l’arrêté litigieux, une condition préalable de l’autorisation ;
6. Considérant, en troisième lieu, que la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie ne peut utilement faire valoir qu’il n’est pas démontré que le projet entraînera une meilleure répartition des skieurs entre les parties nord et sud de la station de Praz de Lys – Sommand et une meilleure fluidité de la pratique du ski, dès lors en effet que l’unité touristique nouvelle litigieuse n’a pour objet que la seule construction de nouveaux logements, commerces et équipements de loisirs, à l’exclusion de la restructuration du domaine skiable, qui n’est exposée dans le dossier qu’à titre informatif ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu’aux termes du IV de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme :  » Le développement touristique et, en particulier, la création d’une unité touristique nouvelle doivent prendre en compte les communautés d’intérêt des collectivités locales concernées et contribuer à l’équilibre des activités économiques et de loisirs, (…). / Leur localisation, leur conception et leur réalisation doivent respecter la qualité des sites et les grands équilibres naturels.  » ;
8. Considérant, d’une part, que, comme indiqué précédemment, l’autorisation en litige ne concernant pas la question des remontées mécaniques, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie ne peut utilement se prévaloir des incidences que la réalisation du télésiège de Vélard aurait sur les galliformes de montagne, et notamment le tétras lyre ; que si elle soutient également que l’urbanisation pavillonnaire projetée entraînera des pertes d’habitats, permanentes et définitives, elle n’apporte toutefois à l’appui de cet argument aucune précision particulière susceptible de permettre d’établir que le projet entraînerait des pertes d’habitats d’une importance excessive pour les galliformes de montagne ; que des mesures de compensation sont prévues pour cet ordre d’oiseaux, consistant en particulier à protéger les zones d’hivernage par des obstacles physiques pendant l’exploitation du domaine skiable, à interdire la pratique du VTT dans les zones sensibles, à installer des systèmes de visualisation des câbles sur les remontées mécaniques et à financer des actions destinées à compenser les pertes d’habitats favorables aux galliformes, ce qui permettra en particulier de poursuivre les actions de maintien des milieux ouverts déjà engagées ; que l’insuffisance alléguée de ces mesures n’est en rien démontrée ;
9. Considérant, d’autre part, que la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie soutient que les pertes des réseaux de canalisations, de l’ordre d’au moins 10 %, entraîneront une eutrophisation et diverses pollutions de la tourbière de Sommand ; que cette affirmation ne s’appuie toutefois sur aucun élément précis de démonstration, alors en outre que l’arrêté litigieux impose d’assurer la descente des eaux usées du plateau de Sommand par un collecteur étanche ; que, de même, l’affirmation selon laquelle les fondations des immeubles projetés pourraient entraîner une perturbation de la circulation des eaux souterraines, et donc modifier le fonctionnement de cette tourbière, est dénuée de tout élément de justification ; que des systèmes de récupération et de traitement des eaux de ruissellement sont prévus, dont le caractère insuffisant n’est pas établi ; qu’enfin, le dossier de la demande prévoit, avant tous travaux, afin de garantir le bon état de conservation de la tourbière de Sommand, de réaliser une étude hydrogéologique, pour définir les fonctionnements hydriques et, par suite, les dispositifs de suppression des impacts ; que, si la requérante fait valoir qu’en l’absence d’esquisse du fonctionnement hydrologique de cette tourbière et de connaissance des impacts potentiels, et donc des mesures à prendre, il existe une incertitude sur la faisabilité technique et financière de l’opération, l’arrêté litigieux conditionne l’autorisation délivrée à la réalisation préalable de ladite étude et à la mise en oeuvre effective de ses préconisations, qui devra faire l’objet d’un contrôle permanent du comité de suivi prévu par l’article 4 de l’autorisation en cause ;
10. Considérant, enfin, que le projet litigieux prévoit la connexion du réseau d’eau potable du plateau de Sommand avec celui de Matringes-Déchamp, en vue d’apporter un appoint à la ressource actuelle, qui serait à elle-seule insuffisante ; que l’arrêté contesté conditionne l’autorisation à la réalisation préalable de ce renforcement ; qu’en se bornant à se référer à un tableau estimatif figurant dans l’expertise hydrogéologique annexée au dossier de la demande, qui ne fait apparaître aucun déséquilibre manifeste entre les besoins futurs et les apports envisagés, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie n’établit pas que, comme elle le soutient, les besoins en eau qui résulteront du projet excéderont les ressources disponibles ;
11. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en délivrant l’autorisation litigieuse, le préfet de la région Provence – Alpes – Côte d’azur n’a pas méconnu l’obligation, imposée par l’article L. 145-3 IV précité du code de l’urbanisme, de respecter la qualité des sites et les grands équilibres naturels ;

12. Considérant, en cinquième et dernier lieu, que la zone dans laquelle se situe le projet litigieux est couverte par un plan de prévention des risques naturels ; que, dans ce plan, ce projet fait l’objet d’un classement en zone de risque moyen d’effondrement karstique ; que, dans cette zone, le règlement dudit plan soumet les constructions à des mesures de précaution particulières, et notamment à la réalisation d’une étude géotechnique et hydrogéologique préalable ; qu’en se bornant à se référer à une étude réalisée le 19 juillet 2013 sur sa demande, qui ne comporte aucun élément susceptible de permettre d’établir que ces mesures seraient insuffisantes, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie ne démontre pas que la nature géologique du sol compromettrait la réalisation du projet ;

13. Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ;

14. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l’Etat et la commune de Mieussy, qui ne sont pas, dans la présente instance, parties perdantes, soient condamnés à payer à la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie la somme qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette association le versement d’une somme de 1 500 euros au bénéfice de cette commune sur le fondement de ces mêmes dispositions ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie est rejetée.
Article 2 : La Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie versera à la commune de Mieussy une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature de Haute-Savoie, au ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, et à la commune de Mieussy.
Copie en sera transmise au préfet de la région Provence – Alpes – Côte d’azur.
Délibéré après l’audience du 28 avril 2015, à laquelle siégeaient :
M. Riquin, président,
M. Picard, président assesseur,
M. Chenevey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 juin 2015.