CAA Marseille, 14 sept. 2018, E. c./ Cne de Saint-Léger-de-Peyre : n° 17MA01609)
M. A… E…a demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner la commune de Saint-Léger-de-Peyre (Lozère) à lui verser la somme de 45 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice résultant de la remise en cause de l’autorisation dont il bénéficiait pour organiser des activités d’escalade sur des terrains appartenant à la commune.
Par un jugement n° 1501659 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 avril 2017, le 15 juin 2017, le 22 août 2017, le 27 septembre 2017 et le 3 mai 2018, M. E…, représenté par Me B…, demande à la Cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 28 février 2017 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Léger-de-Peyre à lui verser la somme de 45 000 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation de son préjudice ;
3°) d’ordonner, si nécessaire, une mesure d’expertise afin de procéder à la description et au chiffrage des travaux qu’il a réalisés ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Léger-de-Peyre la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
5°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Léger-de-Peyre le versement à son avocat d’une somme de 2 500 euros au titre des articles 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– il justifie de sa qualité et de son intérêt à agir ;
– il a présenté une demande préalable d’indemnisation ;
– les parcelles en litige appartiennent au domaine public communal ;
– il était titulaire d’une convention d’occupation du domaine public sur les parcelles en litige ;
– la commune ne justifie d’aucun motif d’intérêt général pour procéder à la résiliation de cette convention ;
– celle-ci était illégale faute de comporter un terme ;
– il justifie des compétences techniques nécessaires pour assurer la conformité du site aux normes ;
– à défaut de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle de la commune, il est fondé à demander à être indemnisé sur le terrain de l’enrichissement sans cause ;
– son préjudice doit être calculé en fonction du montant des dépenses qu’il a exposées pour la réalisation des installations autorisées par la commune ainsi que du manque à gagner résultant de l’annulation de réservations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2017, la commune de Saint-Léger-de-Peyre, représentée par Me D…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de M. E… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la demande de première instance est irrecevable en tant qu’elle émane d’une personne physique et non de la personne morale ayant bénéficié de l’autorisation en litige ;
– les moyens soulevés par M. E… ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de ce que le litige qui oppose M. E… à la commune de Saint-Léger-de-Peyre, qui tend à la recherche de la responsabilité extra contractuelle de cette dernière encourue à l’occasion de la gestion de son domaine privé, relève de la compétence de la juridiction de l’ordre judiciaire.
Par ordonnance du 3 mai 2018, la clôture d’instruction a été fixée au 25 mai 2018.
Un mémoire présenté pour M. E… en réponse au moyen relevé d’office a été enregistré le 14 juin 2018.
M. E… a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Guidal,
– et les conclusions de M. Chanon, rapporteur public.
1. Considérant que la commune de Saint-Léger-de-Peyre est propriétaire de parcelles cadastrées D 471 et D 1153 au lieu dit » les gorges de l’enfer » ; que par une première délibération du 18 février 2007, le conseil municipal a autorisé M. E…, qui exploite à titre individuel une entreprise commerciale sous la dénomination » le club nautique du Gévaudan « , à organiser une activité d’escalade sur ces parcelles et à équiper le site en vue de l’exercice de cette activité ; que, par une seconde délibération du 25 janvier 2015, le conseil municipal de Saint-Léger-de-Peyre a chargé le comité départemental de la fédération française des clubs alpins et de montagnes d’élaborer un projet de convention et de règlement d’utilisation de ce site ; que si cette délibération mentionnait que son ouverture au public ne remettait pas en cause l’accès du Club nautique du Gévaudan, M. E… a estimé qu’il ne pouvait plus, à compter de cette date, y exercer de fait son activité ; que M. E… a alors saisi la commune de Saint-Léger-de-Peyre d’une demande tendant à la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi en raison des frais engagés pour l’aménagement du site et l’annulation de différentes prestations qu’il y avait organisées ; que la commune a laissé cette demande sans réponse ; que M. E… relève appel du jugement du 28 février 2017 par laquelle le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande d’indemnisation ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : » Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique (…) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public » ;
3. Considérant que si de 2007 à 2015 les parcelles en litige étaient accessibles au public et non seulement aux clients de M. E…, et notamment si des randonneurs et des pêcheurs pouvaient de manière occasionnelle les traverser, il ne résulte pas de l’instruction que la commune avait décidé d’affecter ces parcelles à l’usage direct du public ; qu’elles n’ont pas davantage été affectées à un service public ni fait l’objet d’un quelconque aménagement à cette fin ; qu’elles n’entraient pas, dès lors, dans les prévisions de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques ; que, de même, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’elles auraient constitué un accessoire indissociable d’un bien appartenant au domaine public de la commune, au sens des dispositions de l’article L. 2111-2 du code ; qu’il suit de là que les parcelles en cause ne constituaient pas des dépendances du domaine public de la commune mais des dépendances de son domaine privé ;
4. Considérant que la délibération du 18 février 2007 du conseil municipal de Saint-Léger-de-Peyre qui autorise à titre purement gracieux M. E… à pratiquer l’activité d’escalade sur ces parcelles de son domaine privé, sous sa responsabilité, a le caractère d’une autorisation unilatérale ; qu’ainsi, à supposer que le conseil municipal ait entendu par sa délibération du 25 janvier 2015 mettre fin à l’autorisation délivrée précédemment à M. E…, il n’a ce faisant nullement rompu un contrat, qui ne pouvait au demeurant être regardé comme un contrat d’occupation du domaine public compte tenu de ce qui a été dit au point 3 ; qu’en remettant en cause les conditions d’utilisation des parcelles en litige par M. E…, la commune de Saint-Léger-de-Peyre s’est seulement bornée à accomplir un acte de gestion de son domaine privé sans en affecter ni le périmètre ni la consistance ; que, dès lors, le litige qui oppose M. E… à la commune, qui tend à la recherche de la responsabilité extra contractuelle de cette dernière encourue à l’occasion de la gestion de son domaine privé, relève de la compétence de la juridiction de l’ordre judiciaire ;
5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler le jugement en date du 28 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Nîmes s’est reconnu compétent pour connaître de la demande du requérant et, statuant par voie d’évocation, de rejeter cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Sur les frais liés au litige :
6. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Léger-de-Peyre, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions de cette dernière présentées au titre des mêmes dispositions ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 28 février 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E… devant le tribunal administratif de Nîmes est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Saint-Léger-de-Peyre et de M. E… présentées en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A… E…et à la commune de Saint-Léger-de-Peyre.
Copie en sera adressé au préfet de Lozère.
Délibéré après l’audience du 31 août 2018 où siégeaient :
– M. Pocheron, président,
– M. Guidal, président-assesseur,
– Mme C…, première conseillère.
Lu en audience publique, le 14 septembre 2018.
2
N° 17MA01609
ia
Analyse
Abstrats : 17-03-02-02-01-02 Compétence. Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel. Domaine. Domaine privé. Autorisation d’occupation.
24-02-03-02-03 Domaine. Domaine privé. Contentieux. Compétence de la juridiction judiciaire. Contentieux de la responsabilité.