Légalité de la réglementation préfectorale du canyoning dans le Verdon

Cour Administrative d’Appel de Marseille

N° 13MA01222
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre – formation à 3
Mme PAIX, président
Mme Evelyne PAIX, rapporteur
M. DELIANCOURT, rapporteur public
COHEN-SEAT, avocat

lecture du mardi 3 mars 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Texte intégral
Vu la requête, enregistrée le 22 mars 2013, présentée pour l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon, dont le siège est hameau pont d’Aiguines BP n° 1 Les Salles sur Verdon à Aups (83630) représentée par son président en exercice, par Le Cohen-Seat ;

L’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0908178 en date du 4 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de rejet résultant du silence gardé par le préfet des Alpes-de- Haute-Provence sur sa demande du 11 septembre 2009 tendant à l’abrogation de l’arrêté préfectoral n° 96-1399 du 3 juillet 1996 en tant qu’il porte réglementation de la descente, du 1er mai au 30 novembre, de canyons du Verdon (Angouire, Notre-Dame, Riou, Venascle, Baou, Jabron) sur les communes de Moustiers Sainte Marie, La Palud sur Verdon, Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, la même demande tendant à ce qu’il soit fait injonction au préfet des Alpes-de-Haute-Provence d’abroger l’arrêté préfectoral litigieux en tant qu’il porte réglementation de la descente, du 1er mai au 30 novembre, de canyons du Verdon (Angouire, Notre-Dame, Riou, Venascle, Baou, Jabron) sur les communes de Moustiers Sainte Marie, La Palud sur Verdon, Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence et à ce qu’il soit fait injonction au préfet des Alpes-de-Haute-Provence de prendre toutes les mesures réglementaires nécessaires à la préservation des milieux naturels, de la faune et de la flore protégées et de la biodiversité exceptionnelle de ces milieux en interdisant, au titre du principe de précaution, toutes descentes dans les canyons du Verdon ;

2°) subsidiairement d’annuler le même jugement en tant qu’il a mis à sa charge une amende de 2 000 euros sur le fondement de l’article 741-12 du code de justice administrative ;

3°) d’annuler les décisions litigieuses ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;
……………………………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la directive n° 79/409/CEE du 2 avril 1979 ;

Vu la directive n° 92/43/CEE du conseil du 21 mai 1992 ;

Vu la directive n° 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau ;

Vu le code de l’environnement ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 février 2015 ;

– le rapport de Mme Paix, président ;
– les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;
– et les observations de M. Ferrato président de l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ;

1. Considérant que l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon interjette régulièrement appel du jugement en date du 4 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision de rejet résultant du silence gardé par le préfet des Alpes-de- Haute-Provence sur sa demande, en date du 11 septembre 2009, tendant à l’abrogation de l’arrêté préfectoral n° 96-1399 du 3 juillet 1996 en tant qu’il porte réglementation de la descente, du 1er mai au 30 novembre, de certains canyons du Verdon (Angouire, Notre-Dame, Riou, Venascle, Baou, Jabron) sur les communes de Moustiers Sainte Marie, La Palud sur Verdon, Castellane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, la même demande tendant à ce qu’il soit fait injonction au préfet des Alpes-de-Haute-Provence d’abroger l’arrêté préfectoral litigieux ;
Sur les conclusions aux fins d’annulation ;

2. Considérant, que par l’arrêté n° 96-1399, du 3 juillet 1996, abrogeant un précédent arrêté préfectoral du 21 juin 1994, le préfet du département des Alpes de Haute-Provence a règlementé la descente de canyons dans les Alpes de Haute-Provence, afin, compte tenu du développement de cette pratique, de préserver la sécurité des usagers, ainsi que la flore et la faune, et d’assurer la cohabitation entre les différents usagers ; que cet arrêté a été précédé de la consultation de 18 communes concernées par le projet, et de la constitution d’un groupe de travail réunissant à la fois les services de l’Etat, des associations de protection de la nature et des associations sportives ; que l’article 2 de l’arrêté interdit la descente de 18 canyons ; que s’agissant de 11 autres canyons, dont font partie ceux sur lesquels porte la contestation de l’association appelante, l’arrêté règlemente le nombre de personnes admis quotidiennement, les horaires d’accès, et les parcours accessibles ou interdits ; que par ailleurs l’article 3 de l’arrêté litigieux prévoit des horaires de fréquentation ; que l’article 4 de l’arrêté contient certaines prescriptions relatives à la sécurité des usagers, et d’autres prescriptions relatives à l’environnement, et prévoit notamment que, chaque fois qu’il existe une autre possibilité de descente et sauf dans le parcours de transition entre deux zones de rappel, la progression dans le lit du torrent est interdite ;

3. Considérant, en premier lieu, qu’ainsi que l’a relevé le tribunal administratif de Marseille la seule circonstance que l’arrêté du 3 juillet 1996 ne comporte pas certains visas, du décret du 26 avril 1990 portant classement parmi les sites des départements du Var et des Alpes-de-Haute-Provence, sur les communes d’Aiguines (Var), Rougon, Castellane, La Palud-sur-Verdon et Moustiers-Sainte-Marie (Alpes-de-Haute-Provence), de l’ensemble formé par les gorges du Verdon, ni celui de la loi du 3 janvier 1986 sur l’aménagement et la protection du littoral, ni celui de la loi du 9 janvier 1985 sur l’aménagement et la protection de la montagne, est sans incidence sur la légalité dudit arrêté ;

4. Considérant en deuxième lieu, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 2, que l’arrêté du 3 juillet 1996, établi à la suite d’une large concertation avec les acteurs locaux, comporte de nombreuses mesures relatives à la réglementation de l’usage du canyoning dans l’ensemble des gorges du Verdon ; qu’eu égard au nécessaire équilibre à préserver entre les impératifs de sécurité publique, de préservation de la flore et de la faune, et de possibilité d’exercer les sports de pleine nature, l’association requérante n’établit pas que cet arrêté serait entaché d’erreur d’appréciation ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu’aux termes de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable en l’espèce :  » I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits : 1° La destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ; 3° La destruction, l’altération ou la dégradation du milieu particulier à ces espèces animales ou végétales ; 4° La destruction des sites contenant des fossiles permettant d’étudier l’histoire du monde vivant ainsi que les premières activités humaines et la destruction ou l’enlèvement des fossiles présents sur ces sites.  » ;qu’aux termes de l’article L. 414-1 du code de l’environnement :  » V. – Les sites Natura 2000 font l’objet de mesures destinées à conserver ou à rétablir dans un état favorable à leur maintien à long terme les habitats naturels et les populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation (…) Elles ne conduisent pas à interdire les activités humaines dès lors qu’elles n’ont pas d’effets significatifs par rapport aux objectifs mentionnés à l’alinéa ci-dessus. (…) IV. – Les sites désignés comme zones spéciales de conservation et zones de protection spéciale par décision de l’autorité administrative concourent, sous l’appellation commune de « sites Natura 2000″, à la formation du réseau écologique européen Natura 2000  » ; que l’article L. 414-4 du même code prévoit que :  » I. – Lorsqu’ils sont susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, individuellement ou en raison de leurs effets cumulés, doivent faire l’objet d’une évaluation de leurs incidences au regard des objectifs de conservation du site, dénommée ci-après  » Evaluation des incidences Natura 2000  » : …2° Les programmes ou projets d’activités, de travaux, d’aménagements, d’ouvrages ou d’installations ; 3° Les manifestations et interventions dans le milieu naturel ou le paysage. … VI. – L’autorité chargée d’autoriser, d’approuver ou de recevoir la déclaration s’oppose à tout document de planification, programme, projet, manifestation ou intervention si l’évaluation des incidences requise en application des III et IV n’a pas été réalisée, si elle se révèle insuffisante ou s’il en résulte que leur réalisation porterait atteinte aux objectifs de conservation d’un site Natura 2000….  » ;
6. Considérant que l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon soutient que des changements de circonstances de droit, intervenus postérieurement à l’édiction de l’arrêté du 3 juillet 1996 et constitués par la création d’une zone Natura 2000, promulguée le 3 mars 2006, par la création du site d’intérêt communautaire  » Grand Canyon du Verdon-Plateau de la Palud  » au titre de la directive Habitat 92/43 CEE du 21 mai 1992, et par la création du parc Naturel Régional du Verdon, par décret n° 97-187 du 3 mars 1997, imposaient au préfet des Alpes de Haute-Provence d’abroger l’arrêté litigieux ; que toutefois, pas davantage en appel que devant les premiers juges, l’association requérante ne produit d’éléments justifiant que l’intervention de ces textes aurait entraîné l’illégalité de l’arrêté du 3 juillet 1996 ; que le classement en site  » natura 2000  » n’impose pas par lui-même, ainsi que le précise la lettre de l’article L 414-1 du code de l’environnement, l’interdiction des activités humaines ; que les extraits du rapport du directeur de la maison régionale de l’eau à Barjols ne suffisent pas à établir que l’arrêté attaqué méconnaitrait le nécessaire équilibre entre la préservation des différents intérêts dont il a été fait état ; que l’association ne précise pas davantage en quoi les intérêts écologiques à protéger dans les canyons d’Angouire, Notre-Dame, Riou, Venascle, Baou, et Jabron seraient menacés ; que l’association se fonde sur un rapport du ministre de l’Ecologie et du développement durable de Mai 1995, mais celui-ci antérieur à l’arrêté du 3 juillet 1996, avait nécessairement été pris en considération lors de l’élaboration de l’arrêté du 3 juillet 1996 ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que si l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon soutient que la fréquentation de ces sites serait de 63 000 personnes, un tel chiffre, contesté, par le préfet des Alpes de haute Provence en première instance, ne saurait, en tout état de cause, être invoqué que sur le plan du non respect de la réglementation édictée par l’arrêté litigieux, et non sur sa légalité ;

8. Considérant, en cinquième lieu, que pour les mêmes raisons qu’exposé aux points précédents l’association n’établit pas en quoi le principe de précaution consacré à l’article 5 de la Charte de l’environnement, aurait été méconnu ;

9. Considérant en sixième lieu, que l’association requérante soutient que le document d’objectifs des sites Natura 2000 FR9301616  » Grand canyon du Verdon et plateau de la Palud « , la directive Habitat 92/43 CEE du 21 mai 1992, et n° FR 9312022  » Verdon  » soulignent l’intérêt ornithologique des canyons ; que toutefois ces circonstances ne suffisent pas à défaut d’établir qu’il aurait été porté atteinte au site, que l’arrêté serait devenu illégal ;

Sur l’application des dispositions de l’article R. 741-12 du code de justice administrative :

10. Considérant qu’aux termes de l’article R. 741-12 du code de justice administrative :  » Le juge peut infliger à l’auteur d’une requête qu’il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3000 euros  » ; que la possibilité d’infliger à l’auteur d’une requête une amende pour recours abusif constitue un pouvoir propre du juge ;

11. Considérant qu’au cas d’espèce, la demande introduite auprès du tribunal administratif de Marseille par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ne présentait pas un caractère abusif au sens des dispositions précitées ; que, par suite, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille l’a condamnée à payer une amende de 2 000 euros ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

12 Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.  » ; qu’il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées à ce titre par l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon ;

D É C I D E :

Article 1er : L’article 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association interdépartementale et intercommunale pour la protection du lac de Sainte Croix, de son environnement, des lacs, sites et villages du Verdon et au ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.