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Forêts de protection/ Décret du 6 avril 2018/ Illégalité partielle

Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 18/12/2020, 424290, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État – 5ème – 6ème chambres réunies

  • N° 424290
  • ECLI:FR:CECHR:2020:424290.20201218
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 18 décembre 2020

Rapporteur

Mme Louise Cadin

Rapporteur public

Mme Cécile Barrois de Sarigny

Avocat(s)

SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 septembre 2018, 17 décembre 2019 et 14 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Forestiers du monde demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le décret n° 2018-254 du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l’article L. 141-1 du code forestier, ainsi que les décisions rejetant leurs recours gracieux dirigés contre ce décret ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code forestier ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme B… A…, auditrice,

– les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de l’association forestiers du Monde.

Considérant ce qui suit :

1. L’article L. 141-1 du code forestier, relatif aux forêts de protection, dispose que :  » Peuvent être classés comme forêts de protection, pour cause d’utilité publique, après enquête publique réalisée conformément aux dispositions du chapitre III du titre II du livre Ier du code de l’environnement : / 1° Les bois et forêts dont la conservation est reconnue nécessaire au maintien des terres sur les montagnes et sur les pentes, à la défense contre les avalanches, les érosions et les envahissements des eaux et des sables ; / 2° Les bois et forêts situés à la périphérie des grandes agglomérations ; / 3° Les bois et forêts situés dans les zones où leur maintien s’impose soit pour des raisons écologiques, soit pour le bien-être de la population « . L’article L. 141-2 du même code dispose que :  » Le classement comme forêt de protection interdit tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements « . Aux termes de l’article L. 141-3 :  » Dès la notification au propriétaire de l’intention de classer une forêt en forêt de protection, aucune modification ne peut être apportée à l’état des lieux, aucune coupe ne peut être effectuée ni aucun droit d’usage créé pendant quinze mois à compter de la date de notification, sauf autorisation de l’autorité administrative compétente de l’Etat « . Enfin, l’article L. 141-4 dispose que :  » Les forêts de protection sont soumises à un régime spécial, déterminé par décret en Conseil d’Etat, en ce qui concerne notamment (…) les fouilles et extractions de matériaux (…) « . Pour l’application de ces dernières dispositions, l’article R. 141-14 du même code dispose que :  » Aucun défrichement, aucune fouille, aucune extraction de matériaux, aucune emprise d’infrastructure publique ou privée, aucun exhaussement du sol ou dépôt ne peuvent être réalisés dans une forêt de protection. / Par exception, le propriétaire peut procéder à des travaux qui ont pour but de créer les équipements indispensables à la mise en valeur et à la protection de la forêt (…) « .

2. L’association Forestiers du monde demande l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 6 avril 2018 relatif au régime spécial applicable dans les forêts de protection prévu à l’article L. 141-4 du code forestier, qui modifie la partie réglementaire du code forestier relative à ce régime spécial pour autoriser dans les forêts de protection, sous réserve du respect des conditions qu’il définit, d’une part, la réalisation de fouilles et de sondages archéologiques et, d’autre part, la recherche et l’exploitation souterraine de gisements d’intérêt national de gypse.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, aucun texte ni aucun principe n’imposaient la consultation préalable de l’Office national des forêts. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que d’autres organismes auraient dû être consultés n’est pas assorti des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l’article L. 141-2 du code forestier citées au point 1 que le législateur n’a pas entendu interdire tout changement d’affectation ou tout mode d’occupation du sol dans les forêts de protection, mais seulement ceux qui sont de nature à compromettre la conservation ou la protection des boisements. En outre, il résulte des termes de l’article L. 141-4 du code forestier, cités au point 1, que les fouilles et extractions de matériaux peuvent être autorisées dans le cadre d’un régime spécial déterminé par décret en Conseil d’Etat.

5. Par suite, en prévoyant, d’une part, par l’introduction au code forestier des articles R. 141-38-1 à R.141-38-4 pour les fouilles et les sondages archéologiques et, d’autre part, par l’introduction au même code des articles R. 141-38-5 à R.141-38-9 pour la recherche ou l’exploitation souterraine de gisements d’intérêt national de gypse, que de telles activités peuvent être autorisées par le préfet dans le périmètre d’une forêt de protection sous réserve, ainsi que le précisent respectivement les articles R.141-38-1 et R.141-38-5, qu’elles ne compromettent pas les exigences, fixées à l’article L. 141-2 du même code, de conservation et de protection des boisements et qu’elles ne  » modifient pas fondamentalement la destination forestière des terrains « , le décret attaqué ne méconnaît pas, contrairement à ce que soutient l’association requérante, l’article L. 141-2 du code forestier.

6. En deuxième lieu, le septième alinéa du II l’article R. 141-38-5 du code forestier, introduit par le décret attaqué et relatif à la recherche ou à l’exploitation souterraine des gisements d’intérêt national de gypse dispose que :  » Pour les équipements, constructions, aménagements et infrastructures indispensables à l’exploitation souterraine et à la sécurité de celle-ci, l’emprise correspondante ne peut pas dépasser six hectares de la surface de la forêt protégée (…) « .

7. L’autorisation ne pouvant être délivrée par le préfet que si les équipements, constructions, aménagements et infrastructures indispensables à l’exploitation souterraine et à la sécurité mentionnés ci-dessus respectent, outre cette limitation de surface, l’ensemble des autres conditions légales, notamment, conformément au 1° et 2° du II du même article, les exigences de conservation et de protection des boisements ainsi que celles de conservation de l’écosystème forestier et de stabilité des sols, la fixation d’une surface maximale de six hectares n’est pas, contrairement à ce que soutient l’association requérante, entachée d’erreur manifeste d’appréciation.

8. En troisième lieu, le décret attaqué insère au code de l’environnement un article R. 181-33-1 qui dispose, pour l’exploitation souterraine d’une carrière de gypse située dans une forêt de protection, que la décision prise par le préfet sur la demande d’autorisation environnementale est soumise à un avis conforme du ministre chargé des forêts, dont le silence gardé pendant deux mois vaut avis favorable.

9. Ces dispositions ayant pour seul effet de créer une procédure d’avis conforme du ministre chargé des forêts, l’association requérante n’est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu’elles méconnaissent le principe de non-régression posé par les dispositions de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, la circonstance qu’elles prévoient un avis favorable en cas de silence gardé par le ministre chargé des forêts étant, à cet égard, sans incidence.

10. En quatrième lieu, si le premier alinéa de l’article R. 141-38-4 du code forestier, introduit par le décret attaqué, prévoit que les opérations de fouilles et de sondages archéologiques qui ont été autorisées dans une forêt avant son classement comme forêt de protection peuvent être poursuivies sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’autorisation préfectorale prévue par le nouvel article R.141-38-1, il impose néanmoins que ces opérations fassent l’objet d’une information du préfet de région et d’une appréciation, par le préfet compétent, du risque d’atteinte à la conservation et à la protection des boisements ainsi qu’à la conservation des écosystèmes forestiers et à la stabilité des sols dans le périmètre de protection. En cas de risque d’atteinte à ces intérêts, le deuxième alinéa du même article R.141-38-4 prévoit que le préfet peut imposer les prescriptions qu’il estime nécessaires pour limiter les incidences des travaux. Par suite, en dispensant les opérations de fouilles et de sondages archéologiques engagées préalablement à l’entrée en vigueur du classement en forêt de protection de l’autorisation requise en principe pour de tels travaux, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l’article L.141-2 du code forestier. Il ne porte pas non plus, sur ce point, atteinte au droit de propriété des propriétaires de parcelles classées comme forêt de protection et n’instaure aucune situation qui serait, à l’égard de ces propriétaires, contraire au principe d’égalité, alors même qu’en vertu de l’article L.141-3 du code cité ci-dessus, s’applique à ces derniers l’interdiction de toute modification de l’état des lieux dès que leur est notifiée une intention de classement.

11. Toutefois, ce même deuxième alinéa du nouvel article R. 141-38-4 du code forestier prévoit que les prescriptions que le préfet peut ainsi imposer à une opération de fouille ou de sondage autorisée avant le classement, lorsque ces prescriptions se révèlent nécessaires compte tenu de l’incidence de l’opération sur la stabilité des sols, la végétation forestière ou les écosystèmes forestiers, doivent être  » proportionnées afin de ne pas compromettre l’opération « . En imposant ainsi une exigence de proportionnalité au regard des seuls besoins de l’opération de fouille ou de sondage, le décret attaqué méconnaît la nécessité de veiller aussi à ne pas compromettre la conservation ou la protection des boisements qui résulte des dispositions citées ci-dessus de l’article L. 141-2 du code forestier.

12. Par suite, l’association requérante est fondée à demander l’annulation des dispositions de la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article R. 141-38-4 du code forestier, introduit par le décret attaqué, qui sont divisibles des autres dispositions.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l’association Forestiers du monde n’est fondée à demander l’annulation du décret attaqué et des décisions du 18 juillet 2018 par lesquelles le Premier ministre et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont rejeté ses recours gracieux que dans la mesure précisée au point 12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros à verser à l’association requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–
Article 1er : Le décret du 6 avril 2018 est annulé en tant qu’il introduit au code forestier un article R. 141-38-4 dont le deuxième alinéa comporte la phrase :  » Ces prescriptions sont proportionnées afin de ne pas compromettre l’opération « .

Article 2 : Les décisions du 18 juillet 2018 par lesquelles le Premier ministre et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ont implicitement refusé de retirer le même décret sont annulées dans la mesure dite à l’article 1er.

Article 3 : L’Etat versera à l’association Les Forestiers du monde une somme de 1 000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’association Forestiers du monde, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et au Premier ministre.

Interdiction de skier à l’étranger/ Référé liberté/ Rejet

Conseil d’État, , 17/12/2020, 447431, Inédit au recueil Lebon

Conseil d’État –

  • N° 447431
  • ECLI:FR:CEORD:2020:447431.20201217
  • Inédit au recueil Lebon

Lecture du jeudi 17 décembre 2020

Avocat(s)

SCP SPINOSI, SUREAU

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Ligue des droits de l’homme demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du Premier ministre révélée par ses propos tenus publiquement le 2 décembre 2020 tendant à interdire aux français de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger pour pratiquer le ski et, corrélativement, à faire automatiquement subir à ceux qui le feraient une mesure de  » quarantaine de sept jours  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre d’indiquer publiquement, sous vingt-quatre heures et par un moyen de communication à large diffusion, que l’interdiction de se rendre dans les stations de sport d’hiver à l’étranger est rapportée et n’a plus lieu d’être ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la gravité et à l’immédiateté de l’atteinte portée aux libertés fondamentales et, en second lieu, au caractère lourd des sanctions qui peuvent s’appliquer en cas de non-respect de la décision contestée ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la libre circulation, au principe d’égalité et au droit au respect de la vie privée et familiale ;
– la décision contestée est entachée d’un détournement de pouvoir dès lors qu’elle poursuit un objectif purement économique en limitant la concurrence avec les autres Etats européens qui autorisent les activités de sport d’hiver ;
– elle est inadaptée et injustifiée dès lors, en premier lieu, qu’elle instaure une interdiction générale et absolue sans distinguer selon que les zones fréquentées sont marquées par une circulation active du virus, en deuxième lieu, que les contrôles aux frontières ne peuvent être effectifs et, en dernier lieu, que la mesure de quarantaine ne s’applique qu’aux personnes qui auraient prétendument pratiqué le ski à l’étranger et non à celle qui se seraient rendues à l’étranger pour d’autres motifs ;
– elle est disproportionnée dès lors que le non-respect de cette interdiction entraîne une mesure d’isolement de sept jours.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– le code de la santé publique ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « . En vertu de l’article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d’urgence n’est pas remplie ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

2. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et  » qu’il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. « .

3. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

4. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

5. Il résulte des données scientifiques publiées qu’à la date du 15 décembre 2020, 2 391 447 cas ont été confirmés positifs au virus covid-19, en augmentation de 11 532 dans les dernières vingt-quatre heures, le taux de positivité des tests se situe à 6,2% et 59 072 décès liés à l’épidémie sont à déplorer, en hausse de 314 personnes dans les dernières vingt-quatre heures. Le taux d’occupation des lits en réanimation par des patients atteints de la covid-19 demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 56,8% mettant sous tension l’ensemble du système de santé. Cette dernière donnée analysée au niveau des régions atteint, respectivement, 64,1%, 87,8% et 93,9%, pour les régions Grand Est, Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne-Franche-Comté.

Sur la demande en référé :

6. La Ligue des droits de l’homme soutient que la décision révélée par l’interview du Premier ministre méconnaît le principe de proportionnalité, qu’elle engendre une rupture d’égalité entre les personnes qui auraient pratiqué le ski à l’étranger et celles qui s’y seraient rendues pour d’autres motifs, et qu’elle est entachée d’un détournement de pouvoir.

7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 que dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée par un niveau élevé du nombre de contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne à titre d’exemple les régions françaises limitrophes de la Suisse, pays dans lequel le ski est au nombre des activités autorisées, et par la nécessité de mettre en oeuvre les mesures exigées pour éviter un rebond épidémique, la mesure révélée par l’interview du Premier ministre qui a pour objet d’éviter que la pratique du ski à l’étranger n’aboutisse à importer ce rebond épidémique, ne porte pas aux libertés invoquées une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs et pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir ne peut qu’être écarté d’autant qu’au surplus l’interview à l’origine du présent recours fait notamment mention de la volonté du Premier ministre de laisser une marge de manoeuvre aux préfets afin de tenir compte des situations locales et d’éviter une interdiction générale et absolue. Enfin, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision révélée n’entraîne aucune discrimination constitutive, eu égard à ses motifs ou aux effets qu’elles seraient susceptibles de produire, d’une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 du même code.

O R D O N N E :
——————
Article 1er : La requête de la Ligue des droits de l’Homme est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’Homme.

Covid/ Fermeture des remontées mécaniques/ Référé liberté (rejet)

Conseil d’État, Juge des référés, 11/12/2020, 447208, Inédit au recueil Lebon

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire additionnel et un mémoire en réponse, enregistrés les 4, 7 et 10 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution des dispositions du décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, et spécialement de l’article 1er du décret du 4 décembre 2020, en tant qu’il prévoit que  » les services mentionnés à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public  » ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre de modifier les dispositions en vigueur et de prendre, dans un délai de trois jours à compter de l’ordonnance à intervenir, les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, afin de permettre l’ouverture immédiate des remontées mécaniques dans le strict respect des protocoles sanitaires établis ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
– ils justifient d’un intérêt pour agir ;
– la condition d’urgence est satisfaite eu égard, en premier lieu, à la date du 15 décembre initialement annoncée comme la date de fin du confinement, en deuxième lieu, au démarrage de la saison hivernale pour les stations de ski à compter du 18 décembre prochain, en troisième lieu, aux préparations importantes qu’impose la réouverture éventuelle des pistes au 18 décembre et, en dernier lieu, à l’impact économique de la fermeture des remontées mécaniques dès lors que la période des vacances de Noël représente traditionnellement 15 % du volume de fréquentation annuel des domaines skiables de France et concerne près de 120 000 emplois ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité ;
– l’interdiction générale et absolue d’ouverture des remontées mécaniques n’est pas nécessaire et excède manifestement l’objectif de sauvegarde de la santé publique dès lors, en premier lieu, qu’il n’est pas établi que le protocole sanitaire mis en place n’est pas suffisant pour prévenir le risque de propagation du virus, ni même que les remontées mécaniques, qui sont en plein air, sont un lieu privilégié de contamination, en deuxième lieu, qu’elle ne saurait être justifiée par les tensions des services hospitaliers car 95 % des blessés en montagne au cours de la saison 2019-2020 ont été pris en charge par les médecins des stations, en troisième lieu, que le risque de transmission du virus dans les remontées mécaniques est limité par rapport à d’autres situations ou activités autorisées, et, en dernier lieu, qu’il n’est tenu compte, pour l’édiction d’une telle mesure, ni des circonstances de lieu, ni des situations particulières de chaque station, ni de la possibilité de mesures moins restrictives grâce à la mise en place de protocoles sanitaires ;
– la mesure contestée est disproportionnée eu égard, d’une part, au caractère essentiel pour le milieu montagnard des remontées mécaniques et, d’autre part, à ses conséquences sociales et économiques ;
– la mesure contestée consacre une discrimination injustifiée dès lors que seuls les mineurs licenciés au sein d’un club affilié à la Fédération française de ski peuvent utiliser le service public de transport par remontées mécaniques ;
– la mesure contestée est inefficace dès lors qu’elle n’est pas de nature à prévenir les mouvements de population ;
– la mesure contestée comporte des risques pour la sécurisation des domaines skiables ;
– les dérogations prévues par le décret ne sont pas compréhensibles ;
– les mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » prévues par le gouvernement ne sont pas suffisantes.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, la communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office du tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et reprennent les moyens de cette requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 7 décembre 2020, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne et le syndicat professionnel Union sport et cycle demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat Domaines skiables de France et autres. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s’associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 8 décembre 2020, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion et la société Teleski du Grand Valtin demandent au juge des référés du Conseil d’Etat de faire droit aux conclusions du syndicat domaines skiables de France et autres. Elles soutiennent que leur intervention est recevable et que la mesure contestée porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d’entreprendre, notamment en ce qu’elle ne prend pas en compte les spécificités du massif vosgien.

Par un mémoire en défense et des observations complémentaires, enregistrés les 8 et 9 décembre 2020, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées et fait valoir que le gouvernement envisage des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne « .

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n’a pas produit d’observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, le syndicat Domaines skiables de France et les autres requérants, les intervenants, et, d’autre part, le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 9 décembre 2020 à 15 heures :

– Me Valdelievre, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du syndicat Domaines skiables de France et des autres requérants ;

– les représentants du syndicat Domaines skiables de France ;

– le représentant de l’association des maires de stations de montagne ;

– Me Melka, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocate de la société La Bresse Labellemontagne et autres ;

– le représentant de la société La Bresse Labellemontagne ;

– les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a prolongé l’instruction jusqu’au 10 décembre à 10 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, et notamment son préambule ;
– le code de la santé publique ;
– le code du tourisme ;
– la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
– le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
– le décret n° 2020-1519 du 4 décembre 2020 ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1.Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .

2. La requête visée ci-dessus, présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, est dirigée, dans le dernier état des écritures et ainsi qu’il a été dit à l’audience publique, contre le décret du 4 décembre 2020 qui a modifié l’article 18 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire et qui prévoit, à la suite des déclarations du Premier ministre en date du 26 novembre 2020, que les remontées mécaniques mentionnées à l’article L. 342-7 du code du tourisme ne sont pas accessibles au public, sauf exceptions que le décret énumère.

Sur les interventions :

3. La communauté de commune de l’Oisans, la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, l’office de tourisme de Courchevel, l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes, l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes, d’une part, le département du Haut-Rhin, le syndicat mixte Haute-Garonne montagne, le syndicat professionnel Union sport et cycle, d’autre part, la société La Bresse Labellemontagne, la société Lac Blanc Tonique, la société Lispach Exploitation, le syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, la société la Schlucht Labellemontagne, la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, la régie municipale Gerardmer Ski, la société téléski du Solmont-Frentz, la société Larcenaire, la société MICLO, la société Tanet Passion, la société Teleski du Grand Valtin, enfin, justifient d’un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête. Leurs trois interventions sont donc recevables.

Sur l’office du juge des référés :

4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

Sur les circonstances et le cadre du litige :

5. Aux termes de l’article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 :  » L’état d’urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population « . L’article L. 3131-13 du même code précise que  » L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (…) / La prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi, après avis du comité de scientifiques prévu à l’article L. 3131-19 « . Aux termes de l’article L. 3131-15 du même code :  » Dans les circonscriptions territoriales où l’état d’urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes et des véhicules et réglementer l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ; (…) / 5° Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l’ouverture, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public « . Ce même article précise que les mesures prises en application de ses dispositions  » sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu  » et qu’  » il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.  »

6. L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou Covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre chargé de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Pour faire face à l’aggravation de l’épidémie, la loi du 23 mars 2020 a créé un régime d’état d’urgence sanitaire, défini aux articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du code de la santé publique, et a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020. La loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ces dispositions a prorogé cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020.

7. Une nouvelle progression de l’épidémie a conduit le Président de la République à prendre le 14 octobre dernier, sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, un décret déclarant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l’ensemble du territoire national. Le Premier ministre a pris, sur le fondement de l’article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire, modifié par le décret du 4 décembre 2020 contesté par la présente requête. Enfin, l’article 1er de la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire a prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2021 inclus.

8. Les requérants soutiennent que le décret qu’ils contestent porte à la liberté d’aller et venir, à la liberté d’entreprendre, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe d’égalité une atteinte grave et manifestement illégale. Cependant, si certaines discriminations peuvent constituer des atteintes à une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu’elles produisent sur l’exercice d’une telle liberté, la méconnaissance du principe d’égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature.

Sur la demande en référé :

9. Les requérants et intervenants font valoir que l’interdiction, sauf rares exceptions, de l’accès du public aux remontées mécaniques, qui a pour conséquence l’arrêt de l’activité du ski alpin sur l’ensemble du territoire national et qui emporte des conséquences économiques et sociales graves pour les stations de sport d’hiver et les collectivités locales concernées, n’est ni nécessaire, ni proportionnée. En effet, selon eux, si elle cible les remontées mécaniques, dont l’utilisation ne présente par elle-même aucune dangerosité avérée au regard du risque de contagion, qui plus est alors que des protocoles sanitaires stricts ont été élaborés, elle a en réalité pour objectif de limiter des déplacements de population qui auront lieu en toute hypothèse en raison de la réouverture de tous les commerces et des perspectives envisagées par le gouvernement d’autorisation sans limite des déplacements à l’occasion des fêtes de fin d’année. En outre, n’est pas documenté le risque de propagation de l’épidémie que ferait courir la fréquentation des stations de ski et d’autres moyens de transport, plus dangereux du point de vue des risques de contamination, restent en service. S’agissant de l’accroissement des flux de déplacements dans l’hypothèse d’une réouverture des remontées mécaniques, ils soutiennent que les comparaisons, quant à l’importance de ces flux, avec les années passées n’a pas de signification, puisqu’en tout état de cause la clientèle étrangère ferait largement défaut et que la clientèle nationale se situerait à des niveaux bien plus faibles. Par ailleurs, ils font valoir que des différenciations géographiques auraient dû être envisagées, notamment pour les régions où est pratiqué un ski à la journée sans hébergement et que la pression supplémentaire sur le système hospitalier que risquerait de provoquer le traitement des accidents de ski est marginale, 95 % de ces accidents étant traités au niveau des médecins des stations.

10. L’administration fait valoir, pour sa part, que l’interdiction contestée a pour objet d’éviter des flux supplémentaires de déplacements pendant la période des fêtes de fin d’année et de limiter les occasions de brassage de population à ce qui est indispensable à la vie de la Nation, que les protocoles sanitaires élaborés sont insuffisants à cet égard et que la pression sur le système de santé doit être mesurée en tenant compte de la médecine de ville. Elle indique qu’une différenciation dans la mise en oeuvre de la mesure contestée selon les régions serait source d’extrême complexité et risquerait en toute hypothèse de provoquer des reports de fréquentation vers les stations où les remontées mécaniques fonctionneraient. Elle relève que d’autres pays européens ont adopté le même type de mesure, et que certains pays envisagent de remettre en cause les dispositions plus souples qu’ils avaient adoptées dans un premier temps. Elle indique enfin que le gouvernement envisage de prendre à très brève échéance des mesures de  » soutien renforcé aux acteurs de la montagne  » pour limiter les effets économiques de la mesure contestée.

11. Il résulte de l’instruction que, dans le contexte actuel de la situation épidémique, marquée depuis quelques jours par un palier à un niveau élevé dans le nombre des nouvelles contaminations, par la persistance d’une forte pression sur le système de santé, qui concerne notamment nombre des régions où se pratique le ski alpin, et par la nécessité de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour éviter un rebond épidémique, la mesure contestée, dont les effets économiques sont certes très importants pour les zones concernées mais qui a pour objectif de limiter les contaminations supplémentaires occasionnées par des flux importants de déplacements, ne porte pas aux libertés invoquées, malgré son caractère indifférencié selon les régions, une atteinte grave et manifestement illégale. Par ailleurs, et contrairement à ce qui est soutenu par les requérants, il n’apparaît ni que les exceptions à l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques seraient difficilement compréhensibles, de sorte qu’il en résulterait une atteinte de la nature de celles que mentionne l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ni qu’elles entraîneraient des discriminations de la nature de celles mentionnées au point 8. Enfin, si les requérants font valoir que l’interdiction d’utilisation des remontées mécaniques risque d’entraîner des difficultés quant à la sécurisation des domaines skiables, le décret contesté prévoit expressément une dérogation à cette interdiction pour  » les professionnels dans l’exercice de leur activité « .

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, que les conclusions à fin de suspension de l’exécution des dispositions contestées, ainsi que les conclusions à fin d’injonction et les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

O R D O N N E :
——————

Article 1er : L’intervention de la communauté de commune de l’Oisans, de la commune d’Huez, la commune des Deux-Alpes, de l’office de tourisme de Courchevel, de l’association des maires et des présidents de communautés des Hautes-Alpes et de l’agence départementale de développement économique, agricole et touristique des Hautes-Alpes est admise.
Article 2 : L’intervention du département du Haut-Rhin, du syndicat mixte Haute-Garonne montagne et du syndicat professionnel Union sport et cycle est admise.
Article 3 : L’intervention de la société La Bresse Labellemontagne, de la société Lac Blanc Tonique, de la société Lispach Exploitation, du syndicat mixte Marstein et Grand Ballon, de la société des remontées mécaniques (SOREMEC) Le champ du feu, de la société la Schlucht Labellemontagne, de la régie municipale des téléskis de Dolleren-Le-Schlumpf, de la régie municipale Gerardmer Ski, de la société téléski du Solmont-Frentz, de la société Larcenaire, de la société MICLO, de la société Tanet Passion et de la société Teleski du Grand Valtin est admise.
Article 4 : La requête présentée par le syndicat Domaines skiables de France, l’association nationale des maires des stations de montagne, le syndicat national des moniteurs du ski français, le syndicat national des guides de montagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes, le département de la Savoie, le département de la Haute-Savoie, le département de l’Isère, le département du Cantal, le département de l’Ain, le département de la Loire, le département de la Haute-Loire, la région Provence-Alpes-Côte-D’azur, le département des Alpes de Haute-Provence, le département des Hautes-Alpes, le département des Alpes-Maritimes, la région Occitanie, le département des Hautes Pyrénées, le département des Pyrénées-Orientales, le département de l’Ariège, le département de la Haute-Garonne, la région Grand Est, le département des Vosges et la région Bourgogne-Franche-Comté est rejetée.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat Domaines skiables de France, premier requérant dénommé, à la communauté de commune de l’Oisans, au département du Haut-Rhin et à la société La Bresse Labellemontagne, premiers dénommés dans chacune des trois interventions, ainsi qu’au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre.

ECLI:FR:CEORD:2020:447208.20201211

« Equitation législative » et sports de nature

Conseil constitutionnel, décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020

Loi d’accélération et de simplification de l’action publique

 

  1. L’article 103 exonère de leur responsabilité civile les propriétaires et gestionnaires de sites naturels pour les dommages causés dans le cadre de la pratique des sports de nature […] Introduites en première lecture, ces dispositions, qui traitent du régime de responsabilité applicable dans le cadre de la pratique sportive, ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, de l’article 37 du projet de loi initial (« cavalier législatif » – Non conformité)

Construction de remontées mécaniques/ Atteinte au droit d’accès automobile des riverains/ Référé liberté

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. B… A… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine skiable d’interrompre les travaux en cours et de rétablir la viabilité de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard hors intempéries, dans le délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance. Par une ordonnance n° 2006269 du 28 octobre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. A… demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler l’article 1er de cette ordonnance ;

2°) d’enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine Skiable de désencombrer sans délai le chemin de l’Arête et de le remettre en état afin de rétablir son affectation à la circulation au moins provisoirement, le temps que la commune réalise le dévoiement de cette voie publique conformément aux dispositions indiquées au sein du dossier de demande d’autorisation d’exécution des travaux déposé le 25 octobre 2018 par cette société, et ce, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d’un délai d’un mois (hors intempéries) à partir de la notification de l’ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Samoëns et de la société SA Grand Massif Domaine Skiable la somme de 2 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
– la requête est recevable ;
– la condition d’urgence est remplie dès lors que, en premier lieu, le requérant est privé de tout accès à sa résidence en véhicule automobile, en deuxième lieu, les services publics d’incendie et de secours sont dans l’incapacité d’intervenir sur sa propriété ;
– il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, et notamment à la liberté des riverains d’accéder à la voie publique dès lors que l’installation de la gare de télécabine a conduit à la destruction de la chaussée empêchant tout véhicule d’accéder à sa propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2020, la commune de Samoëns conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. A… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 et 19 novembre 2020, la société SA Grand Massif Domaines Skiables conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. A… la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la condition d’urgence n’est pas satisfaite et qu’il n’est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, M. A…, et d’autre part, la commune de Samoëns et la société SA Grand Massif Domaines Skiables ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 20 novembre 2020, à 10 heures :

– Me Robillot, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A… ;
– M. A… ;

– Me Pinet, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Samoëns ;

– le maire de Samoëns ;

– le représentant de la société SA Grand Massif Domaines Skiables ;
à l’issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l’instruction au 23 novembre 2020 à minuit puis au 24 novembre 2020 à minuit.

Par deux nouveaux mémoires, présentés les 20 et 23 novembre 2020, M. A… maintient ses conclusions et ses moyens. Il demande en outre, à titre subsidiaire, qu’il soit enjoint à la commune de Samoëns de :
– solliciter l’accord des propriétaires des parcelles E 3635, E 944 et E 940 en vue d’une vente ainsi qu’un droit de passage pour la réalisation des travaux d’accès carrossable au chemin de l’Arête par tout véhicule de tourisme dans un délai de 3 jours à compter de la notification de l’ordonnance et faire connaître au juge des référés la réponse apportée dans les 24 heures, chacun de ces délais étant assorti d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ;
– en cas d’accord des propriétaires, réaliser les travaux dans le délai de trois jours et produire un constat de fin de travaux dans les 24 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais, puis acquérir les parcelles dans le délai de deux mois et justifier de cette acquisition dans les 24 heures, sous astreinte, pour chacun de ces délais, de 500 euros par jour de retard ;
– en cas de désaccord des propriétaires, solliciter du préfet de Haute-Savoie une autorisation d’occupation temporaire sur les parcelles E 3635, E 944 et E 940 dans les 48 heures et en justifier dans les 24 heures suivantes, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais ;
– réaliser les travaux d’accès au chemin de l’Arête dans le délai de trois jours à compter de la délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire et produire un constat de fin de travaux dans les 24 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard pour chacun de ces délais ;
– à défaut, enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables de rétablir l’accès initial au chemin de l’Arête après démolition ou déplacement de la gare de télécabines, dans un délai de 15 jours sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
– à défaut, enjoindre à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables d’établir par tout moyen utile un accès carrossable par tout véhicule de tourisme au chemin de l’Arête, dans le délai de 15 jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par un nouveau mémoire, présenté le 23 novembre 2020, la commune de Samoëns maintient ses conclusions et ses moyens.

Par un nouveau mémoire, présenté le 24 novembre 2020, la société SA Grand Massif Domaines Skiables maintient ses conclusions et ses moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du même code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures « .

2. Il résulte de l’instruction que le maire de Samoëns a, par un arrêté du 3 septembre 2019, autorisé la société SA Grand Massif Domaine Skiable (GMDS) à exécuter les travaux de construction de la nouvelle gare de télécabine de Vercland. Il ressort de la demande d’autorisation d’exécution des travaux que cette gare devait être construite sur l’emprise de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , voie desservant la propriété de M. A…, et que des travaux de dévoiement de cette voie devaient être effectués concomitamment aux travaux de la gare. Toutefois, ces derniers ont débuté sans que ce dévoiement ne soit réalisé, empêchant l’accès de M. A… à son chalet desservi par le chemin de l’Arête. Par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté, pour défaut d’urgence, la requête présentée par M. A…, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ordonner la suspension des travaux de la gare et le rétablissement de la circulation publique sur le chemin de l’Arête.

3. En premier lieu, le libre accès des riverains à la voie publique constitue un accessoire du droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Par suite, la privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté, pouvant justifier l’intervention du juge des référés saisi au titre de cet article, de toute mesure nécessaire de sauvegarde.

4. Il résulte de l’instruction et il n’est d’ailleurs pas contesté que la nouvelle gare de télécabine de Vercland a été construite sur l’emprise de la voie communale dite  » chemin de l’Arête « , dont la commune ne conteste pas l’appartenance au domaine public communal, sans qu’aucun dévoiement de ce chemin ne soit effectué concomitamment à ces travaux, contrairement à ce que prévoyait l’autorisation de travaux. Il en résulte également que si un cheminement temporaire a été réalisé par la société GMDS sur une propriété privée située à côté de la nouvelle gare, le propriétaire de cette parcelle refuse désormais le passage des véhicules, privant M. A… de tout accès en véhicule automobile à son chalet. La commune de Samoëns et la société GMDS portent, dans ces conditions, une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété de M. A….

5. En second lieu, il résulte de l’instruction qu’alors même qu’il s’agit d’une résidence secondaire, M. A… a, pour des raisons professionnelles, un besoin urgent d’accéder à sa propriété desservie par le chemin de l’Arête. Par suite, la privation de tout accès par véhicule automobile à sa propriété constitue, pour M. A…, une situation d’urgence justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à soutenir que c’est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce que soit rétabli l’accès à sa propriété.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à la commune de Samoëns et à la société GMDS de prendre toute mesure de nature à rétablir l’accès à la propriété de M. A… par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d’aptitude spécifique de type  » tout terrain « .

8. Il y a également lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la commune de Samoëns et de la société GMDS le versement de la somme de 1 400 euros chacune à M. A… en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A… qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :
——————

Article 1er : L’article 1er de l’ordonnance du 28 octobre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Samoëns et à la société SA Grand Massif Domaine skiable de rétablir l’accès à la propriété de M. A… par des véhicules automobiles légers ne nécessitant pas d’aptitude spécifique de type  » tout terrain « .
Article 3 : La commune de Samoëns et la société SA Grand Massif Domaine skiable verseront à M. A… la somme de 1 400 euros chacune en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Leurs conclusions présentées sur le même fondement sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B… A…, à la commune de Samoens et à la société SA Grand Massif Domaines Skiables.

Restaurant d’altitude et terrain sous -jacent/ Statut juridique/ Domaine communal

CAA de MARSEILLE – 7ème chambre
• N° 19MA02861
• Inédit au recueil Lebon
Lecture du vendredi 18 septembre 2020

Procédure contentieuse antérieure :

La société Le Relais Ratier a demandé au tribunal administratif de Marseille, d’une part, à titre principal, d’annuler la décision du 9 janvier 2017 par laquelle le maire de la commune de Saint-Chaffrey a refusé de conclure un bail commercial l’autorisant à poursuivre l’exploitation d’un restaurant d’altitude au lieu-dit  » Le Ratier « , dans la station de ski de Serre-Chevalier ainsi que d’enjoindre à la commune de signer ce bail et, d’autre part, à titre subsidiaire, à défaut de prononcer cette injonction, de condamner la commune de Saint-Chaffrey à lui verser la somme de 1 343 291 euros en réparation du préjudice résultant de son refus de conclure ce bail.

Par un jugement n° 1701707 du 26 avril 2019, le tribunal administratif de Marseille a décidé de surseoir à statuer sur cette demande jusqu’à ce que le tribunal de grande instance de Gap se soit prononcé sur la question de savoir si le refus de la commune de conclure un bail commercial avec la SAS Le Relais Ratier sur les locaux litigieux s’inscrivait dans la poursuite des relations contractuelles initiées entre les parties en 1986, ou devait au contraire être interprété comme un refus d’engager une relation contractuelle avec un tiers au contrat.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 juin 2019 et le 10 août 2020, la commune de Saint-Chaffrey, représentée par Me A…, demande à la Cour :

1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 avril 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société Le Relais Ratier devant le tribunal administratif de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de la société Le Relais Ratier la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– son appel est recevable ;
– le jugement est irrégulier faute d’avoir statuer sur les fins de non-recevoir invoquées à titre principal par la commune ;
– le jugement est insuffisamment motivé ;
– le tribunal administratif ne pouvait régulièrement surseoir à statuer sans s’être auparavant prononcé sur la nature du bail à construction conclu le 21 août 1986 et alors que la question préjudicielle posée ne relevait pas de la compétence exclusive du juge judiciaire ;
– en l’absence de toute difficulté sérieuse c’est à tort que le tribunal administratif a saisi le juge judiciaire d’une question préjudicielle ;
– les locaux en litige appartiennent au domaine public de la commune en raison de leur affectation au service public et pour avoir fait l’objet d’un aménagement spécial et non pas à son domaine privé ;
– subsidiairement ils appartiennent au domaine public au bénéfice de la théorie de la domanialité publique virtuelle ;
– en tout état de cause, il ne pouvait y avoir continuité au bail à construction entre deux personnes morales de droit privé distinctes et à objet social différent.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 janvier 2020, la société Le Relais Ratier, représenté par Me C…, conclut au rejet de la requête et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Saint-Chaffrey au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la commune de Saint-Chaffrey ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. B…,
– les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,
– et les observations de Me A…, représentant la commune de Saint-Chaffrey, et de Me C…, représentant la société Le Relais Ratier.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI La Brillance a conclu avec la commune de Saint-Chaffrey un bail à construction le 21 août 1986, pour une durée de trente ans, venant à expiration le 31 mai 2016 en vue de la construction sur le domaine skiable de la station de sports d’hiver de Serre-Chevalier, à 1 900 mètres d’altitude, à proximité d’une remontée mécanique, d’un ensemble immobilier comprenant un restaurant d’altitude, des bureaux pour la régie des remontées mécaniques, un local pour l’école de ski et un local pour un club de sport. Le restaurant, situé au premier étage de cette construction, était exploité par la société par action simplifiée (SAS) Le Relais Ratier. A l’expiration du bail à construction, la commune a proposé à cette société de poursuivre son exploitation sous couvert d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public d’une durée d’un an renouvelable. La société a refusé cette proposition et a sollicité la conclusion d’un bail commercial d’une durée de neuf années. Par une décision du 9 janvier 2017, la commune de Saint-Chaffrey a refusé de faire droit à cette demande. La société Le Relais Ratier a alors demandé au tribunal administratif de Marseille l’annulation de cette décision ainsi que la condamnation de la commune à lui verser la somme de 1 343 291 euros en réparation du préjudice résultant du refus de conclure ce bail. La commune de Saint-Chaffrey relève appel du jugement du 26 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a décidé de surseoir à statuer sur la demande de la société jusqu’à ce que le tribunal de grande instance de Gap se soit prononcé sur la question de savoir si le refus de la commune de conclure ce bail commercial s’inscrivait dans la poursuite des relations contractuelles initiées entre les parties en 1986, ou devait au contraire être interprété comme un refus d’engager une relation contractuelle avec un tiers au contrat.

Sur la décision du tribunal administratif de surseoir à statuer :

2. La contestation par une personne privée de l’acte par lequel une personne morale de droit public ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne privée, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n’affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire. En revanche, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la contestation par l’intéressé de l’acte administratif par lequel une personne morale de droit public refuse d’engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet.

3. Aux termes des stipulations d’un bail à construction conclu le 21 août 1986 par la commune de Saint-Chaffrey avec la SCI La Brillance  » A titre de condition essentielle et déterminante du présent bail à construction sans laquelle le preneur n’aurait pas contracté, le bailleur s’engage irrévocablement à accorder préférentiellement au preneur, lorsque ce dernier aura, à l’expiration du bail (…) perdu la propriété des constructions par suite du droit d’accession du bailleur, un contrat de location portant sur partie ou totalité desdites constructions. Ce contrat de location, qui sera consenti pour une durée de neuf années, renouvelable, sera soumis aux règles spéciales que la législation en vigueur à l’époque de sa conclusion pourra prévoir pour ces locaux en raison de leur nature et de leur destination actuelle (bar, snack, restaurant) « .

4. Le tribunal administratif a estimé, par le jugement attaqué, que la question de savoir si le refus de la commune de conclure un bail commercial avec la SAS Le Relais Ratier portant sur les locaux litigieux s’inscrivait dans la poursuite des relations contractuelles initiées entre les parties en 1986, ou devait au contraire être interprété comme un refus d’engager une relation contractuelle avec un tiers au contrat ne pouvait être tranchée que par la juridiction judiciaire et a demandé au tribunal de grande instance de Gap de se prononcer à titre préjudiciel sur cette question.

5. Toutefois, il ne peut y avoir matière à question préjudicielle, que si la question posée relève d’un autre ordre de juridiction, soulève une difficulté sérieuse et est nécessaire à la solution du litige. En l’espèce, la question de savoir si la décision en litige pouvait être regardée comme un refus d’engager une relation contractuelle avec un tiers au contrat ou s’inscrivait dans la poursuite des relations contractuelles existantes permettant à la SAS Le Relais Ratier de se prévaloir de la clause préférentielle mentionnée au point 3 ne conduisait les premiers juges qu’à se prononcer sur des éléments essentiellement factuels ne concernant ni l’interprétation ni la validité du contrat de bail. Par suite, alors qu’elle n’exigeait que des interprétations et des appréciations relevant de la compétence de la juridiction administrative, cette question ne pouvait être regardée comme soulevant une difficulté sérieuse.

6. Il résulte de ce qui précède que la commune de Saint-Chaffrey est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a sursis à statuer sur la demande de la SAS Le Relais Ratier jusqu’à ce que le juge judiciaire se soit prononcé sur la question mentionnée au point 4.

7. Il appartient toutefois à la Cour, saisi de l’ensemble du litige par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les moyens soulevés par la SAS Le Relais Ratier devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur la domanialité de l’immeuble en litige :

8. Selon les stipulations du bail à construction,  » les constructions édifiées et tous travaux et aménagements effectués par le preneur resteront sa propriété ou celle de ses ayants-cause pendant toute la durée du présent bail à construction « . Il en résulte que la commune de Saint-Chaffrey ne détenait aucun droit de propriété plein et entier sur la construction en litige durant toute la durée du bail. Les locaux dans lesquels étaient exploités le restaurant, indépendamment de la question de savoir s’ils étaient affectés ou non au service public du tourisme dès leur aménagement, ne pouvaient, dès lors et en tout état de cause, être regardés comme une dépendance du domaine public avant que la commune n’en acquière la propriété à la date d’expiration du bail le 31 mai 2016.

9. Aux termes de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, entré en vigueur le 1er juillet 2006 :  » Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique (…) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public « . Aux termes de l’article L. 2111-2 du même code :  » Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques (…) qui, concourant à l’utilisation d’un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable « .

10. Lorsqu’une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public.

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu’après avoir constaté qu’elle en était devenue propriétaire à compter du 1er juin 2016 à la suite de l’expiration du bail à construction, la commune de Saint-Chaffrey a décidé, par délibération de son conseil municipal du 30 mai 2016, d’affecter dans sa totalité l’immeuble en litige  » au service public de l’exploitation du domaine skiable et au service public d’accueil et d’animation touristique, toute saison, de la station de Serre-Chevalier  » y compris le niveau où était situé le restaurant. Toutefois, si l’activité de ce restaurant d’altitude contribue à l’accueil de touristes dans la station de Serre-Chevalier et concourt ainsi au développement de son attrait touristique, cette seule circonstance, compte tenu des modalités d’exploitation de l’établissement et de son intérêt propre, ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un service public. A cet égard, à supposer même que la commune ait décidé d’imposer à l’exploitant du restaurant, dans la continuité des obligations résultant du bail à construction, l’ouverture continue de l’établissement en période hivernale correspondant à la période d’ouverture de la station de ski et en période estivale correspondant aux vacances scolaires, cette seule sujétion ne suffit pas à établir qu’elle aurait ainsi entendu lui confier une mission de service public. Au demeurant, la commune n’a pas engagé une procédure de délégation de service public pour sélectionner l’exploitant du restaurant, mais s’est bornée à proposer à la SAS Le Relais Ratier la délivrance d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Par ailleurs, si ces locaux, mis à la disposition de la SAS Le Relais Ratier pendant la durée du bail à construction, étaient aménagés depuis leur création pour permettre l’exploitation d’un restaurant d’altitude et d’un bar, un tel aménagement ne saurait être regardé comme un aménagement indispensable à l’exécution des missions du service public d’accueil et d’animation touristique au sens de l’article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Enfin, la circonstance que ces locaux soient situés à proximité des remontées mécaniques et de la gare téléphérique qui appartiennent au domaine public communal, ne saurait suffire à caractériser l’existence d’un tel aménagement indispensable.

12. En second lieu, il est constant que les parcelles cadastrées section E n° 544, 2220 et 2223, qui constituent le terrain d’assiette de la construction objet du bail conclu le 21 août 1986, sont situées sur le front de neige de la station de sports d’hiver de Serre-Chevalier. Si une piste de ski alpin, qui a fait l’objet d’un aménagement spécial en vue de son affectation au service public de l’exploitation des pistes de ski fait partie du domaine public de la commune qui est responsable de ce service public, il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que les parcelles en cause auraient fait l’objet de tels aménagement nécessaires à l’exécution des missions du service public de l’exploitation des pistes de ski. Dès lors, ces parcelles, qui sont en l’espèce clairement délimitées et dissociables de celles ayant fait l’objet d’aménagements en piste de ski alpins appartiennent au domaine privé de la commune de Saint-Chaffrey. La construction autorisée par le bail sur ces parcelles, propriété de la commune depuis le 1er juin 2016, qui n’empiète pas sur la piste de ski, ne saurait être regardée comme l’accessoire de cette piste. Il ressort également des pièces du dossier que les locaux qui abritent le restaurant, qui bénéficient d’un accès direct et autonome, ne sont pas reliés aux autres locaux du rez-de-chaussée qui composent l’ensemble immobilier et sont divisibles de ces locaux dont il est soutenu qu’ils sont affectés au service public. Par suite, ce restaurant ne saurait être regardé comme un accessoire des locaux appartenant au domaine public.

13. Il résulte de ce qui précède que les locaux abritant le restaurant n’ont pu devenir, depuis que la commune de Saint-Chaffrey en est devenu propriétaire, des dépendances du domaine public communal et qu’ils appartiennent au domaine privé de la commune.

Sur la légalité de la décision du 9 janvier 2017 refusant la conclusion d’un bail commercial :

14. La décision par laquelle le maire de Saint-Chaffrey a, le 9 janvier 2017, refusé de conclure un bail commercial au profit de la SAS Le Relais Ratier pour lui permettre l’exploitation du restaurant est fondée sur deux motifs. Le premier, tiré de ce que les locaux en litige appartiennent au domaine public communal, doit, conformément à ce qui a été dit au point 13, être tenu pour illégal.

15. Le maire s’est fondé également sur un second motif tiré de ce que le bail à construction ne faisait à aucun moment référence  » à un bail commercial ni même au régime juridique de ces baux par référence au code de commerce « . Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que, selon les stipulations du bail à construction rappelées au point 3, la commune s’engageait à son expiration à accorder au preneur un contrat de location portant sur partie ou totalité des constructions pour une durée de neuf années, renouvelable,  » soumis aux règles spéciales que la législation en vigueur à l’époque de sa conclusion pourra prévoir pour ces locaux en raison de leur nature et de leur destination actuelle (bar, snack, restaurant) « . Il résulte sans ambiguïté de cette stipulation, que les parties s’étaient engagées à l’expiration du bail à construction à la conclusion au bénéfice du preneur d’un contrat de location selon les règles applicables à cette date aux baux commerciaux. Par suite, ce motif est entaché d’une erreur de fait.

16. Toutefois, l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué.

17. Dans sa requête d’appel la commune de Saint-Chaffrey invoque un nouveau motif tiré de ce que le bail à construction a été conclu avec la SCI La Brillance, structure distincte de la SAS Le Relais Ratier et qu’il ne pouvait y avoir continuité au bail à construction entre deux personnes morales de droit privé distinctes et à objet social différent, circonstance qui faisait obstacle à ce que cette dernière société se prévale des stipulations de ce contrat. Il ressort des clauses du bail que le droit préférentiel qu’il a institué n’a été consenti qu’au seul bénéfice du preneur, la SCI La Brillance. Le présent litige concerne les relations entre la commune et la SAS Le Relais Ratier sous-occupante des locaux, qui n’a que la qualité de tiers par rapport à ce contrat. A cet égard, le changement d’actionnaires intervenu en 2012 au sein de la SAS Le Relais Ratier n’a pu avoir ni pour objet ni pour effet de modifier cette situation. La cession des parts sociales intervenue à cette occasion n’a pas davantage conféré à la société un prétendu droit au bail commercial. Enfin, si la commune a délivré en 2002 un permis de construire pour l’extension d’une terrasse à la SAS Le Relais Ratier et non pas au titulaire du bail à construction, cette circonstance est sans incidence sur les droits et obligations respectifs des parties à ce contrat. Il en résulte que la SAS Le Relais Ratier n’est pas fondée à se prévaloir du droit préférentiel qui n’était consenti qu’à la seule SCI La Brillance. Ce motif est au nombre ceux qui pouvaient être invoqués par la commune pour refuser d’engager avec la SAS Le Relais Ratier une relation contractuelle. Il est, par suite, de nature à justifier légalement le refus de conclure avec celle-ci un bail commercial. Il résulte de l’instruction que la commune aurait pris la même décision si elle avait entendu initialement se fonder sur ce motif. Dès lors qu’elle ne prive la SAS Le Relais Ratier d’aucune garantie procédurale, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de procéder à la substitution de motifs demandée.

18. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir invoquée en première instance par la commune et d’examiner les moyens tirés de l’irrégularité du jugement attaqué, que la demande présentée par la SAS Le Relais Ratier devant le tribunal administratif de Marseille tendant à l’annulation de la décision du maire de Saint-Chaffrey en date du 9 janvier 2017, ne peut qu’être rejetée.

Sur les conclusions indemnitaires de la société Le Relais Ratier :

19. La décision du maire de Saint-Chaffrey du 9 janvier 2017 refusant de conclure un bail commercial n’est pas entachée d’une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de la commune. Par suite, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir invoquée en première instance par la commune, les conclusions indemnitaires présentées par la SAS Le Relais Ratier devant le tribunal administratif de Marseille ne peuvent qu’être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SAS Le Relais Ratier une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Saint-Chaffrey au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de cette commune qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 26 avril 2019 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la SAS Le Relais Ratier devant le tribunal administratif de Marseille et ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.